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Dans le cinéma de Jeanne Herry, l’action naît de la parole, qui a le pouvoir de créer de la fiction ou réparer le lien brisé. Un amour du verbe servi par des comédien·nes qui s’en emparent pour célébrer la puissance du collectif et la complexité des sentiments.

Cours de cinéma par Esther Brejon, journaliste cinéma.

Enregistré au Forum des images le 17 janvier 2024 dans le cadre de la thématique « Elles sont là pour rester », 10 réalisatrices aujourd’hui en France (4 décembre 2024 - 6 avril 2025).

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Transcription
00:00:00et je vous souhaite une très belle soirée.
00:00:06Bonsoir à toutes et à tous.
00:00:08J'aimerais commencer le cours sur Jeanne Héry
00:00:12par une citation de la réalisatrice qui dit
00:00:15« Metteur en scène ayant été actrice,
00:00:18je connais très bien la solitude de l'acteur.
00:00:21Je sais l'endroit de fragilité, d'isolement,
00:00:23d'incertitude dans lequel ils peuvent être.
00:00:26Je fais tout pour que,
00:00:28Je fais tout pour, à un moment donné, travailler avec les acteurs.
00:00:33Dans toute l'écriture, je pense aux acteurs,
00:00:36je pense au plaisir qu'ils vont avoir
00:00:38et en même temps, je leur demande de jouer des trucs très difficiles.
00:00:43S'ils n'arrivent pas à me le donner, mon film reste un scénario
00:00:46et un scénario, ce n'est pas une œuvre aboutie, ce n'est rien.
00:00:49Je suis donc incroyablement reconnaissante,
00:00:53incroyablement admirative de ça,
00:00:55que les acteurs aillent chercher mes adjectifs et qu'ils les incarnent.
00:00:59Je les mets en danger et en même temps,
00:01:01je suis celle qui porte assistance à personne en danger.
00:01:05Dans cette citation de Jeannery qui provient du podcast
00:01:08Cinéma, les cinéastes de l'ARP,
00:01:10transparaît vraiment la relation de la réalisatrice
00:01:14aux comédiens et aux comédiennes de ses films,
00:01:16son amour pour les acteurs, pour le jeu qu'il déploie
00:01:20et en même temps, son exigence, la confiance qu'elle leur donne
00:01:23pour respecter ses mots.
00:01:25Jeannery est une réalisatrice, on le verra dans ce cours,
00:01:28qui adore les acteurs, qui fait des films pour eux,
00:01:32pour travailler avec eux, alors qu'elle-même est fille
00:01:35d'une actrice et comédienne de formation.
00:01:38Quelques éléments biographiques pour commencer ce cours.
00:01:43Jeannery, c'est une réalisatrice et scénariste née en 1978.
00:01:47Elle entre dans le cinéma très tôt, à l'âge de 11 ans,
00:01:50peut-être que vous l'avez vu, dans le film de Louis Mal,
00:01:53Milou en mai, aux côtés de Michel Piccoli, Dominique Blanc
00:01:57et sa mère, l'actrice Miu Miu.
00:02:00Elle confirme son envie d'être actrice très jeune,
00:02:03dès l'âge de 16 ans.
00:02:05Elle part étudier le jeu en Angleterre,
00:02:08à la London International School of Acting.
00:02:11Puis, elle entre au Conservatoire National Supérieur
00:02:14d'Art Dramatique de Paris, où elle étudie pendant 3 ans.
00:02:18Elle apprécie beaucoup les cours de théâtre,
00:02:20elle prend beaucoup de plaisir à regarder les autres travailler
00:02:23et à voir les profs diriger les jeunes comédiens.
00:02:26Elle est formée par de grands maîtres, de grandes maîtresses,
00:02:29comme elle dit, comme Catherine Higel et Dominique Valadier.
00:02:33Donc, c'est vraiment au conservatoire que Jeannery
00:02:35découvre la mise en scène.
00:02:36Elle commence à mettre en scène elle-même des pièces de théâtre
00:02:39avec des comédiens de sa promo, par exemple,
00:02:41Le Seigneur des Porcheries.
00:02:43Et en sortant du conservatoire, elle intègre le jeune
00:02:46Théâtre National, donc en tant que comédienne.
00:02:48Elle joue dans des pièces, quelques films,
00:02:50quelques téléfilms et séries télé.
00:02:53Mais sa carrière d'actrice ne décolle pas vraiment.
00:02:56Parallèlement à ça, elle met aussi en scène des pièces
00:02:59et elle va se tourner vers l'écriture.
00:03:01Elle a publié un livre en 2005 intitulé 80 étés,
00:03:07qui raconte l'histoire de sa famille,
00:03:09dans lequel elle se raconte aussi elle-même à travers la mort
00:03:11de son grand-père.
00:03:13Puis, à la suite de ce livre, elle s'attèle à l'écriture
00:03:16de scénarios.
00:03:17Elle réalise son premier court-métrage en 2009,
00:03:20donc à l'âge de 31 ans.
00:03:22Et donc, Jeannery est une réalisatrice autodidacte.
00:03:25Elle n'a pas fait d'école de cinéma.
00:03:27Elle a une formation de comédienne et elle a appris
00:03:29la mise en scène grâce au conservatoire.
00:03:32Sa filmographie, elle est donc composée d'un court-métrage,
00:03:35de trois longs-métrages et d'une série.
00:03:39Elle réalise une série, en effet, en 2019 qui s'appelle Mouche,
00:03:42qui est une adaptation de Fleabag,
00:03:45de la série de Philly Waller-Bridge.
00:03:47Et elle a aussi co-écrit le scénario du Royaume
00:03:50de Julien Colonna, qui est sorti fin 2024.
00:03:53Donc aujourd'hui, moi, j'ai choisi de me concentrer seulement
00:03:55sur ces quatre films, donc son court-métrage
00:03:57et ses trois longs-métrages.
00:03:59Elle l'adore, Pupille et Je verrai toujours vos visages.
00:04:02Quatre films qui constituent l'oeuvre originale de Jeannery,
00:04:05des films écrits et réalisés par elle et non l'adaptation
00:04:10d'une oeuvre préalablement existante.
00:04:13Donc j'aimerais finir cette introduction avec un extrait
00:04:16de son premier et unique court-métrage qui s'appelle Marcher
00:04:21et qui marque son entrée dans le cinéma en tant que réalisatrice.
00:04:24Tu sais, tu peux rester si tu veux.
00:04:29J'ai préparé ta chambre.
00:04:31Tu sais, tu peux rester si tu veux, j'ai préparé ta chambre.
00:04:36Pose tes affaires, tu es chez toi.
00:04:40C'est chez toi ici.
00:04:42Tu es ici chez... Tu es ici chez toi.
00:04:45Tu es ici chez toi. Tu es ici.
00:04:48Ici, c'est un peu...
00:04:50Non, c'est chez toi ici.
00:04:52Ici, c'est chez... Ouais, c'est mieux ça. Ici, c'est chez toi.
00:05:01Toujours un café, s'il vous plaît.
00:05:13Monsieur le président, je vous souhaite le bienveillant.
00:05:15Je vous souhaite le bienveillant et le répondre.
00:05:19Merci.
00:05:23C'est énorme.
00:05:25Allez.
00:05:26Allez, Yoann. Allez.
00:05:28Allez, on va jusqu'au bout. Allez.
00:05:30Il va aller chercher la médaille d'argent pour les championnats du monde.
00:05:36Allez, Yoann, super, Yoann. Allez.
00:05:3930 secondes de l'Australien. 3 heures 44 minutes et 22 secondes.
00:05:46Combien je vous dois ?
00:05:49Rien du tout. Je vous adore. Ça me fait plaisir.
00:05:52Merci.
00:05:56C'est très gentil.
00:05:57Merci.
00:06:00Au revoir.
00:06:06J'ai préparé ta chambre. Pose tes affaires.
00:06:09Pose tes affaires. J'ai préparé ta chambre.
00:06:15J'ai préparé ta chambre. Pose tes affaires.
00:06:29Qu'est-ce qu'on porte comme truc ?
00:06:34Au départ, on ne sait pas qu'on portera tout ça.
00:07:09...
00:07:35J'ai choisi de vous montrer un extrait de ce court-métrage
00:07:39parce que, comme beaucoup de courts-métrages de cinéastes,
00:07:42c'est un film qui annonce l'oeuvre de Janery,
00:07:45qui annonce les thèmes à l'oeuvre dans ses longs-métrages.
00:07:48On retrouve déjà des germes, des thématiques
00:07:52qui seront à l'oeuvre dans le cinéma de Janery.
00:07:54Déjà, il est question de langage, de communication,
00:07:57de l'importance des mots et du choix des mots.
00:08:00Le film commence... Là, ce n'est pas exactement le début,
00:08:03mais le film commence avec la voix-off de Miu-Miu
00:08:05qui parle toute seule dans la rue.
00:08:07Elle se répète des phrases dont on pense qu'elles sont destinées à quelqu'un.
00:08:10On pense qu'elle est en train de répéter quelque chose
00:08:12qu'elle va dire à son fils ou à sa fille,
00:08:14ou à quelqu'un qu'elle connaissait et qu'elle n'a pas vu depuis longtemps.
00:08:17En fait, on comprend que c'est une actrice qui répète son texte.
00:08:20En fait, Miu-Miu joue ici son propre rôle.
00:08:23Donc, on se rend compte que les mots peuvent être trompeurs,
00:08:27peuvent créer le quiproquo.
00:08:29Le quiproquo, c'est quelque chose que Janery adore
00:08:31et qu'on retrouvera, par exemple, dans Elle l'adore.
00:08:34On se rend compte aussi que l'action passe par la parole
00:08:40ou que la parole est action.
00:08:42Elle dit, Miu-Miu, qu'est-ce qu'on porte comme truc ?
00:08:45Et juste après, on voit plein de figurants porter tout un tas de choses,
00:08:48des cadres, des cartons, un miroir.
00:08:50Donc, elle dit quelque chose, elle pense quelque chose,
00:08:53et tout de suite après, on a sa parole qui devient une action.
00:08:58Le second élément qu'on remarque dans ce court-métrage,
00:09:01c'est l'étude des comédiens.
00:09:03La caméra filme Miu-Miu sous toutes les coutures,
00:09:06de près, de loin, de face, de profil,
00:09:09dans la forêt, dans les rues de Paris.
00:09:11On voit vraiment son corps, son visage, sa démarche.
00:09:14Alors, ce n'est pas parce que c'est la mère de Janery,
00:09:18ça compte évidemment,
00:09:19mais c'est aussi une actrice que Janery adore, Miu-Miu.
00:09:23Elle aime filmer sa voix, son visage, sa démarche.
00:09:27Elle adore ce qu'elle dégage en tant qu'actrice.
00:09:30Et donc, elle refera jouer sa mère dans Pupi
00:09:34et dans Je verrai toujours vos visages.
00:09:36Et on voit que Janery, elle s'engage déjà sur le chemin de la suite,
00:09:39sur ce qui la passionne plus que tout,
00:09:41c'est-à-dire filmer les acteurs, les étudier sous toutes les coutures,
00:09:45travailler avec eux et les regarder travailler.
00:09:49Le troisième élément qu'on peut remarquer dans ce court-métrage,
00:09:52c'est la célébration du lien social.
00:09:55L'extrait ne vous le montre pas vraiment,
00:09:56mais en fait, dans ce film, Miu-Miu s'apprête à devenir grand-mère.
00:10:00À avoir un petit-fils.
00:10:01Et donc, le film suit ses pensées, son imagination,
00:10:04qui tournent autour de ça,
00:10:05de l'arrivée imminente d'un bébé dans la famille,
00:10:09le fils de sa fille.
00:10:11Et donc, c'est un film très sensible qui raconte le lien filial,
00:10:14qui raconte l'ébranlement positif
00:10:18que l'arrivée d'un bébé dans une famille peut créer.
00:10:21Mais ça montre aussi le lien du filial,
00:10:25tout simplement de Janery, qui filme sa mère.
00:10:29L'amour est dans les deux sens, l'amour circule.
00:10:32Et ça, c'est quelque chose qu'on retrouve beaucoup
00:10:34dans les autres films, dans les longs-métrages de Janery.
00:10:37Il y a aussi un autre lien qu'on voit dans l'extrait.
00:10:39Si petit soit-il, le lien entre Miu-Miu et le garçon de café
00:10:43qui est joué par Grégory Gadebois, qui a l'air bourru,
00:10:46mais qui ne peut pas s'empêcher de lui dire
00:10:48vous ne devez rien, je vous adore.
00:10:49Et ça, c'est trois fois rien,
00:10:51mais c'est peut-être le début d'une relation.
00:10:54Il y a aussi une dimension ludique dans ce film.
00:10:57Janery s'en franchit des frontières spatio-temporelles,
00:11:00on passe de la ville à la forêt,
00:11:02de Paris à la Bretagne sans transition.
00:11:04Alors ça, ce n'est pas le cas de ses longs-métrages.
00:11:07Dans ses longs-métrages, le ludique passe davantage par les mots.
00:11:10Et on voit que c'est aussi son premier court-métrage,
00:11:12donc elle ose faire des choses,
00:11:14mais qu'elle ne fera pas forcément dans ses longs-métrages.
00:11:17Même si ses films, en tout cas, sont parsemés toujours
00:11:20de touches d'humour et de détails comiques par-ci, par-là.
00:11:23Donc ce film, ce court-métrage marché,
00:11:25c'est vraiment la naissance d'une cinéaste.
00:11:28D'ailleurs, après le premier jour de tournage,
00:11:30Janery s'est dit, ça y est, j'ai trouvé mon métier,
00:11:33je suis à ma place.
00:11:35Et donc c'est aussi l'annonce des thèmes à l'œuvre
00:11:38dans le cinéma de Janery,
00:11:39qui seront donc les thèmes du cours d'aujourd'hui.
00:11:42La puissance du verbe et de la parole centraux
00:11:45dans le cinéma de Janery.
00:11:47Le travail avec les comédiens,
00:11:48qui sont là vraiment pour s'emparer du texte
00:11:51et pour incarner ces mots.
00:11:53Et l'étude du lien social
00:11:55et le triomphe du collectif,
00:11:57qui font que le cinéma de Janery
00:11:58est un cinéma où prime l'émotion.
00:12:03Je fais une petite pause.
00:12:07Donc j'aimerais commencer par la puissance du verbe,
00:12:12parce que la parole, c'est vraiment quelque chose de primordial
00:12:15dans les films de Janery.
00:12:16Ce sont vraiment des films de scénarios.
00:12:18Des scénarios écrits, réécrits, de nombreuses fois,
00:12:22où tout compte, le moindre mot,
00:12:23mais aussi la moindre ponctuation et le moindre silence.
00:12:27La mise en scène, elle est vraiment là pour mettre en lumière cette parole.
00:12:32Donc c'est une mise en scène plutôt discrète,
00:12:35sans effet extraordinaire,
00:12:37mais sans pour autant s'effacer.
00:12:39En tout cas, c'est une mise en scène au service de la parole.
00:12:42C'est quelque chose que Janery revendique,
00:12:44puisqu'elle affirme qu'elle ne sera pas celle
00:12:46qui fera les plus belles images,
00:12:48qu'elle serait incapable de faire un film comme Drive,
00:12:51qu'elle n'en a pas la patience,
00:12:53et de toute façon, ce n'est évidemment pas ce qu'elle recherche.
00:12:56Donc elle décrit elle-même ses scénarios.
00:12:58Elle a juste été aidée de la scénariste Gaëlle Massé
00:13:01pour son premier long-métrage, Elle l'adore,
00:13:03mais sinon, Pupille et Je verrai toujours vos visages
00:13:05ont été écrits par elle seule.
00:13:07Et donc, ce ne sont que des scénarios originaux.
00:13:10Ce ne sont pas des adaptations.
00:13:12Et ce qui est intéressant, c'est que l'omniprésence du verbe,
00:13:15on peut la remarquer jusque dans les titres de ses films.
00:13:18Marcher, Elle l'adore, Je verrai toujours vos visages,
00:13:21dont le titre provisoire était d'ailleurs J'ai croisé le loup.
00:13:25Donc voilà, le verbe est très présent jusque dans les titres.
00:13:29Et donc, dans ses films, l'action naît de la parole.
00:13:33La parole, elle a le pouvoir de créer le quiproquo,
00:13:36de compliquer une situation, de créer de la fiction,
00:13:39d'inventer des mondes, mais elle a aussi le pouvoir
00:13:42de réparer le lien, de guérir les blessures,
00:13:46de renouer ou de se reconstruire.
00:13:48Donc c'est une parole au super-pouvoir.
00:13:50Dans les films de Jeannery, on assiste à une mise en musique des mots
00:13:54puisqu'elle considère les dialogues comme une partition de musique.
00:13:57C'est quelque chose, un mot qui revient beaucoup
00:13:59dans ses interviews, la partition.
00:14:00Donc elle est très attachée à la musicalité des mots et des dialogues.
00:14:04Elle prête attention au timbre de chaque acteur
00:14:07afin de créer des accords pour composer la musique du film.
00:14:11Par exemple, dans Je verrai toujours vos visages,
00:14:14elle a choisi une actrice qui a une voix plutôt aiguë,
00:14:17Élodie Bouchèze, pour incarner la personne,
00:14:22pour incarner une personne qui est solide,
00:14:27qui est la médiatrice dans le film.
00:14:30Et face à elle, c'est Adèle Exarchopoulos,
00:14:34qui a une voix beaucoup plus grave,
00:14:36et qui, elle, est dans un endroit de fragilité,
00:14:37qui a été victime de viols dans son enfance.
00:14:41Et donc, en fait, elle a choisi aussi ses comédiennes,
00:14:44évidemment pour leur talent d'actrice,
00:14:45mais aussi parce qu'elles se répondaient bien
00:14:48par rapport à leur timbre et à leur voix.
00:14:52Donc elle dit qu'elle fait du cinéma à l'oreille.
00:14:54Dans une interview au Petit bulletin, elle dit,
00:14:56je construis des images avec des mots.
00:14:58C'est le son qui fait sonner juste l'image.
00:15:01Et quand on la voit diriger des comédiens dans des making-of,
00:15:04elle les dirige aussi beaucoup sur leur voix.
00:15:07On la voit leur dire, là, il faut que tu prennes une voix
00:15:10un peu moins blanche, là, il faut que tu aies un peu plus de timbre.
00:15:14Donc j'aimerais commencer avec le premier film,
00:15:17le premier long-métrage de Jeannery.
00:15:19Elle l'adore, j'ai choisi de suivre un ordre chronologique
00:15:22pour que ce soit plus simple pour vous et pour moi.
00:15:25Elle l'adore dans un film dans lequel la parole est fictive,
00:15:28où la parole a le pouvoir de créer de la fiction.
00:15:31C'est un film qui est sorti en 2014,
00:15:34donc cinq ans après le court-métrage dont on a vu un extrait.
00:15:38Un film qui est avec Sandrine Kiberlin,
00:15:40Laurent Laffitte, Olivia Cotte,
00:15:41Pascal Demoulon, Muriel Maillette et Benjamin Lavergne.
00:15:45Et un film qui marche assez bien, qui fait 480 000 entrées.
00:15:49Donc c'est quand même un bon score pour un premier long-métrage.
00:15:52Elle mettra neuf ans pour écrire ce film et monter le projet.
00:15:56Il y a un moment en interview où elle l'appelait ce connard de film.
00:16:00Donc elle a écrit une vingtaine de versions du scénario.
00:16:05Et c'est un film qui met en scène deux personnages principaux.
00:16:09Muriel, une esthéticienne qui est jouée
00:16:11par Sandrine Kiberlin, qui est bavarde et qui aime bien mentir,
00:16:15moins par perversité que pour le simple plaisir
00:16:18de raconter des histoires farfelues.
00:16:20Et Muriel, elle est la fan numéro un du chanteur Vincent Lacroix,
00:16:24un chanteur très populaire, joué par Laurent Laffitte.
00:16:26Elle se rend à tous ses concerts.
00:16:28Et une nuit, son idole sonne chez elle pour lui demander de l'aide,
00:16:31car sa femme est morte accidentellement,
00:16:33mais tout porte à croire qu'il l'a tuée volontairement.
00:16:36Il a énormément de chances d'être accusé de son décès
00:16:38et donc il lui demande de l'aider à cacher le cadavre.
00:16:42On est dans un film qui est un peu... qui est dur à résumer,
00:16:46qui est dur à caractériser, parce que c'est un film policier,
00:16:48avec vraiment une enquête policière qui ressemble un peu à un thriller,
00:16:52mais en même temps, on est dans une comédie
00:16:53qui ne ressemble pas à une comédie française classique.
00:16:56Jeannery, elle dit qu'elle sait très bien
00:16:58que sa comédie ne fait pas rire aux éclats.
00:17:01Son point de départ pour le film, c'était vraiment de raconter
00:17:04la banalité des gens connus et l'originalité des gens banals.
00:17:08Elle-même, elle a grandi avec des parents connus,
00:17:10donc Miu-Miu, comme je vous ai dit tout à l'heure,
00:17:12et son père, Julien Clerc.
00:17:15Donc, elle connaît bien la banalité des gens connus,
00:17:19mais elle-même, elle a eu une vie assez banale et assez normale
00:17:22pendant toute son enfance et son adolescence.
00:17:25Donc, c'est deux personnages principaux
00:17:27qui vont incarner cette envie de Jeannery.
00:17:30Le personnage banal, Muriel l'esthéticienne, la femme du commun,
00:17:34et le personnage connu, c'est Vincent Lacroix,
00:17:36qui est en fait une espèce de mélange de Souchon, de Julien Clerc,
00:17:40de Michel Bergé, de tous ces chanteurs qui ont écrit
00:17:42de grandes chansons populaires.
00:17:44Dans ce film, Jeannery, elle a voulu explorer la mythomanie
00:17:49à travers ses aspects comiques.
00:17:51Elle n'a pas voulu en parler au sens clinique.
00:17:55D'ailleurs, Muriel n'est pas une folle au sens clinique.
00:17:57Elle n'est pas hystérique, elle n'est pas dangereuse,
00:18:00mais elle a juste une petite fêlure, une peur du vide
00:18:03qui la pousse à inventer sa vie.
00:18:06Muriel raconte des mensonges avec tout le monde, strictement tout le monde,
00:18:10ses enfants, sa mère, Vincent Lacroix.
00:18:13Elle raconte tellement de mensonges que plus personne ne la croit.
00:18:16Et d'ailleurs, le film commence avec un mensonge
00:18:21que Muriel raconte à ses enfants, une histoire à dormir debout,
00:18:24mais vraiment qui ne sert à rien dans le récit, dans la narration,
00:18:27mais c'est juste pour combler le vide, pour s'occuper,
00:18:30en attendant que ses enfants repartent en train.
00:18:33Et tout de suite après, on passe à une scène avec Vincent Lacroix
00:18:35qui lui aussi ment à sa compagne.
00:18:38Donc en fait, on se rend compte qu'il y a un personnage de mythomane,
00:18:40mais que le mensonge, il est partout dans le film,
00:18:42que tous les personnages mentent,
00:18:44et que finalement, le mensonge n'est pas dangereux à proprement parler.
00:18:48Même le plus petit personnage du film, la femme de ménage de Vincent Lacroix,
00:18:51qui est par ailleurs jouée par Muriel Mayette,
00:18:55elle-même, elle demande à son patron quel mensonge elle doit raconter à la police
00:18:58pour lui sauver la peau.
00:19:00Donc bref, dans ce film, aucun ne dit la vérité.
00:19:05Et ce qui est amusant, c'est que le film, ça a des allures de thriller,
00:19:09il y a une enquête policière, et donc qui dit enquête policière,
00:19:12dit une série d'interrogatoires avec des personnages de policiers.
00:19:16Et eux aussi ne sont pas épargnés par le mensonge.
00:19:19Même les flics ont une bonne raison de mentir,
00:19:21et donc ce couple de flics qu'on verra plus tard dans un extrait,
00:19:24Colline et Antoine, incarnés par Olivia Cote et Pascal Demolon,
00:19:28qui vivent leur vie amoureuse parallèlement à l'enquête,
00:19:31eux aussi ne sont pas épargnés par le mensonge,
00:19:33parce que Colline trompe Antoine et lui ment tout le temps,
00:19:36parce qu'elle ne peut pas s'empêcher de le tromper,
00:19:38et en même temps, elle veut rester avec lui.
00:19:40Donc les personnages du film passent leur temps à mentir.
00:19:43Alors pourquoi ils mentent tout le temps, tous ces personnages ?
00:19:46Peut-être parce que le mensonge, finalement, est plus beau que la vérité,
00:19:49et plus intéressant que la réalité.
00:19:52Et peut-être que Jeannery, elle veut nous montrer que,
00:19:54finalement, le mensonge, il est obligatoire pour vivre,
00:19:57qu'il est utile et qu'il est même indispensable à la survie des personnages,
00:20:01et comment, finalement, ce mensonge, il est, d'une certaine manière, anodin.
00:20:04On a tous besoin du mensonge pour porter un costume,
00:20:08pour être autre que soi, pour être un idéal.
00:20:12Ce film, pour moi, c'est un grand portrait de mythomane,
00:20:15un des plus beaux personnages de mythomane du cinéma français.
00:20:18C'est une mythomane, mais le mot mythomane n'est jamais prononcé dans le film.
00:20:23C'est une mythomane qui est traitée par Jeannery avec affection,
00:20:26avec empathie.
00:20:27On ne la juge jamais.
00:20:29Et avant de regarder le premier extrait du film,
00:20:32je voulais vous souligner que, donc, Jeannery,
00:20:37elle a une carte blanche au Forum des images.
00:20:39Elle a dû choisir des films pour répondre à ses propres films.
00:20:42Et pour répondre à Elle l'adore, elle a choisi de projeter
00:20:46Garde à vue, de Claude Miller, sorti en 1981.
00:20:50Donc, c'est un film qu'elle a énormément vu, qu'elle adore,
00:20:53et dont elle connaît la partition sonore par cœur.
00:20:55Pour ceux qui ne l'ont pas vu, c'est une garde à vue d'une heure et demie.
00:20:59Le film est presque essentiellement une garde à vue.
00:21:02Et c'est entre Lino Ventura et Guy Marchand,
00:21:04qui jouent les personnages de flics,
00:21:06et Michel Serrault, qui joue le suspect.
00:21:08C'est des dialogues signés Michel Audiard.
00:21:10Et dans cette garde à vue, comme dans beaucoup de gardes à vue
00:21:14du cinéma, on assiste à l'opposition entre deux versions de la vérité.
00:21:19Il y a la version des flics et il y a la version du suspect.
00:21:23Une garde à vue, c'est en fait un bras de fer,
00:21:26c'est un rapport de domination, qui va le plus souvent s'inverser
00:21:29au fil de l'interrogatoire, mais pas toujours.
00:21:32En tout cas, une garde à vue, c'est le royaume du verbe,
00:21:35c'est le royaume du mensonge, c'est un moment où règne la parole,
00:21:39ainsi que la capacité à résister.
00:21:41Ce qui est en jeu, c'est la force de la parole,
00:21:44c'est la force des mots pour résister à l'assaut de la partie adverse.
00:21:48C'est vraiment une guerre entre deux versions de la vérité,
00:21:51et les scènes de garde à vue, le plus souvent,
00:21:53c'est des scènes qui ne reposent que sur le verbe
00:21:55et qui sont vraiment des ping-pong verbaux.
00:21:58Dans une garde à vue, c'est vraiment l'art de la persuasion qui règne.
00:22:03Chacun a une histoire à raconter et doit convaincre l'autre d'y adhérer.
00:22:07Je vous propose de regarder l'extrait de cette fameuse garde à vue.
00:22:14Vous reconnaissez cette bague ?
00:22:22Je devrais ?
00:22:23Vous la reconnaissez ?
00:22:26Pour l'instant, pas vraiment. Je ne trouve pas qu'elle soit très particulière.
00:22:31Cette bague correspond en tout point à celle que Julie Dorieux portait
00:22:34au moment de sa disparition.
00:22:36Ah bon ?
00:22:38On l'a retrouvée chez vous.
00:22:42Ah bon ?
00:22:43Si vous l'avez retrouvée chez moi, c'est qu'elle doit être à moi.
00:22:46Non.
00:22:47À moi ou à ma fille, parce que je ne porte pas souvent ce genre de bague.
00:22:50Mais elle, ça lui arrive souvent d'acheter des bijoux comme ça dans les vides-greniers.
00:22:54Attendez, expliquez-moi, parce que là, je ne comprends pas bien.
00:22:57Je ne sais pas. Vous me dites que vous avez retrouvée cette bague chez moi.
00:23:00Et comme ça ne peut pas être celle de Julie Dorieux,
00:23:02moi, j'essaie de trouver ce que c'est que cette bague.
00:23:04Enfin, j'essaie de trouver ce que c'est que cette bague.
00:23:06Vous me dites que vous avez retrouvé cette bague chez moi.
00:23:09Et comme ça ne peut pas être celle de Julie Dorieux,
00:23:11moi, j'essaie de trouver ce que c'est que cette bague.
00:23:13Enfin, une explication, quoi.
00:23:15Et pourquoi ça ne peut pas être la bague de Julie Dorieux ?
00:23:17Parce que c'est impossible.
00:23:19Il n'y a aucune raison que la bague de quelqu'un que je n'ai jamais rencontré
00:23:22se retrouve chez moi.
00:23:23C'est comme si je vous disais, à vous,
00:23:25qu'on a retrouvé le pen de Tina Turner dans votre salle de bain.
00:23:28Bon, à priori, vous ne connaissez pas Tina Turner.
00:23:31Donc vous me diriez, non, ce n'est pas possible.
00:23:33Ah bah si, c'est exactement le même pen que celui de Tina.
00:23:36Ah bah donc on a le même. C'est ça que vous me répondriez, je crois.
00:23:39C'est-à-dire que ce serait l'explication la plus plausible.
00:23:41Enfin, il me semble.
00:23:43À moins que vous ayez trouvé des empreintes ou des trucs ADN dessus.
00:23:47Et alors là, moi...
00:23:49Là, alors là, je sèche.
00:23:57Cette bague a été formellement identifiée par Vincent Lacroix
00:23:59comme étant celle de sa compagne.
00:24:02Ah.
00:24:04Oui, mais moi, je ne dis pas que Julie Dorieux n'a jamais eu une bague comme ça.
00:24:07Je dis que la seule explication possible, c'est qu'on a la même bague.
00:24:10Et j'ajoute qu'on ne doit pas être les seuls en France et en Europe.
00:24:14C'est quoi, ça, c'est une pièce unique ?
00:24:17Parce que moi, je la trouve pas très précieuse et particulière.
00:24:19Il doit y en avoir des centaines, des bagues comme ça.
00:24:23C'est le même genre, ça aussi.
00:24:24Il doit y en avoir des milliers, des bagues comme ça, non ?
00:24:27Enfin, j'imagine, hein.
00:24:33Il faut savoir que...
00:24:34Donc là, c'est un tout petit extrait qu'on a vu,
00:24:35qu'en fait, la garde à vue dans le film, elle dure pratiquement 20 minutes
00:24:38et que Jeanne Nehry, elle écrit ce film vraiment pour cette séquence de garde à vue.
00:24:43Elle a écrit, comme je vous ai dit, une vingtaine de versions du scénario,
00:24:45mais la scène de garde à vue, elle va rester sensiblement la même
00:24:48malgré toutes ses versions.
00:24:51Ça, c'est vraiment une scène d'action psychologique comme Jeanne Nehry les adore.
00:24:55Ce qui est intéressant, c'est qu'ici, la garde à vue, elle ne va pas se passer
00:24:57comme prévu parce que ce que les flics ne savent pas,
00:24:59c'est qu'ils ont affaire à une mythomane, à une pro du mensonge.
00:25:03Et donc, la tâche va devenir beaucoup plus ardue pour eux de lui faire avouer
00:25:06la vérité parce qu'elle est tout simplement une spécialiste du mensonge.
00:25:10Ce qui est génial dans cet extrait, on le voit dans toute la séquence
00:25:13de la garde à vue, c'est que Muriel, elle maîtrise l'art du récit.
00:25:17Elle sait manier les mots, elle sait tordre les mots,
00:25:19tourner le récit en sa faveur.
00:25:21Et elle devient, comme dit Jeanne Nehry, une tueuse de la répartie,
00:25:24une tueuse de l'invention.
00:25:26Elle retombe tout le temps sur ses pattes.
00:25:28Dans le making of de Elle l'adore, on voit Sandrine Kiberlin,
00:25:31on voit Jeanne Nehry diriger Sandrine Kiberlin lors de cette garde à vue.
00:25:35Et elle lui dit, le plus grand signe de faiblesse de Muriel,
00:25:38c'est quand elle ne parle pas.
00:25:40Donc, on se rend bien compte dans l'extrait, elle n'arrête pas de parler.
00:25:43Elle invente toutes sortes d'explications farfelues, de diversions.
00:25:47Le peigne de Tina Turner, la bague banale qu'on trouve en France et en Europe.
00:25:53Toute la garde à vue est comme ça.
00:25:55Et c'est un moment où vraiment triomphe l'art de la répartie
00:25:58et du mensonge de Muriel.
00:26:00Jeanne Nehry, dès la jeunesse de l'écriture,
00:26:04elle voulait que le boulet désigné de son histoire,
00:26:07le boulet c'est Muriel parce qu'elle cumule l'état,
00:26:10elle est fan, elle est mytho et elle est seule.
00:26:13Elle voulait que ce boulet désigné soit l'héroïne du film.
00:26:16Et donc, elle transforme sa faiblesse, son désavantage,
00:26:20c'est-à-dire la mythomanie, en force ultime.
00:26:22Donc, on a bien vu dans ce film que la parole,
00:26:26elle pouvait créer de la fiction, du mensonge, du quiproquo.
00:26:28Mais c'est aussi une parole qui sauve.
00:26:30En l'occurrence, ici, elle sauve Muriel de l'inculpation,
00:26:33de l'accusation du meurtre.
00:26:35Et cette parole qui sauve, qui peut réparer les êtres et les âmes,
00:26:39on la retrouve dans les deux longs-métrages suivants de Jeanne Nehry.
00:26:44La seconde partie, du coup, de cette parole
00:26:48qui est extrêmement importante dans l'œuvre de Jeanne Nehry,
00:26:50c'est la parole réparatrice.
00:26:52Ça, on va le voir dès son second long-métrage,
00:26:55Pupi, qui sort en 2018,
00:26:57dans lequel elle retrouve Sandrine Kiberlin,
00:27:00et figure aussi au casting Elodie Bouchès,
00:27:03Gilles Lelouch, Olivia Cotte, à nouveau,
00:27:05Miu Miu, Jean-François Stévenin et Bruno Podalides.
00:27:07Donc, dès son deuxième long-métrage,
00:27:09elle arrive à grimper de film en film,
00:27:13en termes de box-office.
00:27:15Le film fait 840 000 entrées,
00:27:17donc c'est un très beau score pour ce deuxième film.
00:27:19Et donc, dans Pupi, on suit le parcours d'un bébé né sous X.
00:27:24Et remis à l'adoption,
00:27:26à travers les personnes qui l'accompagnent de près ou de loin.
00:27:29Donc, sa mère biologique, les sages-femmes,
00:27:31l'assistante sociale, l'assistante familiale, la mère adoptive.
00:27:35Alors, pourquoi ce sujet a-t-il suscité l'intérêt de Jeanne Nehry ?
00:27:39Tout simplement parce qu'en fait, le monde de l'adoption,
00:27:41c'est un monde qui est fait de discussions,
00:27:43d'échanges, de rencontres, d'explications, d'observations.
00:27:47Les parents qui veulent adopter, on le sait,
00:27:50c'est un parcours un peu du combattant,
00:27:52ça peut durer des années.
00:27:54En fait, c'est des rencontres qui se font assez régulièrement
00:27:58entre les futurs parents et les personnes des différents services d'adoption.
00:28:03Donc, c'est un univers qui avait vraiment la capacité
00:28:06de créer des scènes d'action psychologiques.
00:28:08Et Pupi, pour cela, regorge de tête-à-tête où l'action avance.
00:28:13La parole fait vraiment avancer l'action dans ce film.
00:28:16D'ailleurs, Jeanne Nehry dit dans le dossier de presse de Pupi,
00:28:19« Parler, c'est penser et accoucher d'une action, c'est de la maïotique ».
00:28:23Pupi est un film sur le langage,
00:28:25le courage de la mise en mots et sa nécessité.
00:28:28La maïotique, dans la philosophie socratique,
00:28:30c'est l'art de conduire l'interlocuteur à découvrir
00:28:34et à formuler les vérités qu'il a en lui.
00:28:37Je voudrais du coup continuer à parler de Pupi
00:28:41en vous montrant un extrait.
00:28:53Bonjour, je suis Mathilde François, la recueillante.
00:28:56Oui, bonjour.
00:28:58On s'est vues il y a presque un mois.
00:29:01Oui, je me souviens, le petit Pupi.
00:29:03Exactement. Je ne sais pas si vous vous souvenez,
00:29:06mais la nuit de l'accouchement, la maman est venue voir son bébé.
00:29:09Oui, peut-être, mais moi, je n'étais pas là.
00:29:13Ce n'est pas moi qui étais de garde cette nuit-là.
00:29:16Élodie ?
00:29:18Oui ?
00:29:19Bonjour.
00:29:21Tu te souviens, toi, que la mère du petit Pupi
00:29:24est revenue le voir en mater la nuit après l'accouchement ?
00:29:27Oui, oui.
00:29:29Elle m'a dit qu'elle venait pour lui dire au revoir.
00:29:31Et alors ?
00:29:33Rien, je suis sortie, je les ai laissées.
00:29:36Puis ensuite, elle est restée peut-être dix minutes avec le petit,
00:29:38et après, elle est partie.
00:29:40D'accord. Je voulais juste m'assurer qu'elle lui avait parlé,
00:29:43qu'elle lui avait dit au revoir.
00:29:45Oui, oui.
00:29:46Voilà.
00:29:48Il va bien, Théo ?
00:29:50Oui.
00:29:52Enfin, non, peut-être pas.
00:29:55Merci. Au revoir.
00:30:06Attendez.
00:30:09Attendez.
00:30:11Elle est venue pour lui dire au revoir,
00:30:13mais elle n'a rien dit. Elle n'a pas parlé.
00:30:14Vous êtes sûre ? Comment le savez-vous ?
00:30:17Parce que je suis restée derrière la porte pour écouter.
00:30:19Je suis restée tout le temps. Elle n'a pas dit un mot.
00:30:21Rien.
00:30:26Merci.
00:30:31Théo, je t'ai vu à la maternité, quand tu es né,
00:30:34mais tu dormais.
00:30:37J'ai vu ta maman aussi.
00:30:40Elle n'a pas pu te voir.
00:30:41Ta maman aussi.
00:30:43Elle n'a pas pu te parler,
00:30:45mais elle voulait le faire.
00:30:49Je veux te dire
00:30:51que ta maman t'a remis à l'adoption
00:30:53parce qu'elle voulait que tu sois heureux,
00:30:56qu'elle a voulu le mieux pour toi,
00:30:58qu'elle t'a trouvé beau,
00:31:01qu'elle s'est inquiétée de savoir comment tu allais.
00:31:06Théo, ta maman t'a écrit une lettre
00:31:08que tu liras peut-être un jour.
00:31:11Elle t'a écrit qu'elle avait eu de bons parents
00:31:14et qu'elle voulait que tu en aies, toi aussi,
00:31:18qu'elle savait que pour toi, elle ne serait pas une bonne mère
00:31:21et que c'était dur,
00:31:23qu'elle espérait qu'elle le serait un jour
00:31:26et que ses enfants seraient fiers d'elle,
00:31:28y compris toi.
00:31:30Elle t'a écrit qu'elle espérait que tu pouvais comprendre,
00:31:34qu'elle ne connaissait pas bien ton papa,
00:31:37mais qu'il avait un beau sourire
00:31:39et que, comme elle, il adorait la musique.
00:31:44Si ça se trouve, elle est en train de lui faire des horreurs.
00:31:47Imagine, elle le traumatise.
00:31:49Après, ça remplit, on fait quoi ?
00:31:51On la fout dans le canal.
00:31:55OK.
00:32:00Dans cet extrait,
00:32:03on a affaire aux problèmes relationnels du petit bébé.
00:32:07Il s'appelle Théo,
00:32:10parce qu'il est très silencieux.
00:32:12Quand un bébé a un problème,
00:32:15soit il est incalmable et il pleure beaucoup,
00:32:17soit il ne pleure jamais
00:32:19et il a du mal à s'exprimer
00:32:21et à créer du lien,
00:32:23même au niveau du regard.
00:32:26Ce sont des bébés très silencieux.
00:32:29C'est le cas du petit Théo dans le film.
00:32:32Ses problèmes,
00:32:34c'est ce qui se passe juste avant l'extrait,
00:32:37les personnes des différents services
00:32:39qui s'occupent de Théo se disent
00:32:41que ça pourrait être dû au fait que sa mère biologique
00:32:43a fait semblant de lui dire au revoir
00:32:45et ne lui a pas expliqué les raisons de sa décision.
00:32:47Le fait qu'elle ne lui ait pas dit au revoir
00:32:49a créé un manque pour cet enfant,
00:32:51il a ressenti un trouble
00:32:53et donc c'est un bébé qui ne s'éveille pas.
00:32:55Ce manque va être comblé par l'assistante sociale
00:32:58qui vient réparer le vide laissé par sa mère biologique.
00:33:01Elle arrive avec une parole concrète,
00:33:03une parole solide,
00:33:04une parole vraie
00:33:06et avec ces mots,
00:33:08elle va procurer une émotion au bébé
00:33:10et lui permettre de rentrer dans la vie.
00:33:12Pour jouer l'assistante sociale,
00:33:14ou la recueillante,
00:33:16Jeannery a engagé la comédienne de théâtre
00:33:18Clothilde Mollet,
00:33:20peut-être que vous l'avez reconnue,
00:33:22c'est une actrice que Jeannery a adorée au théâtre,
00:33:24c'est plutôt une comédienne de théâtre
00:33:26et elle trouve qu'elle a un phrasé naturel
00:33:28tellement singulier
00:33:30qu'elle vient mettre de la vie
00:33:32dans chaque phrase qu'elle prononce,
00:33:34dans la première partie de l'extrait,
00:33:36on est dans l'hôpital,
00:33:38on est vraiment caméra à l'épaule
00:33:40pour signifier l'urgence de cette femme
00:33:42qui doit, d'une certaine manière,
00:33:44sauver ce bébé qui ne va pas bien
00:33:46et comprendre les raisons de son silence.
00:33:48Dans la deuxième partie,
00:33:50on est toujours caméra à l'épaule
00:33:52mais on est quand même un peu plus posé,
00:33:54on est à l'écoute de la parole de cette femme
00:33:56sur qui tout repose,
00:33:58c'est-à-dire l'avenir de cet enfant
00:34:00et son bien-être.
00:34:02C'est une parole qui est presque magique
00:34:04parce qu'on peut le réparer
00:34:06à un endroit de manque
00:34:08et Clotilde Mollet,
00:34:10elle est presque un peu comme une fée
00:34:12au-dessus du berceau.
00:34:16On se rend compte d'ailleurs
00:34:18que la communication avec le bébé
00:34:20est présente dans tout le film.
00:34:22Toutes les personnes qui entourent le bébé
00:34:24lui parlent sans arrêt
00:34:26et ça c'est aussi la réalité
00:34:28des sciences de l'éducation
00:34:30et l'impact de la pensée de Doltho
00:34:32c'est qu'il faut tout le temps
00:34:34faire tout dans le film
00:34:36et Jeannery va aller encore plus loin
00:34:38dans son film suivant
00:34:40qui repose sur la construction
00:34:42et la déconstruction du dialogue
00:34:44et de la parole.
00:34:46Je verrai toujours vos visages
00:34:48sorti en 2023,
00:34:50c'est le troisième long-métrage de Jeannery
00:34:52qui comporte un casting XXL
00:34:54Adèle-Alex Arcopoulos,
00:34:56Gilles Lelouch,
00:34:58Elodie Bouchès,
00:35:00Miu Miu,
00:35:02Leila Bechti,
00:35:04qui marche encore mieux
00:35:06que le précédent
00:35:08qui fait 1,16 millions d'entrées
00:35:10et qui raconte un pan
00:35:12assez méconnu de la justice
00:35:14qui est la justice restaurative
00:35:16qui consiste à proposer à des victimes
00:35:18et à des auteurs d'infractions
00:35:20de se rencontrer
00:35:22dans des dispositifs sécurisés
00:35:24pour échanger.
00:35:26Dans le film Jeannery
00:35:28elle met en scène deux sortes de rencontres
00:35:30des rencontres en groupe
00:35:32entre des victimes de vols
00:35:34qui ne sont pas reliées
00:35:36et des médiations directes
00:35:38entre une jeune femme violée par son frère
00:35:40quand elle était enfant
00:35:42et une médiatrice
00:35:44en vue d'une future confrontation
00:35:46avec son frère libéré de prison
00:35:48qui revient habiter dans la même ville qu'elle
00:35:50et qu'elle ne souhaite pas croiser.
00:35:52Il faut savoir que la justice
00:35:54c'est un sujet qui passionne Jeannery depuis toujours
00:35:56c'est vraiment le royaume du verbe
00:35:58donc on comprend pourquoi ça l'intéresse
00:36:00d'ailleurs elle avait commencé
00:36:02après Pupille
00:36:04il y a beaucoup de livres sur la justice
00:36:06et en fait elle est allée voir
00:36:08le film de Stéphane de Moustier
00:36:10La fille au bracelet
00:36:12qu'elle a tellement aimé
00:36:14qu'elle a décidé de laisser tomber
00:36:16son idée de film de procès
00:36:18parce qu'elle avait l'impression
00:36:20de ne pas pouvoir faire mieux.
00:36:22L'objectif de la justice restaurative
00:36:24c'est la libération des émotions
00:36:26par la parole
00:36:28donc ça a représenté un terrain de jeu
00:36:30hyper intéressant pour Jeannery
00:36:32parce que c'est des enjeux très forts
00:36:34c'est une espace de dialogue
00:36:36bref c'est tout ce que Jeannery adore
00:36:38mais elle n'avait pas envie
00:36:40d'en faire un documentaire pour autant
00:36:42parce que c'est vraiment le cinéma
00:36:44qui lui importe
00:36:46elle choisit ces sujets
00:36:48parce qu'elle va pouvoir y planter
00:36:50après des graines de romanesque
00:36:52donc c'est un film qui fait la part belle
00:36:54aux scènes d'action psychologique
00:36:56qui sont encore plus nombreuses
00:36:58dans Je verrai toujours vos visages
00:37:00que dans Pupille
00:37:02les personnages peuvent être assis
00:37:04et vu que la mise en scène
00:37:06ne peut pas passer par le dynamisme du corps
00:37:08parce que les corps sont statiques
00:37:10les personnages sont assis
00:37:12et bien la mise en scène
00:37:14est fondée sur une dynamique psychologique
00:37:16une dynamique émotionnelle
00:37:18qui passe donc par les visages
00:37:20et par la voix
00:37:22et ça tombe bien parce que
00:37:24Jeannery préfère filmer
00:37:26on va regarder un extrait
00:37:28de Je verrai toujours vos visages
00:37:30qui se déroule lors d'un cercle de rencontres
00:37:32la première rencontre
00:37:34s'est posée en cercle
00:37:36dans une salle de prison
00:37:38une salle de prison qui a été reconstituée
00:37:40en studio
00:37:42et pour toutes ces séquences
00:37:44de cercles de rencontres
00:37:46Jeannery s'est inspiré de
00:37:48Douze hommes en colère
00:37:50de Sidney Lumet
00:37:52Est-ce qu'il y a quelqu'un
00:37:54qui souhaiterait prendre la parole
00:37:56en premier pour raconter son histoire ?
00:38:05J'étais caissière
00:38:07dans un petit supermarché
00:38:12un jour
00:38:14c'était presque l'heure de la fermeture
00:38:16un homme est entré
00:38:18il était tout en noir
00:38:20cagoule, gants
00:38:22il portait des lunettes aviateur
00:38:24les lunettes qui font comme des miroirs
00:38:26on voyait rien de lui
00:38:28même pas la couleur de sa peau
00:38:31il est arrivé avec son arme
00:38:32il a dit c'est un braquage
00:38:34j'étais très surprise
00:38:36j'ai dit mais c'est quoi ça ?
00:38:38je m'en suis pas rendu compte sur le coup
00:38:40mais en fait je l'ai dit à Wout
00:38:42ça m'a échappé sans que je le veuille
00:38:45il s'est dirigé vers moi
00:38:48il a mis son arme entre mes yeux
00:38:50pile là
00:38:52il a dit t'as pas compris ?
00:38:54je me voyais dans le reflet de ses lunettes
00:38:56mon visage à moi
00:38:58avec l'arme posée entre mes yeux
00:39:00je crois qu'il allait me tuer
00:39:03ton heure est venue je me suis dit
00:39:05il a posé sa main sur mon épaule
00:39:08il m'a poussé doucement vers le sol
00:39:11il s'est tourné vers ma collègue
00:39:13il l'a visé, il lui a dit de se mettre par terre
00:39:15le gérant est arrivé de l'arrière du magasin
00:39:17l'homme l'a visé avec son arme
00:39:19il lui a demandé l'argent de la semaine
00:39:21ils sont allés derrière
00:39:23je voyais le dessous de ma caisse
00:39:25la poussière
00:39:27un élastique marron
00:39:29une pièce de 20 centimes
00:39:30je sais pas combien de temps après exactement
00:39:32je sais pas si ça a duré une minute ou dix minutes
00:39:35moi mon impression c'est que ça a duré une heure
00:39:38une heure
00:39:40l'élastique marron
00:39:42la poussière
00:39:44la pièce
00:39:46notre gérant est arrivé
00:39:48il a dit il est parti
00:39:50il était tout pâle
00:39:52on s'est relevé avec ma collègue doucement
00:39:54elle arrêtait pas de pleurer
00:39:56moi j'arrivais pas
00:39:58parfois je me dis que
00:40:00j'ai fait des cauchemars et tout
00:40:02elle a eu peur
00:40:04deux semaines plus tard elle est intervenue derrière la caisse
00:40:06la vie a repris
00:40:08et moi j'ai dégringolé
00:40:11je fais plus rien
00:40:15j'ai développé un tas de phobies à l'extérieur
00:40:19la rue
00:40:21les transports, les magasins
00:40:24je sors plus de chez moi
00:40:26je travaille plus
00:40:28je peux plus emmener mes enfants aux activités
00:40:30je prends du poids
00:40:32pour dormir je prends des cachets
00:40:34pour sortir je prends des calmants
00:40:36pour aller au spectacle de danse de ma fille
00:40:38sinon je fais des attaques de panique
00:40:41j'arrive plus à gérer ma maison
00:40:43je suis désagréable avec les enfants
00:40:45avec mon mari
00:40:47eux ils veulent que je redevienne comme avant
00:40:50avant moi j'étais souriante
00:40:52j'étais gay
00:40:56maintenant je m'énerve pour rien
00:40:58je suis en colère tout le temps
00:41:01je suis une mauvaise mère moi
00:41:04alors cette salle de prison c'est un lieu
00:41:06où la parole elle est autorisée
00:41:08elle est libérée
00:41:10parce qu'elle est sécurisée
00:41:12tout ce qui est dit dans cette salle de prison
00:41:14reste dans cette salle de prison
00:41:16mais c'est aussi un lieu où la parole
00:41:18elle est contrôlée
00:41:20il y a le bâton de parole
00:41:22qu'elle prend Nawel
00:41:24je vais parler à Ilabekti au début
00:41:26qui est présent pour chaque personne
00:41:28qui souhaite prendre la parole
00:41:31donc on a bien vu que les acteurs
00:41:33ici étaient très statiques
00:41:35ils ne bougent pas
00:41:37donc Jeannery avait besoin de créer
00:41:39de la nourriture visuelle dans les décors
00:41:41comme elle dit
00:41:43donc il y a un sol graphique bleu
00:41:45un peu inattendu
00:41:47il y a une fresque au mur
00:41:49il y a des dessins accrochés
00:41:51même si la richesse principale
00:41:53pour Jeannery c'est toujours les visages
00:41:55alors je ne sais pas si vous avez remarqué
00:41:57mais il y a un silence avant que Nawel
00:41:58c'est extrêmement important
00:42:00aussi dans les scénarios
00:42:02et dans les films de Jeannery
00:42:04et ça donne encore plus d'importance
00:42:06à son témoignage
00:42:08les autres personnages
00:42:10et les spectateurs
00:42:12sont suspendus à sa voix
00:42:14et à ses mots
00:42:16ce monologue de Nawel
00:42:18il dure près de 4 minutes
00:42:20c'est un texte immense
00:42:22à apprendre pour les comédiens
00:42:24parfois il y avait trois pages de texte
00:42:26pour un même acteur
00:42:28dans cette scène aussi
00:42:30elle fait le choix de ne faire aucun flashback
00:42:32lors de ces séquences
00:42:34de ces monologues
00:42:36elle laisse vraiment toute la place
00:42:38à la force de la parole
00:42:40et ça c'est un choix très audacieux de sa part
00:42:42elle prend le parti de se concentrer
00:42:44sur les échanges
00:42:46et de ne pas montrer les agressions
00:42:48c'était un choix qu'elle n'était pas sûre de faire au départ
00:42:50pendant l'écriture
00:42:52elle se posait la question
00:42:54de mettre en scène les agressions
00:42:56dont les victimes avaient fait l'objet
00:42:58de la partie diffusée
00:43:00alors qu'elle était en écriture
00:43:02et ça la confortait
00:43:04dans l'idée que la parole était plus forte
00:43:06donc on se rend bien compte dans cette scène
00:43:08que le langage est très visuel
00:43:10qu'on n'a pas besoin de voir les images de l'agression
00:43:12c'est un monologue extrêmement imagé
00:43:14les lunettes aviateurs
00:43:16le reflet dans les lunettes
00:43:18la poussière, l'élastique
00:43:20la pièce de monnaie par terre
00:43:22pendant que l'attente lui paraît interminable
00:43:24c'est bien plus passionnant
00:43:26de passer par la parole
00:43:28que de voir les images
00:43:30pour mettre en scène ces séquences-là
00:43:32Jeanne-Héry utilise trois caméras
00:43:34deux caméras fixes
00:43:36et une troisième caméra volante
00:43:38qui bouge de prise en prise
00:43:40pour filmer les réactions du cercle
00:43:42ce qui est intéressant c'est qu'ils sont dix personnages
00:43:44et que les dix acteurs étaient tout le temps présents
00:43:46pour toutes les prises
00:43:48elle utilise aussi ce qu'on appelle un top shot
00:43:50c'est un plan large de la scène
00:43:52filmé par une caméra
00:43:54qui est placée dans le plafond du décor
00:43:56mais de toute façon
00:43:58elle a très peu de plans larges
00:44:00et qu'elle privilégie les plans serrés
00:44:02l'objectif vous l'avez vu
00:44:04elle est presque toujours filmée
00:44:06avec la même valeur de plan
00:44:08soit c'est un plan poitrine
00:44:10soit c'est un plan serré
00:44:12et Jeanne-Héry elle fait vraiment confiance
00:44:14aux mots et aux jeux de l'actrice
00:44:16il y a aussi des plans d'écoute
00:44:18il y a beaucoup de plans d'écoute
00:44:20Jeanne-Héry elle filme beaucoup les gens qui écoutent
00:44:22parce que chacun est dans le regard de l'autre
00:44:24en permanence
00:44:26le coeur de la scène
00:44:28c'est un plan large
00:44:30et la mise en scène
00:44:32met les comédiens au centre du film
00:44:34d'ailleurs Jeanne-Héry
00:44:36quand elle tourne ses scènes
00:44:38elle aime bien commencer en plan serré
00:44:40alors que la plupart des cinéastes
00:44:42aiment bien commencer en plan large
00:44:44à tourner, ils font les premières prises en plan large
00:44:46et après en plan serré
00:44:48la plupart, pas tous mais la plupart
00:44:50et elle c'est l'inverse
00:44:52elle aime bien commencer à filmer ses scènes en plan serré
00:44:54parce qu'elle trouve qu'il y a beaucoup de bonnes choses
00:44:56qui arrivent dès le départ
00:44:58et elle stratégie toujours les plans serrés
00:45:00les gros plans sur les visages
00:45:02qui sont très nombreux dans le film
00:45:04parce que chez elle
00:45:06les visages sont des paysages
00:45:08ils vont venir exprimer des sentiments
00:45:10donc c'est une scène où on éprouve une nouvelle fois
00:45:12le pouvoir de la parole
00:45:14c'est une parole qui questionne
00:45:16mais aussi qui guérit
00:45:18qui répare dans la scène d'après
00:45:20dans le film Nawel
00:45:22dit au personnage joué par Dali Ben Salah
00:45:24ça fait trois ans que je suis suivie par un psy
00:45:26et là en trois heures tu m'as débloqué
00:45:28donc dans ce film
00:45:30la parole pense les traumas des uns
00:45:32et elle favorise la réinsertion des autres
00:45:36donc après avoir vu
00:45:38comment le verbe est action
00:45:40dans le cinéma de Jeanne Hery
00:45:42je vous propose maintenant d'analyser
00:45:44la méthode Hery
00:45:46son travail d'écriture
00:45:48et sa direction d'acteur
00:45:50tous les deux essentiels
00:45:52pour mieux comprendre son oeuvre
00:45:54donc comme je vous l'ai dit
00:45:56Jeanne Hery c'est une scénariste
00:45:58la plupart du temps
00:46:00toute seule ses scénarios
00:46:02c'est une grande scénariste
00:46:04une grande dialoguiste
00:46:06pour ses deux derniers films
00:46:08Pupille et Je verrai toujours vos visages
00:46:10elle est partie de sujets de société
00:46:12l'accouchement sous X
00:46:14et la justice restaurative
00:46:16pour écrire ses scénarios
00:46:18c'est des scénarios
00:46:20qui mettent en scène des services publics
00:46:22existants en France
00:46:24dans le service social et dans la justice
00:46:26et donc ça a impliqué
00:46:28beaucoup de choses
00:46:30donc pour Pupille
00:46:32le point de départ de Pupille
00:46:34c'est une amie de Jeanne Hery
00:46:36qui l'appelle
00:46:38et qui lui dit
00:46:40dans 4 jours j'ai un bébé
00:46:42dans 4 jours il y a un bébé qui arrive chez moi
00:46:44donc Jeanne Hery
00:46:46dit dans le making of du film
00:46:48je voulais savoir qui s'occupe
00:46:50de choisir les parents
00:46:52pourquoi c'est elle à ce moment là
00:46:54qui sont les personnes
00:46:56qui remettent les bébés à l'adoption
00:46:58pour garder son enfant
00:47:00un bébé qui n'a pas de parents
00:47:02et une mère qui en veut un absolument
00:47:04qui sont ces gens payés par l'Etat
00:47:06là pour limiter la casse
00:47:08donc elle a voulu savoir
00:47:10d'où venaient les 600 bébés français
00:47:12par an remis à l'adoption
00:47:14et elle est allée se renseigner là-dessus
00:47:16et c'est là qu'elle a découvert
00:47:18tout le protocole de l'accouchement sous X
00:47:20qui est un protocole passionnant
00:47:22assez bien pensé
00:47:24et qu'on va découvrir dans le film
00:47:26la France est un des rares pays
00:47:28où il n'y a pas de secret
00:47:30donc toute femme enceinte
00:47:32qui ne souhaite pas élever son enfant
00:47:34a la possibilité de le mettre au monde
00:47:36sans laisser d'informations sur son identité
00:47:38donc Jeannery elle s'est rendue dans le Finistère
00:47:40elle a rencontré des personnes
00:47:42de différents services
00:47:44des différents services d'écrit dans le film
00:47:46le service adoption
00:47:48le service PFPE qui s'occupe
00:47:50de tout le protocole des pupilles de l'Etat
00:47:52le service de l'aide sociale à l'enfance
00:47:54et c'est pendant ces recherches
00:47:56qu'elle a compris que la tâche
00:47:58d'élever un enfant
00:48:00à des parents en manque
00:48:02elle dit toujours dans le making of de Pupille
00:48:04je ne me vois pas imaginer
00:48:06un scénario à partir de rien
00:48:08ce côté enquête me passionne
00:48:10et convient à mon envie
00:48:12d'écrire des scénarios
00:48:14travaillant sur la tension
00:48:16une fois que j'ai ingurgité
00:48:18toute la matière documentaire
00:48:20j'essaye de transmettre
00:48:22je verrai toujours vos visages
00:48:24c'est pareil Jeannery était en recherche
00:48:26d'un sujet
00:48:28intéressé par le cerveau
00:48:30elle lisait beaucoup d'études scientifiques
00:48:32sur le cerveau
00:48:34et la manière dont le cerveau
00:48:36traite les blessures
00:48:38la manière que le cerveau a
00:48:40de se réparer
00:48:42en recréant des connexions
00:48:44et elle a trouvé un podcast
00:48:46de France Culture sur la justice restaurative
00:48:48aucun rapport avec le cerveau au départ
00:48:50elle a lancé le podcast
00:48:52et ce qui est amusant
00:48:54c'est que le podcast a bugué
00:48:56au bout de 4 minutes
00:48:58et donc tout a convergé
00:49:00la thématique de la réparation du cerveau
00:49:02et le thème de la justice restaurative
00:49:04et elle a compris que c'était là-dessus
00:49:06qu'elle avait envie de travailler
00:49:08la justice restaurative
00:49:10elle existe en France depuis 2014
00:49:12elle est quand même assez méconnue encore
00:49:14même si elle a bénéficié
00:49:16d'un intérêt conséquent
00:49:18grâce au film de Jeannery
00:49:20et c'est une pratique ancestrale
00:49:22qui était utilisée parfois
00:49:24dans des populations autochtones
00:49:26en Australie, au Canada
00:49:28pour des rencontres
00:49:30ou aux entretiens de préparation
00:49:32parce qu'il ne faut pas de témoins
00:49:34le cadre dans lequel les agresseurs
00:49:36vont s'exprimer
00:49:38c'est un cadre sécurisé
00:49:40et donc rien de ce qu'ils vont dire
00:49:42ne doit être répété
00:49:44donc le seul élément
00:49:46qu'elle a pu éprouver de l'intérieur
00:49:48et auquel elle a pu assister
00:49:50ce sont les formations
00:49:52parce qu'elles sont ouvertes à l'extérieur
00:49:54donc elle a assisté à 3 types de formations
00:49:56les formations d'animateurs
00:49:58et une formation par Zoom au Québec
00:50:00c'est un travail de documentation
00:50:02qui s'est fait assez facilement
00:50:04parce qu'elle est venue sans caméra
00:50:06et que les personnes rencontrées
00:50:08étaient contentes de partager leur expérience
00:50:10parce que c'est une justice
00:50:12qui a encore du mal à se faire connaître
00:50:14donc elle a accumulé pendant 3-4 mois
00:50:16beaucoup de documentation
00:50:18beaucoup d'heures d'enregistrement
00:50:20après elle a digéré tout ça
00:50:22et puis après elle s'est mise à l'écriture
00:50:24et c'est grâce à cet étayage documentaire solide
00:50:26qu'elle a pu écrire
00:50:28ce processus de documentation
00:50:30c'est quelque chose
00:50:32qui est très important pour Jeannery
00:50:34c'est à ce moment là
00:50:36qu'elle fixe son terrain de jeu
00:50:38le terrain de jeu du réel comme elle l'appelle
00:50:40elle aime choisir des terrains de jeu
00:50:42qui regorgent d'intensité
00:50:44et de dimensions romanesques
00:50:46et c'est dans ces terrains de jeu
00:50:48qu'elle va chercher des situations fortes
00:50:50à jouer pour les acteurs
00:50:52son talent de conteuse et de dialoguiste
00:50:54moi je trouve qu'il se mesure aussi
00:50:56dans la manière qu'elle a d'inverser les clichés
00:50:58le personnage de Muriel
00:51:00qui est une fan donc
00:51:02qui vit beaucoup à travers son idole
00:51:04c'est un personnage qui pourrait être assez pathétique
00:51:06elle a voulu Jeannery
00:51:08défaire les stéréotypes charriés
00:51:10par ses figures de fan
00:51:12elle a voulu montrer que ses fans
00:51:14elles étaient aussi respectueuses
00:51:16et pas forcément hystériques
00:51:18elle n'a aucune condescendance
00:51:20envers son personnage
00:51:22qui n'est jamais moqué, ni dénigré
00:51:24et c'est pareil pour le personnage de Vincent Lacroix
00:51:26c'est un chanteur populaire
00:51:28c'est un chanteur qui va prendre
00:51:30sur le plateau de Michel Drucker
00:51:32c'est montré dans le film
00:51:34il y avait donc un risque de la caricature
00:51:36sur ce genre de personnage
00:51:38pourtant il n'est jamais ridicule
00:51:40ensuite cette inversion des clichés
00:51:42ou comment elle détourne
00:51:44et elle joue avec les stéréotypes
00:51:46on le retrouve aussi dans
00:51:48les personnages de flics
00:51:50dans tout thriller qui se respecte
00:51:52l'enquête du flic
00:51:54c'est vraiment l'enquête de sa vie
00:51:56le flic il ne va jamais lâcher l'affaire
00:51:58alors que là en fait le flic
00:52:00Pascal Domolon
00:52:02qui est joué par Pascal Domolon
00:52:04le flic
00:52:06même si c'est un bon flic
00:52:08même si c'est le seul qui est sur la bonne piste
00:52:10pour résoudre l'enquête
00:52:12il a une peine de coeur
00:52:14il est trompé et donc il va lâcher l'affaire
00:52:16donc les personnages chez Jeannery
00:52:18ne sont jamais là où on les attend
00:52:20et d'ailleurs ce qui est amusant
00:52:22c'est que la personne banale du film
00:52:24Muriel, c'est finalement celle
00:52:26qui a la vie la plus folle
00:52:28des clichés dans le couple
00:52:30que forme Gilles Lelouch
00:52:32donc qui s'appelle Jean
00:52:34qui est assistant familial
00:52:36qu'il forme avec sa femme
00:52:38Jeannery elle les appelait à l'écriture
00:52:40le couple inversé
00:52:42sa femme elle l'appelait
00:52:44la femme de l'extérieur
00:52:46parce qu'elle rapporte plus d'argent que lui
00:52:48parce qu'elle est tout le temps en voyage
00:52:50parce qu'elle travaille beaucoup
00:52:52et lui donc c'est l'homme de l'intérieur Jean
00:52:54c'est l'intendant de la maison
00:52:56il aime cuisiner
00:52:58c'est un homme comme ça
00:53:00une sorte d'idéal masculin
00:53:02qui était un peu aussi inspiré
00:53:04de son père, de son propre père à elle
00:53:06et elle a vite senti
00:53:08qu'il était plus intéressant
00:53:10de prendre un homme
00:53:12pour incarner l'assistant familial
00:53:14alors sachant que dans la réalité
00:53:1699% des assistants familiaux
00:53:18sont des femmes
00:53:20mais c'est un métier qui tend
00:53:22à se masculiniser
00:53:24donc Jeannery avait envie de montrer ça
00:53:26et selon ses propres mots
00:53:28et on a beaucoup dit
00:53:30de Gilles Lelouch
00:53:32qu'il jouait chez Jeannery
00:53:34dans des rôles à contre-emploi
00:53:36l'assistant familial dans Pupille
00:53:38une victime de homejacking
00:53:40dans Je verrai toujours vos visages
00:53:42ce talent dans l'écriture des personnages
00:53:44il est transcendé par sa direction d'acteur
00:53:46elle dit d'ailleurs
00:53:48Jeannery dans une interview
00:53:50pour Première
00:53:52à propos de Je verrai toujours vos visages
00:53:54j'ai beaucoup de mal à m'imaginer
00:53:56passer tant de mois de ma vie
00:53:58à jamais traverser l'esprit
00:54:00ce qui me plaît c'est d'écrire des scénarios
00:54:02et de les voir jouer par des acteurs
00:54:04je pourrais aller beaucoup moins loin
00:54:06avec la forme documentaire
00:54:08tout ce que je montre dans le film
00:54:10se fait à huit clous
00:54:12sans témoin extérieur
00:54:14avec la fiction je respecte le réel
00:54:16mais j'en fais ce que je veux
00:54:18donc les films de Jeannery
00:54:20sont très souvent des films coraux
00:54:22centrés sur de multiples personnages
00:54:24qui ont tous une partition à jouer
00:54:26même les plus petits personnages
00:54:28dans Elle l'adore
00:54:30on a le duo de personnages
00:54:32de la fan de l'artiste
00:54:34et sa fan mais on a aussi
00:54:36le couple de flics
00:54:38dans Pupille on a vraiment
00:54:40trois personnages principaux
00:54:42Gilles Lelouch, Sandrine Kiberlin
00:54:44et Elodie Bouches et on a
00:54:46une multitude de personnages secondaires
00:54:48dans Je verrai toujours vos visages
00:54:50on a le groupe des dix personnages
00:54:52qui se réunissent en prison
00:54:54et le duo Elodie Bouches
00:54:56et Adèle Exarchopoulos
00:54:58qui fait de ses films
00:55:00en prêtant attention
00:55:02à l'équilibre qui se joue
00:55:04entre des visages connus
00:55:06des acteurs sur qui le film
00:55:08va être financé
00:55:10et des comédiens moins connus
00:55:12des comédiens de théâtre
00:55:14ou alors des acteurs qui sont habitués
00:55:16à des rôles plus secondaires
00:55:18à qui elle a envie de donner
00:55:20une partition
00:55:22donc elle aime bien aussi
00:55:24engager des acteurs qu'elle a aimé
00:55:26dans des films et qui ont un peu
00:55:28l'intention de lui donner
00:55:30un rôle important
00:55:32par contre elle n'engage jamais
00:55:34d'acteurs amateurs
00:55:36il y a une phrase de Jeannery
00:55:38que j'aime bien
00:55:40un film c'est un projet
00:55:42à la première personne
00:55:44fait par un collectif
00:55:46c'est vraiment une phrase
00:55:48qui illustre très bien
00:55:50le travail de Jeannery
00:55:52avec les acteurs
00:55:54donc pour chaque film
00:55:56elle constitue une petite troupe
00:55:58donc Elodie Bouches
00:56:00Miu Miu
00:56:02Gilles Lelouch
00:56:04et Sandrine Kiberlin
00:56:06qui est pour Jeannery
00:56:08une des meilleures actrices au monde
00:56:10donc c'est une réalisatrice
00:56:12qui est fidèle aux comédiens
00:56:14et d'ailleurs elle écrit souvent
00:56:16avec des comédiens et des comédiennes
00:56:18en tête
00:56:20et d'ailleurs les cinéastes
00:56:22que Jeannery apprécie
00:56:24c'est des cinéastes
00:56:26qui adorent les acteurs
00:56:28donc elle va piocher régulièrement
00:56:30dans la troupe du français
00:56:32pour ses films
00:56:34elle a dirigé Benjamin Lavergne
00:56:36Laurent Lafitte, Denis Podalides
00:56:38Suyanne Brahim et Biranba
00:56:40donc le jeu d'acteur
00:56:42le travail avec les comédiens
00:56:44c'est vraiment une des clés
00:56:46pour aborder le cinéma de Jeannery
00:56:48aussi parce que c'est une réalisatrice
00:56:50qui est issue du jeu
00:56:52je cite Pascal de Molon
00:56:54qui dit
00:56:56sans doute parce que c'est une comédienne
00:56:58elle aussi
00:57:00donc Jeannery comme je vous l'ai dit au début
00:57:02c'est une réalisatrice
00:57:04qui adorait les cours de théâtre
00:57:06qui prenait beaucoup de plaisir
00:57:08à regarder les autres travailler
00:57:10et voir les profs diriger
00:57:12les comédiens et comédiennes
00:57:14elle adore regarder
00:57:16même elle en tant que spectatrice
00:57:18quand elle va au cinéma
00:57:20en fait son plaisir principal
00:57:22c'est voir les acteurs jouer
00:57:23c'est le travail avec les acteurs
00:57:25de manière précise et fluide
00:57:27elle dit dans une interview
00:57:29donnée à France Inter en 2024
00:57:31j'écris des dialogues extrêmement précis
00:57:34je n'aime pas les improvisations
00:57:36j'aime écrire comme au théâtre
00:57:38quand on prend un texte
00:57:40et qu'on l'interprète
00:57:42quand on le transcende
00:57:44qu'on lui donne de la vie
00:57:46ma passion c'est de travailler avec les acteurs
00:57:48leur donner une partition très précise
00:57:50ils doivent trouver leur liberté
00:57:51à l'intérieur d'un cadre assez serré
00:57:54ils doivent danser dans les chaînes
00:57:56donc pour beaucoup de ces comédiens
00:57:58le fait que Jeannery ait été comédienne
00:58:01fait qu'elle sait
00:58:03si une phrase qu'elle a écrite
00:58:05va être dure à dire ou pas
00:58:07et beaucoup disent que les dialogues
00:58:09qu'elle écrit sont vraiment écrits
00:58:11pour des acteurs
00:58:13qui sont faits pour être dit
00:58:15alors comment le travail avec les comédiens
00:58:17se déroule-t-il précisément ?
00:58:19alors il faut savoir que Jeannery
00:58:21elle organise des moments de merde
00:58:23une fois que les castings sont passés
00:58:25et que les acteurs ont été choisis
00:58:27elle organise des lectures
00:58:29elle fait très peu de répétitions avec les acteurs
00:58:31parce qu'elle considère que le moment
00:58:33où les personnages se croisent
00:58:35pour la première fois dans le film
00:58:37constitue un temps très fort du récit
00:58:39et donc elle ne veut pas l'abîmer par des répétitions
00:58:41donc elle organise uniquement des lectures
00:58:43en tête à tête avec chaque comédien
00:58:45afin de fixer avec chacun le texte
00:58:47qu'elle leur demandera ensuite
00:58:49de respecter à la virgule près
00:58:51il y a souvent des réalisateurs
00:58:53qui disent aux acteurs
00:58:55tu peux changer le texte
00:58:57dis ce que tu veux
00:58:59alors Jeannery elle déteste ça
00:59:01elle travaille pas du tout comme ça
00:59:03et elle veut que les acteurs
00:59:05respectent le texte
00:59:07respectent les mots
00:59:09respectent la moindre virgule
00:59:11ce qu'elle cherche
00:59:13c'est donc un acteur
00:59:15qui arrive à réveiller ses phrases
00:59:17à les allumer de l'intérieur
00:59:19alors que ce ne sont pas ses phrases
00:59:21elle enlève la précision
00:59:23qu'elle recherche
00:59:25et donc elle donne sa confiance
00:59:27aux comédiens
00:59:29pour qu'ils deviennent co-auteurs
00:59:31de leurs personnages
00:59:33par exemple elle laisse les comédiens
00:59:35choisir les costumes qu'ils veulent
00:59:37pour leurs personnages
00:59:39pour finir j'aimerais aborder maintenant
00:59:41un thème essentiel du cinéma de Jeannery
00:59:43c'est celui du lien social
00:59:45du triomphe du collectif
00:59:47parce que Jeannery aime donner
00:59:49à ses comédiens et à ses comédiennes
00:59:51un lien émotionnellement
00:59:53et intellectuellement
00:59:55donc Jeannery c'est quelqu'un
00:59:57qui aime étudier le lien
00:59:59comment ils se tissent
01:00:01comment ils se transfèrent
01:00:03comment ils se délitent
01:00:05comment ils se rondent
01:00:07elle s'intéresse à tous les types de liens
01:00:09le lien filial, le lien amical
01:00:11le lien amoureux
01:00:13le lien aussi professionnel
01:00:15elle adore filmer les personnages
01:00:17dans l'exercice de leur métier
01:00:19pour mieux les appréhender
01:00:21une assistante sociale
01:00:23peut aussi tomber amoureuse
01:00:25de son collègue marié
01:00:27une médiatrice peut aussi
01:00:29quitter son compagnon
01:00:31et dormir sur le canapé
01:00:33de son collègue
01:00:35dans Elle l'adore
01:00:37le lien qu'elle étudie
01:00:39c'est le lien entre un artiste
01:00:41et une fan
01:00:43qui est beaucoup plus complexe
01:00:45qu'il n'y paraît
01:00:47c'est le film le plus personnel
01:00:49de Jeannery
01:00:51je trouve que les fans
01:00:53Jeannery les a côtoyés
01:00:55pendant toute son enfance
01:00:57et elle voulait montrer
01:00:59que la plupart des fans
01:01:01renvoient à leurs idoles
01:01:03une image très positive d'eux-mêmes
01:01:05c'est une relation à double sens
01:01:07évidemment les fans
01:01:09vivent à travers leurs idoles
01:01:11et leurs passions
01:01:13et bénéficient de cette relation
01:01:15en retirent quelque chose de positif
01:01:17mais les idoles aussi
01:01:19les chanteurs, les stars
01:01:21ils reçoivent des cadeaux
01:01:23parfois c'est incroyable
01:01:25ils reçoivent des lettres d'amour
01:01:27donc c'est vraiment une relation
01:01:29à double sens qui bénéficie aux deux
01:01:31d'ailleurs ce qui est amusant
01:01:33c'est que Jeannery
01:01:35elle a raconté que cette histoire
01:01:37de fan s'était aussi inspirée
01:01:39d'elle-même et du coup de cœur
01:01:41qu'elle avait eu pour une intervenante
01:01:43qu'elle avait eu au conservatoire
01:01:45qui est donc l'actrice Muriel Mayette
01:01:47dont je vous ai parlé précédemment
01:01:49donc une grande comédienne
01:01:51dans un film
01:01:53et Jeannery elle l'a rencontrée
01:01:55quand elle était étudiante au conservatoire
01:01:57elle a eu un vrai coup de cœur
01:01:59pour Muriel Mayette
01:02:01un coup de cœur un peu adolescent
01:02:03comme elle dit
01:02:05et elle s'est mise à avoir
01:02:07un côté totalement fan avec elle
01:02:09et donc c'est aussi ça
01:02:11qui lui a inspiré l'histoire
01:02:13d'Elle l'adore
01:02:15et d'ailleurs elle lui a donné
01:02:17le prénom de Muriel
01:02:19elle l'a donné au personnage
01:02:21alors là j'aimerais citer à nouveau
01:02:23Jeannery dans une interview passionnante
01:02:25qu'elle avait donnée pour Première
01:02:27en 2023
01:02:29elle dit Pupille n'est pas un film
01:02:31sur l'adoption
01:02:33mais sur la rupture du lien
01:02:35et la reconstruction d'un autre
01:02:37je verrai toujours vos visages
01:02:39est un film sur la réparation
01:02:41tout cela épouse des mouvements
01:02:43de ma vie intime
01:02:45ce sont des films éminemment personnels
01:02:47donc comme je vous le disais
01:02:49c'est pas une réalisatrice
01:02:51elle a voulu montrer d'emblée
01:02:53qu'il y avait un enfant Théo
01:02:55un bébé né sous X
01:02:57qui va vivre avec une rupture très forte
01:02:59qui va être abandonné
01:03:01et que les services sociaux vont tenter de compenser
01:03:03qui vont tenter d'apporter de la solidité
01:03:05à cet endroit de grande fragilité
01:03:07donc Jeannery elle raconte aussi
01:03:09notre condition humaine
01:03:11le fait qu'on est tous dépendants
01:03:13au lien d'attachement
01:03:15le métier de Jean
01:03:17qui est joué par Gilles Lelouch
01:03:19c'est de créer un lien d'attachement
01:03:21pour qu'il puisse après s'en séparer
01:03:23et par la suite s'attacher
01:03:25à ses parents adoptifs
01:03:27et Jeannery elle trouve
01:03:29qu'on passe notre vie
01:03:31à créer des liens d'attachement
01:03:33avec les autres
01:03:35en amitié, en amour
01:03:37ou purement professionnel
01:03:39ces liens extrêmement forts
01:03:41avec une durée de vie
01:03:43plus ou moins longue
01:03:45c'est vraiment quelque chose
01:03:47qui la passionne
01:03:49l'étude du lien
01:03:51c'est qu'il y a des moments
01:03:53où les gens
01:03:55les auteurs et les victimes d'agressions
01:03:57se mettent à nu
01:03:59et même si ces personnes
01:04:01qui semblent d'emblée irréconciliables
01:04:03et bien petit à petit
01:04:05elles vont se reconnecter
01:04:07elles vont se comprendre
01:04:09il va y avoir une reconnaissance
01:04:11de la souffrance de l'autre
01:04:13de l'humanité de l'autre
01:04:15et ce qu'elle raconte
01:04:17c'est que même si elle n'y a pas assisté
01:04:19elle a eu beaucoup de témoignages
01:04:21les gens se prennent dans les bras
01:04:23font des selfies
01:04:25il y a quelque chose de très très fort
01:04:27qui s'est passé pendant ces 15 heures de rencontre
01:04:29et qui a une connexion assez incroyable
01:04:31et palpable
01:04:33qui se ressent sur la fin de ces rencontres
01:04:35la justice restaurative
01:04:37elle est fondée sur l'idée
01:04:39que l'auteur de l'infraction
01:04:41s'est coupé de la société
01:04:43par le trouble qu'il a commis
01:04:45et qu'il faut rebâtir le lien
01:04:47entre la société et lui
01:04:49mais également entre la victime et lui
01:04:51et ça peut se passer
01:04:53dans le système pénal français
01:04:55de façon matérielle
01:04:57mais ça peut aussi se faire
01:04:59de façon symbolique et psychologique
01:05:01avec la justice restaurative
01:05:03Jeannery dit cette fois dans une interview
01:05:05à Madame Figuero
01:05:07ce dialogue entre victime et agresseur
01:05:09m'a passionné
01:05:11face à face les uns et les autres
01:05:13peuvent partager leurs ressentis
01:05:15parler et être entendus
01:05:17tout le monde bouge, répare et se répare
01:05:19dans cette dynamique puissante
01:05:21j'ai l'impression d'avoir écrit des thrillers
01:05:23un thriller affectif pour pupilles
01:05:25et un thriller des âmes
01:05:27pour je verrai toujours vos visages
01:05:29pour rappel la définition du thriller
01:05:31c'est un film ou un roman policier
01:05:33ou d'épouvante à suspense
01:05:35qui provoque des sensations fortes
01:05:37alors même si on n'est pas du tout
01:05:39dans l'épouvante
01:05:41on est quand même dans cette tension
01:05:43dans un suspense et dans des sensations fortes
01:05:45parce que les films de Jeannery
01:05:47c'est des films où prime l'émotion
01:05:49qui font naître de grandes émotions
01:05:51et où ça raconte avant tout
01:05:53des drames humains
01:05:55la justice on l'a vu au début du cours
01:05:57c'est le royaume du verbe
01:05:59mais c'est aussi le royaume des choses intenses
01:06:01des gens qui vivent des histoires folles
01:06:03Jeannery d'ailleurs elle dit
01:06:05il y a un mot qui revient tout le temps en interview
01:06:07c'est le mot vibrant
01:06:09elle adore les acteurs qui la font vibrer
01:06:11les situations vibrantes
01:06:13et donc elle même elle a à coeur
01:06:15de créer des situations vibrantes
01:06:17emplies d'émotions
01:06:19elle ne veut pas faire des films noirs
01:06:21afin qu'ils puissent être traversés
01:06:23par l'émotion
01:06:25et donc elle réalise des films lumineux
01:06:27à partir de situations
01:06:29qui pourraient tendre vers une noirceur absolue
01:06:31tout d'abord parce qu'elle a envie de se plonger
01:06:33dans des sujets qui l'apaisent
01:06:35par rapport au monde extérieur
01:06:37par exemple Pupille
01:06:39elle l'a écrit au moment de la vague des attentats
01:06:41et c'est quelque chose qui l'a beaucoup apaisé
01:06:43elle était très émotive
01:06:45pendant l'écriture du film
01:06:47et c'est quelque chose qui se ressent aussi
01:06:49quand on le regarde
01:06:51elle a envie de torturer
01:06:53ou de révolter
01:06:55j'ai une vie facile
01:06:57très confortable
01:06:59et donc en fait
01:07:01moi ce qui m'intéresse
01:07:03c'est de parler des choses qui marchent
01:07:05et pas forcément des dysfonctionnements
01:07:07mais de parler aussi
01:07:09des services publics qui marchent
01:07:11et elle a envie de parler aussi
01:07:13des métiers qu'elle admire
01:07:15et donc elle a juste tout simplement
01:07:17envie de mettre en avant
01:07:19elle dit dans une interview
01:07:21je veux que les spectateurs
01:07:23soient dans une attention
01:07:25j'écris les moments paroxystiques
01:07:27de la vie
01:07:29donc dans chacun de ces films
01:07:31on a une scène pivot
01:07:33une scène qui représente
01:07:35le climax du film
01:07:37et généralement cette scène là
01:07:39c'est la scène qu'elle prépare
01:07:41pendant toute l'écriture
01:07:43c'est la scène qu'elle a en tête
01:07:45dès le début de l'écriture du scénario
01:07:47et c'est la scène qu'elle a envie
01:07:49le plus d'écrire et de mettre en scène
01:07:51dans Pupille c'est la rencontre
01:07:53la première rencontre entre le bébé
01:07:55et sa mère adoptive
01:07:57et dans Je verrai toujours vos visages
01:07:59c'est la scène de fin
01:08:01entre la jeune femme violée
01:08:03et son frère qu'il a agressé sexuellement
01:08:05alors pour finir le cours
01:08:07j'avais envie de vous montrer
01:08:09un dernier extrait
01:08:11la scène climax de Pupille
01:08:13ça y est tu vas rencontrer ta maman
01:08:15ta mère
01:08:18t'inquiète pas ça va bien se passer
01:08:21t'es un super mec
01:08:28on y va ?
01:08:30oui
01:08:36bonjour
01:08:43vous pouvez vous placer en face de Théo
01:08:52Théo je te présente madame Langlois
01:08:54Alice qui va devenir ta maman adoptive
01:09:02vous pouvez lui dire un mot bien sûr
01:09:04n'hésitez pas
01:09:07bonjour
01:09:12bonjour
01:09:14oui Théo tu connais pas encore ta maman
01:09:17mais vous allez faire connaissance
01:09:18vous allez prendre le temps qu'il faudra
01:09:27Théo tu peux regarder ta maman mon bonhomme
01:09:49on va te laisser quelques instants avec ta maman
01:10:02ça va bien se passer
01:10:07on va te laisser quelques instants avec ta maman
01:10:18on va te laisser quelques instants avec ta maman
01:10:40je suis heureuse de te rencontrer
01:10:42tu es très émue
01:10:50j'ai peur de te dire des bêtises
01:10:54tu es formidable
01:10:58tu me plais beaucoup
01:11:01on va apprendre à se connaitre les deux
01:11:03ça a l'air bien bon
01:11:04ouais
01:11:12tu as choisi un prémium
01:11:15il va bien t'aller je crois
01:11:27j'ai décidé de t'appeler Mathieu
01:11:32oh mais qu'est-ce que t'es beau
01:11:36tu es beau
01:11:37oh mais qu'est-ce que t'es beau
01:12:08c'est un amour à sens unique
01:12:10on a pas vu dans l'extrait c'est juste avant
01:12:12mais Karine fait sa déclaration d'amour à Jean
01:12:14et lui il est marié
01:12:16il est amoureux de sa femme
01:12:18mais on sent quand même l'amour qu'il y a entre les deux
01:12:21l'amour complexe
01:12:23professionnel et amoureux pour elle
01:12:25le sentiment amoureux qui les lie
01:12:28ce qui est hyper beau dans cette scène
01:12:30c'est qu'on a évidemment l'amour
01:12:32qui circule avec ce petit bébé
01:12:34mais aussi l'amour chez ses deux collègues
01:12:36et là l'amour, les sentiments
01:12:38ça passe beaucoup par les regards
01:12:40ça passe beaucoup par les mots chez Jeannery
01:12:42mais aussi par les regards
01:12:44d'ailleurs le film s'appelle Pupille
01:12:46c'est évidemment un jeu de mots sur le mot pupille
01:12:49il y a les regards de Jean et Karine sur Théo
01:12:52il y a les regards de Jean et Karine sur la maman
01:12:54il y a les regards de Théo sur Jean
01:12:56parce que Jean c'est celui qui s'occupe de lui
01:12:58depuis plusieurs mois
01:13:00il y a les regards de la maman sur Théo
01:13:02c'est hyper important les regards dans ce film
01:13:04et dans cette scène
01:13:06parce que Jeannery elle adore filmer les regards
01:13:08ce que les personnages regardent
01:13:10comment ils le regardent
01:13:12et ça c'est des questions qu'elle s'est posées
01:13:14tout au long de l'écriture et du tournage du film
01:13:16par les yeux de qui on regarde les scènes
01:13:18de quel point de vue on est
01:13:20et qui regarde qui
01:13:22c'est par le regard que tout arrive
01:13:24que se noue le lien avec le bébé
01:13:26et on regarde et on est à l'amour
01:13:28dans le regard de l'autre
01:13:30tout le film d'ailleurs est un ballet de regards croisés
01:13:31alors en guise de conclusion
01:13:33j'avais envie de citer non pas Jeannery
01:13:35mais Arnaud Desplechin
01:13:37qui utilise des mots très justes je trouve
01:13:40à propos de son film
01:13:42Rouber une lumière
01:13:44le pari que je fais quand je tourne un gros plan
01:13:46c'est que derrière un visage
01:13:48il y a toujours une âme
01:13:50c'est ce que révèle le gros plan depuis son invention
01:13:52pas une personnalité
01:13:54pas une expression
01:13:56pas même un caractère
01:13:58mais une valeur qu'a chaque être humain
01:13:59la caméra fait ce pari là
01:14:01que chez n'importe qui
01:14:03il y a ce supplément
01:14:05alors ce pari de la lumière
01:14:07de supplément d'âme des personnages
01:14:09on le retrouve dans les films de Jeannery
01:14:11dans les scènes d'échange et d'écoute
01:14:13nombreuses dans sa filmographie
01:14:15dans les visages des comédiens et des comédiennes
01:14:17qui habitent ses films
01:14:19Jeannery c'est une réalisatrice
01:14:21qui a créé une oeuvre solide et cohérente
01:14:23qui interroge les liens qui nous unissent
01:14:25qui se met à la hauteur de ses personnages
01:14:27sans jamais les juger
01:14:29un cinéma d'une grande empathie
01:14:31qui permet de mettre en lumière
01:14:33des dispositifs sociaux méconnus
01:14:35qui permet aussi de mettre en avant
01:14:37la grande force du collectif
01:14:39ainsi que de nous emporter
01:14:41avec un grand sens du romanesque
01:14:43c'est une réalisatrice qui parvient
01:14:45à susciter l'émotion
01:14:47avec des mots, des silences et des visages
01:14:49Merci

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