Il est le premier, et toujours le seul, couturier subsaharien à présenter sa collection durant la Fashion Week Haute-Couture de Paris ! Le styliste camerounais Imane Ayissi est ce matin l'invité de Mathilde Serrell. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/nouvelles-tetes/nouvelles-tetes-du-mercredi-29-janvier-2025-3420027
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00:00Place aux nouvelles têtes, avec vous Mathilde Serrel. Ce matin, votre invité est un jeune
00:06créateur haute couture de 56 ans, le styliste camerounais Imane Aïssi est dans notre studio.
00:13Bonjour Imane Aïssi, je vous accueille avec Rihanna rien que ça, parce qu'elle fait
00:26partie des femmes que vous aimeriez habiller, et Brigitte Macron aussi.
00:29Oh bien sûr, notre Brigitte, je la trouve très élégante, j'aime bien.
00:33Qu'est-ce qu'elles ont en commun, Rihanna et Brigitte Macron ?
00:35C'est deux personnalités très différentes, Brigitte, c'est notre première dame quand
00:40même, et Rihanna c'est une jeune chanteuse qui a beaucoup de talent, beaucoup d'énergie,
00:44j'aime bien sa manière d'être.
00:46Vous dites que vos vêtements, ils appellent des femmes fortes, avec beaucoup de caractère,
00:50pas des petites filles qui sont là pour décorer, je ne regarde pas Mona méchamment.
00:53Non, ce n'est pas la seconde, mais j'aime bien sur le gars qui me suit, qui me cherche.
00:57Non, elles ne sont pas là pour décorer.
01:01Non, je crois que chaque femme est très différente, et j'aime les femmes qui ont de la personnalité,
01:08que ce soit, peu importe l'âge, je crois que quand on a de la personnalité, c'est
01:13quelque chose qu'on est avec, ça ne s'achète pas dans une boutique, et je crois que c'est
01:17des femmes qui sont des porte-parole aussi pour beaucoup de combats.
01:20Il y en a une en face de moi qu'on a ! Vous habillez entre autres Angélique Hidjo, Rossy
01:25Despalmas, Esa Maïga ou Isabelle Carré, et vous êtes depuis 2020 le seul styliste
01:29subsaharien à présenter sa collection durant la Fashion Week Haute Couture à Paris.
01:33Ça se termine, hier c'était le défilé Chanel par les gens de la maison, en attendant
01:37l'arrivée de Mathieu Blazy, et vous, vous avez défilé lundi.
01:40Quand vous êtes arrivé pour présenter des modèles de grande couture, comme vous dites
01:43souvent, vous avez dit en 2020 que je sois le premier, c'est mieux que rien, je représente
01:47toute l'Afrique.
01:48Mais s'il y en avait d'autres, ce serait bien, ils ne sont toujours pas là ?
01:51Oui, parce que c'est beaucoup de travail, il y a des raisons pour ça, parce que c'est
01:56très sélectif, c'est un milieu qui est très renfermé, il y a de la qualité du travail,
02:00et je crois que c'est à nous les Africains de comprendre aussi le fonctionnement.
02:03L'Afrique a beaucoup consommé le luxe des autres depuis des décennies, et il est temps
02:07que les Africains et nos dirigeants comprennent que la mode c'est une machine à économie
02:16qui brasse beaucoup de gens, beaucoup de monde, et c'est aux Africains de préparer,
02:22d'acheter aussi, de comprendre le fonctionnement, et de se mélanger aux autres, au monde.
02:28Parce que si les Africains eux-mêmes ne comprennent pas le fonctionnement du luxe qu'ils ont
02:34toujours acheté, le luxe des autres, il est temps qu'ils font confiance aux jeunes artistes
02:39africains de les acheter, parce que tout démarre par là, sur le pouvoir d'achat, l'économie,
02:44l'argent, la prise en compte des valeurs culturelles, ou tout ce qui peut nous accompagner
02:49dans nos vies, et la confiance aussi, redonner la confiance aux jeunes générations, et
02:55de les former.
02:56Alors que vous dites qu'on a du mal à associer les créateurs africains au luxe, et vous
02:59êtes en train de le faire changer avec une spécialité qui est le mélange de matériaux
03:02et de savoir-faire d'artisanat d'art entre l'Europe, l'Afrique et l'Asie, des étoffes
03:06venues d'Italie, de France, d'Angleterre, de Chine ou du Japon, et des manteaux en kente
03:10du Ghana, des tops en monjaques du Sénégal, des robes en dentelles de Rafia du Cameroun,
03:14ou en face au Dan Fanny du Burkina Faso, tout, tout, sauf le wax.
03:19Le wax c'est un imprimé, je ne sais pas si vous voyez, Léa, comment vous le décrivez ?
03:28C'est des imprimés, il y a beaucoup de couleurs, des fleurs, avec beaucoup de motifs différents.
03:34C'est le pagne en fait, c'est le tissu du pagne.
03:36C'est le pagne, après ça dépend de quel pagne, parce qu'il y a des pagnes qui sont
03:39d'origine vraiment, qui font partie du patrimoine textile africain qu'on appelle les pagnes
03:45tissées.
03:46C'est différent, mais les pagnes imprimés hollandais c'est différent.
03:49Donc je n'emmène pas les pagnes hollandais, je ne les fais pas en procès.
03:55Je dis toujours que c'est mieux de connaître l'histoire, de remettre les points sur les
03:59yeux pour éclaircir les choses.
04:01Les pagnes hollandais ça devient un tissu africain à partir de certaines dates historiques.
04:07Après les gens sont libres d'acheter ou de mettre ce qu'ils veulent.
04:11C'est-à-dire qu'il y a des savoir-faire qui préexistent à la colonisation et c'est
04:14plutôt ceux-là que vous allez travailler ?
04:15Exactement, donc l'Afrique a toujours eu son propre patrimoine textile qui existe.
04:21Ce que je vais citer ici c'est le Kinte, l'intitulé des royaumes Bamou de Cameroun,
04:28l'Equita du Côte d'Ivoire, les voiles de coton de Bretagne, il y en a, il y en a,
04:33mais le monde connaît mal ça.
04:34Après les gens sont libres d'acheter ce qu'ils veulent mais il ne faut pas banaliser
04:39ça parce que si les Africains eux-mêmes négligent ça, ça veut dire qu'il y a un souci.
04:44C'est toujours bien que chaque communauté garde les choses qui lui sont chères.
04:50C'est important.
04:51Et vous, vous les travaillez comme on travaille des broderies Le Sage, vous essayez de relancer
04:55tous ces savoir-faire.
04:56Vous travaillez aussi de l'écorce d'arbres que vous découpez, que vous découpez comme
05:00de la dentelle.
05:01Vous avez d'ailleurs grandi à Yaoundé, au Cameroun, vous avez commencé à fabriquer
05:06un peu avec ce qui vous tombait sous la main, vous récupériez les trucs de votre mère,
05:10vous les découpiez, vous les remontiez.
05:11Elle était Miss Cameroun d'ailleurs, première Miss Cameroun post-indépendance.
05:16Oui, post-indépendance, tout à fait, je crois que j'ai saccagé pas mal de ses robes
05:24et ses chaussures parce que j'essayais de les découvrir, même les chaussures, pour
05:28voir ce qu'il y avait à l'intérieur.
05:29J'étais curieux.
05:30Et puis j'ai commencé à dessiner sur le sol avec les bâtonnets et tout ça.
05:34Je crois que ma maman m'a beaucoup inspiré.
05:36Plus tard, d'autres femmes aussi, comme on voyait, je voyais dans les magazines comme
05:41Scénaire Revue, Le Vogue, Jardin des modes, Marie France à l'époque, on voyait des silhouettes
05:49des femmes, des comédiennes américaines à Hollywood qui m'impressionnaient.
05:54Donc je ne comprenais pas grand-chose à l'esthétique, mais en même temps ça m'attirait, les silhouettes
06:00de ma mère parce que c'était une femme qui a énormément d'élégance, dans une
06:03simplicité incroyable, elle mettait des robes, des accessoires, les coiffures, tout son entourage,
06:09des copines, les gens de la famille et ça m'a vraiment poussé à les fouiller.
06:14A faire ce que vous faites aujourd'hui, mais il faut le dire, d'abord, vous avez été
06:18danseur.
06:19Vous avez commencé toute une carrière de danseur.
06:22Vous allez travailler avec Yannick Noah, vous allez faire une tournée, Saga Africa,
06:26c'est là que vous allez vous glisser en France.
06:28Vous travaillerez aussi avec Patrick Dupont et vous allez être à la fois danseur et
06:31mannequin sans papier pendant huit ans en France.
06:34Tout à fait.
06:35J'ai fait aussi un peu de comédie, les plateaux de cinéma pour faire les figurations
06:42et les doublures.
06:44Donc j'ai travaillé avec Milène Farmer pour le clip « Les mots ».
06:47Vous êtes la doublure de style dans le clip de Milène Farmer.
06:49J'ai fait beaucoup de choses comme ça, mais la mode, c'est quelque chose qui m'a
06:54toujours attiré.
06:55J'ai été mannequin dans les grandes maisons et quelque part, je me dis qu'après avoir
07:00travaillé avec les grands maîtres, s'ils essayaient de faire comme eux, ce serait pas
07:03mal.
07:04Donc là, dans votre chambre de bonne, vous vous êtes mis à faire vos propres modèles.
07:07Vous vous êtes lancé tout ça.
07:08Et ça, c'est incroyable.
07:09La chambre de bonne, j'habitais pas très loin de la rue Montorgueil, dans le deuxième
07:15à Paris.
07:16Et là, j'ai fait les arts des ménages, je voulais absolument présenter un défilé
07:20et j'ai acheté une petite machine maison, ménagère.
07:24Je vais au marché Saint-Pierre, je trouve un rouleau de tissu à poids, fond bleu, et
07:29je vais me taper 120 robes.
07:31Il y en avait partout le défilé, et le jour du défilé, les gens sont sortis, il y avait
07:35les poids partout dans la rue.
07:36Et dans la collection, je crois qu'il n'y avait qu'une seule robe qui tenait la route.
07:40Le reste, c'était de la merde.
07:42Et vous voilà, Imane Yaïchi, exposée carrément jusqu'à Atlanta, en ce moment, aux Etats-Unis.
07:48Vous venez de défiler, on vous retrouve à la Fashion Week Haute Couture l'année prochaine.
07:52Bien sûr, bonne route à vous, et peut-être bientôt des sacs pour hommes.
07:54J'ai entendu ça.