Ce matin, Patrick Cohen évoque l'art de la censure...
Retrouvez « L'édito politique de Patrick Cohen » sur France Inter et sur : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-edito-politique
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00:00L'édito politique c'est avec vous, bonjour Patrick Cohen. Bonjour Marion. L'art de la censure.
00:04Est-ce un art ou une science ? Puisque cela fait 6 mois que le mot « censure » occupe
00:08à peu près tous nos débats, on a même inventé la non-censurabilité et je me suis
00:13intéressé à l'origine de la chose. Avec une question simple, dans une assemblée coupée
00:16en trois, y-a-t-il une fatalité à ce qu'un Premier ministre issu d'un des trois blocs
00:20soit à la merci de la coalition des deux autres ? Et bien la réponse est non. Il se
00:25trouve que depuis plus d'un siècle, quelques grands esprits ont plaidé l'inverse et
00:29ils ont bien failli gagner, je vais les citer, Jean Jaurès, Félix Gaillard, Pierre Fimelin,
00:33Arnaud Montebourg. Jean Jaurès s'est intéressé à la censure ? Oui, il a été élu pour
00:37la première fois député du Tarn en 1885 dans une chambre coupée en trois qui fait
00:42valser les ministères. Ainsi en 1886, l'opportuniste Fréciné est renversé par une coalition
00:48de la droite et des radicaux. Cinq mois plus tard, le radical Gobelet est chassé par une
00:52coalition de la droite et des opportunistes de Jules Ferry. Puis l'opportuniste Rouvier
00:56se combat à une alliance de droite et des radicaux, etc. Le plus grand mal dont nous
01:00souffrons, écrit Jaurès, c'est l'instabilité gouvernementale. Et le 8 mai 1888, dans les
01:06colonnes de la Dépêche, sous le titre « Constitution républicaine », il propose une série de
01:10réformes dont celle-ci qui vise à empêcher ce qu'il appelle le vote de coalition. La
01:16Chambre ne pourrait renvoyer le président du conseil qu'à la condition qu'un homme
01:19politique nouveau, investi par la Chambre d'un mandat défini, soit désigné par
01:24elle. En clair, on ne renverse un gouvernement qu'en le remplaçant. Exactement, ce qu'on
01:28appelle une motion de censure constructive, mécanisme inscrit dans la loi fondamentale
01:32allemande de 1949, puis dans la constitution espagnole de 78, dans la constitution belge
01:38révisée en 93, on y parle de motion de méfiance. Mais en France aussi, l'idée n'a pas été
01:44loin d'aboutir, elle a été portée par celui qui précéda De Gaulle au pouvoir, président
01:48du conseil pendant six mois, de novembre 57 à mai 58, Félix Gaillard. Le plus jeune
01:53chef de gouvernement depuis Napoléon. À seulement 38 ans, voilà ce qu'il proposait.
01:58Toute motion de censure doit énoncer les principes d'un programme de gouvernement
02:02et indiquer le nom de celui de ses signataires qui serait proposé comme président du conseil.
02:07La réforme est votée par l'Assemblée, mais Gaillard est renversé, remplacé par
02:12Pierre Fimelin qui insiste dans son discours d'investiture. Un gouvernement ne doit pas
02:16être renversé par une addition momentanée de minorités opposées l'une à l'autre.
02:20Cette réforme permettra un fonctionnement correct du régime parlementaire en restituant
02:25à la notion de majorité, fondement de toute démocratie, sa signification véritable.
02:29Ensuite ? Ensuite, rien, ce discours a été prononcé le 13 mai 58, c'était le jour
02:34du putsch d'Alger, Fimelin a tenu deux semaines avant de laisser les clés à De Gaulle et
02:38à une cinquième république qui a gardé le principe de la censure, mais pas celui
02:42de l'alternative. Il y a 20 ans pourtant, Arnaud Montebourg et Bastien François avaient
02:46repris l'idée pour leur projet de sixième république.
02:48Et aujourd'hui, Patrick, ça aurait tout changé ? Tout ! Alors vous refaites le film
02:51comme ça vous chante, mais en tout cas, Bayrou ne serait pas menacé, Barnier n'aurait
02:56pas été renversé et avant cela, Emmanuel Macron aurait sans doute été obligé de
03:01nommer Lucie Castex, puisque pas censurable par une alliance du centre et du RN.
03:06Sacré Jaurès quand même !