Tous les jours, une personnalité s'invite dans le monde d'Élodie Suigo. Vendredi 31 janvier 2025 : le pianiste Alexandre Tharaud. En octobre 2024 est sorti son album "Bach" et il est concert à la Philharmonie de Paris du 31 janvier au 2 février, ainsi que le 28 février.
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00:00Bonjour Alexandre Tarrot, vous êtes l'un des pianistes préférés des Français.
00:04Le piano vous accompagne d'ailleurs depuis votre plus tendre enfance.
00:06Votre carrière a débuté il y a plus de 30 ans, trois décennies à peaufiner votre
00:10jeu, à poser vos mains et parcourir les touches de cet instrument devenu votre plus grand
00:15confident et partenaire de vie, de joie, parfois de peine.
00:19Vous êtes considéré comme un ambassadeur du piano français, mais plus encore qu'à
00:22vous le représenter et l'incarner avec cette poésie.
00:25Le poète du piano d'ailleurs, c'est le titre de ce coffret 3 CD qui saluait effectivement
00:30vos 30 ans de carrière.
00:33Depuis quelques semaines, vous avez sorti l'album Bach et vous êtes en concert d'ailleurs
00:37avec vos concertos contemporains qui sortiront en CD digital en avril 2025.
00:42Que vous procure aujourd'hui, Alexandre, le plaisir de jouer, en tout cas la sensation
00:47de jouer ?
00:48C'est d'abord une sensation physique.
00:52Pour moi, le piano, c'est toucher l'ivoire.
00:56Aujourd'hui, c'est de l'ivoire de synthèse.
00:58On n'a plus le droit de faire du mal aux éléphants, mais c'est toucher ce clavier.
01:07Je me souviens quand j'étais enfant, je me mettais sur les pédales en laiton de ce
01:11vieux piano droit qui venait de mes arrières grands-parents dans notre appartement.
01:16Je mettais mes petites fesses collées comme ça sur le côté de ce piano droit.
01:20Jamais lui toucher au fond de toutes ses matières.
01:24Et encore aujourd'hui, quand j'arrive sur une scène, pas en public, mais le matin
01:27pendant la répétition, la première chose que je fais, c'est me pencher à l'intérieur
01:31dans son ventre et le renifler.
01:33C'est étonnant d'ailleurs ce rapport que vous avez, vous parlez vous-même de
01:36Confidant. C'est par la scène que vous avez découvert finalement le monde artistique
01:42avec une maman prof de danse, un papa qui dirigeait un garage.
01:48Il vous a mis à la figuration très tôt.
01:50Au départ, vous vouliez être soit prestidigitateur, soit danseur, mais en tout
01:54cas, vous vouliez jouer avec la scène.
01:57Oui, je trouve que la scène, c'est l'endroit où on se sent le mieux.
02:01C'est absolument extraordinaire.
02:02D'ailleurs, les gens qui en ont fait ne peuvent plus s'en séparer.
02:05C'est quelque chose, c'est un lieu où on a l'impression de vivre tout
02:10puissance mille, les sentiments, les émotions.
02:14Vous aimez puissance mille sur une scène.
02:16Vous vous sentez libre, puissance mille sur une scène et vous êtes protégé.
02:21J'ai l'impression que dans la vie, il y a deux endroits où on est vraiment
02:23protégé, c'est son lit et la scène, deux lieux d'ailleurs où l'on fait
02:28l'amour et où on ressent les choses de manière décuplée.
02:32C'est vrai qu'on parle de Bach.
02:33Là, vous avez décidé de vous attaquer à Bach, c'est un personnage qui a été
02:37boudé très longtemps, en tout cas tout au long de sa vie, qui a été redécouvert
02:41bien plus tard. Qu'est-ce qui vous plaît chez ce compositeur allemand ?
02:45J'avais envie de dire que c'était mon papa chéri, quand vous parliez là.
02:49Je pensais au fond, mais Bach, c'est le patriarche, c'est notre patriarche à
02:54tous, nous, musiciens.
02:56C'est celui, c'est le compositeur qui a écrit avec un langage qui lui est
03:00propre, mais avec une architecture, une science de l'écriture qui, jusqu'aujourd'hui,
03:06elle est inégalable.
03:07C'est aussi un répertoire gigantesque qui nous accompagne depuis nos
03:12premières années. Quand on a six mois de piano, notre professeur nous donne un
03:16petit prélude de Bach et Bach nous dit, ben voilà, je suis avec toi, mais pour
03:19toute la vie. Ce n'est jamais un carcan.
03:22Il nous construit, il nous recentre et tout au long de la vie, déjà au
03:27conservatoire, vers 14-15 ans, il accompagne l'adolescent avec des
03:30partitas, des suites anglaises, il le forge, il aligne son corps avec le
03:34clavier. Cette période si difficile de l'adolescence, il le construit
03:39encore une fois. Ensuite, au jeune âge adulte, le jeune pianiste se
03:43sent galvanisé par Bach, qui aussi, dans cette carrière difficile de
03:48soliste, les décalages horaires, le répertoire qu'on doit toujours renouveler,
03:53la pression des concerts du public, des maisons de disques, tout ce que vous
03:56voulez, les réseaux sociaux, vient Bach et là, pour nous recentrer
04:01et nous remettre les pieds sur la terre.
04:06Bach, il avait deux maîtrises, il maîtrisait deux choses.
04:10Il a pris du temps, d'ailleurs, à travailler, travailler, travailler sans
04:13relâche. C'était la composition, d'une part, et le contrepoint.
04:18Et à tel point qu'il a atteint un niveau qui n'avait jamais été égalé
04:23auparavant. Est-ce que quand on interprète Bach, on ressent ça, ce
04:26travail de composition et ce travail de contrepoint ?
04:29Absolument. De construction, encore une fois, de construction polyphonique.
04:32Le contrepoint, c'est arriver à mettre plusieurs phrases musicales,
04:37plusieurs mélodies, en quelque sorte, ensemble, les unes sur les autres.
04:41Et c'est fascinant, comme Bach nous offre l'horizontalité
04:46et en même temps la verticalité.
04:48Quand vous mettez plusieurs mélodies l'une sur l'autre, il faut que les
04:51harmonies marchent ensemble.
04:53Et donc, on a cette impression comme ça de verticalité et d'horizontalité.
04:57Quand je vous parlais tout à l'heure de l'adolescent qui peut être, qui peut
05:01se sentir mal dans son corps et Bach va l'aligner à l'instrument.
05:05C'est pareil, finalement, tout au long de la vie.
05:08Quand nous, pianistes, on travaille ce compositeur,
05:12eh bien, on perfectionne l'indépendance des mains.
05:19Comme une balance, la droite doit être aussi habile et aussi profonde
05:24que la gauche. On a l'impression déjà que devant un clavier, tout est
05:29aligné, les notes noires, les touches noires, les touches blanches.
05:32On est de profil par rapport au public, mais face au clavier, à la partition,
05:37à la musique, aux cordes qui vibrent, eh bien, Bach nous forge,
05:43nous cimente
05:47cette position.
05:49Il représente quoi cet album de Bach pour vous, Alexandre ?
05:53J'imagine qu'il représente un peu, parce que de disque en disque,
05:56maintenant, j'en suis à 60. C'est une sorte de photo d'un instant de ma vie.
06:04Comme certaines personnes collectionnent des petites photos-matons
06:08toute leur vie.
06:12Il représente aussi une passion que j'ai pour la musique baroque.
06:18C'est mon troisième disque Bach.
06:19C'est un disque peut-être plus personnel, dans le sens où il y a beaucoup de
06:22transcription. Depuis les années de conservatoire, maintenant, depuis 30 ans,
06:26très régulièrement, je prends une partition de Bach pour chœur, pour
06:30orchestre, pour or, pour clavecin, je la transcris à mon instrument, je l'adapte,
06:34je l'arrange. C'est un peu une histoire.
06:37Il raconte ce parcours, comme ça, depuis l'adolescence.
06:42Mon parcours de transcripteur.
06:44Est-ce que par moments, vous avez eu marre de cet instrument ?
06:48Oui, tout le temps. Je n'ai d'ailleurs pas de piano à la maison depuis 28 ans.
06:51Ça prouve que je n'ai pas besoin de lui.
06:54Mais c'est un instrument, justement, un médium par lequel on peut passer
06:59les messages des compositeurs.
07:02Et par moments, est-ce qu'il vous manque, à contrario ?
07:04Oui, c'est pour ça que je ne vis pas avec lui, comme un vieux couple.
07:07Je pense qu'il faut garder la flamme.
07:09Vous savez, on peut être vite fatigué dans la vie.
07:11Ça, c'est pour toutes les vies et pour tous les métiers.
07:14On peut perdre le désir, on peut en avoir marre.
07:18On peut en avoir marre.
07:19Parfois, quand on est pianiste, soliste, voyageur,
07:23on ouvre la lumière de la chambre d'hôtel.
07:27On ne sait pas trop où on est.
07:30Je suis à Tokyo ou à New York et je dois jouer un concerto de Liszt
07:33ou de Prokofiev ce soir.
07:35Et je n'ai pas envie.
07:37Ça arrive souvent, donc on a les clés et toute la journée va nous préparer.
07:41C'est une histoire de désir, la scène, à trouver l'inspiration,
07:45la force physique, mentale aussi, de se montrer en pleine lumière,
07:49parfois devant 2000 personnes.
07:52Et c'est tout un travail de garder ce désir d'être en scène,
07:56de partager la musique.