Conservateur, réfractaire à l'alternance, les clichés ont la vie dure sur le Sénat. Une chambre dont on connait finalement assez mal l'histoire.
Né il y a 150 ans sur les ruines du second empire, le Sénat échappe rapidement aux mains des monarchistes qui, dès 1875, espèrent en faire un bastion du conservatisme pour contrer « les excès de la démocratie » de la troisième république naissante.
Puissant le levier de l'enracinement d'une république laïque sous la troisième, défait par Pétain, avant d'être rétablit mais privé de pouvoirs sous la quatrième, il sera dans la cinquième république qui s'étire jusqu'à aujourd'hui une chambre garante des libertés publiques.
Tour à tour radicale socialiste, centriste, puis gaulliste, quoiqu'on en dise le Sénat -au fil des républiques- aura connu de nombreuses alternances. Des changements progressifs et un rapport au temps qui font aujourd'hui de l'assemblée de territoires un pôle de stabilité essentiel dans une cinquième république mise à rude épreuve.
Année de Production : 2025
Né il y a 150 ans sur les ruines du second empire, le Sénat échappe rapidement aux mains des monarchistes qui, dès 1875, espèrent en faire un bastion du conservatisme pour contrer « les excès de la démocratie » de la troisième république naissante.
Puissant le levier de l'enracinement d'une république laïque sous la troisième, défait par Pétain, avant d'être rétablit mais privé de pouvoirs sous la quatrième, il sera dans la cinquième république qui s'étire jusqu'à aujourd'hui une chambre garante des libertés publiques.
Tour à tour radicale socialiste, centriste, puis gaulliste, quoiqu'on en dise le Sénat -au fil des républiques- aura connu de nombreuses alternances. Des changements progressifs et un rapport au temps qui font aujourd'hui de l'assemblée de territoires un pôle de stabilité essentiel dans une cinquième république mise à rude épreuve.
Année de Production : 2025
Catégorie
📺
TVTranscription
00:00Une matinée d'hiver comme les autres à Paris.
00:05Rares sont les badauds et les touristes à braver le froid ce jour-là.
00:09Tous passent devant le Palais du Luxembourg.
00:12Mais parfois sans savoir que depuis presque 150 ans, il abrite le Sénat de la République.
00:18Un siècle et demi d'histoire de France, où la Haute Assemblée a tour à tour été
00:24la chambre du conservatisme, le bastion de la laïcité et la gardienne des libertés
00:29publiques, pour devenir aujourd'hui le pôle de stabilité d'une cinquième république
00:34malmenée.
00:35Dans moins d'une heure, ce professeur d'histoire entamera son cours sur Gaston de Nerville,
00:53l'un des présidents du Sénat les plus emblématiques, une chambre sur laquelle les
00:58clichés ont la vie dure.
00:59Vous avez entendu parler du Sénat quand vous étiez en première année.
01:02Pour vous, qu'est-ce que c'est que le Sénat ?
01:07L'image est assez sombre et confuse en fait.
01:09J'ai l'impression qu'il a un rôle secondaire.
01:11Quand on me dit d'imaginer le Sénat, j'imagine vraiment des vieux messieurs.
01:14Je pense que c'est pour ça aussi qu'on a cette image plutôt conservatrice.
01:19D'accord.
01:20Est-ce que certains ont déjà visité le Palais du Luxembourg, le siège du Sénat ?
01:23Aucun de vous ?
01:26En historien, on sait combien il est compliqué de faire changer les mentalités.
01:31Comme citoyen, je trouve ça profondément injuste, évidemment, parce que comme historien
01:36du Sénat en plus, de la vie parlementaire, je sais les bénéfices que la République
01:43a tirés dans l'histoire de l'existence du Sénat.
01:47Et l'histoire commence il y a 150 ans.
01:511870, face à la Prusse, les armées de Napoléon III sont défaites à Sedan.
01:59Le Second Empire s'effondre et la France se cherche un nouveau régime.
02:03À la chute du Second Empire, l'enjeu c'est effectivement de savoir quel régime va remplacer
02:08l'Empire qu'il a depuis très longtemps, presque 20 ans.
02:10Est-ce que c'est une restauration ou est-ce que c'est une nouvelle République ?
02:16La République est proclamée par Gambetta depuis les fenêtres de l'hôtel de ville
02:20en septembre 1870, mais cette déclaration est bien davantage une sorte de constat de
02:27décès de l'Empire qu'un acte de naissance véritable de la République.
02:36Janvier 1875, voilà cinq ans que la France réfléchit à sa constitution.
02:42C'est l'amendement Vallon, la proposition de loi sur les pouvoirs du Président de la République.
02:49Faute d'accord sur le nom du prétendant au trône, les monarchistes renoncent provisoirement
02:53l'expertise à la restauration et se rallient à la proposition du député Henri Vallon.
02:58Le Président de la République est élu à la pluralité des suffrages par le Sénat
03:04et par la Chambre des députés réunies en Assemblée Nationale, il est nommé pour sept ans.
03:09Ce n'est pas n'importe quel document parce qu'on a quand même affaire à la naissance de la République
03:14sur une feuille de papier.
03:16Les débats sont très houleux, peut-être les plus houleux de la Troisième République
03:20et à une voix près, on arrive à cet amendement qui ne dit pas grand-chose en réalité,
03:24qui dit le Président de la République est élu pour sept ans par la Chambre des députés et le Sénat,
03:28mais il y a deux mots, Président et République, qui vont faire basculer le régime
03:33dans une République certes provisoire au départ, sept ans, mais qui va marquer le régime.
03:39Avec une voix de majorité, la République est rétablie.
03:42Mais pour les monarchistes, pas question de laisser le nouveau régime soumis aux excès du monocamérisme.
03:49La terreur révolutionnaire de 1793 est encore dans toutes les têtes.
03:54Ils exigent la création du Sénat et imposent leurs règles pour y conserver la majorité.
04:00Les sénateurs ne peuvent être élus qu'à partir de 40 ans.
04:0475 sénateurs sont nommés à vie, ce sont les sénateurs qu'on qualifie d'inamovibles.
04:09Le mode d'élection des sénateurs tente à favoriser les campagnes au détriment des villes
04:13et les campagnes étant à cette époque et de manière générale plus conservatrice
04:17et à cette époque moins républicaine,
04:19eh bien c'est conçu comme une manière d'équilibrer le Parlement nouveau.
04:25Et de cela, évidemment, Gambetta ne veut pas.
04:29Il est hors de question de refaire l'ancien Sénat, dit-il.
04:32Mais il estime que la République ne peut pas être consolidée autrement que par ce compromis.
04:39Et un jour, il assure, le Sénat deviendra une institution républicaine.
04:46Le Grand Conseil des communes de France…
04:47C'est la révélation pour Gambetta dans son discours de Belleville,
04:51lui qui était hostile à l'idée d'avoir deux chambres au départ,
04:55qu'au fond, le socle de la démocratie, c'est l'esprit communal et les 36 000 communes.
05:02À l'époque, il y en avait 36 000.
05:05Si peu à peu, la mémoire du député républicain s'efface,
05:09et si le souvenir de Léon Gambetta est encore vif.
05:13Né en 1838 à Cahors, sa statue domine la place principale
05:17et les plus anciens vous indiquent facilement l'adresse du bazar génois que tenaient ses parents.
05:24Dans le musée de la ville, consacré au peintre impressionniste Henri Martin,
05:28l'ancien maire, aujourd'hui sénateur,
05:30a souhaité qu'une salle soit consacrée au père de la Troisième République.
05:35Lorsqu'il décède, c'est un événement national.
05:38Je crois qu'il y a plus de 60 000 personnes qui assistent aux obsèques de Gambetta.
05:43C'est un choc dans ce pays.
05:45Une figure de la République, objet d'un véritable culte laïque à l'époque,
05:50comme l'attestent les pièces conservées dans les réserves.
05:53Des objets assez exceptionnels, comme des restes humains.
05:57C'est-à-dire que Gambetta, très jeune, a perdu un œil
05:59qui nous a été transmis ensuite par le biais de la famille.
06:02Ces objets sont conservés comme des objets qui ont une forme de santé, quelque part.
06:13Derrière, ce qui est important, c'est surtout les valeurs qu'il a apportées.
06:17Comme l'espérait Léon Gambetta, le Sénat va rapidement basculer du côté de la République
06:23et s'imposer comme la chambre des territoires.
06:25Il avait conscience que ce serait le grand conseil des communes.
06:29Les communes qui sont les entrailles de la démocratie, c'est lui-même qui l'avait dit.
06:33Donc il avait cette conscience-là que la démocratie locale
06:36pouvait permettre de diffuser la République et de favoriser une certaine forme de pragmatisme.
06:43On a des problèmes, on essaie de les résoudre avec les moyens que sont les nôtres.
06:46On n'est pas dans les idéologies quand on gère une petite commune.
06:48Et c'est important qu'il puisse y avoir une chambre qui les représente.
06:56Comme chaque semaine, direction Paris.
06:59Aujourd'hui, ce sera en train pour 6 heures de voyage.
07:02Il est à l'heure, a priori.
07:04Il y a déjà une satisfaction, parce que ce n'est pas toujours le cas.
07:07Autrefois réputé pour la qualité de son service,
07:10la ligne Paris-Toulouse accumule aujourd'hui les retards.
07:13Et alors que les liaisons grande vitesse entre métropoles se sont multipliées,
07:17Cahors est de moins en moins bien desservi.
07:19Au Sénat, l'élu en a fait l'une de ses priorités.
07:23Il y a beaucoup de dysfonctionnements.
07:25C'est parfois le symbole du sentiment de déclassement d'un territoire.
07:31Parce que le train, c'est la liberté.
07:34Je viens d'un territoire rural et j'ai toujours trouvé au Sénat une caisse de résonance
07:41par rapport à des sujets qu'on a peut-être moins l'occasion d'aborder
07:45ou moins en profondeur dans une chambre comme l'Assemblée nationale.
07:50S'il y a une utilité au Sénat sur un texte de loi,
07:54c'est que ce texte, il doit répondre aux enjeux de nos concitoyens
07:59et il doit pouvoir s'appliquer dans tous les territoires.
08:03L'Assemblée, il n'y a jamais vraiment pensé.
08:06Trop exposé, trop politique peut-être,
08:09pour celui qui a fait du compromis au niveau local, sa marque de fabrique.
08:14J'avais envie d'aller au Sénat parce que je considérais que c'était une chambre
08:20où on avait plus le temps de se poser, de travailler et de réfléchir aux difficultés
08:26qui sont face à notre pays, avec plus de hauteur.
08:35Tous les sénateurs le disent en arrivant pour la première fois dans l'hémicycle.
08:39Ils ressentent le poids de l'histoire et des figures illustres qui s'y sont succédées.
08:44Victor Hugo, Jules Ferry, Georges Clemenceau, Victor Schottscher.
08:48Avec l'instauration de la Troisième République en 1870, le Sénat vit un âge d'or.
08:55Alors ça c'est la loi relative à l'organisation du Sénat.
08:58D'accord.
08:59On a affaire à un Sénat qui est rétabli dans un bicamérisme complètement égalitaire.
09:05Ça veut dire qu'il a exactement les mêmes pouvoirs que l'Assemblée nationale,
09:10la Chambre des députés, et ça c'est complètement historique.
09:12C'est la période dans l'histoire républicaine française
09:15où la Chambre haute a eu les pouvoirs les plus importants.
09:18C'est la période où les sénateurs avaient la possibilité de faire tomber des ministères,
09:22des cabinets ministériels,
09:24ce qui évidemment leur donnait une importance politique considérable.
09:27C'est lui qui porte les débats les plus intéressants sur la loi de 1905,
09:31de séparation des Églises et de l'État.
09:32Les sénateurs ayant un droit équivalent d'amendement et de changement de la loi
09:36que les députés,
09:37eh bien ils vont être complètement les chevilles ouvrières de la République qui prend vie.
09:43Loi sur la liberté de la presse en 1881.
09:47Loi sur la liberté syndicale.
09:49Loi de 1901 sur la liberté d'association.
09:52Dans l'enracinement de cette République démocratique et laïque,
09:56le sénateur radical Émile Combes, aujourd'hui un peu oublié,
09:59a joué un rôle prépondérant.
10:01C'est donc le texte de la loi définitivement adoptée par le Sénat.
10:05L'article premier est très clair.
10:07L'enseignement de tout ordre et de toute nature est interdit en France aux congrégations.
10:13Et là on voit la signature d'Émile Combes.
10:16L'Église ayant défendu le système de la monarchie jusque dans les années 90,
10:22elle est pour les républicains une institution extrêmement dangereuse
10:26quant à l'enracinement de la République.
10:29Et donc, Jules Ferry Ier va entamer ce qu'on pourrait appeler
10:32une séparation des églises et de l'école,
10:35avec l'institution d'une école primaire, gratuite, laïque et obligatoire.
10:41Émile Combes, entre 1902 et 1905, est le chef de gouvernement
10:45qui va mener le plus durement cette politique anticléricale.
10:49Et parmi les mesures qu'il prend, une des mesures les plus dures,
10:52c'est cette loi du 7 juillet 1904 contre les congrégations
10:56puisque dorénavant, elles ne peuvent plus du tout enseigner.
11:00Qu'il est loin le temps où les monarchistes espéraient faire du Sénat
11:03une chambre réactionnaire.
11:05Si elle reste conservatrice au tournant du XXe siècle,
11:09c'est la République qu'elle défend.
11:11Comme lorsqu'elle est menacée par l'irruption du mouvement populiste
11:14emmené par le général Boulanger.
11:17Une chambre dominée par les radicaux de gauche jusqu'en 1968.
11:24Jamais le Sénat ne retrouvera autant de pouvoir que sous la Troisième République.
11:29Un régime provisoire né en 1870 qui s'achève avec la Seconde Guerre mondiale.
11:37Printemps 1940.
11:39L'offensive allemande met les troupes françaises en déroute.
11:42Les parlementaires quittent Paris et l'abri militaire creusé
11:45sous le palais du Luxembourg paraît désormais bien inutile.
11:50A Vichy, deux mois plus tard, députés et sénateurs
11:53réunis en Assemblée nationale votent les pleins pouvoirs à Pétain,
11:57la Troisième République avec.
12:01Et puis, dernière page de ce registre.
12:04Oui, avec cet article unique.
12:07L'Assemblée nationale donne tout pouvoir au gouvernement de la République
12:12sous l'autorité et la signature du maréchal Pétain
12:16à l'effet de promulguer par un ou plusieurs actes
12:18une nouvelle constitution de l'État français.
12:21Cette constitution devra garantir les droits du travail,
12:24de la famille et de la patrie.
12:28Sur les 302 sénateurs réunis ce funeste 10 juillet 1940,
12:33aux côtés des députés, seuls 23 votent contre les pleins pouvoirs au maréchal.
12:39À partir de là, le Parlement n'a plus son mot à dire, n'est plus réuni
12:43et toute l'autorité est concentrée en un seul homme.
12:46Pétain détient et le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif
12:50et le pouvoir judiciaire.
12:51Donc c'est une rupture profonde avec les principes républicains.
12:55C'est une tâche noire pour l'histoire du Sénat.
12:57C'est surtout une tâche noire sur ceux qui ont voté ces pleins pouvoirs
13:01et d'ailleurs qui vont être déclarés inéligibles par la France libre
13:05et par le gouvernement provisoire de la République française à la libération.
13:09Sauf si ensuite, ils sont relevés de leur inéligibilité
13:14parce qu'ils auraient participé à des actions de résistance
13:17ou manifesté leur opposition à Vichy et à l'occupation allemande.
13:25Après quatre années de guerre, le palais du Luxembourg est saccagé.
13:29Pendant cette période, la Haute Assemblée n'a pas siégé.
13:32L'état-major de la Luftwaffe, l'armée de l'air allemande,
13:35a occupé le palais et jusqu'à 1500 personnes y ont travaillé.
13:39L'Assemblée consultative a célébré la victoire au cours d'une séance mémorable.
13:45Symbole d'un pays qui renaît de ses cendres,
13:48c'est au palais du Luxembourg en 1945 que le général de Gaulle réunit
13:52l'Assemblée consultative provisoire qui siégeait Alger pendant la guerre.
13:57Une assemblée de résistants, de personnalités et d'anciens parlementaires
14:02restés fidèles à la République.
14:04La victoire est aux dimensions de la guerre.
14:09Il fallait donc que la victoire fût une victoire totale.
14:13Cela est fait.
14:16En France, les électeurs, pour la deuxième fois de l'année,
14:19sont allés aux urnes pour approuver ou rejeter le projet de constitution
14:23présenté par l'Assemblée constituante.
14:26Mais il reste encore une étape pour refermer définitivement
14:29la parenthèse sombre de l'état français.
14:32Il faut désormais à la France une nouvelle constitution.
14:35Et pour la première fois de leur histoire, ce sont les Français qui vont la choisir.
14:39Si le premier projet, qui ne prévoit qu'une assemblée, est rejeté,
14:43le second sera le bon.
14:46La France a enfin une constitution.
14:49Souhaitons qu'elle facilite le renaissement du pays.
14:53Octobre 1946, la France bascule dans un nouveau régime.
14:57Si les deux chambres sont conservées, le Sénat change de nom et perd son pouvoir.
15:02Quoi qu'en disent les actualités de l'époque.
15:05Le Conseil a rempli sa première tâche qui consistait à se donner un président.
15:09Monsieur Champuquier de Rives présidera cette chambre de réflexion
15:12qui sera, selon monsieur Léon Blum,
15:13un des rouages les plus efficaces de la IVe République.
15:16C'est une dégradation totalement.
15:18On le dégrade, on essaye de lui faire perdre son titre de noblesse,
15:22notamment on ne l'appelant plus Sénat, il est le pur Conseil de la République.
15:25Le Conseil est tout simplement une chambre saisie par l'Assemblée nationale
15:29pour la seconder, mais ça n'est même plus une chambre parlementaire au fond,
15:32puisqu'il ne parlemente plus.
15:34C'était aussi la continuité de ce qu'on peut véritablement appeler une sénatophobie
15:39qui s'était développée dans les années 30, contre le Sénat,
15:42qu'on accusait de ralentir les réformes, de trop les modérer,
15:45je pense en particulier à l'époque du Front populaire, car ne l'oublions pas,
15:50le Sénat avait renversé les deux gouvernements successifs
15:53dirigés par Léon Blum en 1937 et en 1938.
15:58Un homme va œuvrer à la restauration du Sénat et de ses prérogatives.
16:03Cet homme, c'est Gaston Monnerville.
16:06Tour à tour avocat, député de Guyane, puis sénateur radical du Lot,
16:10il est élu président du Conseil de la République en 1947.
16:15Mais il faudra attendre la constitution suivante,
16:18celle de 1958, voulue par De Gaulle et espérée par Monnerville,
16:22pour que le Sénat retrouve son nom et son rôle.
16:26De nouveau, il contrôle l'action du gouvernement.
16:29De nouveau, il vote la loi, même si c'est l'Assemblée nationale
16:32qui garde désormais le dernier mot en cas de désaccord.
16:36En 1958, dans le vœu du général De Gaulle,
16:38le Sénat est une chambre différente de l'Assemblée nationale.
16:41Il lui apporte une vivacité territoriale.
16:44L'idée, c'est qu'il y ait un deuxième regard sur les lois qui soit différent,
16:46qui soit déconnecté de ce que le général De Gaulle avait en horreur,
16:50le régime des partis.
16:52Eh bien, le Sénat, lui, c'est le régime des territoires.
16:55L'entente entre les deux hommes va être de courte durée.
16:58Quand en 1962, le général décide de changer la constitution
17:02pour faire élire le président de la République
17:04directement par les Français,
17:06il choisit de passer outre l'avis des Assemblées.
17:09Un recours au référendum contesté par Gaston Bonnerville
17:13dans un discours resté célèbre et affiché dans toutes les mairies de France.
17:17Alors, laissez-moi retrouver les passages que je connais.
17:20Ce qu'on nous offre n'est pas la République,
17:23c'est au mieux une sorte de bonapartisme éclairé.
17:27C'est très impressionnant parce que c'était très exceptionnel
17:30que les sénateurs votent l'affichage du discours du président du Sénat.
17:36Non seulement il s'oppose sur la forme,
17:38mais il s'oppose aussi sur le fond,
17:40c'est-à-dire qu'il est absolument contre l'idée de faire élire
17:44le président de la République au suffrage universel direct.
17:47Ce qu'il craint, c'est tout simplement le renforcement du poids
17:52du président de la République et à terme éventuellement,
17:56comme le démontre l'élection de Louis-Napoléon Bonaparte en 1948,
18:01l'établissement d'une tyrannie par la dynamique
18:05que donne l'élection au suffrage universel.
18:07Si Gaston Bonnerville a raison du point de vue du droit,
18:10le président du Sénat est en décalage avec les aspirations de la société nouvelle.
18:14Les rapports avec l'exécutif sont glaciaux
18:17et les ministres ne viennent plus au Sénat.
18:20L'histoire ne dit pas si c'est l'une des raisons pour lesquelles,
18:227 ans plus tard, Charles de Gaulle souhaite faire du Sénat
18:25une simple chambre consultative.
18:27En 1969, en même temps que la régionalisation
18:31il propose aux Français, dans un ultime référendum,
18:34une suppression du Sénat qui ne dit pas son nom.
18:37Il est toujours difficile d'interpréter les résultats d'un référendum.
18:39Et de manière traditionnelle, on constate que lorsque les électeurs
18:43sont interrogés sur une question, ils ont bien souvent tendance
18:47à répondre non pas à la question qui leur est posée,
18:49mais à une sorte de question implicite derrière.
18:51Aimez-vous ou non la personne qui a posé la question,
18:54c'est-à-dire le président de la République ?
18:56En 1969, on peut considérer que la raison pour laquelle
18:59les électeurs ont voté contre le projet défendu par le général de Gaulle
19:03tenait davantage à la volonté de voir le général de Gaulle partir
19:06qu'à un avis très tranché sur l'opportunité de donner
19:12un certain nombre de pouvoirs nouveaux aux collectivités territoriales
19:14ou de voir le Sénat évoluer.
19:17Ironie de l'histoire, c'est Alain Poher, le président du Sénat,
19:21qui remplace le général lorsqu'il démissionne en 1969
19:25après l'échec de son projet de réforme de la Haute Assemblée.
19:29C'est le rôle du président du Sénat, éventuellement,
19:31d'assumer cette responsabilité à titre temporaire.
19:36Ça peut se faire dans une période de crise
19:39ou dans une période de décision politique ou de malheur.
19:43Et puis, une assemblée de la continuité et de la stabilité,
19:47nous voyons ça aujourd'hui face à une assemblée nationale
19:51qui n'a pas de majorité.
19:53Il y a ici une assemblée qui est plus stable institutionnellement,
19:57qui a un temps, j'allais dire, plus long
20:00et qui n'est pas sous la menace d'une décision
20:05qui, par nature, est arbitraire de dissolution.
20:17Dans ce bureau, ce qui est très sympa, quand même, c'est la vue.
20:24Il faut en profiter avec le Dôme du Sénat, le Panthéon.
20:31Voilà sept ans maintenant que Christine Lavard est sénatrice.
20:35Et elle se souvient précisément de son sentiment le premier jour.
20:39C'est vrai que quand j'ai été élue, tout le monde m'a dit
20:41« Ah, mais là, vraiment, le train de sénateur avec toi, ça ne va pas coller ».
20:46« Mais tu vas faire baisser la moyenne d'âge de combien d'années par ton élection ? »
20:51« Est-ce que tu ne t'ennuies pas trop ? »
20:54Et en fait, c'est très loin de tous ces clichés.
20:58À 40 ans, celle qui fut la Benjamine du Sénat à son élection
21:02s'est rapidement imposée comme une experte des comptes de la nation.
21:05Elle est désormais vice-présidente de la très prestigieuse
21:08et masculine Commission des finances.
21:10Je m'occupe des finances dans ma commune depuis 2012.
21:13Et c'est une grande ville.
21:15Bien souvent, quand j'allais dans les assemblées générales,
21:18j'étais la seule femme.
21:19Et donc au départ, on pensait même que je n'étais pas l'adjointe en charge du dossier,
21:23mais que j'étais la chef de service,
21:25voire sinon la secrétaire que j'accompagnais le maire.
21:30Si on est encore loin de la stricte parité,
21:33la Haute Assemblée s'en rapproche
21:34et compte désormais plus de 36% de femmes
21:37contre seulement 6% à l'aube des années 2000.
21:40Une assemblée qui se féminise et sera genie au fil des renouvellements.
21:45Je pense qu'il ne faut pas non plus dans notre pays, par principe,
21:47tomber dans un génisme permanence.
21:49Bien évidemment, nous avons besoin du souffle d'une jeunesse,
21:54mais nous avons aussi besoin de l'expérience de personnes plus anciennes.
21:58On peut avoir un Sénat avec une moyenne d'âge plus âgée, plus progressiste,
22:02une moyenne d'âge plus faible, moins progressiste.
22:05Quand vous êtes sénateur, vous représentez les grands électeurs,
22:09vous représentez les élus, vous représentez les collectivités.
22:13Et il peut être intéressant d'avoir, avant d'être sénateur,
22:17été élu maire, conseiller municipal, conseiller départemental.
22:24Abaissement de l'âge d'éligibilité à 24 ans,
22:27mandat ramené à 6 ans au lieu de 9,
22:29renouvellement par moitié, changement des règles d'élection.
22:32Depuis 2003, la Haute Assemblée s'auto-réforme.
22:36Des changements profonds qui n'ont pas bousculé
22:39les équilibres politiques installés depuis 1986.
22:42Et l'arrivée en force du RPR de Charles Pasqua a une exception.
22:47Le Sénat a eu une alternance en 2011 avec Jean-Pierre Biel.
22:52Un souvenir un peu ému de cette installation de Jean-Pierre Biel
22:55parce qu'il y avait Pierre Monroy qui était présent à cette époque.
22:58Il n'était plus sénateur, mais il était venu voir pour la première fois
23:01dans l'histoire du Sénat, en tout cas l'histoire moderne du Sénat,
23:04l'arrivée, effectivement, d'un président de gauche.
23:07Elle n'a pas duré longtemps.
23:09La chambre du Seigle et de la Châtaigne l'a vite balayée.
23:15C'est comme ça.
23:17Et aujourd'hui, le rapport de force que j'évoquais tout à l'heure
23:19montre bien que nous ne sommes pas prêts à reprendre les rênes
23:22quand on est de gauche au Sénat.
23:24On peut considérer que le fait que le Sénat ait presque toujours été à droite
23:28sous la Ve République constitue une véritable anomalie.
23:31Non, il y a des majorités qui ne sont pas nécessairement
23:36correspondantes à la majorité politique.
23:39Vous avez eu, par exemple, une évolution très significative
23:42quand nous avons eu des débats sur l'interruption volontaire de grossesse,
23:48où on a vu qu'il y avait des débats qui transcendaient les partis, les groupes
23:57et qui donnaient des résultats qui n'étaient pas nécessairement
23:59ceux qu'on pouvait attendre en lisant politiquement simplement la situation.
24:05Pour l'adoption 161 contre 126, le Sénat a adopté.
24:14C'était donc ce matin, peu avant l'heure du déjeuner, au Sénat.
24:18La Haute Assemblée venait d'adopter, vous l'avez vu à main levée,
24:21sans le modifier, le projet gouvernemental d'abolition de la peine de mort.
24:24C'est une relative surprise car on savait les sénateurs
24:27beaucoup plus réticents que les députés.
24:29Abolition de la peine de mort en 1981, légalisation de l'IVG en 1974.
24:35Si la Haute Assemblée vote ces grandes réformes sociétales,
24:38en 1999, elle s'oppose au PAX,
24:41avant, sous une majorité de gauche, de voter le mariage pour tous, en 2013.
24:46En revanche, quelle que soit sa majorité,
24:48son attachement à la défense des libertés publiques reste constant.
24:52Nous sommes en 1971, trois années seulement après le soulèvement étudiant de mai 68.
24:58Rien de pareil ne se reproduira.
25:01Et pour éviter toute récidive, Raymond Marcellin veut désormais
25:04soumettre la création d'une association à l'autorisation préalable des préfets.
25:10Alain Poher va saisir le Conseil constitutionnel
25:13et réussir à contrer le projet du très virulent ministre de l'Intérieur de Georges Pompidou.
25:20La police nationale et moi-même, et moi-même parlant en son nom,
25:24c'est que ceux qui nous demandent de maintenir l'ordre ne nous en discutent pas.
25:29Cette loi, elle est très décriée, en réalité, la loi sur la liberté d'association,
25:32parce qu'elle vient la restreindre, la réglementer.
25:33La liberté d'association, c'est la liberté de contestation aussi, d'accord ?
25:37Et donc, le président du Sénat a le sentiment que quelque chose se passe
25:41qui peut diminuer en fait un édifice qui est celui de la liberté d'association,
25:45qui n'a pas été touchée depuis 1901.
25:47Le président du Sénat, ici, joue le rôle, il ne faut pas l'oublier,
25:50de seul représentant de l'opposition.
25:53Même s'il n'est pas complètement dans l'opposition,
25:55il est quand même le seul à pouvoir avoir une voix dissidente.
25:57Ça raconte que les libertés, c'est quelque chose d'essentiel ici.
26:03Voilà pourquoi j'ai été amené moi-même, au moment de la pandémie de Covid,
26:08à saisir par deux fois le Conseil constitutionnel.
26:11Que pour vérifier que les restrictions aux libertés,
26:15au motif de la protection sanitaire,
26:18que la création de fichiers sous dévot du suivi des contaminations
26:24n'étaient pas contraires aux libertés fondamentales.
26:27Ce qu'on a parfois dit, le verrou sénatorial.
26:31On ne peut pas jouer avec la Constitution.
26:36Dernière séance de l'année, le temps presse.
26:39Après la dissolution de l'été
26:41et le renversement du gouvernement de Michel Barnier,
26:44la France n'a pas de budget.
26:46Ce jour-là, les sénateurs examinent un texte permettant à l'État
26:49de continuer à percevoir l'impôt et engager les dépenses.
26:54Un texte voté au Sénat à l'unanimité et sans abstention.
26:58Ici, on essaie quand même toujours de travailler,
27:02alors je ne vais pas dire dans le consensus total,
27:04mais en tout cas, on discute entre nous et on essaie de comprendre.
27:07Et après, effectivement, chacun conserve ses marqueurs politiques
27:11dans les discussions de loi de finances et autres,
27:13mais ça n'a pas empêché avant d'avoir eu une discussion de fond.
27:17Comme les autres, le sénateur du Lot a voté ce texte.
27:20Dans cette période où les gouvernements se succèdent
27:22et où l'Assemblée nationale peine à dégager des majorités,
27:25il est convaincu que le Sénat doit jouer un rôle plus important.
27:28Je pense qu'il faut donner plus de pouvoir au Sénat.
27:31Peut-être dans sa capacité à avoir parfois, sur certaines lois, le dernier mot.
27:35Pourquoi ne pas aussi lui permettre parfois d'avoir son aval
27:40pour qu'il y ait une dissolution.
27:41Mais moi, je pense très profondément que le Sénat peut être, sera demain,
27:46leur emploi contre les attentes à la République
27:49qui peuvent arriver assez vite dans notre pays.
27:52Brocardé, critiqué, plusieurs fois remis en cause,
27:56en 150 ans, le Sénat a tenu bon et a traversé trois républiques.
28:00Une Assemblée dont la stabilité et la permanence
28:03apparaissent aujourd'hui comme des atouts
28:04dans une période où les crises se succèdent.
28:07Oui, bien sûr, parce que d'abord, il s'inscrit dans une histoire très ancienne
28:11et qui est dans le bureau du président résumé par une pendule.
28:14Vous avez un sénateur romain.
28:17On est donc, il y a plus de 2000 ans.
28:21Il a l'épée au fourreau, il a le doigt sur la tempe
28:24et il a les rouleaux de la loi.
28:26Et le principe de Sénat, c'est je réfléchis avant de faire la loi.
28:32Un rôle de sagesse, rôle aussi de balancier stabilisateur des institutions.
28:38Et ce mot de Sénat, il me semble-t-il une marque
28:42de ce qu'est notre Assemblée hier, aujourd'hui,
28:46et ce qu'elle doit être demain.