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Thierry Demaizière et Alban Teurlai signent un film d’une authenticité rare sur l’acteur de « La loi du marché », éternel insatisfait, pétri de paradoxes, rempli de colère et terriblement attachant.

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Transcription
00:00Votre invité média, Céline Baye d'Arcourt, est documentariste, il a fait du portrait
00:08sa spécialité, c'est lui qui réalisait jusqu'en 2017 les interviews à la fin de
00:12l'émission de TF1 7 à 8, il signe pour Arte un film d'une rare intensité sur l'acteur
00:19Vincent Lindon.
00:20Bonjour Thierry de Maizière, c'est pas un énième portrait de star avec la carrière
00:24revisitée, des extraits de films, des commentaires de proches, on est très loin de tout ça,
00:28mais c'est un documentaire introspectif, une sorte de journal intime, puisque Vincent
00:32Lindon s'est lui-même filmé ou a enregistré des messages vocaux avec son iPhone, il y
00:36a quand même des passages où c'est vous qui êtes derrière la caméra, vous et votre
00:39acolyte Alban Turley, c'est votre deuxième documentaire sur Vincent Lindon, que manquait-il
00:44au premier pour vouloir revenir sur l'ouvrage si je peux m'exprimer ainsi ?
00:48L'envie d'en faire un deuxième en fait, c'est qu'on est resté assez copains, on
00:52dînait assez souvent ensemble et on se disait comment faire un deuxième film, et très
00:57souvent on se disait dans ces dîners où le meilleur de Vincent est là, il est sans
01:02de la punchline, drôle, mélancolique, en colère, mais on n'avait jamais de caméra,
01:06donc un jour on a posé notre iPhone sur la table, on a commencé à enregistrer à son
01:09insu, on a commencé à enregistrer les conversations téléphoniques qu'on avait avec lui, ses
01:13messages vocaux, et pour deux mois on lui a dit bon on efface, on continue, et il a
01:17proposé de continuer, et on lui a proposé de nous envoyer des sonores, coups de colère,
01:22coups de joie, quand ça lui chantait, et on a reçu 150 heures de rush.
01:27Parce que ça a duré 4 ans, auriez-vous imaginé que Vincent Lindon se livre au temps ? Il
01:31est complètement à nu dans ce film, ce n'est pas l'acteur qu'on voit, c'est Vincent.
01:35Alors qui se livre au temps, oui, parce que Vincent ne fait pas les choses à la moitié,
01:39c'est quelqu'un qui va à fond tout le temps, ce qu'on a découvert qui était assez magnifique,
01:43c'est que le fait qu'il soit seul avec son iPhone la nuit dans son appartement faisait
01:46qu'on n'était même plus dans l'interview, on était dans une vraie introspection et
01:50une intimité, on entre vraiment dans la tête de Vincent à ce moment-là.
01:53Ce qui m'a le plus frappé dans votre documentaire, c'est finalement l'immense solitude de cet
01:57homme césarisé, pris d'interprétation à Cannes, à Venise, sa solitude et son désespoir.
02:02Moi je suis sortie de la projection en me disant, ça va mal finir.
02:06Est-ce un sentiment que vous partagez ?
02:07Pas du tout, du tout.
02:08Vincent adore l'apéro, adore la vie, adore la mélancolie, adore la colère, donc dans
02:14une même demi-heure, il est intensément heureux et intensément malheureux.
02:20C'est les montagnes russes, en permanence, il passe d'une joie extrême à un désespoir
02:24absolu, c'est un homme sans nuance, à fleurs de peau extrêmement lucide, torturé, éternel
02:30insatisfait et qui trimballe, on va l'écouter, une grosse blessure d'enfance.
02:34Je me souviens que j'avais été écouté aux portes et que j'avais entendu mon père
02:41dire à ma mère, qu'est-ce qu'on a fait au bon Dieu pour avoir un fils pareil ? Qu'est-ce
02:46qu'on a à faire de lui ? Mot d'un mot, j'ai la haine, j'ai la haine.
02:53La colère qu'il a aujourd'hui, Vincent Lindon, à 65 ans, elle vient de là ?
02:57Elle vient de là et on ne le savait pas ça, c'est qu'en fait, à 3-4 ans, il y avait
03:00déjà ces tics et les parents étaient évidemment paniqués par ça et agacés aussi.
03:05C'est une enfance pas guérie avec une mère assez mondaine qui était assez peu là et
03:11nous, on a voulu démarrer le doc avec ces vraies blessures d'enfance pour voir que
03:15tout ce qu'il va raconter derrière, c'est tout sauf des caprices de stars, c'est vraiment
03:18une blessure non guérie.
03:20Oui, c'est une blessure non guérie et tout ce qu'il fait aujourd'hui, c'est en se
03:23disant mes parents ne sont pas là pour voir ça.
03:26Exactement, c'est le grand drame de sa vie et c'est pour ça qu'on a mis les passages
03:29à Cannes où à chaque fois ses parents lui manquent.
03:32Ses parents ne l'ont pas vu célèbre, ils n'ont pas vu sa carrière donc il fait ce
03:36film un peu pour ça aussi, comme une idée de transmission, puisque mes parents ne l'ont
03:40pas vu, je vais faire le doc pour mes enfants.
03:41D'où le titre de votre film, Un coeur sanglant et c'est Vincent Lindon d'ailleurs qui emploie
03:45ce terme.
03:46Voilà, c'est un coeur sanglant, c'est un coeur à vif, c'est une expression qu'il
03:51a effectivement dans le documentaire.
03:52Alors, il n'en parle jamais de son métier dans ce film, sauf une fois.
03:56Mais même quand je joue, dès qu'on me parle de psychologie du personnage, ça m'ennuie
04:02déjà.
04:03Juste, il est habillé comment, c'est quoi son prénom et comment je bouge.
04:07Oui, parce que tu sais, c'est quand même un personnage, oui d'accord, d'accord, comme
04:13l'habit fait le moine, ça ne m'intéresse pas ce que tu racontes.
04:15Et donc en fait, ça fait 40 ans que je souffre, je fais un métier qui ne me donne pas les
04:20réponses que j'attends.
04:21Mais il cherche quelles réponses, Vincent Lindon ?
04:23Il veut une vie encore plus pleine que sa vie très pleine, il veut, il faut aussi reconnaître
04:29et je l'ai découvert, c'est qu'un comédien, lorsqu'il ne tourne pas, s'ennuie.
04:32C'est des longues journées, donc il y a des journées très intenses, il y a des journées
04:34à rien faire ou attendre le rôle.
04:36Donc, il aurait voulu être chirurgien, en tout cas son père aurait voulu qu'il soit
04:41chirurgien, il aurait voulu un métier où on se lève très tôt le matin et on sert
04:45les autres.
04:46On se lève très tôt le matin quand on fait l'acteur et on attend aussi parfois pendant
04:49des heures, même quand on tourne.
04:50C'est vrai.
04:51Est-ce qu'aujourd'hui, il regrette d'être allé aussi loin dans la mise à nu ? Qu'est-ce
04:57qu'il vous dit sur ce film ?
04:58Alors, le deal, c'était qu'il nous donnait tout, mais qu'il pouvait tout reprendre.
05:03Et comme on avait fait un premier documentaire avec lui et qu'on savait qu'il ne reprenait
05:06rien, on n'était pas très inquiet.
05:08Donc, non, il est intense.
05:11Donc, il nous a dit quitte à y aller, je vais y aller carrément.
05:14Donc, avec Alban, on n'était pas surpris qu'il donne autant, en fait.
05:18Et qu'est-ce qu'il cherche d'ailleurs en se livrant ainsi ?
05:21Il cherche à se confier, à parler de lui ou simplement à aider les autres ?
05:26Parce que ce qu'il dit, notamment sur son enfance, peut rejoindre chacun de nous.
05:30C'est sa grande force et ça me fait plaisir que vous disez ça, c'est qu'au delà de
05:34l'égoïsme, du narcissisme propre à l'acteur, il y a quelque chose chez Vincent qui est
05:39assez universel, qui fait que lorsqu'il parle de sa propre vieillesse, de ses parents, de
05:44ses mélancolies, il nous parle à nous.
05:45Même si c'est quelqu'un, on l'a vu, on a entendu, qui a des passes très extrêmes.
05:50Il est tout le temps extrême et dans la colère et dans la joie et dans la mélancolie.
05:54Et avec Alban Turley, on voulait absolument que le film raconte cette espèce de zigzag
05:58comme ça entre ces trois états.
06:00Et dans les projections, vous me disiez tout à l'heure, les projections que vous avez
06:02faites depuis quelques semaines, les gens vous disent, il parle de moi.
06:08C'est ça, il parle de moi.
06:09C'est que d'un seul coup, on oublie presque Vincent.
06:12Et je pense que c'est aussi le propre des grands acteurs populaires et il a une
06:17capacité à aller à l'os, aller au cru de la vie, aller à lui, qui fait qu'il y a
06:22une forme, je répète, d'universalité dans ce qu'il dit.
06:24Alors, il y a cette scène magnifique dans le film où il est sur la route, il arrête
06:28sa voiture pour regarder un arbre et il pleure.
06:31Qu'est-ce que vous vous êtes dit à ce moment-là ?
06:34Qu'il vit aussi une sorte de solitude, de solitude de l'être, obsédé par l'idée
06:40que le passage sur Terre est assez court, obsédé aussi dans une année où il était
06:45aussi frappé par le deuil de son frère.
06:48Donc, c'est quelqu'un aussi rempli de larmes.
06:51Moi, je trouve ça fou, ce type de séquence.
06:53Est-ce que vous n'êtes pas dit à un moment, en l'écoutant, il joue là, il fait
06:57l'acteur ?
06:58Alors, on pourrait se le dire, mais quand on a 150 heures de rush, on va, on va...
07:05Vous sentez la sincérité ?
07:06Oui, il n'y a pas, en tout cas, dans notre montage, il n'y a pas une seule seconde
07:10où il joue, il y a même des moments où il oublie complètement la caméra, peut-être
07:13presque trop.
07:14J'ai noté cette phrase de Vincent Lindon.
07:16Je suis avide de pouvoir, je veux diriger, je veux être le patron, le numéro un, le
07:21meilleur tout le temps et je veux que tout le monde le sache.
07:24Vous qui le connaissez bien, Thierry de Maizière, est-ce qu'il ambitionne un jour
07:26de faire de la politique et même carrément de se présenter à l'élection présidentielle ?
07:30Joker, parce qu'en plus, ce n'est pas du tout notre sujet, c'est qu'on était
07:34vraiment dans l'intimité de l'homme.
07:36Tout ce qui était politique, il en parle de temps en temps sur Mediapart, dans des
07:40médias. On ne voulait pas dater le film et qu'on avait des choses bien plus
07:44intéressantes sur le temps qui passe, sur la vie et sur la mort, pour ancrer le film
07:48dans une sorte d'actualité politique.
07:50Merci infiniment, Thierry de Maizière, d'être venu et pour ce film qui est vraiment
07:54magnifique.
07:55On en a donc un cœur sanglant que j'ai fait avec Alban Turley.
07:57On allait le redire. Un documentaire de Thierry de Maizière avec Alban Turley à découvrir
08:01ce soir, 22h35 sur Arte et merci à vous, Céline Bey d'Hercourt.

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