• il y a 4 minutes
Le philosophe et écrivain Maxime Rovere était l'invité de Sonia Devillers ce mardi, à l'occasion de la parution de son livre "Parler avec sa mère" (Flammarion). Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-7h50/l-invite-de-7h50-du-mardi-11-fevrier-2025-1792915

Catégorie

🗞
News
Transcription
00:00Sonia Devillers, votre invité, philosophe et écrivain.
00:03Et il publie chez Flammarion « Parler avec sa mère ». Pourquoi ai-je la sensation d'être
00:08une mère tantôt intrusive, tantôt défaillante avec mes fils ? Pourquoi ai-je la sensation
00:14que ma mère est encore à ce jour tantôt intrusive, tantôt défaillante avec moi alors
00:19que je suis une grande personne ? Pourquoi est-ce si difficile de parler à sa mère
00:24? Ce livre est le petit succès de librairie du moment, sans doute parce que tous,
00:29nous trimballons nos affaires de mère tout au long de la vie jusqu'à la mort de celle-ci
00:34et parfois même au-delà.
00:35Bonjour Maxime Rovère.
00:36Bonjour Sonia Devillers.
00:37En quoi la relation à la mère est-elle un sujet pour la philosophie ? Pourquoi ne pas
00:42laisser ça aux psychanalystes qui n'épuiseront jamais ce thème ou aux romanciers qui l'ont
00:47magnifiquement transposé en littérature ?
00:49Sans doute parce que les philosophes aiment bien les problèmes et la relation maternelle
00:53c'est un problème qui n'est pas soluble.
00:56Pourquoi ? Parce qu'en fait les identités des individus humains se développent en contact
01:01avec d'autres et particulièrement avec sa maman, en fait on grandit en confondant un
01:06petit peu ce qui est à elle et ce qui est à moi.
01:09Chez les bébés c'est très fort mais en fait ça va rester pendant toute la vie, c'est-à-dire
01:13qu'à chaque fois qu'on revoit sa mère, la question qu'on se pose c'est toujours
01:16qui sommes-nous l'une pour l'autre ?
01:18C'est ça, c'est-à-dire que c'est ça qui est extrêmement difficile à comprendre
01:23ou qui est étonnant ou qui est alors extrêmement douloureux, c'est qu'avec nos mères nous
01:27avons communiqué avant le stade du langage, avant de parler et nous communiquions parfaitement.
01:33Voilà, en fait quand la mère est la génitrice de l'enfant, c'est pas toujours le cas,
01:37mais quand elle l'a porté, ils ont été dans une union qui était matérielle, physique
01:41et finalement le fait que l'enfant apprenne à parler est une manière d'essayer de retrouver
01:47cette union perdue et finalement cette langue maternelle c'est celle que nous ne parlerons
01:52en réalité jamais.
01:53Jamais, pourquoi ?
01:54Parce qu'en fait c'est impossible de rentrer dans une identité qui n'est pas la nôtre,
01:59dans un individu qui est différent de nous et il va donc falloir accepter de trouver
02:04la distance et finalement on parle toujours du lien et de la valeur des liens mais en
02:08fait la maternité nous apprend aussi la valeur des distances, c'est à nous de trouver,
02:12de négocier ensemble la distance et ce livre il est destiné à aider à la fois à dépersonnaliser
02:17notre rapport aux mères et à trouver la juste distance qui va nous permettre de nous parler
02:21enfin.
02:22C'est bien parce que nous sommes deux individus singuliers et distincts qu'il y a friture,
02:26tension, opposition, conflit, c'est donc une bonne nouvelle.
02:29C'est aussi pour ça que ça ne sert à rien de chercher la paix absolument, puisqu'en
02:33fait on ne sera jamais en paix avec sa mère.
02:35Chercher la paix absolument, c'est-à-dire que c'est un ouvrage exigeant, parler avec
02:39sa mère, c'est un ouvrage exigeant, il y a aussi des chapitres délicieux, rendre
02:45visite à sa mère, l'exercice diplomatique, le travail sur la paix universelle, voilà,
02:51mais quand on vous lit, Maxime Revert, et qu'on est soi-même une mère, on se sent
02:55parfois dépossédé.
02:57Il y aurait donc plein de personnes qui entourent nos enfants et qui entoureront dans la vie
03:03nos enfants, qui rempliront à leurs égards des fonctions maternelles.
03:08Oui, d'une certaine manière, ça permet aussi d'alléger la responsabilité qu'on
03:12fait massivement peser sur les mamans, c'est-à-dire qu'on attend que la génitrice soit aussi
03:17une éducatrice, qu'elle soit aussi un soutien affectif, qu'elle soit aussi…
03:20Et en fait, on voit toutes les fonctions maternelles qui s'accumulent sur une seule personne,
03:24alors qu'en réalité, elles sont, de toute façon, réparties entre plusieurs.
03:29Donc, le sentiment d'extrême responsabilité qu'ont les jeunes mères aujourd'hui finit
03:33par être étouffant et contre-productif.
03:34Elles sont réparties entre les pères, les frères, les tantes, les grands-parents, les
03:38amis, les rencontres.
03:39C'est ce qui soulage, parce qu'au fond, ceux qui ont eu des mères difficiles ou qui
03:43continuent d'avoir des difficultés avec leur mère, eh bien, découvriront en lisant
03:46le livre que la mère, c'est beaucoup plus grand qu'un seul individu, celle que j'appelle
03:50la petite-maman, peut être problématique, mais le rapport à la mère, en fait, on
03:55le développe avec beaucoup d'autres choses, y compris avec des entités non-humaines,
03:58avec l'air, avec l'eau, avec l'océan.
04:01Avec les animaux domestiques, avec les lieux qu'on aime, et que toute sa vie adulte,
04:06on va raviver des fonctions maternelles et on va les rechercher ailleurs.
04:11Aucune mère ne donne la vie.
04:13D'ailleurs, cette expression est absurde.
04:15« Donner la vie », Maxime Robert.
04:17Oui, parce qu'en fait, la vie, ça ne se passe pas comme on passe un plat.
04:20La vie, c'est un processus très complexe de métabolisme qui nous inclut dans un milieu
04:26et donc, la vie, ça ne se reçoit pas non plus, la vie, en fait, ça se développe et
04:30elle se développe à partir d'interactions très complexes et donc, nous ne sommes pas
04:36aujourd'hui redevables à deux personnes seulement qui nous auraient donné la vie,
04:41nous sommes redevables à tout un milieu qui nous permet sans cesse de renouveler cette
04:45vie tant qu'on est vivant.
04:46Nous ne sommes donc pas en dettes.
04:48Nous ne sommes donc pas en dettes, c'est-à-dire que…
04:50Envers nos mères.
04:51Cette impression de dette, elle vient d'une culpabilisation et cette culpabilisation,
04:55on peut lutter contre, c'est-à-dire on peut s'en défaire, on peut comprendre que
04:59si on a des remords de s'être mal comporté, ça n'a rien à voir avec l'idée qu'on
05:03aurait une dette insurmontable.
05:05Au contraire, on peut apprendre justement à solder les comptes et à revenir à, d'une
05:10certaine manière, régénérer ce que j'appelle la qualité de présence maternelle, non pas
05:15en allant toujours la chercher ailleurs, mais en la manifestant également en soi.
05:20C'est un livre très politique, non ?
05:23C'est une idée, disons, plus profonde de la politique et même de l'écologie, c'est-à-dire
05:28elle part du principe que ce qui est immense est aussi intime.
05:32Donc, notre rapport à notre mère, notre petite-maman, en fait, engage aussi notre rapport
05:39à ce que c'est que les fonctions maternelles telles qu'elles se définissent dans des
05:43grands ensembles, dans des forêts, dans des littoraux.
05:46Soit, mais qu'on soit de culture, et je dis bien de culture au sens large, je ne parle
05:51pas de confession juive, chrétienne, musulmane, on prend cher.
05:55C'est-à-dire que ce n'est absolument pas la famille telle que nos sociétés judéo-chrétiennes
06:00les dépeignent et les perpétuent.
06:03Oui, disons, de ce point de vue, c'est une sorte de proposition de réforme intime et
06:08sociale, c'est-à-dire penser la famille autrement.
06:10Plus comme un arbre généalogique, mais plutôt comme un ensemble d'intimité qui s'est
06:15élaboré progressivement et qui a toujours encore besoin d'être régénéré justement
06:19par cette qualité de présence.
06:20Et ce qui est intéressant, c'est que c'est un livre très politique, mais qui est très
06:23loin des débats actuels.
06:25C'est-à-dire qu'il n'est pas question, là, du genre, il n'est pas question de
06:28débat sur l'homoparentalité.
06:29Et pourtant, la famille est entièrement repensée.
06:33C'est ce qui est beau et qui soulage quand on fait de la philosophie.
06:36C'est-à-dire qu'elle permet de prendre plusieurs pas de recul pour regarder les choses
06:42différemment.
06:43Et du coup, pour ceux qui ont des mères difficiles, mais comme pour ceux qui ont un rapport très
06:48amoureux, très affectif, très intense avec leur mère, dans tous les cas, prendre du
06:53recul, réouvrir le panorama, c'est ça que permet la philosophie et réellement ça change
06:57la vie.
06:58Ce n'est pas du développement personnel, c'est de la philosophie.
07:02Le fait de vouloir faire sentir à tout prix à nos enfants que nous sommes leur mère,
07:07que leurs succès sont les nôtres, que nos sacrifices leur coûtent et leur coûteront
07:12toujours, c'est une déformation sociale, dites-vous.
07:16C'est parce qu'on a privé les femmes d'autres formes d'accomplissement.
07:19En fait, derrière une mère casse-pied, il y a toujours une femme à qui l'on casse
07:23les pieds.
07:24C'est-à-dire qu'il faut bien penser que ce n'est pas dans l'axe de la relation maternelle
07:29que se passent les abus de pouvoir.
07:32Il y a une relation de pouvoir entre la mère et l'enfant qui est de l'ordre de la protection,
07:35logiquement, et puis qui prend des proportions incontrôlables lorsque d'autres pouvoirs
07:40s'invitent et font pression sur eux.
07:42Donc, à nouveau, c'est là où il faut réouvrir un peu l'horizon, le panorama qu'on considère,
07:48et là on s'apercevra qu'il devient possible de pardonner, par exemple, à sa mère, parce
07:52que finalement les défauts d'une mère indiquent les points de départ à partir desquels un
07:57individu va devoir et pouvoir se développer.
08:00Où vont les mères quand elles meurent ?
08:01C'est le titre d'un des chapitres du livre, parce qu'au fond, on pense toujours à la
08:08question de la mère dans un rapport au petit-enfant, mais nos mères vieillissent et il va falloir
08:13les accompagner vers le grand saut, le grand départ, la grande séparation.
08:18Et où vont les mères quand elles meurent, en fait, posent la question de savoir quel
08:22est le monument adéquat, c'est une question que Roland Barthes a posée en perdant sa
08:26maman.
08:27Et ce qui est beau, c'est de découvrir qu'au fond, le seul monument aux morts qui vaille,
08:32c'est le corps des vivants.
08:33Et que manifester la présence de sa mère, telle qu'on a reçue, je dirais, de l'amour,
08:40etc., c'est de nouveau être capable de l'incarner et de le redonner autour de soi.
08:44Maxime Rovert, Parler avec sa mère, parait chez Flammarion, petit livre très érudit,
08:50je vous l'ai dit, c'est notre quart d'heure de philo ce matin, mais très accessible et
08:55chacun y piochera ! Voilà, cette question universelle, « Parler avec sa mère ».

Recommandations