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  • 12/03/2025
Le comédien Bertrand de Roffignac incarne Peer Gynt dans la mise en scène d'Olivier Py, actuellement au théâtre du Châtelet. Il est ce matin l'invité de Mathilde Serrell.

Retrouvez « Nouvelles têtes » présenté par Mathilde Serrell sur France Inter et sur : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/nouvelles-tetes

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Transcription
00:00Place aux nouvelles têtes, Mathilde, ce matin, votre invité vient d'avoir 30 ans et il s'est lancé dans la périlleuse aventure d'être soi-même.
00:09Le comédien, auteur et metteur en scène Bertrand de Rofignac est dans notre studio.
00:15« In the hall of the magic king ! »
00:24Bonjour Bertrand de Rofignac, qu'est-ce qu'on écoute ?
00:28On écoute un extrait de Per Guntz mais en version rock'n'roll.
00:31Ah c'est version western qu'on vous a choisi.
00:34Alors vous dites Per Guntz ou Per Gintz ? Ca dépend sur scène.
00:37Ca dépend les fois, nous on a choisi de dire Per Guntz, moi personnellement je préfère Per Guntz mais le choix du metteur en scène a été autre.
00:44D'accord, alors on vous a choisi cette version un peu western de l'Ontre du roi de la montagne, c'est un désert célèbre composé par Edvard Krig
00:51pour cette pièce du norvégien Henrik Ibsen qui date de la fin du 19e, Per Gintz ou Per Guntz si vous voulez.
00:58Et vous y êtes donc, Per Gintz, ce personnage qui veut être lui-même, rien que ça, c'est le plus grand suspense de l'existence ?
01:05Oui, on pourrait dire ça, en tout cas c'est peut-être la quête après laquelle on court en permanence.
01:10En tout cas, lui il va s'essayer à mille vies et il va lamentablement échouer dans toutes ses tentatives de vivre et d'être soi-même.
01:17« Sois toi-même » c'est la devise de Per Gintz, la devise impossible.
01:20Oui, impossible, mais je pense que tous, pour nous c'est impossible, on cherche en permanence qui on est, on aimerait se définir.
01:26En même temps, dans cette recherche d'identité, on finit par se perdre, parfois.
01:29Et c'est peut-être aussi le sens et l'art du comédien de chercher en permanence une identité, un endroit où on pourrait être nous-mêmes.
01:35En tout cas, moi c'est pour ça que j'ai fait ce métier, c'est pour échapper à une définition de moi-même et ce faisant peut-être me rapprocher de l'autre, du grand autre.
01:41Quelque chose qui ne serait pas le petit moi vers lequel on est en permanence ramené aujourd'hui, très souvent.
01:45Chercher le grand autre plutôt que le petit moi, être différent plutôt que de crever physiquement ou spirituellement comme tous les autres autour de lui.
01:52Il est prêt à tout pour devenir lui-même et vous aussi sur scène.
01:55On dit parfois que ce rôle, ce rôle culte chez les comédiens, il pousse à la folie, que certains ont frôlé l'HP en en sortant.
02:01Comment vous vous sentez, vous ?
02:03Basillant, basillant cette question-là, oui, mais ensuite c'est souvent des rôles vers lesquels moi je suis attiré.
02:09C'est vrai que j'ai pu jouer Voice X, j'ai pu jouer Desbouts d'Hamlet, j'ai pu jouer L'Arlequin aussi avec Olivier qui m'avait, dans ma jeunesse exaltée, qui m'avait poussé aussi sur des retranchements physiques et mentaux.
02:20C'est des rôles que j'apprécie, je trouve qu'on fait un métier qui est finalement, dans l'amitié artistique, peut-être le plus dangereux et le plus extrême qu'il soit.
02:25Donc si on ne cherche pas ce type de rôle...
02:27Il faut chercher la corne de Thoreau, sinon ?
02:29Oui, bien sûr, chez les cornes de Thoreau, il faut chercher le déséquilibre, il faut chercher à vaciller.
02:33Sinon le public n'est pas avec nous, ou il l'est moins.
02:35Vous disiez Olivier, c'est Olivier Pic qui signe cette adaptation, opéra chanté-parlé de près de 4h, pieds aux planches, on pourrait dire, c'est vraiment à fond, vous y êtes phénoménal, de fougue, d'extravagance, vous faites l'amour à tout ce qui bouge, des femmes trolls aux planchers de la Seine aussi.
02:50Oui, bien sûr, je les écharbe, vous savez, encore.
02:52Vous faites l'amour à la Seine.
02:54Mais voilà, mais qu'est-ce que vous...
02:58C'est agréable ?
02:59Bien sûr, bien sûr, bien sûr, mais parfois la douleur c'est un peu agréable.
03:01Le Me Too des planches arrive.
03:03Qu'est-ce que vous vous ressentez ?
03:05Je pense qu'il y a des planches qui n'ont pas consenti.
03:07Elles étaient parfaitement consentantes.
03:09Déjà, c'est elles qui m'ont pénétré.
03:11C'est elles qui m'ont pénétré, c'est pas moi qui les ai pénétrés.
03:13Je les écharbe encore dans le cœur, vous savez, à cause de ce spectacle.
03:15La justice, c'est son travail.
03:17C'est la lessiveuse.
03:19Moi, je vous voyais sur scène, je me disais, comment est-ce qu'il va faire demain ?
03:21Et pour toutes les autres représentations.
03:23On touche à un point sensible, je l'ai vu avec le personnage de Perkin, c'est le réenchantement du monde.
03:27À votre enfance, vous dites que vous étiez pétri d'imagination et de nécessité de trouver autre chose que ce qu'on vous proposait dans l'espace présent.
03:35Oui, je trouvais que le monde était affreusement normatif.
03:37Qu'il s'agissait de le réenchanter.
03:39Mais si je n'étais pas en mesure de le réenchanter, dans ce cas-là,
03:41j'allais crever, peut-être pas physiquement, mais au moins spirituellement.
03:43Et en ça, je me suis reconnu dans le rôle de Père Guntz.
03:45S'il n'y avait pas eu le théâtre dans ma vie,
03:47j'aurais sûrement sombré comme Père Guntz dans une mythomanie aggravée.
03:51Et puis ensuite, une schizophrénie peut-être.
03:53Mais c'est vrai que ça m'a particulièrement touché.
03:56Je pense que s'il n'y avait pas eu le théâtre,
03:58s'il n'y avait pas eu une possibilité de manière de réenchanter le monde,
04:00en communquant l'imaginaire de manière forte et incarnée,
04:02ça aurait été pour moi très difficile.
04:06Ce qui est étonnant pourtant, c'est que vous étiez dans un climat d'enfance un peu bigger than life, plus grand que la vie,
04:12avec une maman qui était attachée de presse des VRP.
04:14C'est pas le lotiède.
04:16Elle était manageuse.
04:18C'est du rock punk.
04:20Vous avez vécu dans la bohème.
04:22Vous avez vécu dans ce milieu justement
04:24qui va chercher les limites, qui va chercher la marge.
04:26Et c'était pas assez.
04:28C'était un jour sur deux.
04:30J'étais à l'école de la République 8h par jour.
04:32Donc ces 8h là, c'était compliqué.
04:34C'est l'école.
04:36C'est la vie quotidienne.
04:38Il vous en fait un mec qui vous étouffait.
04:40Oui, qui m'étouffait.
04:42Et puis c'était la société en elle-même que je trouvais normative.
04:44C'était pas quand j'étais avec ma mère,
04:46c'était pas quand j'étais avec les VRP,
04:48avec l'Amano Negra,
04:50avec l'Ariketanu,
04:53On peut écrire de la musique aussi.
04:55Et votre modèle, c'est ça, on l'écoute.
05:22Alain Bachung, tel extrait de l'album
05:24L'imprudence
05:26À l'avenir, laisse venir.
05:28Est-ce que vous auriez voulu écrire ?
05:30Oui, peut-être.
05:32J'étais très fan de Bachung quand j'avais 14-15 ans.
05:34Je pense que je l'imitais en écrivant des chansons.
05:36Et puis j'ai eu la chance de le voir deux fois sur scène
05:38avant sa mort.
05:40Donc ça m'a évidemment bouleversé.
05:42Je me souviens de ses mains.
05:44A la fin de sa vie,
05:46je pense que vous l'avez sûrement vu sur scène,
05:48il pouvait plus beaucoup bouger.
05:50Donc il était assis sur un tabouret.
05:52Mais du coup, il jouait tout avec ses mains.
05:54Et ses mains avaient une espèce de magnétisme.
05:56Je ne sais pas comment le décrire.
05:58C'était extraordinaire.
06:00Je me souviens quasiment que de ça.
06:02Et je me suis dit, j'aimerais avoir les mêmes mains.
06:04Et les mêmes mots aussi.
06:06Vous aviez envie d'être rockstar un jour sur deux.
06:08C'est un peu dur, tous les jours.
06:10Je voyais aussi les amis de ma mère.
06:12Et je me disais, être en tourbus 300 jours par an,
06:14c'était quand même un petit peu compliqué.
06:16En même temps, c'est le don de soi.
06:18Le tourbus, à la fin,
06:20on a les chaussettes qui puent.
06:22On peut avoir un plein d'eau, un peu assez légèrement.
06:24La troupe de théâtre, le déclencheur,
06:26ça a été chez Mnouchkine. Vous avez tout fait.
06:28Vous avez nettoyé les toilettes,
06:30pour vous approcher de cette troupe.
06:32Oui, mais parce que la vie de troupe,
06:34ça fait que comédien, ce n'est pas seulement un métier.
06:36Ça devient un mode de vie.
06:38C'est ça qui m'a plu aussi.
06:40Je n'étais pas là pour faire un métier.
06:42J'étais là pour vivre pleinement l'expérience théâtrale,
06:44qui est dangereuse, qui est extrême,
06:46D'ailleurs, à fond, vous l'avez été sur scène pendant 11 heures.
06:48Vous parliez d'Olivier Py.
06:50Ça a été une rencontre aussi très importante,
06:52comme Mnouchkine, dans votre vie.
06:54Vous avez accouché de vous-même.
06:56Vous dites en tant qu'artiste dans cette pièce
06:58« Arlequin, ma jeunesse », qui dure 11 heures.
07:00Donc, à côté, Perguine, ses petits joueurs.
07:02C'est sans doute un des plus beaux poèmes
07:04qu'on m'ait jamais écrit.
07:06C'est un cadeau extraordinaire qu'a fait Olivier.
07:08Effectivement, je pense que ça m'a défini en tant qu'comédien.
07:10C'était une pièce qui me collait parfaitement à la peau,
07:12qu'il avait écrite pour moi, sur mesure.
07:14C'était un dépassement de soi total.
07:16Après ça, j'ai été, enfin, pour un mois,
07:18libéré de mon égo.
07:20Juste pour un mois ?
07:22Vous en rêvez encore ?
07:24Vous l'avez dit dans le questionnaire
07:26qu'on donne aux invités avant l'émission.
07:28Vous avez peur de ne plus réussir à la jouer ?
07:30Je peux me lever en sursaut en me disant
07:32que je dois la jouer le lendemain
07:34et que j'ai les 11 heures à réapprendre,
07:36physiquement et mentalement.
07:38Bertrand de Rofignac, vous êtes extraordinaire
07:40dans « Perguine » ou « Pergunthe ».
07:42Nous sommes en ce moment à Paris pour encore quelques représentations.
07:44J'espère bientôt en tournée.
07:46Bonne route à vous.

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