Elle a été journaliste, puis avocate, et s’essaye maintenant au roman ! En publiant son premier, « Les bons sentiments » chez Liana Levi, une nouvelle vie de romancière s'ouvre devant elle ! Karine Sulpice est ce matin l'invitée de Mathilde Serrell.
Retrouvez « Nouvelles têtes » présenté par Mathilde Serrell sur France Inter et sur : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/nouvelles-tetes
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00:00Place aux nouvelles têtes, Mathilde Serrell, ce matin, on peut t'inviter à 47 ans et
00:04une nouvelle vie de romancière devant elle.
00:07Karine Sulpis est dans notre studio.
00:10Bonjour Karine Sulpis, on commence par une sonnerie de téléphone puisque votre premier
00:19roman « Les bons sentiments » chez Liana Lévy se passe principalement au téléphone.
00:23C'est la conversation entre Julien Dijus qui a pris trois de ses collègues en otage
00:28à la permanence de l'association où il travaille, le soir de Noël, et la commandant
00:32Morane Lequeuvre qui doit négocier la libération des prisonniers.
00:35C'est haletant, c'est d'une finesse implacable parce que, la grande question pour
00:39les lecteurs, c'est pas tant l'issue de la prise d'otage, ça tient dans le ventre
00:42cette question, mais c'est plutôt comment est-ce qu'on est arrivé à ce chaos ? Comment
00:45un individu se retrouve à faire ça ? C'est la question qui vous a animé au départ ?
00:50Exactement, c'est la question qui m'a animé, essayer de comprendre comment quelqu'un
00:54de bien finalement, un bon garçon comme on dit, peut tout à coup se retrouver à
01:00prendre trois otages et découvrir au fil du texte que les choses sont peut-être sans
01:06doute plus compliquées que ce qu'on pensait au départ et que tout ça va tourner autour
01:11d'une question de relation professionnelle.
01:16En fait, c'était vraiment mon idée de départ, d'essayer de faire toucher du doigt
01:21ce qu'un collectif de travail peut amener comme violence interpersonnelle, mais de façon
01:30insidieuse, petit à petit, dans des petites choses du quotidien.
01:33Ça tient à quoi ? Ça tient à un regard, un collègue qui vous fait la gueule, à la
01:38machine à café.
01:39C'est ça.
01:40Ça tient à des ambiances de déjeuner qui ont changé.
01:42Ça tient aussi à la structure, on est dans une association, donc on est censé se dévouer
01:48pour l'association, on est dans la bienveillance absolue et finalement il y a une sorte d'excès
01:53de générosité qui emmène le personnage trop loin.
01:57Ça peut sembler paradoxal, c'est quelque chose qui m'a été inspiré par une de mes
02:02anciennes carrières, puisque j'ai eu plusieurs vies dans ma vie et j'ai été notamment
02:09avocate, avocate en droit du travail et j'ai traité pas mal de dossiers de conflits du
02:17travail, que ce soit des licenciements, que ce soit des cas de harcèlement, etc.
02:19Et je me suis toujours fait la réflexion que lorsqu'on était dans un collectif, dans
02:23une association, dans le milieu associatif, dans le milieu caritatif, les conflits du
02:29travail prenaient des proportions assez dantesques et on avait des gens qui étaient touchés.
02:37Évidemment ça touche partout, je veux dire un licenciement, quand vous êtes dans une
02:41entreprise classique, c'est quelque chose de dur à vivre et c'est dévastateur.
02:44Mais dans le milieu associatif, j'ai toujours ressenti qu'il y avait quelque chose en
02:48plus.
02:49Et ça, je pense que ça tient, ça a l'air d'un paradoxe, ça ne l'est pas, ça tient
02:52évidemment à tout le cœur que vous mettez quand vous êtes salarié dans le travail
02:59associatif.
03:00Et aussi tout ce qu'on vous met en surcharge parce que vous êtes dans le pré-associatif.
03:03Parce que c'est l'associatif et que si c'est l'associatif, il faut y aller, c'est pas juste
03:07un travail.
03:08On vous paye votre formation pour devenir psy, mais on ne vous paye pas plus.
03:09On ne va pas vous payer plus parce que peut-être devriez-vous remercier aussi l'association
03:15de vous donner l'occasion de vous dévouer encore plus pour la cause.
03:19Donc oui, ces contradictions, cet éraillement permanent entre à la fois on travaille, c'est
03:27un travail, avec l'envie aussi d'une reconnaissance et la reconnaissance ça passe juste par une
03:32tape dans le dos, même si la tape dans le dos elle est sympathique, mais ça passe aussi
03:36par le fait d'être reconnu sur le plan professionnel, d'être reconnu dans son salaire, dans sa
03:42progression salariale, etc.
03:44Et puis voilà, c'est toutes ces petites choses qui ne sont pas du tout des petites
03:49choses en fait et qui peuvent mener à des situations de stress et de conflits du travail
03:55assez spectaculaires.
03:56Et là en l'occurrence, le personnage de Jules, il a dit oui un peu trop vite par réflexe
04:00dans une réunion sur qui fait la permanence de Noël, la fameuse permanence de Noël.
04:05Il y a un oui qui lui échappe alors qu'il voulait être un homme nouveau, passer Noël
04:08en famille, se remettre à faire du sport, il avait tout un tas de projets.
04:11Il dit un oui de clébard, dit-il.
04:15J'aimerais qu'on entende la langue de votre livre, et donc le voilà dans cette situation
04:20de prise d'otage.
04:21On vous écoute Karine Sulpice dans un passage de ce livre, donc « Les bons sentiments ».
04:25D'accord.
04:26Une streetdance déchire le silence, les tripes se contractent et se nouent dans les ventres
04:31durcies d'angoisse.
04:32Il faut une fraction de seconde à tout le monde pour se remettre de ce qui n'est que
04:36la sonnerie du téléphone.
04:37« Montez des notes aigrelettes vers les aigus, stop ». « Montez des notes aigrelettes vers
04:42les aigus, stop ». La mélodie a déjà retenti à plusieurs reprises, depuis qu'ils sont
04:47bloqués dans la salle de réunion.
04:49Elle leur est familière, l'était déjà avant, mais impossible de se maîtriser lorsqu'elle
04:54percute une énième fois leur terreur.
04:56C'est drôle comme un contexte peut modifier votre perception.
05:00Avant, dans un avant-passé lointain, l'histoire de quelques heures à peine, l'arriète
05:05aux inflexions rétros semblait parfaitement à sa place.
05:07Choix cohérent pour une sonnerie de portable de la part de ce grand garçon délié aux
05:12contacts faciles, à la retenue désuète et charmante.
05:15Elle lui allait bien, cette sonnerie, un brin vieillotte, nostalgique d'un temps qui n'était
05:19pas le sien.
05:20Elle ne vous faisait pas sursauter, ça, non.
05:23Vous dessinez plutôt un sourire, quelque chose de joyeux, une légèreté.
05:27Il suffit de peu, finalement, à peine en flingue, entre les mains du grand garçon
05:30charmant.
05:31Et elle ne vous raconte plus la même chose, ces notes minuscules.
05:34Il ne vous susurre plus rien de sympathique, ce petit air.
05:38Et on ne lâche pas votre livre, Karine Schultz, parce qu'on veut savoir comment le jeune
05:43homme, le grand garçon, à la sonnerie de téléphone portable, un peu désuète, en
05:48est arrivé là.
05:49Vous avez enchevêtré ça avec un autre récit, qui vient peut-être de votre autre vie.
05:53Vous avez été aussi avocate pour le droit des familles.
05:57Et on a en même temps l'histoire de cette petite fille qui s'appelle Léla, de sa maman
06:02qui s'appelle Jessica.
06:03Elles viennent souvent à la permanence.
06:05Jessica a du mal à s'occuper de sa petite Léla.
06:08Et vous allez en fait créer un suspense, un autre suspense qui arrive.
06:13On se demande si cette femme à qui on a accepté de reconfier son enfant, on a bien fait de
06:18le faire.
06:19Ça, c'est un cas que vous avez vécu en tant qu'avocate.
06:22Alors, pas ce cas-là, évidemment.
06:25Moi, ce que j'aime dans la littérature, c'est la littérature qui raconte les histoires.
06:28Donc, évidemment, j'ai créé totalement mes personnages, mais créé évidemment à
06:32partir de choses que j'ai pu voir.
06:34Effectivement, j'ai travaillé également en tant qu'avocate en assistance éducative,
06:39auprès de parents qui étaient convoqués pour des mesures d'assistance devant les
06:47juges des enfants.
06:48Et donc, effectivement, ce personnage de Jessica et sa petite fille Léla, ce sont des personnages
06:55créés à partir de choses que j'ai pu constater.
06:58Et cette jeune femme qui est une jeune maman célibataire, qui comme Julien a des bons
07:06sentiments et veut bien faire, mais en même temps, elle n'a pas forcément eu les bonnes
07:09cartes au départ.
07:10On peut même dire qu'elle a eu des très mauvaises cartes au départ.
07:13Et elle essaie de se dépatouiller avec le peu qu'elle a reçu au départ.
07:18Mais ce n'est pas forcément évident.
07:19Et effectivement, il y a un suspense là-dessus aussi, à savoir, est-ce que ça va bien se
07:25terminer ?
07:26Est-ce que ça va bien se terminer entre cette petite fille et sa maman ?
07:28En fait, vous leur pardonnez à tous ces personnages et le lecteur avec.
07:32Vous êtes romancière, donc maintenant, il y a de moins en moins de monde autour de vous.
07:36Le collectif, finalement, ça vous pesait ? Vous aviez eu d'abord le trail de journaliste
07:40dans une rédaction, le cabinet d'avocat, et maintenant vous êtes seule dans votre
07:43bureau.
07:44On est mieux tout seule ?
07:45Je ne sais pas si on est mieux tout seule, mais moi, sans doute que oui.
07:50Alors, ce n'est pas un rejet, je rassure tout le monde, ce n'est pas un rejet du collectif
07:56total, mais c'est vrai que sans doute que j'ai un côté un petit peu ours qui fait
08:00que je suis mieux à travailler toute seule dans mon bureau.
08:03Cela dit, le but de la littérature, c'est quand même de partager.
08:06Et je vous conseille ce livre que vous ne lâcherez pas dès que vous aurez lu la première
08:11page.
08:12Bon sentiment, ça sort demain chez Léana Lévy, Karine Sulpice, bonne route.