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Au début des années 2000, la journaliste du Monde Florence Beaugé publie une enquête sur les sévices subis par une combattante algérienne pendant la guerre d'Algérie. C'est le début d'un travail qui va la mener jusqu’aux aveux du plus haut sommet de la hiérarchie militaire.

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Transcription
00:00En disant ça, le journaliste Jean-Michel Apathy a lancé une énorme polémique.
00:04Vous savez, chaque année en France, on commémore ce qui s'est passé au Radour-sur-Glane.
00:09C'est-à-dire le massacre de tout un village.
00:12Mais on en a fait des centaines nous en Algérie. Est-ce qu'on en a conscience ?
00:16Quand il parle d'Auradour-sur-Glane, il évoque des événements de juin 1944.
00:20Dans la petite ville du Limousin, une unité de soldats allemands a massacré 642 hommes, femmes et enfants.
00:26Ses propos ont relancé le débat sur les massacres et les exactions commises par la France
00:30pendant la colonisation de l'Algérie, de 1830 à 1962.
00:35La journaliste Florence Baugé, que vous allez voir dans cette vidéo,
00:37a participé à révéler les tortures de l'armée française en Algérie.
00:41Arrivée au monde en l'an 2000 à 50 ans, après une calaille en radio,
00:45elle a consacré 5 ans de sa vie à ce sujet.
00:47Et ce qu'elle raconte, c'est les rebondissements d'une affaire
00:49qui l'a fait remonter jusqu'à la plus haute hiérarchie militaire française.
00:52On a trouvé son témoignage tellement intéressant et instructif
00:55sur une période de l'histoire très mal connue qu'on a décidé d'y consacrer deux vidéos.
01:00Dans la deuxième partie, elle racontera les horreurs commises par un jeune député en 1957,
01:04Jean-Marie Le Pen.
01:09Le point de départ, c'est que quand je vais en Algérie pour la première fois,
01:13ce n'était pas la première fois, mais la première fois pour le monde,
01:15j'ai été frappée de ce que tout le temps le passé et le présent se mélangeaient.
01:20On me parlait tout le temps de la guerre d'Algérie,
01:23je ne savais jamais si on me parlait de la guerre de la décennie noire
01:26qui venait de se produire, la guerre civile des années 90 ou de la guerre d'indépendance.
01:31Et en fait, c'était pratiquement toujours de la guerre d'indépendance
01:33qui avait tellement marqué les esprits que personne ne s'en était relevé.
01:37Et j'avais au fond de la tête, de toute façon, une tâche personnelle à accomplir.
01:43Mon beau-père, qui avait été militaire, avait reçu une lettre d'une Algérienne,
01:49une indépendantiste algérienne, qui disait avoir été torturée en 1957
01:54au PC du général Massu, qui était le grand patron de la 10e division parachutiste.
01:59Et elle avait été sauvée de la torture et des viols,
02:02elle ne disait pas le mot viol à ce moment-là, par un certain commandant Richaud.
02:06J'ai été détenue pendant trois mois et on m'a interrogée tous les jours.
02:13On vous a torturée, mon petit.
02:16Qui vous a fait ça ?
02:18Et elle voulait retrouver ce Richaud pour le remercier.
02:21Donc si vous voulez, tous mes premiers séjours en Algérie,
02:23je les ai faits professionnellement pour le monde et de façon privée
02:27pour aider cette femme à retrouver Richaud.
02:29Jusqu'au jour où je lui ai dit je n'arrive pas à retrouver Richaud,
02:32qui doit d'ailleurs être mort, mais si tu veux bien, on va écrire ton histoire
02:36et si le monde l'accepte, ça va faire suffisamment de bruit
02:41pour que tu puisses espérer un écho et retrouver ce Richaud ou ses descendants.
02:46Donc c'est ce qui s'est produit.
02:49Cette histoire a été publiée le 20 juin 2000, à la Une du Monde.
02:53Elle a eu un écho considérable.
02:54Moi-même, je n'étais pas là au journal ce jour-là quand elle a été publiée.
02:57Ce qui fait que je me suis retrouvée au kiosque en voyant l'histoire de Louisette,
03:00puisque le nom de cette femme, c'est Louisette Irilhariz,
03:04qui cherchait le commandant Richaud.
03:06Et elle a eu un impact énorme parce qu'elle passionnait, si vous voulez.
03:11Il y avait l'horreur d'un côté, cette femme qui dénonçait ses tortures et ses viols.
03:15Quand on voit le purin et les excréments, on essaye de les éviter.
03:21Moi, j'étais dedans.
03:23Mais il y avait aussi le côté fraternel en voulant dire merci à son sauveur.
03:30Je crois que c'est ce qui fait que l'histoire a eu tant d'échos.
03:34Je n'avais pas écrit intentionnellement comme ça,
03:36mais il se trouve que c'était le fond de l'histoire.
03:39C'était pas vraiment seulement dénoncer, mais remercier.
03:43Et là, je me suis retrouvée avec un problème majeur,
03:45c'est qu'Edoui Plenel n'a pas cru en mon histoire.
03:48Et elle avait été publiée, finalement, sans son accord.
03:50Il n'était pas là le jour de la publication.
03:53Donc, il n'y avait que le point de vue de Louisette Irilhariz.
03:55Il n'y avait pas la défense de Massu et de Bijart, qui étaient encore vivants à cette époque.
04:02Et il m'a dit que j'avais fait une faute professionnelle.
04:05C'est en quoi je me suis défendue en lui disant,
04:07il y a des rédacteurs en chef, il y a un directeur de la rédaction.
04:11Et je ne pensais pas que l'article serait publié tel quel comme ça.
04:15J'ai essayé de me défendre.
04:16Le ton est devenu assez virulent entre nous,
04:20au point que j'ai donné ma démission du Monde.
04:23J'y étais entrée six mois plus tôt, en janvier 2000.
04:26Et en juin 2000, j'ai donné ma démission à Plenel en lui disant,
04:30bon, puisque tu ne me crois pas, je préfère partir.
04:35Mais je vais retourner en Algérie demain, sous-entendu à mes propres frais.
04:39Et des Louisette et Larrys, donc des histoires de viol,
04:41je te ramènerai par dizaines.
04:44Il m'a répondu, tu vas aller faire une interview de Gérald Massu,
04:48qui est incriminé dans l'article, et une autre de Bizarre, incriminé lui aussi.
04:53Et ce sera ta punition, ce qui a relancé notre affrontement.
04:57Mais j'ai été faire ça, faire une interview de Massu et de Bizarre.
05:01Deux interviews qui sont passées le lendemain.
05:03Ces deux interviews se passent de façon diamétralement opposée.
05:06Je commençais par Massu, qui à ma grande surprise,
05:11d'abord ne m'a pas accablé de reproches comme je pensais qu'il allait le faire.
05:16Et là, à ma grande surprise, il m'a dit, mais vous savez,
05:18ce commandant Richaud que votre ami, ce n'était pas une amie,
05:21mais lui, il la prenait pour une amie, que votre ami recherche, Louisette et Larrys,
05:25c'était un de mes meilleurs amis, c'était le médecin militaire
05:27de la 10e division parachutiste.
05:30Donc c'était Massu qui validait l'histoire de Louisette.
05:34Et comme il en a parlé au passé, je me suis douté tout de suite
05:36que ça voulait dire qu'il était mort.
05:38Et en effet, là encore par Massu, j'ai appris,
05:41et puis Louisette a appris comme ça aussi, que Richaud était mort deux ans plus tôt.
05:46Et Massu, dans la foulée, c'est là où l'interview a eu un impact considérable,
05:51me dit, tout ça c'était au téléphone, me dit,
05:58quand je repense à l'Algérie, cela me désole, on aurait dû faire autrement.
06:03Et il voulait dire, il parlait de la torture.
06:07Quelques minutes plus tard, j'appelle le général Bizarre,
06:10qui lui, à l'opposé, m'insulte, m'injurie, parle de lui à la troisième personne,
06:15vous avez fait du mal à la France, vous vous en prenez à Bizarre
06:19parce que c'est un héros et tout ça.
06:21Il me dit, je vais vous mettre à genoux, je vais faire un procès au monde
06:24et je mettrai votre journal à genoux.
06:26J'ai toujours vécu pour la France, Bizarre, torturant, violent les femmes,
06:31laissez-moi rire, je suis incapable d'écraser un poulet sur la route,
06:33voilà tout ce que j'ai à dire, mais tout ça c'est tellement d'un ridicule,
06:37d'un faux, je me demande qui a pu manipuler cet article 45 ans après.
06:41C'était la première fois depuis l'indépendance
06:45que l'un des acteurs les plus éminents, si vous voulez, de la guerre d'Algérie
06:51et surtout de ce qu'on appelle improprement la bataille d'Alger,
06:53reconnaissait publiquement non seulement l'utilisation de la torture,
06:56mais regrettait son usage.
07:00Donc oui, ça a eu un retentissement considérable.
07:02Les regrets de Massus étaient quand même énormes.
07:04On m'a demandé d'aller très vite, le plus vite possible,
07:07étant donné le mal que faisaient les félaggats dans Alger même,
07:11la campagne de bombes qui tuait beaucoup d'innocents.
07:16Il fallait y aller, à partir du moment où il faut y aller, bon ben.
07:19S'ils ne voulaient pas parler alors qu'on avait toutes les raisons de penser qu'ils étaient coupables,
07:23ce qu'ils voulaient qu'on fasse, on était obligés de les secouer un peu.
07:25Je les regrette évidemment, je regrette qu'ils soient allés à ce point-là.
07:28Ensuite, c'est Edwy Plenel qui m'a conseillé, qui m'a demandé à juste titre
07:33de continuer, de poursuivre ce travail.
07:36Mais il m'a dit, mais en essayant de privilégier les acteurs de la guerre d'Algérie
07:40et non pas les victimes, parce que les victimes, malheureusement,
07:44on en a déjà beaucoup.
07:45Pour valider leur histoire, il faudrait des acteurs.
07:47Et c'est là que je suis arrivée à Haussarès, quelques mois plus tard.
07:53Haussarès, j'ai vu un jour, dans un entrefilage, une petite interview dans le journal du dimanche.
07:58Tout ça dans ce remue-ménage de la suite de l'histoire de Louisette Irilarise.
08:02On l'interrogeait et lui répondait de façon assez cynique.
08:07Il disait que son histoire n'était pas possible du tout, mais il avait l'air tellement cynique
08:13que je me suis dit, finalement, c'est peut-être bien le bonhomme dont j'ai besoin.
08:16Je n'ai pas besoin d'un angélique.
08:18Moi, j'ai besoin de quelqu'un qui a envie de parler, qui a des choses à dire.
08:21Et je prends contact avec lui via le journal du dimanche.
08:25Et c'est lui qui m'appelle un jour au téléphone et on se fixe rendez-vous.
08:29Et à partir de là, il vient deux fois par semaine, pendant à peu près un mois et demi,
08:33prendre un petit déjeuner au Monde avec moi à la cafétéria.
08:37Et là, lui, en fait, il avait envie de me parler de la Deuxième Guerre mondiale.
08:44Il était un des héros de la Deuxième Guerre mondiale.
08:46Il avait sauté derrière les lignes allemandes en parachute et en uniforme allemand.
08:52Il avait été décoré de la Légion d'honneur.
08:54C'était un héros de la Deuxième Guerre mondiale.
08:56Et ensuite, il avait été en Indochine et puis en Algérie.
09:00Petit à petit, j'en apprends de plus en plus.
09:02Je découvre l'ampleur d'un système qui a été mis en place et pas simplement des bavures.
09:07On nous basculait la tête dans la baignoire.
09:12On ne pouvait pas respirer, on était obligés de boire ça.
09:15Et vraiment, c'était la torture la plus féroce.
09:19C'était une torture d'état et qui ne datait pas du tout de 1957, la bataille d'Alger,
09:25ou de 1954, le début du soulèvement.
09:29Ça datait de 1830, les débuts de la colonisation.
09:32La torture était un mode d'interrogatoire dans les PC de gendarmerie et dans les commissariats.
09:39C'était le tableau de la torture.
09:42Ils s'étaient torturés ici, par terre.
09:46Et il y avait aussi une torture spécifique pour les hommes à l'époque,
09:50qui était affreuse psychologiquement et physiologiquement.
09:53C'était la torture de la bouteille, le supplice de la sodomie par la bouteille.
09:57Et le viol des hommes, dont on ne parle jamais, a été très, très fréquent en Algérie
10:03pendant l'occupation française.
10:05Et s'est ajouté le viol des femmes à partir du début de la guerre d'indépendance.
10:11Et ça, ça a été massif aussi.
10:13Et ça reste l'angle mort des historiens.
10:16Je le rappelle souvent, mais on n'a évidemment pas d'archives là-dessus, pas d'archives militaires.
10:21Et l'ouverture des archives ne donnera rien là-dessus.
10:24Les archives privées, oui, parce que dans les journaux de bord des anciens appelés,
10:29j'en ai lu beaucoup de témoignages sur les viols.
10:32Et moi, personnellement, par exemple, je connais une famille
10:36où sur 8 filles, 6 ont été violées et la dernière avait 7 ans.
10:45C'est une guerre qui ne dit pas son nom.
10:47On parle pudiquement d'opération de maintien de l'ordre.
10:49Mais c'est un conflit long, cruel et douloureux qui fera plusieurs centaines de milliers de morts.
10:56Il n'y a pas que des tortures, c'est vraiment des assassinats.
10:59Des exécutions sommaires qu'on appelait à l'époque des corvées de bois avaient eu lieu.
11:03Les crevettes bijards, c'est-à-dire des détenus algériens qu'on jetait dans la mer du haut d'hélicoptère.
11:11Paul Osares, militaire, enlevait les gens et les exécutait après les avoir ou non interrogés et torturés.
11:20Il m'a dit tout ça au fur et à mesure.
11:21Mais si vous voulez, pendant nos petits déjeuners, je dirais que les deux tiers portaient sur ce qu'il aimait,
11:27c'est-à-dire la Deuxième Guerre mondiale et le dernier tiers, c'était sur l'Algérie.
11:30Il se forçait un peu presque pour se montrer aimable vis-à-vis de moi, à m'en parler.
11:34Mais je lui ai demandé un jour s'il avait lui-même exécuté des gens.
11:37Et là, il s'est fermé brutalement et il s'est levé.
11:41Il est parti. Et je me suis dit, bon, j'ai peut-être été un peu trop loin.
11:46Et en fait, il est revenu. Il m'a parlé à nouveau en me disant qu'il avait exécuté 24 personnes de sa main.
11:53Je pense que ce chiffre, à mon avis, ne vaut pas grand-chose.
11:57Je veux dire, il est en deçà de la réalité.
11:59Il était à la tête d'une espèce d'escadron de la mort.
12:02— Général Paul Ossarez, bonsoir. Vous étiez le coordinateur des services de renseignement à Alger en 1957.
12:08Vous avez participé à des actes de torture. — Non.
12:12— Mais vous avez participé à des exécutions sommaires. — Oui.
12:14— Vous avez exécuté combien de gens ?
12:17— Comme je l'ai dit à la journaliste qui m'a interviewé...
12:20— À notre concert du Monde, Florence Beaujolais. — Eh ben, j'en ai exécuté 24.
12:25— Est-ce que, comme le capitaine nous avait entendu tout à l'heure, vous avez des remords ?
12:30— Non. — Pourquoi ?
12:32— Parce que je n'ai procédé à de tels actes que dans le cas d'individus qui étaient reconnus comme ayant participé à des actes de terrorisme.
12:45— Mais pour autant, est-ce l'honneur d'une armée que d'exécuter, que de torturer ?
12:50— Non, non. Non.
12:52— Alors vous devriez en avoir des regrets. Vous devriez vous dire que c'est pas comme ça qu'on mène la guerre.
12:57— Écoutez, nous n'avions pas le choix.
13:03En 2002, il se trouve que Jean-Marie Le Pen est arrivée en bonne place dans la course à l'Élysée.
13:09Et là, Plenel nous a demandé à tous les journalistes du Monde de lui trouver des angles intéressants sur Jean-Marie Le Pen,
13:16tout ce qu'on savait pour traiter le sujet au mieux.
13:20— Sur le terrain, j'ai découvert les méfaits commis, qui étaient assez considérables.
13:26Il avait inauguré ce que j'ai appelé la torture à domicile.

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