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00:00Sur Arabelle.
00:02Et à la une de ce carrefour de l'information, la situation humanitaire au Mali, une crise trop souvent oubliée,
00:11une situation dramatique alors que plus de 6,4 millions de personnes ont besoin d'aide et des centaines de milliers de déplacés
00:18qui ont des difficultés à trouver un refuge.
00:21Médecins du Monde tire la soleil d'alarme.
00:23Mais pour nous en parler, nous avons le plaisir d'avoir avec nous aujourd'hui en plateau Félérico Dessy,
00:27qui est directeur de Médecins du Monde et qui revient d'ailleurs d'une mission au Mali.
00:31Bonjour.
00:32Bonjour.
00:33Merci d'être avec nous sur Arabelle.
00:34Alors d'une manière plus générale, avant de rentrer dans les détails, nous dresser un petit peu la situation actuelle au Mali.
00:41Tout à fait. En fait, le Mali depuis 2012 a été plongé dans une crise sécuritaire et humanitaire.
00:48Comme vous l'avez dit, il y a 6,5 millions de personnes qui ont des besoins humanitaires aigus
00:53et qui demandent l'assistance de la communauté internationale.
00:58Plusieurs zones du pays, notamment au nord et au centre du pays, font face à la présence des groupes armés non étatiques
01:06et aussi de certains groupes criminels.
01:08Il y a des affrontements, il y a des coupures de routes et des violences parfois commises contre les populations civiles.
01:15Ce qui comporte les déplacements, comme vous l'avez dit, il y a autour de 380 000 déplacés internes.
01:22Donc des personnes qui doivent quitter leur maison, leur village,
01:25s'ils se retrouvent soit accueillis par des proches, s'ils ont la chance d'avoir des proches qui peuvent les accueillir,
01:30ou soit dans des campements de fortune avec des tentes aux abords des quartiers des villes principales.
01:36Est-ce qu'on peut avoir plus de détails, disons, pour être plus précis et plus concret,
01:41sur Tombouctou, Kidal, Ménaca ou encore Gao ? Je pense que c'est les principales zones touchées.
01:47Justement, c'est les zones où il y a le plus de violences.
01:50Après, ces dernières années, il y a eu des épisodes violents aussi dans d'autres provinces,
01:55par exemple Ségou, Mopti, donc plus vers le centre du pays, plus proche de la capitale Bamako.
02:02Les déplacés, par contre, c'est des fuyards dans des zones sécurisées.
02:06Il y en a certains dans les villes de Gao, de Tombouctou, de Ménaca, mais aussi beaucoup à Bamako, la capitale.
02:16Nous travaillons, en tant que Médecins du Monde, à Gao et à Ménaca dans le nord, et aussi à Kidal dans le sud.
02:24À Gao et à Ménaca, par exemple, nos équipes font face à beaucoup de contraintes
02:28pour atteindre les villes provinciales et les villages. Il y a des routes qui sont coupées.
02:34Parfois, on arrive à négocier les passages. Parfois, le risque est trop grand et on est obligé de ne pas se rendre sur place.
02:41Parfois, les médicaments n'arrivent pas non plus à être délivrés au centre de santé à cause de l'insécurité.
02:48Comment expliquer, par ailleurs, l'augmentation du nombre de personnes de retour au Mali,
02:54des réfugiés, des déplacés internes, ce mouvement brusque de retour ?
02:59Déjà, il y a des Maliens qui essayent d'atteindre l'Europe, notamment,
03:05mais qui, parfois, sont refoulés, soit aux frontières de l'Algérie ou de la Libye, ou renvoyés.
03:12Ils se retrouvent à nouveau dans leur pays, mais en ayant souvent tout perdu, tout dépensé pour essayer de se traverser.
03:19Il y a d'autres pays d'Afrique du Ouest qui sont dans l'insécurité, dans des crises humanitaires,
03:25notamment les Burkina-Faso, les Niger, et donc, par exemple, il y a des Burkinabés qui fuient vers les Mali,
03:31parce qu'ils trouvent plus de sécurité au Mali par rapport à la zone où ils habitent au Burkina.
03:38Mais parfois, après, s'il y a aussi des épisodes de violence où ils se trouvent au Mali,
03:42ils décident de rentrer chez eux, ou s'ils ne trouvent pas de quoi manger, de quoi travailler,
03:47au bout d'un certain temps, ils sont obligés de rebourser chez eux.
03:50C'est une situation très volatile en fonction des développements politiques et sécuritaires des différents pays de la région, en fait.
03:56Tout à fait, et c'est aussi très fragile.
03:59Les Mali, en fait, ça fait 13 ans qu'ils vivent cette situation.
04:04Donc déjà, l'indice de développement humain, et donc la capacité du pays de progresser à un terme d'indicateur de santé,
04:13d'éducation, économie, etc., stagne depuis 2012.
04:17Il n'y a pas eu vraiment d'avancée.
04:19L'aide humanitaire permet de maintenir en fonction certains services essentiels,
04:25mais qui ne touchent pas toute la population, notamment les systèmes de santé public.
04:30Mais, par exemple, les fortes coupes budgétaires qui ont eu lieu ces derniers temps,
04:35notamment l'aide américaine, mais aussi des certains pays européens,
04:40affectent en profondeur la capacité de l'État de fournir ses services et des citoyens d'avoir accès aux services.
04:47Les pays aussi très fragiles du point de vue climatique.
04:52L'année passée, il y a eu de fortes inondations qui ont causé le déplacement de presque un demi-million de personnes
04:58qui ont perdu leur maison, leur champ, etc.
05:00Cette année, par contre, il y a un risque fort de sécheresse.
05:03C'est un pays qui connaît régulièrement des sécheresses et qui est prône à l'insécurité alimentaire.
05:09Et il y a la violence armée qui continue.
05:11Donc tous ces facteurs impactent chaque année ces chevauches les uns les autres
05:16pour faire en sorte que la crise continue et la population continue à sombrer dans la pauvreté et dans les maisons.
05:24Je voulais revenir sur le terrain. Vous avez évoqué les défis sécuritaires tout à l'heure.
05:29Est-ce que vous prenez des mesures quand vous êtes sur place pour protéger vos équipes
05:33face aux risques de violence ou encore de kidnapping ?
05:37Comment ça se passe ? Parce que c'est compliqué.
05:39Tout à fait. Déjà, nous avons des relations très étroites avec les autorités régionales et communales.
05:48Aussi avec les communautés dans lesquelles on travaille pour avoir accès à l'information,
05:54être alerté à temps s'il y a des incidents, s'il y a des routes coupées.
05:58Nous avons un système d'analyse des différents mouvements qui sont prévus par l'équipe et d'approbation.
06:06Avec plusieurs étapes d'approbation, on peut être sûr que personne ne puisse de sa propre volonté,
06:10sans informer personne, partir et se mettre en danger.
06:13Nous avons aussi des experts de l'action humanitaire et de la sécurité au niveau international,
06:21dans notre siège, aussi au niveau régional pour l'Afrique de l'Ouest,
06:25qui nous aident à analyser, à réduire les risques, qui donnent des conseils s'il y a un incident.
06:29Il y a aussi le guichet unique. Est-ce que vous pouvez nous en parler ?
06:34One Stop Center, en anglais, pour les victimes de violences basées essentiellement sur la guerre.
06:41C'est une approche qui est appuyée par plusieurs organisations dans différentes parties du pays.
06:47Médecins du Monde appuie notamment Agao et Akita.
06:51L'idée, c'est d'avoir un seul centre où les victimes de violences basées sur les genres ou de violences sexuelles
06:58peuvent trouver tous les services dont elles ont besoin.
07:02Souvent c'est des femmes, pas uniquement, mais souvent c'est des femmes.
07:05Il s'agit avant tout d'une prise en charge médicale, physique et psychologique,
07:14un conseil juridique légal pour faire comprendre à la victime quels sont ses droits.
07:21Parfois c'est aussi une aide économique.
07:25C'est aussi l'orientation vers des services de protection ou d'abri pour ces personnes,
07:32même si ces services malheureusement ne sont pas toujours présents dans toutes les provinces du Mali
07:38et nous ne sommes pas en mesure nous-mêmes de les fournir.
07:41Parfois il peut y avoir même un accompagnement vers des activités de généralité de revenus,
07:46notamment s'il s'agit d'une femme qui a fui par exemple un mari violent,
07:51mais qui n'a pas des moyens de subsistance, qui était femme au foyer, mère au foyer,
07:56et du coup elle a besoin de s'investir dans une activité pour pouvoir subvenir à ses besoins,
08:01elle a besoin de ses enfants qui parfois sont venus avec elle.
08:04Alors justement est-ce que vous avez des retours de ces populations
08:07qui bénéficient des services de médecins du monde ? Comment ça se passe ?
08:11Alors moi j'ai pu échanger avec par exemple les leaders communautaires
08:17d'un campement de déplacé interne que j'ai visité dans la ville de Gao.
08:21Il était très content de notre soutien.
08:25En même temps il nous a dit que notre soutien ne couvrait pas tous les besoins de santé de la population,
08:31donc il avait une série de requêtes supplémentaires.
08:34Et nos collègues échangent quotidiennement avec les ayants droit,
08:40les patients qui visitent les centres de santé,
08:43mais aussi avec leurs représentants, les chefs locaux, les maires des communes.
08:49On a rencontré un maire d'une des communes de Gao aussi,
08:53qui nous a aussi remercié pour le travail,
08:56mais qui nous a aussi expliqué les dynamiques et les besoins,
09:00et les fragilités dont je parlais tout à l'heure dans la région.
09:06Donc oui on est à l'écoute et on essaie de faire notre mieux,
09:10après malheureusement comme les financements sont très limités,
09:13ça nous oblige aussi à prioriser.
09:16On n'est pas capable de couvrir tous les besoins.
09:19Justement, comment vous adaptez vos priorités d'intervention
09:22pour répondre aux besoins de base de ces populations ?
09:26On a parlé du sécuritaire, il y a aussi les inondations, la sécheresse,
09:29comment vous organisez ?
09:30Alors bien sûr Médecins du Monde se concentre surtout sur la santé et les besoins de santé.
09:34Nous avons un dialogue très rapproché avec les ministères de la santé
09:40et les directions régionales de la santé dans les régions où nous travaillons.
09:44Et c'est avec eux d'un côté et avec les autres acteurs de santé
09:49qui travaillent dans la même région de l'autre côté qu'on se coordonne
09:52pour définir où l'intervention de Médecins du Monde peut être plus efficace.
09:56Notre travail typiquement consiste à appuyer un certain nombre de centres de santé primaires,
10:02donc des maisons médicales, disons, publiques,
10:05et les centres de santé de référence qui est une sorte de petit hôpital au niveau régional
10:13avec une fourniture de médicaments, avec des incentives pour contribuer à la rémunération du personnel
10:24parce que la rémunération des bases est très basse,
10:27et des formations, du soutien technique, du suivi, de l'achat d'équipements,
10:32parfois des travaux de réhabilitation du bâtiment.
10:37Et tout ça fait en sorte que la population qui a accès à ces centres puisse avoir accès à des soins gratuits.
10:46Surtout pour les services prioritaires pour nous,
10:50qui sont par exemple les services pour les enfants de moins de 5 ans,
10:55les services pour les victimes de violences basées sur les genres sexuels,
11:00tout ce qui a à faire avec la maternité, donc les soins anténataux, postnataux,
11:07la prise en charge de la malnutrition, et ainsi de suite.
11:12Malheureusement nous ne sommes pas capables de fournir cet appui sur l'ensemble des centres de santé de la région,
11:18donc il y a une priorisation des structures selon les nombres d'habitants qui font référence à la santé,
11:26l'accessibilité de la structure, parce que si elle est trop éloignée,
11:29et on ne peut pas acheminer les médicaments, malheureusement on n'est pas en mesure de les aider,
11:33c'est que les autres organisations de santé ou les Nations Unies soutiennent en parallèle.
11:38Et voilà, donc on essaie de maximiser l'impact du peu d'argent qu'on a à disposition.
11:43C'est un peu difficile de se projeter vers l'avenir, mais on va essayer de le faire quand même en vous posant la question suivante,
11:48quelles sont selon vous les perspectives d'évolution justement de cette situation humanitaire qui inquiète au Mali à moyen terme ?
11:56Malheureusement la crise va continuer, nous craignons même qu'elle va probablement empirer,
12:06parce qu'avec ces grosses coupes budgétaires qui sont en train de se mettre en place,
12:10il y aura de moins en moins de financements.
12:13Pour l'aide, ça va provoquer potentiellement plus de déplacements des populations,
12:18parce que si les personnes ne trouvent pas d'aide,
12:21elles vont avoir plus d'intérêt à bouger pour aller la chercher ailleurs,
12:25ou pour aller vers les grandes villes où elles peuvent espérer trouver un travail.
12:29Il peut y avoir aussi un impact sur l'insécurité,
12:34notamment si l'aide alimentaire baisse, ça peut exacerber les tensions entre différentes communautés,
12:42pour l'accès au terrain agricole, au pâturage pour les troupeaux.
12:49S'il aide plutôt à la recherche d'emplois par exemple,
12:55ou à la génération de revenus baisse, ça va augmenter le nombre de personnes au chômage,
13:01et certaines de ces personnes pourraient être récrutées par des groupes armés,
13:05ou avoir tendance à faire recours à la violence pour se faire entendre.
13:11Malheureusement, les perspectives pour les Mali et pour la région du Sahel dans son ensemble,
13:16elles sont assez sombres, et il y a de moins en moins d'attention,
13:20je dirais, de l'Union Européenne, des pays européens ou des Etats-Unis vers cette région,
13:27et de moins en moins de volonté d'essayer de déstabiliser, voire de renverser l'situation,
13:33d'arriver à une résolution des conflits et à une relance du développement humain.
13:40On ne va pas lier tout ça à la politique avec l'arrivée d'un Trump,
13:43mais disons que le curseur a changé au niveau des priorités internationales.
13:48Peut-être avant de nous quitter, une dernière question.
13:51Quel message vous souhaitez adresser à cette communauté internationale divisée
13:56pour attirer l'attention sur l'une des crises humanitaires oubliées, celle du Mali ?
14:01L'histoire nous enseigne qu'à chaque fois qu'on oublie une crise et qu'on la laisse se détériorer,
14:09ça se retourne contre nous, à court, moyen ou long terme.
14:14Nous vivons dans une planète qui est de plus en plus interconnectée.
14:17Nous ne pouvons pas oublier des grands pays et des millions et des millions de personnes
14:23et faire semblant que ça n'existe pas et espérer que tout va se résoudre.
14:28Que ce soit dans 3, 5, 10, 15 ans, ça se retourne contre nous,
14:33que ce soit parce qu'une nouvelle guerre civile éclate,
14:36parce que d'autres pays de la région qui étaient stables se déstabilisent à leur tour.
14:42On sait bien qu'une organisation de médecins soignés coûte beaucoup plus cher que prévenir.
14:49Couper maintenant, c'est payer dix fois plus cher dans quelques années malheureusement.
14:53Voilà, c'était la conclusion de Féléric Odessi.
14:55Je rappelle que vous êtes directeur de Médecins du Monde Belgique qui revient de Mission Mali.
14:59Merci pour tous ces détails.
15:01Merci à vous, au revoir.
15:02On se retrouve dans quelques instants pour la suite de votre Carrefour de l'Info.