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  • 31/03/2025
Selon le cabinet BCG, dans le monde, 10 % des entreprises ont une capacité de résilience. Face au changement climatique, il leur est impératif de s’améliorer sur ce point. Vaut-il mieux pour elles intégrer le risque à leur stratégie, se réinventer ou adopter des modèles de coopétition ? Natacha Tréhan, enseignante-chercheuse à l’Université Grenoble Alpes, nous éclaire.

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Transcription
00:00L'invité de Smart Impact, c'est Natacha Tréant, bonjour.
00:09Bonjour Thomas.
00:10Bienvenue, vous êtes enseignante chercheuse à l'Université Grenoble Alpes, vous avez
00:13publié sur le site The Conversation un article sur la résilience climatique des entreprises.
00:19On va peut-être commencer par le constat, à quel point elles sont directement concernées
00:23par les conséquences du réchauffement climatique.
00:26Je voudrais prendre un exemple vraiment symbolique, c'est celui de Porsche.
00:30Pendant les inondations majeures cet été en Europe, un de ses fournisseurs d'aluminium
00:34a été bloqué.
00:35Résultat pour Porsche, un milliard de pertes potentielles de chiffre d'affaires, mais
00:39surtout une baisse significative de son cours de bourse, parce que les investisseurs ont
00:43considéré que sa chaîne de valeur n'était pas assez résiliente.
00:46Et là on est qu'en Europe, on sait qu'en fait les chaînes de valeur sont mondiales
00:50et fragmentées.
00:51Si on prend simplement les semi-conducteurs, 40% des industries semi-conducteurs sont situées
00:57aujourd'hui dans des zones qui, d'ici 2030, vont être soumises à un stress hydrique
01:00intense.
01:01Et alors là, c'est toutes les supply chains de l'automobile, l'aéronautique, l'électronique
01:05qui vont être concernées.
01:06Donc en fait, au niveau des entreprises, les entreprises ne pourront plus dire que c'est
01:10un cas de force majeure, parce qu'avec le réchauffement climatique, les événements
01:14extrêmes, les événements imprévus, ça va devenir notre nouveau monde normal.
01:18Donc ça veut dire que leurs assurances, mais aussi les investisseurs, disent mais
01:23attendez non, vous ne l'avez pas prévu, c'est votre souci.
01:26Donc dans ce cas-là, et peut-être juste deux chiffres clés, simplement en France,
01:32pas 2100, dans 5 ans, le réchauffement climatique c'est plus 2 degrés et au niveau mondial
01:37c'est plus 1,5 degré.
01:38Donc automatiquement les événements extrêmes et imprévisibles vont se multiplier et là
01:43la résilience est clé.
01:44Ça veut dire que ce sont des entreprises qui doivent intégrer le risque à leur stratégie
01:50ou alors se réinventer, parce qu'il y a les deux aspects.
01:53Qu'est-ce que moi, entreprise, je fais pour limiter le réchauffement, donc est-ce que
01:58je fais parfois, je réinvente mon modèle économique ou alors simplement je continue
02:02de faire ce que je fais depuis des décennies mais je me prépare.
02:06C'est une vraie question.
02:07En fait, quand on regarde depuis la crise Covid, la majorité des entreprises ont travaillé
02:11sur le management des risques.
02:12Mais en fait, ce n'est pas parce que vous managez des risques que vous êtes résilient.
02:15Management des risques et management de la résilience, ce sont deux concepts complémentaires
02:19mais totalement différents.
02:20Le management des risques, c'est le fait de travailler pour diminuer la probabilité
02:25d'apparition d'une menace et diminuer son impact.
02:27Le management de la résilience, c'est face à une crise majeure, un événement imprévu,
02:33c'est comment je fais à un moment donné pour réagir et pour survivre.
02:35Donc en fait, quand on essaie de comprendre qu'est-ce que c'est que la résilience,
02:40c'est trois éléments clés.
02:41Capacité d'absorption d'un choc, capacité d'adaptation après le choc, capacité de
02:46transformation pour devenir robuste, c'est ça ?
02:47Exactement.
02:48C'est les trois éléments.
02:49Vous avez totalement raison.
02:50J'ai lu votre article sur tous les dos.
02:51Et donc sur la capacité d'absorption d'un choc, de quoi on parle ? C'est ce que vous
02:55expliquez avec l'exemple Porsche par exemple ?
02:57Oui, oui.
02:58Et alors peut-être juste quand même dire que les entreprises, elles comprennent.
03:00Il y a une étude qui est sortie de BCG qui est très intéressante.
03:02Au niveau mondial, c'est 10% des entreprises qui ont une capacité de résilience.
03:07Ce n'est pas beaucoup.
03:08Je suis d'accord avec vous.
03:10Maintenant, je réponds à votre question sur la capacité d'absorption d'un choc.
03:14La capacité d'absorption d'un choc, c'est conditionné par deux paramètres.
03:17C'est conditionné par la détection des signaux précoces et par la qualité de l'échange
03:22et l'intensité de l'échange tout au long des chaînes de valeur.
03:24Mais encore faut-il connaître sa chaîne de valeur.
03:26Et ici, c'est le vrai problème.
03:28En fait, la majorité des entreprises, elles connaissent leur fournisseur de rang 1, donc
03:31leur fournisseur direct, mais elles ne connaissent pas les fournisseurs des fournisseurs, les
03:34fournisseurs de rang 2, de rang 3, etc.
03:36Or, toutes les recherches, toutes les recherches académiques, elles montrent que les crises,
03:40elles surviennent majoritairement dans les rangs 2 ou auprès des rangs 3.
03:43Donc, ça veut dire qu'ici, alors peut-être un autre chiffre qui est assez étonnant,
03:48en Europe, c'est 8% des entreprises européennes qui connaissent leur rang 2.
03:53C'est très faible, on est d'accord ? Donc, il y a une vraie problématique par rapport à ça.
03:58À mon sens, une solution, c'est de travailler par filière, entre concurrents, entre clients,
04:03entre fournisseurs, pour essayer de reconstituer des chaînes de valeur, pour essayer de les
04:07cartographier et de les tracer.
04:08Vous parlez de coopétition, c'est ça ?
04:10Exactement.
04:11C'est l'alliance en fait de la coopération et de la compétition.
04:14Et pour moi, un exemple qui est très intéressant, c'est celui de l'industrie cosmétique,
04:18avec des gens comme Chanel, des gens comme Clarins, qui sont bien, on est d'accord,
04:21qui sont bien en concurrence, mais qui vont s'allier ensemble pour reconstituer des chaînes
04:24de valeur à travers un consortium de 15 entreprises, avec des concurrents, des clients, des fournisseurs,
04:30pour retracer, ça s'appelle trace, c'est très intéressant, et c'est pour retracer
04:34l'ensemble de leurs chaînes de valeur, pour reconstituer les différents rangs.
04:37Ça ne veut pas dire qu'ils auront forcément les mêmes fournisseurs ou les mêmes sous-traitants ?
04:42Si.
04:43Majoritairement, en fait, quand vous êtes dans une même filière, et c'est ça l'intérêt,
04:46vous allez partager souvent des fournisseurs, et plus vous allez pouvoir mettre en commun
04:50de l'information, plus vous allez pouvoir essayer de reconstituer les rangs inférieurs
04:53et remonter jusqu'au champ ou jusqu'à la mine, à l'extraction.
04:56Et peut-être même accompagner les dits fournisseurs pour qu'ils soient plus résilients eux aussi.
05:00Vous avez tout compris.
05:01C'est le nerf de la guerre.
05:02C'est le nerf de la guerre.
05:03Quand on parle de capacité d'adaptation après le choc, alors là, c'est assez intéressant
05:08parce que j'imagine qu'il ne faut pas attendre le choc pour s'adapter.
05:11Oui, tout à fait.
05:12Alors ici, la capacité d'adaptation, c'est conditionné par la diversité.
05:16Si je prends une métaphore naturelle, quand vous êtes dans un champ de blé, si vous
05:21voulez que votre champ de blé soit résistant et donc adaptable par rapport à des pathogènes
05:24ou par rapport à une sécheresse, il faut en fait cultiver plusieurs variétés de blé
05:28ensemble.
05:29Dans une chaîne de valeur, c'est exactement la même chose.
05:31Il faut diversifier ses zones d'approvisionnement, il faut diversifier ses fournisseurs, il faut
05:36diversifier ses stockages, ses zones de stockage et automatiquement multiplier les stocks.
05:40Et enfin, idéalement, il faut diversifier ses produits et avoir des produits substitutions.
05:43Vous allez me dire, mais la résilience, ce n'est pas de l'efficience.
05:48Eh oui.
05:49Mais ça veut dire qu'en fait, quand on est sur une logique d'optimisation, l'optimisation
05:54fragilise.
05:55L'hyperspécialisation, l'optimisation fragilise.
05:58Et en particulier quand on est dans un environnement qui est un environnement instable, imprévisible.
06:03D'accord.
06:04Mais alors ça, ça va à l'encontre d'autres objectifs qui ont pourtant potentiellement
06:08un effet de décarbonation qui sont la relocalisation, le circuit court, etc.
06:12Non, justement.
06:13Parce que si vous le dites, il faut disséminer les risques.
06:16Ce n'est pas disséminer les risques.
06:18On va vouloir atténuer les risques, mais regardez sur une chaîne de valeur.
06:21Le but du jeu, c'est plutôt faire du zone pour zone.
06:23Quand vous faites du zone pour zone, vous atténuez automatiquement aussi l'empreinte
06:26carbone.
06:27C'est l'économie circulaire.
06:28On n'est pas sur une logique où, l'exemple typique, les Américains, ils disent, moi
06:33je veux aller dans une zone à bas coût pour produire mes médicaments.
06:36Ils ont dit, on va choisir Porto Rico, on concentre toute notre fabrication de médicaments
06:40dans cette zone-là.
06:41L'ouragan Maria, c'est toute leur chaîne de valeur qui d'un seul coup est déstabilisée.
06:45Donc on voit bien qu'en fait, pour ça, la réponse c'est, il faut changer nos indicateurs
06:48de performance.
06:49Il faut arrêter d'être sur des indicateurs de performance et en particulier au niveau
06:52des achats qui sont focalisés à court terme et sur la productivité.
06:57Et puis deuxièmement, il faut systématiquement intégrer le chiffrage des stress tests, c'est-à-dire
07:02des tests de résistance de nos chaînes de valeur.
07:04Parce qu'à ce moment-là, on verra que ça ne va pas à l'encontre d'un coût supplémentaire.
07:08Mais au contraire, si on intègre le chiffrage des impacts potentiels, on va se rendre compte
07:13que travailler sur la résilience, avoir plusieurs zones de sourcing, etc., au contraire, ça
07:18va nous permettre de protéger et c'est un investissement qui est rentable.
07:21Il y a toujours cette maxime qu'il faut répéter, c'est que l'inaction coûte plus cher que
07:26l'action face aux conséquences du réchauffement.
07:30Bien évidemment.
07:31Mais c'est une réalité.
07:32Et c'est une réalité aussi pour les entreprises.
07:33Et donc ça nous amène au troisième axe, vous avez commencé à l'évoquer, capacité
07:37de transformation pour devenir plus robuste.
07:39On parle d'investissements lourds, vous nous dites, oui, ils sont lourds, mais ils rapporteront
07:46plus que de ne rien faire.
07:48Ça, on l'a bien compris.
07:49Vous avez totalement raison.
07:50En fait, la capacité de transformation, c'est qu'il faut apprendre des crises et apprendre
07:54des crises pour se transformer et pour devenir plus robuste ensuite.
07:57Mais c'est là qu'on peut aller jusqu'à changer de modèle éventuellement ?
07:59Bien évidemment.
08:00Changer de modèle, reconcevoir sa chaîne de valeurs.
08:02Et puis aussi pour moi, il y a deux niveaux au niveau de la transformation.
08:06Il y a le niveau, je suis donneur d'ordre, je suis client, c'est reconfigurer ma chaîne
08:09de valeurs.
08:10C'est aller vers des chaînes de valeurs justement qui sont plus zone pour zone, c'est-à-dire
08:15je vends en Europe, je fabrique en Europe, je vends en Asie, je fabrique en Asie.
08:19Mais c'est aussi, en Europe, c'est des sublimes chaînes et des chaînes de valeurs qui sont
08:22beaucoup plus sur de l'économie circulaire.
08:24Parce que ça, c'est résilient.
08:26Donc ça, c'est la transformation en tant qu'entreprise cliente, en tant que donneur
08:30d'ordre.
08:31Mais j'ai une grande responsabilité, pour moi, il y a une responsabilité des donneurs
08:33d'ordre et des clients à aider leurs fournisseurs à se transformer également.
08:37Pour moi, c'est clé.
08:38Et là-dessus, j'adore ce que fait Bledina, je voudrais juste vous donner un exemple.
08:42Bledina, en fait, pour aider ses fournisseurs agriculteurs à passer à de l'agriculture
08:47régénératrice, ils disent, mais ce qu'on fait, c'est qu'on vous fournit en fait un
08:50support technique et en plus, on vous propose une prime.
08:53Donc, on est typiquement sur une logique où on va nous-mêmes se transformer, transformer
08:57nos chaînes de valeurs, aider nos fournisseurs pour véritablement aller vers des supplats
09:01de chaînes qui sont beaucoup plus robustes.
09:02Est-ce que c'est vrai aussi de l'exemple que vous donniez tout à l'heure sur la cosmétique,
09:07c'est-à-dire qu'est-ce qu'ils identifient effectivement la chaîne de valeurs pour l'aider ?
09:10Il ne s'agit pas simplement de lui mettre la pression, c'est ça ?
09:12Mais non, le but du jeu, c'est de tous s'intégrer dans une logique de transformation.
09:16Qui va bien évidemment intégrer le chiffrage des impacts et à ce moment-là, on se rend
09:20compte que non, non, ce n'est pas simplement du coût, c'est un retour sur investissement
09:24et travailler sur l'ensemble de sa chaîne de valeurs dans un effet de cascade, mais qui
09:27est au contraire très positif et très vertueux.
09:29Parce qu'on n'est plus, on revient au modèle assurantiel, c'est-à-dire qu'on est dans
09:35une certitude que sa chaîne de valeurs sera impactée un jour ou l'autre, c'est ça ?
09:40C'est obligatoire quand on regarde, c'est ce que je disais par exemple sur les semi-conducteurs,
09:44c'est bien évidemment que l'ensemble de sa chaîne de valeurs va être impactée et
09:47le nerf de la guerre, c'est qu'aujourd'hui, les entreprises, elles restent focalisées
09:50uniquement sur leur propre entreprise, ce qui est déjà pas mal, mais en fait, la majorité
09:54des crises, elles viennent en fait des rangs 2, des rangs 3.
09:57On l'a vu pendant la crise Covid, d'un seul coup, on s'est dit à l'épicentre de la
10:02crise, à Wuhan, est-ce qu'on a des fournisseurs qui sont à Wuhan ? Personne ne le savait,
10:05donc il a fallu essayer de reconstituer ses chaînes de valeurs et on s'est rendu compte
10:08que ça a bloqué le monde entier à un moment donné.
10:09Donc, il y a vraiment cette logique à un moment donné de cartographier l'ensemble
10:13des chaînes de valeurs et peut-être si on a le temps…
10:15Tout dernier mot, 30 secondes.
10:16Non, je voulais parler de la CSRD, mais si c'est ça, on n'en parle peut-être pas.
10:19La CSRD, on ne va pas avoir le temps parce qu'il faut plus de temps et on l'a souvent
10:23évoqué dans cette émission et on attend les décisions européennes sur la directive
10:26Omnibus.
10:27Peut-être le dernier mot, c'est vraiment que les entreprises comprennent que ça n'est
10:30pas un coût de travailler sur sa résilience, c'est un investissement et c'est un investissement
10:34qui est rentable pour devenir à un moment donné beaucoup plus robuste et pour préserver
10:38son avantage concurrentiel.
10:39Voilà, c'est ça.
10:40Merci beaucoup Natacha Tréant et à bientôt sur E-Smart for Change.
10:43Merci Thomas.
10:44Merci à vous.
10:45On passe à notre débat, la transition de l'industrie du textile.

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