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Phénomène d’individualisation, antagonismes qui s’expriment dans les médias, climato-scepticisme… Ce sont certains des maux qui affectent la société française, selon Sandra Hoibian, directrice générale du CRÉDOC. Elle en parle dans son livre « La mosaïque française. Comment (re)faire société aujourd’hui ».

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Transcription
00:00Générique
00:02...
00:04Êtes-vous prête pour l'impact ?
00:06Chaque semaine, une personnalité compte
00:08dans notre économie.
00:1026 minutes d'entretien pour creuser ces enjeux
00:12de transformation environnementale et sociétale
00:15avec Sandra Wabian. Bonjour.
00:17Vous êtes la directrice générale du CREDOC,
00:19le Centre de recherche pour l'étude et l'observation
00:23des conditions de vie, et vous publiez,
00:25c'est chez Flammarion,
00:27la mosaïque française,
00:28comment refaire société aujourd'hui.
00:32Ca veut dire qu'on va parler du constat, peut-être,
00:35d'une fracturation d'une société
00:38où les antagonismes s'expriment plus violemment.
00:42On le voit quasiment tous les jours à l'Assemblée nationale.
00:45Est-ce vrai ailleurs ?
00:47Ce que je propose, justement, dans le livre,
00:49c'est d'essayer d'enlever les lunettes noires
00:52qu'on a régulièrement sur notre société française
00:55et d'essayer de regarder les constats
00:57sur la cohésion sociale.
00:59Ce qu'on peut voir, c'est qu'il y a des choses qui vont mal,
01:02des inégalités de patrimoine qui augmentent,
01:05des difficultés dans le monde du travail,
01:07une polarisation des opinions.
01:09Mais il y a aussi des choses qui vont bien
01:12et dont on parle moins,
01:13comme l'engagement des jeunes.
01:15On a des jeunes de plus en plus engagés.
01:17C'est pas quelque chose qui est souvent mis en lumière.
01:21On a aussi des enquêtes qui montrent
01:23que la tolérance progresse.
01:24Ca peut étonner, puisqu'on a de plus en plus de crimes antisémites,
01:28racistes, et puis on voit bien, dans l'espace public,
01:31qu'il y a beaucoup de tensions.
01:33Mais en fait, quand vous prenez un peu de recul,
01:36eh bien, il y a 40 ans, il y avait beaucoup moins d'ouvertures,
01:39par exemple, par rapport aux couples de même sexe,
01:42même à l'immigration.
01:43Donc, en fait, quand on regarde un peu sur le temps long,
01:47on a une société qui a quand même avancé.
01:50Mais alors, qu'est-ce qui donne ce sentiment d'antagonisme ?
01:54On peut toujours se regarder le nombril,
01:56nous, médias.
01:57Est-ce que, par exemple, les médias sociaux,
02:00les réseaux sociaux, qui sont de plus en plus,
02:02et on le voit avec l'abandon de la modération,
02:05par exemple, dans les médias sociaux du groupe Meta,
02:08annoncé par Zuckerberg après la victoire de Trump,
02:11est-ce que ce sont des lieux d'antagonisme
02:13plus que la société ne l'est vraiment, d'une certaine façon ?
02:17Les médias sociaux, mais les médias traditionnels aussi.
02:20Puisque, en fait, comme on le sait,
02:23les médias ont plutôt tendance à parler d'étreints
02:26qui n'arrivent pas à l'heure.
02:28Et puis, des travaux ont montré qu'il y avait
02:30une forme de polarisation liée au visionnage de médias.
02:33C'est-à-dire que vous n'allez pas changer d'avis
02:36en regardant les médias, vous allez vous conforter
02:39dans vos opinions, voire vous radicaliser un peu
02:41en allant vers des médias avec lesquels vous êtes d'accord
02:44au démarrage. Le fait qu'on soit dans une société
02:47qui est de plus en plus abreuvée de médias,
02:49où on est aussi un peu obligé de suivre tout ce qui se passe,
02:53fait aussi que ça participe de la polarisation.
02:55Et puis, on a une accélération du temps aussi,
02:58une accélération du temps qui est liée notamment
03:00à l'arrivée du numérique, qui arrive à une forme de paradoxe.
03:04C'est-à-dire qu'on a du numérique, on est censé gagner du temps avec,
03:08et puis, finalement, on passe des heures et des heures dessus.
03:11Finalement, on court à tous après le temps.
03:13Les Français dorment de moins en moins.
03:15On est, voilà, tous pris dans une course infernale,
03:18et cette course, elle n'est pas propice à la réflexion,
03:21à la délibération, aux compromis.
03:23Effectivement. Lors d'une émission sur France Culture,
03:26on va vous proposer une citation de Sandra Wabian.
03:29Vous avez déclaré ceci.
03:30Nous n'assistons pas à une archipélisation
03:33de la société française, au sens où ce ne sont pas
03:36de petites communautés exclusives qui se font face les unes aux autres,
03:39mais bien à une forme d'émiettement
03:41où les individus ont chacun leur propre identité.
03:44Vous faites référence, j'imagine, à l'Archipel français,
03:47c'est le titre d'un livre qui est signé Jérôme Fourquet.
03:50D'une certaine façon, si je caricature,
03:53vous avez les mêmes chiffres,
03:54mais vous n'avez pas la même lecture de la situation ?
03:57On peut dire ça ?
03:58Il y a beaucoup de choses intéressantes
04:01dans les travaux de Jérôme Fourquet,
04:03que je suis avec beaucoup d'attention.
04:05J'ai pas la même lecture que lui de la société française.
04:08Pour moi, le phénomène qui domine notre société,
04:11c'est l'individualisation.
04:12C'est le fait que chacun a envie de faire ses propres choix,
04:16de suivre son propre chemin,
04:17et ça va du fait de donner un prénom particulier à son enfant
04:22à choisir ses funérailles avec une cérémonie particulière,
04:27en passant par le tatouage,
04:28où on va se mettre sur la peau des choses très particulières
04:32qui vont vraiment nous dire qui on est.
04:34Si on est dans une individualisation,
04:36c'est la mosaïque, d'une certaine façon,
04:38que vous décrivez, comment on fait société, malgré tout ?
04:42C'est tout l'enjeu, et notamment parce que cette individualisation,
04:46elle vient questionner d'anciens modes de société,
04:50notamment tout ce qui était institutionnel,
04:53les corps intermédiaires, le fait qu'on pouvait avoir
04:56des représentants qui pouvaient réorganiser la société.
04:59Aujourd'hui, c'est remis en cause.
05:01Donc, il faut trouver d'autres moyens de vivre ensemble
05:04en reconnaissant cette individualité.
05:06La thèse que je propose dans le livre,
05:09c'est le fait de dire qu'on peut être d'accord ou pas,
05:11mais c'est un chemin que suit la société française,
05:14et la plupart des sociétés occidentales.
05:17C'est ce chemin de la singularité.
05:19Il va falloir reconnaître les gens, leur trouver une place.
05:22C'est évidemment très exigeant.
05:24Alors, effectivement, ça, c'est un enjeu du quotidien.
05:27Et puis, il y a des événements particuliers
05:29qui peuvent permettre de faire société.
05:31Je pense aux Jeux olympiques et paralympiques,
05:34le succès des Jeux.
05:35Est-ce que, pour vous, c'est une preuve
05:37qu'on peut toujours, puisque vous dites
05:40que nous refaisons société, qu'on peut toujours faire société ?
05:43Ou est-ce qu'il y a un petit côté phare aveuglant
05:45et on donne trop d'importance à ce qui s'est passé
05:48pendant quelques semaines ?
05:50On peut parler des Jeux olympiques en positif,
05:52on peut parler aussi du Covid.
05:54À un moment où la société était face à une menace importante,
05:57on a demandé des efforts très importants aux gens,
06:00de s'enfermer chez eux pendant plusieurs mois,
06:03de renoncer à toutes leurs activités.
06:05Les gens s'y sont prêtés plutôt de bonne grâce.
06:07On voit bien que quand on propose un cadre à la société française,
06:11soit un cadre coercitif, comme ça a été pendant la période Covid,
06:14soit un cadre positif, comme ça a été pendant la période des JO,
06:18on a un élan de la société française.
06:20On l'a vu aussi pendant le grand débat,
06:22où on a ouvert les portes de la discussion
06:24et il y a eu des millions de contributions.
06:27Donc, si on donne la possibilité...
06:29Qui servent à caler les armoires de ministères.
06:32C'est là le problème.
06:33Le problème, c'est qu'aujourd'hui, tous les outils
06:35qui ont commencé à émerger pour faire du collectif
06:38sont utilisés comme des gadgets.
06:40On les sort comme des prétextes et on les range très vite
06:43sans en faire quoi que ce soit.
06:45Mais il y a un matériau qui est très intéressant
06:47et on pourrait s'en saisir,
06:49mais il faut trouver une place
06:51à ces nouvelles expérimentations citoyennes.
06:53Les conventions citoyennes, notamment,
06:55il y en a eu sur le climat, sur la fin de vie.
06:58Alors, la fin de vie, bon,
06:59avec le chaos politique dans lequel on est,
07:03dont on va peut-être sortir, qui sait,
07:05cette loi, cette réforme,
07:07elle est pour l'instant en sommeil,
07:08mais si on prend la convention citoyenne sur le climat,
07:11elle a fait naître beaucoup d'espoir.
07:13Il y a eu une erreur de communication
07:16d'Emmanuel Macron disant qu'il allait tout reprendre,
07:18ce qu'il n'a pas fait.
07:20Est-ce qu'on peut en faire un bilan relativement positif
07:23de cette convention citoyenne ?
07:24Ca a fait bouger certaines lignes.
07:26Il faut distinguer deux choses.
07:28Il faut distinguer l'exercice en lui-même,
07:31qui, lui, est très positif,
07:32parce qu'il permet aux gens de s'exprimer,
07:34il permet aux gens de délibérer, de faire du compromis.
07:37Il faut savoir que dans la convention citoyenne
07:40pour la fin de vie, on a 40 % des gens qui ont changé d'avis
07:43sur des questions très intimes, sur lesquelles on peut se dire
07:47que c'est difficile de changer d'avis.
07:49Lorsqu'on laisse du temps aux gens, lorsqu'on leur permet
07:52de rencontrer des experts, de discuter entre eux,
07:54ils arrivent à créer du compromis.
07:56Ca, c'est pour l'exercice en lui-même.
07:59Et puis, sa place...
08:00Sa place institutionnelle.
08:02Aujourd'hui, le problème de ces exercices,
08:04c'est que ce sont des électrons libres.
08:06On ne sait pas qui décide à quel moment sur quel sujet,
08:09on ne sait pas quel est le devenir de ce qui va être produit
08:12par ces conventions, donc il faudrait une place institutionnelle.
08:16Peut-être que les délibérations, les rapports de ces conventions
08:20soient soumis au Parlement,
08:21peut-être qu'il y ait un référendum derrière,
08:24on peut imaginer différentes choses.
08:26Il faudrait un cadre institutionnel
08:28pour qu'on fasse quelque chose de tout ce matériau
08:31créé par les citoyens.
08:32Dans votre livre, vous remettez en cause l'esprit de compétition.
08:36Alors, je suis assez d'accord avec vous sur un aspect des choses,
08:40c'est-à-dire le fait que notre société,
08:42on est dans une société de la note permanente,
08:45ce qui est relativement insupportable,
08:47c'est une pression sur tous, ce qui est assez insupportable.
08:50En même temps, la compétition, c'est un moteur de progrès,
08:54parfois personnel. Je suis un peu partagé là-dessus.
08:56Pourquoi vous remettez en cause l'esprit de compétition ?
09:00Alors, je pense qu'on a organisé notre société
09:03sous un angle de compétition,
09:04parce qu'on s'est dit que c'était une manière
09:07de créer une forme de justice sociale.
09:09De se dire que les ressources ne sont pas illimitées,
09:12on va faire courir tout le monde derrière la même ligne de départ,
09:16et celui qui court le plus vite aura les meilleures ressources.
09:19C'est une espèce de forme de justice sociale.
09:22Le problème de cette organisation, c'est que, d'abord,
09:24c'est très difficile de faire courir tout le monde
09:27derrière la même ligne de départ,
09:29puisqu'on ne vient pas des mêmes milieux,
09:31on n'a pas les mêmes ressources intellectuelles,
09:34culturelles, patrimoniales, etc.
09:36Deuxième problème, admettons qu'on arrive
09:38à mettre tout le monde à égalité,
09:40est-ce qu'on est tous d'accord sur le mérite ?
09:43Certains se lèvent très tôt.
09:44Par exemple, si on prend les éboueurs,
09:47ils ont un travail difficile, pénible,
09:49et pour autant, c'est pas eux qui obtiennent les meilleures places.
09:52Est-ce que le mérite, c'est les talents, l'intelligence,
09:55les efforts ?
09:56Mettons de côté ce deuxième problème.
09:59Troisième problème, le problème, c'est que,
10:01mécaniquement, forcément, on obtient des gagnants et des perdants.
10:05Mais ça, c'est la vie.
10:06Oui, mais du côté des...
10:08Le problème de cette organisation, c'est que,
10:10du côté des gagnants, on crée du burn-out,
10:13on pousse tellement tout le monde à courir de plus en plus vite
10:16qu'il y a de l'épuisement,
10:18on crée des ressources presque inexploitées,
10:20et du côté des perdants, on crée du ressentiment.
10:23Les gens, non seulement sont en situation d'échec,
10:25et en plus, on leur dit que c'est de leur faute,
10:28qu'ils n'avaient pas fait les bons choix,
10:30qu'ils n'étaient pas au bon endroit sur Parcoursup,
10:33qu'ils n'avaient pas fait le bon choix professionnel, etc.
10:36Donc, on ne peut pas créer une société unie
10:39dans une société où on est en compétition permanente.
10:42La transformation environnementale,
10:44évidemment, c'est un changement de société majeur.
10:47On voit qu'il y a des freins qui sont nombreux,
10:49il y a parfois le refus, et il s'exprime encore plus en ce moment,
10:53d'un rythme jugé trop rapide ou trop imposé.
10:55On peut prendre plusieurs exemples.
10:57Il nous reste un quart d'heure dans notre entretien.
11:00On va parler de la mobilité. Déjà, le constat.
11:03Il est évident, mais je veux bien l'entendre
11:05avec vos chiffres et votre expertise.
11:07La voiture, ça reste le moyen de transport publicité des Français.
11:11Oui, tout à fait.
11:12C'est, effectivement, le principal moyen de transport,
11:15que ce soit pour les transports du quotidien
11:17ou pour les transports pour aller en vacances,
11:20pour plusieurs raisons.
11:21D'abord, tout a été organisé autour de la voiture.
11:25Donc, finalement, les gens ont pu se saisir
11:30de cette possibilité pour s'installer.
11:33Autre phénomène très important, l'augmentation des prix de l'immobilier,
11:37qui a fait que les gens ont dû s'éloigner des centres-villes,
11:41et ils sont piégés avec leur voiture, ils ne peuvent pas faire autre chose.
11:45C'est, aujourd'hui, un moyen de transport pas cher,
11:49contrairement à ce qu'on peut dire,
11:51parce que vous pouvez acheter une voiture d'occasion,
11:53alors, pas des voitures électriques...
11:56Oui, justement, on va en parler.
11:58Vous pouvez acheter une voiture d'occasion pas très chère
12:01et avoir plusieurs voitures dans votre foyer.
12:04Effectivement, c'est pas simple de faire coïncider
12:07mobilité et défense de l'environnement.
12:10C'est le sens de la question
12:12que notre invité précédent, Christophe Rollet,
12:15le directeur général de Point S, vous pose.
12:19Ravi de vous poser une question.
12:21Je voudrais savoir, à votre avis,
12:23quels sont l'impact des mesures,
12:26à la fois de la Commission européenne et des pouvoirs publics,
12:29sur l'environnement, sur l'automobile,
12:32qu'ils sont durables et permettent aux consommateurs
12:35d'avoir cette démarche pour l'environnement,
12:38tout en maintenant son pouvoir d'achat,
12:40sachant qu'aujourd'hui, et Point S est bien placé pour le savoir,
12:44la conjugaison, l'addition des deux
12:46n'est pas toujours une équation solvable.
12:49On pourrait dire autrement,
12:50rouler en voiture électrique, c'est trop cher.
12:53Oui, c'est trop cher, malgré les aides,
12:55et peut-être que la voiture électrique
12:57n'est pas la seule solution.
12:59Aujourd'hui, la question, c'est comment les gens
13:02peuvent continuer à avoir de la mobilité
13:04en ayant moins d'impact sur le climat.
13:07Il y a la piste de la voiture électrique
13:09qui a été beaucoup promue.
13:11Mais il y a...
13:12Notamment par l'Europe.
13:14Il y a cette borne de 2035
13:17avec la fin de la vente des véhicules thermiques.
13:20Tout à fait. On reste sur un modèle
13:22de la voiture individuelle.
13:23On ne bouleverse pas trop les modes de vie de la population.
13:26Un élément qui manque dans l'équation,
13:28c'est tout ce qui est infrastructure
13:30de transport collectif.
13:32Ça peut être des infrastructures lourdes,
13:34mais il y a aussi d'autres solutions,
13:36par exemple, les cars à haute fréquence.
13:38Si vous mettez en place des cars moins chers,
13:41vous n'avez pas besoin de 10 ans pour mettre en place la solution.
13:44Ça marche très bien. Les gens ont un moyen de transport
13:47qui est régulier, qui est fiable et qui utilise la route.
13:50Donc, essayer de développer aussi des solutions
13:53de transport collectif
13:55et pas seulement des solutions de transport individuel.
13:58Ca dépend de qui ? Des collectivités locales.
14:01Collectivités locales et de l'Etat, de la puissance publique.
14:04On fait les choses un peu à l'envers.
14:06On demande aux gens de changer leur mode de vie.
14:09On leur dit que c'est pas bien d'abandonner la voiture,
14:12mais on n'a pas vraiment de solution de remplacement.
14:15Aujourd'hui, la population est un petit peu piégée.
14:18C'est souvent un argument qu'on entend.
14:20On aurait dû développer les transports en commun
14:23avant d'imposer la voiture électrique.
14:25Voilà. En fait, on le voit, par exemple,
14:28dans les grandes villes où il y a eu un développement
14:31des pistes cyclables.
14:32C'est en développant les pistes que l'usage du vélo a progressé.
14:36Vous demandez aux gens de prendre leur vélo
14:38et ils sont dans une ville où il y a des dangers permanents,
14:41ils vont pas les prendre.
14:43On en revient au thème de votre livre,
14:45à cette question de faire société, de cohésion sociale.
14:48Ca signifie quoi ? Ca veut dire qu'on a des millions de Français
14:52qui se sentent exclus de cette transition environnementale,
14:55en tout cas sur la thématique de la mobilité.
14:58Donc, avec quel ferment de fracture sociale, justement ?
15:03C'est certain qu'aujourd'hui, il y a ce sentiment,
15:05et on l'avait vu dans le mouvement des Gilets jaunes,
15:08que c'est toujours au même qu'on demande des efforts
15:11et un sentiment un peu d'injustice sociale.
15:14Et l'exemple le plus emblématique de ça,
15:19c'est par exemple la question du transport en avion.
15:22Les Gilets jaunes disaient
15:24qu'ils ont une taxe quand ils prennent la voiture,
15:26mais par contre, les voyages en avion, eux,
15:29sont plutôt favorisés.
15:31Donc, il y a besoin d'une forme de justice sociale,
15:34pour le coup, d'efforts qui soient partagés par tous
15:37pour que les gens se mettent en mouvement.
15:39S'ils ont le sentiment que c'est une partie de la population,
15:42et notamment les classes moyennes, à qui on demande des efforts,
15:46ça va être compliqué.
15:47Les événements climatiques extrêmes, sécheresses, canicules,
15:51inondations que l'actualité nous réserve en ces mois d'hiver,
15:55ces épisodes, ils se multiplient,
15:58et pourtant, le climato-scepticisme,
16:00il demeure. Comment vous l'expliquez ?
16:02Il est quand même beaucoup moins important
16:05qu'il y a une vingtaine d'années.
16:07Aujourd'hui, il y a peu de gens qui remettent en cause
16:10le fait qu'il y a des changements climatiques.
16:12Mais ils disent que ce n'est pas lié à l'activité humaine.
16:15Il y a encore une proportion importante.
16:18C'est pour ça qu'ils disent ça.
16:19Ils disent que les solutions peuvent être techniques.
16:22C'est-à-dire qu'on va s'en sortir avec la technologie,
16:25on va trouver des moyens pour capter le CO2 sous terre,
16:30on va trouver des moyens pour se chauffer
16:32en utilisant moins d'énergie.
16:34C'est le technosolutionnisme.
16:36Et ça, c'est un peu l'opinion dominante
16:38dans la société française,
16:40qui permet de résoudre l'idée
16:42qu'on n'est pas contre l'environnement,
16:44on n'a pas trop envie de bouger nos modes de vie,
16:47et on se dit qu'il va y avoir le miracle,
16:49la fée technologie qui va venir nous sauver.
16:51A peu près tous les scénarios qui sont faits par l'ADEME
16:54et d'autres RTE montrent que ça ne peut pas être la seule solution.
16:58On peut faire une partie des progrès avec la technologie,
17:01mais il va y avoir besoin de changer les modes de vie.
17:04-"Prêt pour l'impact", c'est le titre de cette rubrique.
17:07Question que je pose à mes invités,
17:09mais là, à travers vous, je la pose aux Français.
17:12Est-ce que vous pensez que les Français sont prêts ?
17:16Vous venez de commencer à répondre à la question,
17:19mais finalement, à l'inévitable ou aux conséquences
17:21du réchauffement climatique qui est déjà là.
17:24Je ne pense pas qu'il y ait une conscience
17:27vraiment complète de toutes les conséquences
17:29qu'il va y avoir sur le changement climatique.
17:32J'entendais ce matin qu'il y a eu un rapport
17:34sur les pratiques sportives.
17:36Comment elles vont-elles évoluer ?
17:38Parce que les gens qui font des sports nautiques,
17:42le niveau de l'eau va monter,
17:44les sports d'hiver, évidemment, sont impactés,
17:47mais aussi les sports de gazon.
17:49En fait, toutes nos pratiques quotidiennes
17:52vont être appelées à évoluer.
17:54Je ne suis pas certaine qu'il y ait cette conscience aussi forte.
17:57On sait qu'il y aura un réchauffement climatique,
18:00mais on met un peu à distance.
18:02Par exemple, déjà aujourd'hui,
18:05on a à peu près la moitié du territoire
18:07qui est concerné soit par un risque d'inondation,
18:10soit par un risque de sécheresse, soit par le risque argileux.
18:13Le fait qu'on puisse avoir...
18:14Le gonflement rétractation des sols argileux.
18:17C'est énorme. Je ne suis pas sûre
18:19que la population française soit consciente
18:21de ces difficultés-là.
18:23Est-ce que le fait d'en être conscient
18:27amènerait forcément à de nouveaux comportements ?
18:30Pas forcément. C'est ce qu'on a vu dans beaucoup de travaux.
18:33C'est pas parce que vous savez quelque chose que vous le faites.
18:37L'exemple typique, c'est celui du fumeur.
18:39Vous savez que c'est mauvais pour vous,
18:41et pourtant, vous le faites.
18:43Dans les changements de comportement,
18:45il peut y avoir d'autres méthodes que la sensibilisation.
18:48Il peut y avoir les méthodes financières,
18:50avec les questions de fiscalité.
18:52Où on vous incite.
18:53Où on vous incite.
18:54Ca soulève beaucoup de tensions dans la société française.
18:58Il peut y avoir aussi ce qu'on appelle les nudges,
19:00c'est-à-dire essayer des petits coups de pouce,
19:03où quand vous voyez que les autres se mettent à agir,
19:06vous allez vous aussi vous mettre à agir.
19:08Moi, je crois aussi beaucoup au discours sur les bénéfices.
19:11C'est-à-dire qu'aujourd'hui,
19:13on décrit le changement climatique comme l'apocalypse.
19:16Personne n'a envie de changer ses comportements
19:19pour aller vers la fin du monde.
19:20On a un comportement très logique de déni.
19:23-"Foutu pour foutu", on y va.
19:24-"Foutu pour foutu", on y va.
19:26Par contre, le fait de changer ses modes de vie,
19:29c'est censé aussi apporter...
19:31Par exemple, si on mange de manière mieux,
19:33de manière plus bio,
19:36si on s'alimente mieux, on va être en meilleure santé.
19:39S'il y a moins de pollution, également.
19:41Le levier de la santé peut être un levier
19:43qui fait bouger les comportements plus que le levier environnemental.
19:47Il y a un enjeu de communication, de récit, d'imaginaire.
19:50D'une certaine façon.
19:51Moi, je crois beaucoup aux imaginaires
19:53et à la place du discours, du récit.
19:56C'est Harari qui explique
19:58que ce qui différencie les hommes des animaux,
20:00c'est que le récit leur permet de se mettre en mouvement.
20:03Ils vont créer des entreprises, des religions,
20:06des choses qui vont faire qu'ils vont se mettre en route.
20:09Je suis d'accord avec ce point de vue.
20:11-"Yuval Noah Harari", l'auteur de Sapiens et de Nexus,
20:15son dernier livre sur les réseaux d'information,
20:18du pigeon voyageur à l'intelligence artificielle,
20:20livre passionnant que je vous conseille.
20:24Si on reste face à cette question des catastrophes naturelles,
20:27à ce que disent les Français,
20:2975 % des Français ne se sentent pas bien préparés
20:32face aux inondations.
20:33Le chiffre, c'est 73 % quand on parle des incendies de forêt.
20:37Et c'est 59 % des Français qui ne se sentent pas bien préparés
20:41quand on parle de la canicule.
20:44Est-ce qu'on est en train de parler d'éco-anxiété ?
20:47Oui, tout à fait.
20:48C'est une façon d'incarner l'éco-anxiété ?
20:52Oui, et la difficulté, c'est qu'aujourd'hui,
20:54on est beaucoup sur l'anxiété, on dit tout ce qui va mal se passer
20:58et on n'explique pas aux gens ce qu'ils doivent faire.
21:01Et donc, ça crée une forme d'impuissance
21:05et, effectivement, d'éco-anxiété, notamment chez les jeunes,
21:08qui vient alimenter le fait qu'on a des problèmes de santé mentale,
21:12notamment chez les jeunes, c'est aussi lié au Covid.
21:15Mais c'est quand même des signaux un peu alarmants,
21:18parce que la jeunesse, c'est aussi celle qui doit apporter
21:21un peu d'énergie dans notre société.
21:23Donc, si on a des taux, comme aujourd'hui,
21:25de personnes qui sont en syndrome dépressif, etc.,
21:28aussi importants, ça doit nous questionner.
21:31C'est l'une des raisons de la baisse de la natalité ?
21:33C'est plus complexe que ça.
21:35Oui, voilà. La baisse de la natalité, déjà, c'est un peu...
21:39Ca serait caricatural de dire
21:40éco-anxiété, baisse de la natalité.
21:42Je pense qu'il y a plein de phénomènes.
21:45Il y a le fait qu'on vit moins en couple,
21:47donc, mécaniquement, on fait moins d'enfants.
21:50On se met plus tardivement en couple, aussi.
21:53Également, le fait qu'on a envie,
21:55de la même façon qu'on a envie d'être un individu autonome,
21:58on a envie que son enfant soit un individu
22:00qui ait toutes les chances de son côté,
22:02et donc, peut-être qu'on aura moins d'enfants
22:05pour pouvoir s'en occuper un peu mieux.
22:08Et puis, il y a aussi des phénomènes d'inquiétude
22:11par rapport au niveau de vie,
22:13par rapport au chômage, donc...
22:16Après, il y a aussi tout ce qui se joue
22:18du côté de l'égalité homme-femme.
22:20On sait qu'en France, on avait une natalité assez importante,
22:24notamment parce qu'on a, par exemple,
22:27des systèmes de gare, des écoles...
22:29On parlait de miracle français,
22:30en se comparant aux autres pays.
22:32On reste un pays avec un taux de natalité plus élevé,
22:35mais le taux a quand même baissé.
22:37Il y a peut-être des questions autour de la place des femmes
22:40et le fait que les femmes aient envie d'avoir les mêmes carrières
22:44que les hommes et, en miroir, la place des hommes.
22:47On parle beaucoup du fait qu'il faut que les femmes
22:49évoluent dans leur carrière,
22:51mais il faut aussi que les hommes évoluent dans leur vie familiale
22:55pour qu'il y ait une parité.
22:56Ca a évidemment des conséquences économiques et sociales
23:00qui sont importantes.
23:01Notre système de protection sociale,
23:04notre système de retraite,
23:05repose sur un nombre d'actifs importants.
23:08Est-ce qu'il n'y a pas une forme de déni, aujourd'hui, en France ?
23:11Il y a d'autant plus une forme de déni
23:14qu'il y a un rejet massif de l'immigration.
23:16Or, ça pourrait être un des paramètres de l'équation.
23:19On voit bien que...
23:21Soit on fait plus de bébés, soit immigration,
23:23soit des robots pour faire le boulot des humains.
23:26Jusqu'à présent, on n'a pas complètement réussi
23:29à remplacer les humains par des robots.
23:31Même si, effectivement, il y a une partie des tâches
23:34qui sont remplacées.
23:36Donc, il y a, effectivement, une forme de déni
23:40et une forme de rejet de l'altérité
23:42qui est quand même très forte dans notre société.
23:45Ca pose des questions sur, comme vous le dites,
23:48la pérennité du modèle.
23:49Mais c'est vrai aussi du débat sur les retraites.
23:52Et le fait de travailler plus longtemps.
23:55C'est-à-dire ?
23:56C'est-à-dire qu'avec cette situation démographique,
23:59il n'y a pas beaucoup de choix que de travailler plus longtemps.
24:02Oui, c'est vrai.
24:03Après, il faut aussi savoir que le monde du travail,
24:06la pénibilité au travail a eu tendance à augmenter.
24:09Les gens sont aussi inquiets de ne pas réussir
24:12à aller jusqu'au bout de leur carrière.
24:14C'est pas simplement qu'ils sont flémards
24:16et qu'ils veulent se tourner les pouces à la retraite.
24:19C'est qu'ils sont assez inquiets de réussir à tenir le rythme.
24:24Ca, c'est vrai pour les ouvriers,
24:26mais c'est vrai aussi pour les cadres
24:28qui sont inquiets de ne pas réussir à tenir le niveau de stress
24:32et de productivité dont on parlait tout à l'heure.
24:34Je voudrais... Il nous reste une minute
24:36qu'on parle de l'eau, du partage de l'eau.
24:39Est-ce que c'est l'un des thèmes sur lesquels les Français
24:42sont peut-être, justement, on parlait de déni,
24:44les plus réceptifs, c'est-à-dire les plus conscients,
24:47les plus actifs ?
24:49On a publié récemment des travaux pour la Caisse des dépôts
24:52qui montrent qu'il y a une augmentation
24:54de la proportion de Français qui fait attention
24:57à la manière dont ils utilisent l'eau,
24:59mais ça va de pair avec un développement des pratiques
25:02qui n'est pas totalement cohérent,
25:04par exemple, le développement des piscines individuelles
25:07qui mobilisent beaucoup d'eau.
25:10Après, sur le sujet de l'eau,
25:12il faut savoir que les principaux impacts,
25:14ce ne sont pas les individus, ce sont les entreprises...
25:17L'agriculture.
25:18L'agriculture, etc.
25:19Les ménages, c'est une partie du chemin,
25:22mais il y a une prise de conscience par rapport à l'eau
25:24qu'il n'y avait pas il y a forcément 30 ans.
25:27Avec des enjeux de partage.
25:28Guerre de l'eau, le terme est certainement trop fort,
25:31mais on voit déjà des frictions,
25:33et on en revient à la question de faire société,
25:36autour de ces enjeux.
25:37Oui, alors, il y a des commissions qui peuvent exister
25:41au niveau local pour essayer de se mettre d'accord
25:43entre tous les usages de l'eau.
25:45C'est extrêmement compliqué parce que, par exemple,
25:48l'activité de tourisme a besoin de beaucoup d'eau
25:51pour se développer, l'agriculture aussi,
25:54les ménages aussi, et donc,
25:55qui va accepter, finalement, de réduire son usage de l'eau ?
25:58Et effectivement, il va falloir qu'on crée des cadres
26:01de discussion pour réussir à résoudre ces enjeux
26:04parce que ça va être des enjeux de plus en plus importants.
26:07Merci beaucoup.
26:09Je rappelle le titre de votre livre,
26:11La mosaïque française, comment refaire société.
26:14C'est publié aux éditions.
26:16Flammarion, voilà, on passe tout de suite
26:18à notre rubrique start-up,
26:20la lutte contre le gaspillage alimentaire.

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