Grégoire Courtine, professeur à l’école polytechnique de Lausanne et Jocelyne Bloch, neurochirurgienne, étaient les invités de France Inter jeudi 24 avril. Ils dirigent le centre de recherche NeuroRestore, qui fait remarcher des personnes paraplégiques.
Retrouvez « L'invité de 7h50 » de Sonia Devillers sur France Inter et sur : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-7h50
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00:00Thélène Philippe, vous recevez deux scientifiques d'exception.
00:03Grégoire Courtine, bonjour.
00:05Bonjour.
00:05Vous êtes professeur à l'école polytechnique de Lausanne, aux côtés de Jocelyne Bloch.
00:09Bonjour.
00:11Neurochirurgienne, installée donc tous les deux en Suisse,
00:14à la tête du centre de recherche NeuroRestore et fondateur de la société Onward Medical.
00:19On est très heureux de vous avoir ici ce matin,
00:22parce que vos travaux sur la moelle épinière ne cessent d'avancer.
00:26Et ça y est, Grégoire Courtine, vous allez pouvoir commercialiser une partie de votre dispositif aux Etats-Unis ?
00:32Alors, on a déjà même obtenu l'approbation de la FDA,
00:35l'Organisation de Régulation des Outils Médicaux aux Etats-Unis.
00:38Et au 1er janvier, on a déjà vendu les premiers systèmes pour augmenter la récupération des membres supérieurs,
00:44donc les gens qui ont des tétraplégies, qui ne peuvent plus bouger les mains et les bras.
00:47Et ça, c'est une grande première ?
00:48Alors, c'est pour la première fois, une thérapie a été approuvée dans l'histoire de l'humanité
00:53pour améliorer la récupération après une liaison de la moelle épinière.
00:56Alors, vous allez nous l'expliquer, Jocelyne Bloch.
00:58Cette thérapie, ce qu'il y a de plus révolutionnaire dans vos travaux,
01:02c'est ce dispositif qui permet aux personnes paralysées de remarcher.
01:09Comment elle fonctionne exactement ?
01:11Alors, on parle maintenant des personnes qui ont une lésion de la moelle épinière.
01:14Donc, quand on a une lésion de la moelle épinière,
01:17le cerveau envoie une commande aux jambes,
01:19mais cette commande est interrompue au niveau de cette lésion.
01:22Et la partie inférieure de la moelle épinière qui commande les jambes n'est plus connectée au cerveau.
01:27Et l'idée a été de reconnecter le cerveau et la moelle épinière par un pont digital.
01:32Un pont digital, ça veut dire ?
01:35Grégoire va vous parler des aspects techniques.
01:37Puis ensuite, je vous parlerai de la chirurgie que j'entreprends.
01:40Donc, l'idée, c'est qu'on va mettre un implant pour aller lire l'activité électrique du cerveau.
01:45Vous savez, quand vous pensez, il y a des neurones qui s'agitent pour générer de l'activité électrique.
01:50Alors, on va aller capturer cette activité électrique, qui est le langage du cerveau,
01:53et utiliser le même type d'outil que ChatGPT,
01:57c'est-à-dire ces réseaux de neurones qui vont apprendre de la grammaire du cerveau humain,
02:02en décoder l'intention,
02:04et on va traduire cette intention en stimulation électrique de la moelle épinière
02:08pour induire les mouvements désirés.
02:10La pensée guide l'action.
02:12Voilà, on transforme la pensée en action avec ce pont digital.
02:15Comment est-ce qu'on opère, Jocelyne Bloch ?
02:18Comment est-ce qu'on arrive à cette prouesse ?
02:20On a d'abord dû décider quel implant choisir.
02:24Donc, c'est là qu'Onward a eu cette importance,
02:27où on a développé ces électrodes sur la moelle épinière.
02:31Puis, on travaille aussi avec un groupe de Grenoble,
02:34qui a développé les implants cérébraux.
02:37Et l'avantage des implants cérébraux,
02:39c'est qu'ils ne sont pas pénétrants dans le cerveau.
02:42C'est comme une petite radio qu'on met sur le cerveau,
02:46juste au-dessus de la région.
02:47Vous restez à l'extérieur.
02:48On reste à l'extérieur du cerveau, mais sous la peau quand même.
02:52Donc, moi j'appelle ça un peu un os électronique.
02:54Donc, on va enlever un petit bout d'os,
02:56juste au-dessus de la région qui contrôle les jambes sur le cerveau.
03:00Donc, la région du cerveau qui contrôle les jambes.
03:02Et on va la remplacer, cette petite craniotomie, comme on dit,
03:06par cet os électronique qui va ensuite écouter les cellules
03:09et puis les envoyer par cette antenne dont Grégoire vous a parlé.
03:13Écouter ces cellules dans le seul but de permettre à quelqu'un de remarcher.
03:18On ne parle que de motricité.
03:20Absolument. On ne peut pas faire beaucoup plus que ça.
03:22Donc, on ne va pas lire dans les pensées et deviner ce que les gens ont en tête.
03:26Combien de patients en ont bénéficié jusqu'ici ?
03:29Alors, ce pont digital, cinq.
03:31Donc, trois ont pu remarcher et deux bougent le bras grâce à ce pont digital.
03:37Des gens qui ont été victimes d'accidents ?
03:39Des gens qui avaient quel type de pathologie au départ ?
03:42C'est purement des accidents.
03:43Des accidents divers, des personnes d'âge différent.
03:46Et surtout, ce qui est très intéressant,
03:47c'est que c'est des personnes qui ont eu une lésion de la moelle épinière
03:50qui n'est pas récente.
03:51Donc, plus d'une année, même jusqu'à 11 ou 12 ans après une lésion de la moelle épinière,
03:56on est capable encore de réactiver ces circuits.
03:58Ça doit être une émotion considérable, Grégoire Courtine.
04:01C'est toujours des moments forts.
04:02Les premières fois, Jocelyne opère les patients, on attend dix jours.
04:06Puis après, on allume le pont digital pour la première fois.
04:09Et le premier jour, quelqu'un qui n'a pas bougé, comme Suzanne,
04:12depuis 14 ans la semaine dernière, rien qu'en y pensant,
04:15commence à fléchir ses jambes, étendre ses jambes.
04:17Le lendemain, elle fait ses premiers pas.
04:19Donc, c'est toujours des moments très émouvants pour les patients,
04:21pour nous et puis les familles souvent qui sont là.
04:23Vous avez un peu de recul maintenant.
04:26Comment évolue le dispositif ?
04:28Est-ce que les progrès sont continus ?
04:30Est-ce qu'on arrive à un moment donné de stagnation ?
04:33Il faut rappeler que ce n'est pas simplement lève-toi et marche.
04:36La rééducation derrière est très longue, très difficile.
04:39Alors, c'est sûr, il faut calibrer les attentes.
04:41On est loin d'une cure.
04:43On ne va pas guérir les ondes à moelle épinière.
04:44C'est des gens qui marchent avec un déambulateur,
04:46qui font des pas qui semblent un petit peu robotiques.
04:49Mais des gens qui sont paralysés depuis de nombreuses années
04:51peuvent tenir debout, faire des pas, se déplacer un petit peu chez eux.
04:55C'est-à-dire que c'est vraiment une amélioration très significative
04:57de la qualité de vie.
04:58Et surtout, on est en train de changer la perception
05:00de ce que veut dire la permanence de la paralysie.
05:03C'est-à-dire que pour moi, qui suis médecin,
05:06qui pendant toutes mes études de médecine,
05:07on m'a dit qu'après une lésion de la moelle épinière,
05:09on ne remarcherait pas.
05:11Je sais que ce n'est pas encore une cure,
05:13mais ça change complètement la perspective.
05:15La perception, l'espoir.
05:17Voilà.
05:18Et ça, je pense que maintenant, on sait qu'après une lésion de la moelle épinière,
05:21on peut réactiver, on peut se lever, on peut faire des pas.
05:23On ne marchera pas aussi bien qu'avant,
05:25mais on arrivera à retrouver, en tout cas,
05:28une activité de ces membres inférieurs.
05:30Est-ce que ça peut marcher sur d'autres pathologies ?
05:33Alors, on a fait le raisonnement que, finalement,
05:36il y a des pathologies, comme la maladie de Parkinson, justement,
05:40où, finalement, le cerveau n'envoie plus les bonnes commandes
05:42vers la moelle épinière,
05:43qui est plus ou moins dans un état normal.
05:46Donc, on s'est dit,
05:47est-ce qu'on ne peut pas finalement appliquer le même concept
05:49pour améliorer les problèmes de marche
05:51qu'on n'arrive pas bien à traiter avec les thérapies actuelles ?
05:54Et il est vrai qu'on s'est adressé à un groupe de patients
05:57qui avaient des gros problèmes de marche,
06:00qui avaient du piétinement, déséquilibre et chute.
06:03Et on a appliqué les mêmes principes
06:05de stimulation de la moelle épinière uniquement,
06:08cette fois sans le pont digital.
06:09Et on a pu corriger des déficits de marche
06:12et diminuer des chutes.
06:13Et donc, on a une grosse étude là qui commence,
06:16qui est soutenue par une fondation américaine,
06:18Michael G. Fox,
06:19parce que lui-même souffrait de cette maladie
06:21et souffre toujours de cette maladie.
06:24Et on va comprendre si on arrive à améliorer
06:27cet aspect-là de la maladie
06:29qui est très difficile à traiter autrement.
06:30Vos travaux, ils ont tapé dans l'œil des géants de la tech.
06:33Grégoire Courtine, Jocelyne Bloch,
06:35le fondateur d'Amazon, Jeff Bezos notamment.
06:38Elle a l'air assez intéressée.
06:39Vous l'avez rencontrée ?
06:41On l'a rencontrée plusieurs fois.
06:42C'est quelqu'un qui nous a surpris
06:47parce qu'on a une image peut-être erronée,
06:49je pense, de la personne qu'il est.
06:51C'est-à-dire ?
06:52C'est quelqu'un qui est généreux,
06:53qui est enthousiaste,
06:54il adore les technologies
06:55et qui est prêt à s'enthousiasmer
06:58pour des projets qui peuvent changer
06:59le futur de l'humanité.
07:01Ça aiguise ses appétits ?
07:03Vous aimeriez qu'il investisse
07:05ou ça vous inquiète aussi, en fait,
07:07cet intérêt des géants de la tech ?
07:09Non, si vous voulez, pour nous, c'est important.
07:11C'est important qu'on puisse,
07:13parce que c'est des technologies
07:14tellement difficiles à développer
07:16et coûteuses
07:17qu'on a besoin de personnes
07:18qui s'investissent
07:19pour que ça ne reste pas anecdotique
07:21ce qu'on fait
07:21et que ça devienne une thérapie
07:23qu'on puisse s'adresser à plus.
07:25On vous compare parfois à Elon Musk.
07:27Lui aussi,
07:28il travaille sur des implants
07:29avec sa société Starlink.
07:31On fait des choses extrêmement différentes.
07:34C'est ce qu'on a bien expliqué à Jeff Bezos,
07:35c'est ce qu'il a compris aussi.
07:37Nous, on cherche à assurer la convergence
07:40entre l'intelligence naturelle, humaine
07:42et l'intelligence digitale
07:43pour reprogrammer le système nerveux central.
07:46Neuralink, aujourd'hui,
07:47veut contrôler des ordinateurs avec la pensée.
07:49Ça n'a rien à voir.
07:49Ça n'a rien à voir.
07:50Ça vous vexe, la comparaison ?
07:52Non, non.
07:52Si vous voulez, d'un côté,
07:53je me dis que c'est bien
07:54que des personnes comme lui
07:55ouvrent ce genre de voie aussi,
07:57comme ça, il y aura plus d'attrait,
07:59plus d'écoute.
08:00Mais c'est vrai que notre approche est différente,
08:01comme l'a dit Grégoire aussi,
08:03d'un point de vue médical,
08:04elle est différente.
08:05Il est dans une technologie
08:06avec des électrodes qui pénètrent,
08:08donc ce que j'ai toujours à ce stade refusé,
08:10parce que je me dis qu'un cerveau
08:11doit rester intact.
08:12On lit dans les pensées, certes,
08:14mais pas avec des électrodes pénétrantes
08:16qui vont abîmer aussi un peu le cerveau.
08:18Donc, on a une approche différente.
08:20Et puis, ce que vous faites, vous,
08:22marche,
08:23dans le sens où vous avez réussi, vous,
08:25à faire remarcher des personnes paralysées.
08:29Des fois, j'ai tendance à dire
08:30qu'Elon Musk nous a promis
08:31de faire remarcher des gens paralysés.
08:33Ils n'ont encore pas d'approche scientifique pour le faire,
08:36alors que nous, on l'a déjà réalisé.
08:38Mais c'est vrai qu'il a beaucoup de possibilités
08:40de développement qu'on n'a peut-être pas
08:42et qu'il faudrait avoir pour pouvoir être plus rapide.
08:45Ça vous inquiète,
08:45ce qui se passe aux Etats-Unis sur la recherche,
08:47la recherche entravée ?
08:49Ça peut avoir des conséquences,
08:51y compris sur la vôtre,
08:52sur vos travaux à vous ?
08:53Alors, on est des scientifiques,
08:55on croit énormément en la science,
08:56au progrès,
08:57et quand on entend des gens comme G.D. Vance
08:58s'irrisser contre la science,
09:01contre la connaissance,
09:03bien sûr, ça nous affecte directement.
09:05En même temps, on n'est pas surpris,
09:06les régimes totalitaires ont toujours
09:07attaqué en premier la connaissance scientifique,
09:10le savoir,
09:10parce que c'est ce qui leur permet
09:11de rester au pouvoir.
09:13Mais aujourd'hui, on vit un moment,
09:15j'espère qu'il est juste temporaire,
09:17mais on est déjà, nous,
09:19contactés par nos collègues américains
09:20qui veulent revenir en Europe.
09:21On vit un petit peu ce que des gens
09:23ont pu vivre à l'époque de l'Allemagne
09:25dans les années 30,
09:28où les gens sont allés aux Etats-Unis.
09:29Ils ont permis à la science américaine
09:31de devenir dominante
09:31à travers le monde entier.
09:32J'espère que l'Europe saisira l'opportunité.
09:34Aujourd'hui, Europe, terre d'asile.
09:36Merci beaucoup, Grégoire Courtine.
09:38Merci à vous, Jocelyne Bloch,
09:39neuroscientifique d'exception,
09:41on le disait en introduction,
09:43pour vos travaux à tous les deux.
09:45Merci.
09:45Merci.