Dans une tribune publiée dans le Monde, un collectif d'artistes et d'éditeurs demande à Gabriel Attal de remettre l'écriture au centre de l'école primaire. Isabelle Carré, actrice et écrivaine, a co-signé ce texte. Elle est l'invitée de Sonia Devillers. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-7h50/l-invite-de-7h50-du-mercredi-06-septembre-2023-3834349
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00:00 7h48, Sonia De Villers, votre invitée signe une tribune parue dans le quotidien Le Monde
00:05 demandant à ce que les enfants écrivent une demi-heure par jour à l'école.
00:09 Elle est actrice et romancière à ses côtés, des psy, des économistes, des personnalités
00:13 aussi diverses que Jamel Debbouze et Edgar Morin, sociologue, Mathieu Ricard, moine bouddhiste
00:19 ou encore Sorge Salandon, romancier.
00:21 Bonjour Isabelle Carré.
00:22 Bonjour.
00:23 Pas une tribune de spécialistes, non, une tribune de parents, de grands-parents, désemparés
00:29 devant le mal que leurs enfants et leurs petits-enfants ont à écrire.
00:33 Oui c'est ça, c'est un constat qui nous brûle avec Delphine Sobaber qui est journaliste,
00:41 Grand Prix Albert Londres et qui a décidé d'arrêter, enfin de mettre un peu sa carrière
00:45 de journaliste entre parenthèses pour donner des ateliers d'écriture.
00:48 Nous en avons fait un en commun cet été gratuitement à la mairie de Biarritz avec
00:55 des enfants et on s'est rendu compte qu'il y avait vraiment un grand besoin de les écouter,
01:01 de les faire écrire.
01:02 Notre thème c'était "Le monde de demain" et ça serait intéressant que je vous lise
01:06 ce qu'ils ont écrit parce qu'il y avait une grande éco-anxiété, beaucoup de fragilité,
01:11 beaucoup d'angoisse, une peur aussi quant aux libertés individuelles.
01:15 Des enfants de quel âge ?
01:17 Des enfants, alors moi je m'occupe plutôt des adolescents, Delphine des enfants, mais
01:22 ce qui était fou c'était de se dire que ces enfants sont en vacances, on imagine que
01:26 ce sont leurs parents qui les ont traînés là, à la médiathèque, alors qu'il fait
01:31 beau qu'il y a la plage à côté.
01:32 En fait ils prennent du plaisir à écrire.
01:34 Et ils restent, ils restent.
01:35 Moi je me disais qu'ils sont venus beaucoup plus nombreux que le nombre que j'avais demandé,
01:39 15 pas plus, ils sont venus beaucoup plus nombreux et voilà, ils revenaient le lendemain
01:43 et le surlendemain.
01:44 Des ateliers d'écriture, vous en avez animé à Sciences Po avec des plus âgés mais aussi
01:49 avec des tout-petits dans le Val d'Oise, avec des classes de CMA à la maison de Solène
01:54 qui est un hôpital spécialisé en pédopsychiatrie.
01:56 Isabelle Carré, ce que vous précisez bien dans cette tribune, c'est qu'écrire une
02:01 demi-heure par jour ne signifie pas une dictée par jour.
02:05 Ce n'est pas la même chose.
02:07 Oui, c'est-à-dire que l'école doit cesser d'être si évaluative pour devenir créative
02:14 et permettre aux enfants de développer leurs pensées, de se connaître, de se reconnaître,
02:20 de parler de leurs mots, de trouver leurs mots et de parler de leurs mots à ma huix,
02:25 de pouvoir s'exprimer vraiment et d'être surpris aussi par ce qu'on écrit.
02:29 En fait, quand on écrit, on se rend compte que l'écriture précède la pensée.
02:34 Tout à coup on se dit, il y a eu beaucoup de jeunes qui disaient "mais c'est moi
02:36 qui ai écrit ça" et ça c'est merveilleux parce que tout à coup on prend confiance
02:40 en soi.
02:41 Et ce qui est très important aussi, c'est de faire des restitutions publiques pour
02:44 que les parents puissent être fiers de leurs enfants et être impliqués.
02:48 Et quand vous dites "ce n'est pas une question d'orthographe mais d'expression
02:51 libre", c'est écrire une lettre, c'est écrire un récit de science-fiction, un discours,
02:56 un journal, un slam, une pièce de théâtre, une série télé, des calligrames, tout est
03:01 bon pour faire écrire.
03:03 Exactement, tout est bon pour faire écrire.
03:04 Alors évidemment, dans l'école publique, ça veut dire quoi ? Ça veut dire dégager
03:08 du temps pour les professeurs, on ne les incrimine pas du tout dans la lettre, je pense
03:13 que c'est vraiment très important de le dire.
03:14 Au contraire, c'est-à-dire qu'on a été vraiment enquêté avec Delphine, alors là
03:19 c'est son métier de journaliste qui a pris le dessus, on a été enquêté, on a recueilli
03:23 plein de témoignages, des témoignages aussi incroyables que ceux d'une institutrice
03:28 nous disant "oui mais nous on a été équipé de tablettes".
03:32 D'ailleurs en Suède, tous les enfants ont eu des tablettes et maintenant cette année
03:37 on les retire, donc ça c'est quand même intéressant.
03:39 On a été équipé de tablettes, moi j'ai demandé à avoir des livres, on l'a refusé
03:43 et cette professeure nous a dit "moi je l'ai acheté avec mes deniers personnels".
03:46 On lui a refusé le budget.
03:47 Cette tribune, vous l'adressez à Gabrielle Etal, ministre de l'Éducation Nationale,
03:52 vous demandez à ce qu'une demi-heure soit sanctuarisée, 30 minutes d'écriture par
03:57 jour.
03:58 Ce qui est intéressant Isabelle Carré, dans votre propre parcours, c'est que pendant
04:02 des années, actrice, comédienne, vous étiez au service, si je puis dire, des mots des
04:07 autres.
04:08 Absolument oui et j'aime toujours ça.
04:10 J'aime toujours ça mais à un moment c'est vrai que c'était important pour moi de faire
04:14 entendre ma voix, de l'entendre, de la faire entendre, de trouver ma langue, ma musique.
04:19 C'est pour ça d'ailleurs que j'ai moi-même suivi un atelier d'écriture pour me remettre
04:24 à l'écriture au quotidien parce que c'est ça en fait le secret.
04:26 Vous aviez quel âge à ce moment-là ?
04:27 C'était en 2017 et d'ailleurs c'était un atelier d'écriture extraordinaire que
04:33 je recommande chez Gallimard, Philippe Gian, qui s'appelait « Marcher sur la queue du
04:37 tigre ». C'était l'intitulé de l'atelier d'écriture.
04:40 Et c'est bien ce qu'on a fait, il y a quelque chose de dangereux.
04:42 Je veux dire, ce n'est pas un supplément d'âme pour Bobo, c'est l'histoire d'atelier
04:49 d'écriture ou à Piffiou.
04:51 C'est une nécessité et je pense d'autant plus pour les jeunes qui sont quand même,
04:56 on ne le mesure pas dans un mal-être psychologique depuis le Covid, qu'on n'a pas encore,
05:02 on ne parle pas suffisamment.
05:04 Il y a vraiment besoin, c'est une jeunesse qui est en mal-être avec cette éco-anxiété.
05:10 On a besoin de personnel sociaux aussi dans les écoles.
05:13 C'est une jeunesse, rappelez-vous, tout au long de la tribune, qui vit la toute puissance
05:18 des écrans.
05:19 Absolument.
05:20 La toute puissance des écrans.
05:21 Et donc vous pointez le risque de voir…
05:22 Et de la venue de l'intelligence artificielle.
05:25 Et vous pointez le risque de voir une jeunesse, une génération petit à petit, décéder
05:31 de ces mots, M O T S, et du danger que ça représente de ne plus pouvoir s'exprimer.
05:35 Oui, ce n'est pas l'idée de dire qu'on est contre les écrans frontalement, globalement
05:41 comme ça.
05:42 Non.
05:43 Bien sûr, ils ont été utiles, ils l'ont été pendant le confinement, on l'a vu.
05:45 On a pu continuer l'école grâce à ça.
05:47 Mais quand même, ça coupe du monde et ça les coupe aussi de leurs amis.
05:52 J'ai un adolescent qui rentre très vite de l'école et qui, sur la plaie, joue avec
05:57 ses copains.
05:58 Je lui dis « mais sors, sors ! »
05:59 Sors et écris.
06:00 Et sors et écris, oui.
06:01 Depuis hier, Isabelle Carré…
06:02 Vous avez les mêmes apparemment.
06:03 On a tous les mêmes.
06:04 On a tous les mêmes et on s'inquiète tous de leur niveau d'écriture.
06:11 Oui, c'est-à-dire là-dessus, sur le niveau d'écriture, ce n'est pas une visée de
06:15 notre part, ce n'est pas une vue de notre part.
06:17 Il y a une circulaire qu'un professeur, là encore, m'a transmise en cette rentrée
06:23 scolaire qui dit « nous ne pouvons pas nous satisfaire d'une situation dans laquelle
06:27 de nombreux élèves parviennent avec difficulté à écrire quelques lignes à leur entrée
06:31 en sixième ».
06:32 Quelques lignes ?
06:33 Vous imaginez le constat ? C'est ce qu'on transmet aux professeurs.
06:37 On leur dit « attention, il faut qu'on… »
06:39 Moi, je me suis renseignée, encore une fois, avec tous les professeurs qui ont participé
06:45 à cette tribune.
06:47 En gros, c'est un quart d'une classe qui n'écrit pas.
06:50 Un quart écrit plutôt bien, la moitié de la classe écrit avec difficulté et un quart
06:57 n'écrit pas du tout.
06:58 Nous, on le voit bien quand on les voit arriver.
07:04 Alors, ils écrivent au crayon à papier pour gommer.
07:08 Ou alors, ils écrivent et puis ils raturent tout.
07:11 Ça fait mal au cœur.
07:12 Il y a un manque de confiance, là, terrible.
07:15 C'est vraiment ça le message que je veux faire passer.
07:17 En fait, ces ateliers d'écriture, ces 30 minutes d'écriture à l'école où il
07:22 faut vraiment, encore une fois, dégager du temps et faire des petits groupes, c'est
07:26 très important.
07:27 C'est aussi pour donner confiance.
07:29 La confiance, là, elle fait vraiment cruellement défaut à cette génération.
07:33 Depuis hier, partout dans les médias, il y a le visage d'une consoeur à vous qui
07:38 s'appelle Emmanuelle Béard, comédienne que vous connaissez bien et qui raconte publiquement
07:42 l'inceste qu'elle a subi entre 11 et 15 ans.
07:46 Elle a signé un documentaire qui s'appelle « Un silence si bruyant » qui raconte justement
07:53 comment elle s'est enfermée dans le silence et comment elle n'a pas trouvé les mots.
07:56 Il y a quelques années, c'était vous, Isabelle Carré, qui très courageusement
08:00 a lié à la télé avec une lettre non pas adressée à Gabriel Attal mais à Emmanuel
08:05 Macron, déjà président de la République, en disant « Il faut aider les enfants à
08:09 trouver leurs mots ».
08:10 Oui, deux élèves par classe sont victimes d'inceste aujourd'hui.
08:16 Deux élèves par classe, je les vois dans la classe, ces élèves silencieux, leur
08:25 tendre une main et puis que ça s'arrête, ça cesse.
08:29 Évidemment, merci de parler de ça et de faire le relais de cette grande cause.
08:33 Moi, j'ai pris la parole effectivement au moment de « Me Too inceste » parce que
08:38 je me disais que ça demande beaucoup de courage.
08:41 Mais ne pas le faire, oui, je comprends ceux qui se taisent, je comprends ceux qui n'y
08:47 arrivent pas.
08:48 Mais je ne fais pas le relais ce matin, je fais le lien tout simplement entre cette
08:51 lettre ouverte à un président de la République il y a cinq ans et cette lettre ouverte à
08:54 un ministre de l'éducation.
08:55 Oui, vous avez raison.
08:56 En disant au fond, le lien entre les deux, c'est les mots.
09:00 C'est la maîtrise des mots et c'est pouvoir utiliser les mots.
09:03 Pouvoir utiliser les mots pour se réapproprier son histoire.
09:07 La dire, c'est aussi réparer en fait.
09:12 C'est aussi se dire qu'on n'a pas subi tout ça, comme on pourrait être un bouchon
09:18 sur l'eau et qui s'en va au gré du courant.
09:22 Non, on devient actif en fait avec les mots.
09:26 Merci Isabelle Carré.