Les Mardis de L'écume | Le Vide qui est en nous, d'Hélène L'Heuillet (éd. Albin Michel)

  • la semaine dernière
Chères lectrices, chers lecteurs,

Voici la captation de la rencontre d'Hélène L'Heuillet, enregistrée le Mardi 8 octobre 2024. Cet échange est animé par Hélène Bihèry-Dupuy.

Vous souhaitant de belles lectures,

L'écume

La Quatrième :

Nous avons une véritable passion pour le vide, que nous redoutons autant qu’il nous attire.

D’un côté le vide inspire de l’horreur. Il faudrait tout combler, remplir et occuper par des occupations, des divertissements, du sens. Ni ennui ni vacance ne doivent prendre place dans nos vies, car se confronter au vide c’est faire l’expérience, douloureuse, du manque et de la perte.

D’un autre côté, nous pouvons rechercher le vide, temporairement, pour reprendre notre souffle, exercer notre pensée, ou bien y aspirer pleinement, en rejetant et en détruisant tout, en faisant table rase.

Prenant le vide comme un principe de notre rapport au monde, Hélène L’Heuillet montre que la passion du vide, ambivalente et contradictoire, fait de nous des êtres de violence, mais qu’elle est aussi la condition de tout désir et de l’expression de notre liberté, sans lesquels la vie ne vaudrait pas la peine d’être vécue.
Transcription
00:00:00Bonsoir. Bonsoir à tous, merci d'être avec nous ce soir. Merci à vous, Hélène Leyer,
00:00:06d'avoir accepté notre invitation. On est particulièrement heureux de vous recevoir
00:00:09à l'Épilogue des Pages. On vous lit depuis longtemps dans cette maison. On a évidemment,
00:00:15comme beaucoup, remarqué votre éloge du retard, qui est votre précédent livre. Et aujourd'hui,
00:00:21vous nous offrez Le vide qui est en nous, qui n'est pas un éloge du vide, comme vous le précisez
00:00:27très souvent dans les interviews que vous avez données jusqu'ici. Vous êtes agrégé de philosophie,
00:00:33professeur de philosophie morale et politique à la Sorbonne Université, professeur émérite
00:00:37aujourd'hui, psychanalyste. Et vous nous offrez un livre qui est à la fois un livre de philosophe,
00:00:42mais aussi un livre de psychanalyste, tant vous nous emmenez à la suite de vos associations d'idées,
00:00:48j'oserais dire. Et vous nous faites vraiment plonger, si j'ose dire là aussi, dans ce vide,
00:00:56qui est un concept ou une réalité qui souvent effraie et avec lequel, vous le dites très bien,
00:01:02nous avons, nous les humains, une relation très ambivalente, à la fois de terreur et d'attraction.
00:01:08Qu'est-ce que c'est que ce vide et comment se fait-il que vous soyez emparé de ce sujet ?
00:01:13Tout à fait, merci. D'abord, je commence moi aussi par remercier Loïc Duproquet et vous-même,
00:01:19Hélène Biéry-Dutuy, de l'organisation et l'animation de cette rencontre et de ce que
00:01:25vous dites donc de ma présence sur les rayons de la librairie. Merci beaucoup et merci à tous
00:01:30d'être venus. Oui, le vide, à vrai dire, je me suis rendu compte, mais c'est ça à chaque livre,
00:01:37qu'en fait, c'était la question autour de laquelle je tournais dans tous mes livres. Que ce soit la
00:01:43police, le terrorisme, il est toujours question du vide, le retard, bien sûr, le vide du temps,
00:01:48le voisinage, l'intervalle entre les gens, la haine qui est une défense contre le vide et qui
00:01:54est produite aussi en face du vide. Et effectivement, alors, devant ce vide, si je
00:02:01puis dire, qui s'imposait à moi comme une évidence, je ne pouvais pas écrire un éloge du vide parce
00:02:06qu'il est vrai que le vide a des formes tout à fait plates ou terrifiantes, par exemple la vie
00:02:16restreinte, ennuyeuse. La vie, elle se présente aussi parfois comme ça, comme vide. Et puis le
00:02:26vide de la destruction également, tout casser, tout détruire, faire du vide, jeter, faire un
00:02:32débarras. Et puis en même temps, c'est aussi la grande bouffée d'air, c'est la respiration. Quand
00:02:38on étouffe, qu'on est dans une vie, alors au contraire, trop compacte, trop pleine. Là, c'est
00:02:45aussi l'éloge du retard qui m'a menée vers cela. Enfin, c'est-à-dire qu'on a besoin de vide, on a
00:02:51besoin d'intervalles, on étouffe, il faut des vacances. Mais quelles vacances ? Est-ce qu'on
00:02:57arrive à tenir le vide des vacances ? Bref, on a effectivement un rapport un peu compliqué, un peu
00:03:03bousculé, un peu bousculé à ce vide qui, au fond, est notre condition, qui est en nous, qui est
00:03:10en nous, évidemment aussi du fait du langage. Et vous avez tout à fait raison de rappeler que,
00:03:16bien sûr, c'est un livre de philosophie, je n'ai pas le choix, je ne peux écrire que philosophiquement,
00:03:20c'est comme ça. Je m'entraînerais trop loin d'essayer d'expliquer pourquoi, pour autant que
00:03:26je le sache, d'ailleurs. Mais c'est aussi un livre où la présence de la psychanalyse est très
00:03:33importante, parce que c'est un peu mon réel, en quelque sorte, c'est le réel de la subjectivité
00:03:38qui m'intéresse. Et donc, c'est le vide en nous, le rapport qu'on a au vide. Et effectivement, la
00:03:44présence de mon expérience de psychanalyste, elle existe là, dans toutes les pages, je crois. Je
00:03:51n'écris pas personnellement de vignettes cliniques où je raconte des cas, mais voilà,
00:03:57je conceptualise à partir aussi de ce qui m'est donné à entendre dans les cures que je mène,
00:04:04dans les gens qui veulent bien venir me parler. Et donc, évidemment, ça nourrit aussi ma réflexion,
00:04:11mes patients m'ont beaucoup appris sur le vide. Et donc, j'ai tissé ça avec la philosophie. Mais
00:04:19c'est vrai que ce n'est pas un livre académique, en tout cas, si c'est pour dire cela. Il n'y a pas
00:04:24de bibliographie exhaustive sur chaque point. Je parle, je dialogue avec les livres qui m'ont
00:04:30inspiré, mais sans faire le tour bibliographique de la question. Ça, pour ça, ce n'est pas académique,
00:04:35ce n'est pas une thèse. Non, j'allais dire, justement, c'est un livre qui est riche aussi
00:04:39de vos lectures. Oui. Et vous partagez avec vos lecteurs. Oui. Et c'est très stimulant pour le
00:04:45lecteur, en fait. Il y a une vraie conversation, vous établissez une vraie conversation avec votre
00:04:48lecteur et avec les livres qui ont jalonné votre parcours de lectrice, de philosophe, de
00:04:52psychanalyste et vous rendez vraiment grâce à toutes ces lectures. Et moi, j'ai trouvé ça très
00:04:57jubilatoire en vérité. Et un des premiers chapitres, le livre s'ouvre sur un très bel hommage à Albert
00:05:04Camus et une nouvelle que moi, je ne connaissais pas, qui s'appelle La femme adultère. Je ne sais
00:05:09pas si certains d'entre vous l'ont lu, donc une nouvelle assez méconnue de Camus, dans laquelle
00:05:14Camus met en scène un personnage, un personnage de femme qui s'appelle Jeannine, qui va se
00:05:19confronter, justement, au vide. Et de quelle meilleure manière se confronter au vide qu'en
00:05:26affrontant ce qui pourrait être la métaphore absolue du vide, à savoir le désert? Est ce
00:05:31que vous pouvez nous raconter un peu ce qui se passe dans cette nouvelle et pourquoi vous avez
00:05:35eu envie de l'explorer pour ce livre? Cette nouvelle est tout à fait saisissante. Effectivement,
00:05:41je ne me souviens plus comment je l'ai découvert. Vous avez raison, elle est très peu connue et très
00:05:46peu explorée dans la bibliographie sur Camus. Et elle nous montre bien, justement, que concernant
00:05:52le vide, on ne peut pas trancher, dire le vide est bon ou le vide est mauvais et séparer des bons
00:05:57vides et des mauvais vides. Là, ce que montre bien Camus, c'est que c'est une question de place. Ce
00:06:02qu'on doit régler et avec quoi peut être il est essentiel de pacifier. Ou du moins, quand on se
00:06:08pacifie, c'est toujours avec ça. C'est la place du vide dans notre existence. Et donc cette nouvelle,
00:06:14elle est extraordinaire pour cela. Janine, c'est le vide. Elle est vide. Alors évidemment, Camus,
00:06:21qui a des lettres classiques, qui est Inanis en latin, signifie vide. Donc on n'a pas choisi ce
00:06:28prénom. Voilà, pas seulement c'était à la mode dans les années 60, mais pas seulement. Mais parce
00:06:34que ça fait résonner Inanis. Donc elle est vide. On est en Algérie, on est à Oran. Et puis voilà,
00:06:44c'est une Française d'Algérie qui a épousé quelqu'un qui la met à l'abri du besoin, comme
00:06:49elle dit. Donc aucune inquiétude. Sa vie est tranquille, parfaitement ennuyeuse, tout à fait
00:06:55restreinte. Et puis un jour, alors ça se présente vraiment sur le mode de la surprise, elle décide
00:07:02d'accompagner son mari dans le sud. Il faut voir que le sud chez Camus, c'est quelque chose, pas
00:07:07trop développé, mais c'est surtout la grande profondeur du pays. C'est pas une très grande
00:07:15façon de connaître le sud en Algérie, c'est presque impossible. Mais voilà, Camus dit bien,
00:07:21il y a la conscience au nord qui est un très grand pays, très vaste. Et vaste, c'est la même
00:07:26étymologie, ça veut dire vide, de vacum, qui veut dire le vide. Donc voilà, il y a ce pays très vaste.
00:07:34Donc elle va dans ce pays très vaste, ils arrivent dans une petite ville fortifiée, et puis elle s'ennuie
00:07:40toujours. Et puis au milieu de la nuit, et non, d'abord elle va se promener avec son mari dans la
00:07:45forteresse. Et là, il fait froid, vite on rentre. Et elle est surprise. Elle est réellement surprise
00:07:53par ce vide, c'est comme ça que Camus le dit, qui en l'occurrence est l'immense paysage qui s'ouvre
00:08:02devant elle, ce paysage vaste. Et là, alors le vide est bordé, elle ne tombe pas dans le vide justement.
00:08:10Parce que ce qui est terrible dans le vide, c'est aussi la chute. Elle ne tombe pas dans le vide, il y a un
00:08:14parapet, le vide est bordé. Mais elle se laisse, grâce à ce paramètre, atteindre. Et tout change.
00:08:22C'est en ça qu'elle est adultère. Et qu'elle retourne en pleine nuit, en se cachant de son mari, elle
00:08:28retourne devant le vide. Et là, elle dégèle en quelque sorte, elle pleure. Et toute cette vie gelée,
00:08:37gelée, protégée du vide. Mais du coup, elle était devenue vide de s'être protégée du vide qui est en
00:08:42elle. Cette rencontre avec le vide la fait pleurer, elle rentre, elle pleure. Son mari lui dit, mais
00:08:48qu'est-ce qui se passe ? Rien ! Elle dit ce n'est rien. Donc il y a aussi ce rapport entre le vide et le rien.
00:08:55Voilà, oui, oui, tout à fait. Et vous dites très bien, et c'est très fascinant, vous dites très bien,
00:08:59rien faire n'est pas ne rien faire. Et ce rien qui vient percuter, si j'ose dire, germine et tout
00:09:07souffrit. C'est-à-dire que c'est vraiment la révélation pour elle de son être profond. Et ce
00:09:12vide, tout à coup, lui offre la possibilité d'exister. C'est ça, exactement. Il faut qu'il y ait ce
00:09:19vide pour qu'il y ait, en quelque sorte, une vie à la première personne. C'est-à-dire qu'ensuite,
00:09:25bon, la nouvelle s'arrête. Qu'est-ce qu'elle devient ? Qu'est-ce qu'elle fait ? L'histoire ne le
00:09:30dit pas. Mais ce qui est certain, c'est qu'elle est transformée. Elle est transformée et elle est
00:09:35devenue quelqu'un par ce rien. Ce rien qui, effectivement, n'est pas en tant que tel le vide,
00:09:41mais enfin, ce ne sont quand même pas deux continents complètement étrangers l'un à l'autre.
00:09:46On peut dire que le rien, c'est, en quelque sorte, le vide réifié, le vide réel aussi. C'est ça,
00:09:53le rien qui est là, rencontré dans quelque chose. Quelque chose, oui. Le rien, c'est aussi quelque
00:10:01chose. C'est ce vide en tant que quelque chose. Vous dites que la transformation ne peut
00:10:05advenir que par le vide, ou en tout cas que c'est une confrontation au vide. Et le désir ne peut
00:10:12advenir que si le vide est présent. Absolument, absolument. C'est-à-dire qu'au fond, ce qui est
00:10:18central dans le vide, dans le désir, c'est d'abord le rapport au vide. Pour qu'il y ait du désir,
00:10:23il faut qu'il y ait du vide. Alors, ça peut se subjectiver sous la forme du manque, mais ça,
00:10:28ça donne des pensées un peu parfois un peu moralisatrices, enfin un peu psychologisantes.
00:10:33Il faut de la frustration, il faut du manque, etc. À travers le manque, ce qui compte, c'est le vide,
00:10:41parce que sinon, tout manque n'est pas du tout propre à susciter du désir. Ça peut être une
00:10:47simple privation où la frustration elle-même n'engendre pas nécessairement du désir. Mais,
00:10:54en revanche, il faut peut-être, à travers parfois le rien, à travers le manque, arriver
00:11:00effectivement au vide. Et ça, il y a des traditions. Il y a des traditions, j'essaye
00:11:05d'en trouver quelques-unes. Voilà. On va en parler justement. Mais justement, dans notre société où
00:11:10on vit quand même dans une phase hyper saturée tout le temps, où on est assez peu seul, puisque
00:11:17même les gens seuls sont en contact permanent, j'ose dire là à nouveau, je le dis avec leur
00:11:24téléphone, puisque je crois que les statistiques montrent qu'on est chacun de nous possesseurs de
00:11:29portable, béni ceux qui n'en ont pas, en contact 300 fois par jour avec notre téléphone. Ce qui fait
00:11:34qu'on n'est jamais seul. Oui, c'est ça. Comment les interstices arrivent-ils à passer et quels
00:11:40contacts s'autorisent-on encore aujourd'hui à avoir avec le vide ? Sans que votre livre soit,
00:11:45bien sûr, une méthode, surtout pas. Non, bien sûr. Vous nous donnez quand même des pistes pour
00:11:50renouer avec ce vide en nous. C'est ça. Et comme une espèce d'éthique de vie, vous nous offrez
00:11:56vraiment une possibilité de pacifier, comme vous le disiez, avec ce vide. Oui, voilà. C'est-à-dire
00:12:02qu'il faut quand même susciter la rencontre, parce que l'élargissement psychique, il se produit
00:12:08parfois dans les rêves, vous savez, dans ces rêves où on rêve que la maison familière, en fait, a des
00:12:13pièces inconnues et qu'on découvre de nouvelles pièces et d'autres pièces encore. Voilà, ça
00:12:19arrive, là, dans une année, ça arrive à chacun d'entre nous, je crois, d'avoir ce type de rêve,
00:12:23c'est la même expérience que celle de Jeannine. Mais voilà, il y a quelque attention qu'on peut
00:12:29avoir à ce qui provoque l'élargissement, l'élargissement psychique, ce qui nous met
00:12:35devant le vaste, parce que c'est vrai que les 300 fois où on contacte notre téléphone,
00:12:39où on saisit notre téléphone, c'est bien souvent effectivement la fermeture au vide. Donc voilà,
00:12:46il y a une attention qu'on peut donner aux intervalles, aux interstices, aux failles aussi
00:12:51en soi, puisque bien entendu, il y a ça aussi, c'est-à-dire que dès qu'on entrevoit une faille
00:12:57en soi-même ou chez quelqu'un, vous savez bien, si un de nos amis se met à pleurer, qu'est-ce que
00:13:02je peux faire ? Comment je peux te remplir de conseils, souvent qui, évidemment, tombent à
00:13:07côté de la plaque complètement et puis qui sont très violents, parce que ça signifie qu'on n'est
00:13:11pas capable d'accueillir, d'accueillir ce qui se dit, là, dans cette faille, peur de vide, là
00:13:17encore. Donc voilà, il y a une attention. Les vacances, c'est vrai que finalement, l'attention
00:13:24qu'on peut prêter au vide dans nos vies, c'est presque l'éducation négative de Jean-Jacques
00:13:30Rousseau dans Émile, c'est-à-dire qu'il faut empêcher d'agir, il faut empêcher les vacances
00:13:34de trop se remplir de visites toutes très très importantes, toutes magnifiques, etc. Mais il
00:13:42faut quand même pouvoir être un petit peu attentif à ce qui reste pas, voilà, pas complet,
00:13:50pas compact. Oui aussi, alors quoi que moi sur la question de l'ennui, j'ai toujours été très
00:13:55partagée, parce que c'est un petit peu ce que je disais sur le manque et la frustration, c'est-à-dire
00:14:01parfois des propos un peu moralisants sur l'ennui, l'ennui c'est bien, c'est formateur, mais en même
00:14:07temps l'ennui c'est terrible, c'est vraiment justement un vide parfaitement mortifère. La
00:14:16question est justement quel rapport, c'est un vide tourmenté, le rapport à l'ennui qu'on a
00:14:23dans l'ennui, parce que dans l'ennui on a envie de tuer le temps, enfin on est, il y a un rapport
00:14:29de toute façon étymologique entre la haine et l'ennui. L'ennui vient parfois d'ailleurs de la
00:14:37haine. Il y a beaucoup de conflits en vérité dans l'ennui. Quand on s'ennuie, c'est quand même
00:14:42qu'on est très inquiet et même d'une inquiétude qui n'arrive pas à se mettre en mots. Et donc
00:14:49voilà, je ne fais pas d'éloge de l'ennui, pour moi la question justement à travers l'ennui,
00:14:54comme le manque, à travers l'ennui, c'est le vide qui est en question. Et là, laisser un peu de
00:14:59vacances, voilà, alors évidemment aussi être attentif à cela, à toute forme de vacances et
00:15:06notamment à toutes celles qui sont des transitions. Alors vous appelez un des chapitres de votre livre
00:15:14que je trouve magnifique, le vide de la volonté ou comment se transformer soi-même. Vous citez
00:15:19en exergue une phrase d'un de vos maîtres, je crois. Oui, tout à fait. Marcel Xermac, dans un livre qui
00:15:26s'appelle Traverser la folie, je le lis brièvement, c'est assez court, mais je trouve que c'est une
00:15:30métaphore magnifique. Pourquoi un bateau peut-il remonter au vent ? Aucune explication n'en était
00:15:35fournie jusqu'à la fin du 19e siècle, début 20e. Néanmoins, les bateaux remontaient au vent. Il
00:15:42aura fallu des expériences en soufflerie pour montrer que la déflexion du vent sur la convexité
00:15:46d'une voile créait un vide et donc qu'un bateau qui remonte au vent est aspiré par un vide. Cette
00:15:54image, elle est très forte dans votre livre. Elle revient très souvent. Je pense qu'elle vous a
00:15:57vraiment marquée, qu'elle vous a vraiment, au-delà de séduite, je pense qu'elle fait écho à
00:16:04quelque chose en vous, à l'évidence. Et souvent, vous dites dans ce livre, soyons comme des bateaux,
00:16:10laissons-nous aspirer par le vide et laissons-nous remonter au vent. Tout à fait. Qu'est-ce que c'est
00:16:14que ce vide de la volonté ? Alors, attention, voilà, parce que c'est aussi une transformation, parce
00:16:18qu'il est très bien qu'ignorer le vide qui est en soi, c'est se laisser pousser par le vent,
00:16:24quoi. On va où le vent nous mène. Tandis que le bateau qui remonte au vent, il est aspiré,
00:16:30il n'a pas peur du vide, il est aspiré par le vide. Alors, je sors complètement cette citation
00:16:36du contexte. Mais Marcel Tchermak était aussi, en plus d'être psychiatre et psychanalyste,
00:16:41un grand marin. Et donc, il pouvait aussi filer toutes les métaphores maritimes. Mais
00:16:49voilà. Et il était aussi un connaisseur de la pensée chinoise. Et c'est pourquoi j'ouvre ce
00:16:55chapitre sur le vide de la volonté par cette remarque, là aussi, de Marcel Tchermak dans
00:17:03un autre contexte. Mais il y avait en lui cette résonance de cette pensée taoïste qu'il connaissait
00:17:10aussi par ailleurs. Parce que, comme je vous disais, d'abord, je me suis rendu compte ces jours-ci,
00:17:15hier à vrai dire, que ce livre est un livre sur la transformation. Et donc, il y a quelques
00:17:25pensées dans la tradition. Il y aura les atomistes de l'antiquité et puis la pensée chinoise qui ont
00:17:33pensé, c'est-à-dire comment se transformer à partir du vide et qui ont montré que le vide,
00:17:40il est central dans la pensée chinoise, mais il est surtout dynamique. C'est-à-dire que quand on
00:17:45veut se transformer, il y a cette dynamique du vide qui doit nous saisir. Et ça s'appelle le
00:17:52vide de la volonté, le non-agir. Alors, qu'est-ce que c'est ? Évidemment, il y a bien des malentendus
00:17:58et c'est très parlant pour nous aujourd'hui. Et c'est très séduisant. On voit aussi que ça a
00:18:04énormément de succès, mais à quel prix aussi, à quel prix, de quel contresens et de quel
00:18:12changement ? Il faudra le voir éventuellement. Mais ce non-vouloir, en tout cas, c'est l'idée
00:18:19que quand on veut changer souvent, on se dit on va prendre des résolutions, on va le vouloir,
00:18:24on va se faire un programme, des exercices même. Et par la volonté et la conscience,
00:18:31la conscience, on va parvenir au but que l'on veut. Et alors, au contraire, ce que l'on remarque,
00:18:41c'est que bien souvent, c'est ça qui conduit à l'échec. Et en analyse, ça, c'est une expérience
00:18:48très commune. On dit j'ai conscience de ce qui ne va pas, je vais le changer. Ça ne marche pas.
00:18:54Si à la fois, on n'a pas identifié quels sont les obstacles au changement et donc quels sont
00:19:00réellement les ressorts de l'action, c'est-à-dire qu'est-ce qui est agissant réellement et qu'on
00:19:06empêche à son insu d'agir. Parce qu'en vérité, quand on veut changer, très souvent, on veut
00:19:10changer. On veut ça, mais en fait, on ne peut pas changer ça. Et puis, on ne peut pas changer ça.
00:19:14En fait, on veut changer, mais on ne peut pas changer en vérité. Donc, on a surtout très peur
00:19:19de cette forme du vide aussi qu'est l'inconnu. Parce que changer, c'est accepter. Voilà, c'est
00:19:26accepter l'inconnu et puis savoir qu'un changement va en entraîner un autre et que donc, au bout du
00:19:32compte, c'est autre. Il y a évidemment un écho de mes livres précédents sur l'altérité, puisque
00:19:38c'est l'altérité que rencontre Jeannine Aufort. Et là, c'est l'altérité en soi qu'on rencontre
00:19:45quand on accepte de passer par le vide. Donc, le non-vouloir, le non-agir, ce n'est pas de rester
00:19:49dans une sorte d'immobilité passive qui nous laisserait justement faire en sorte qu'on se
00:19:56laisse pousser par le vent au gré, comme ça, de ce qui nous emporterait. Pas du tout. C'est le
00:20:02contraire, en quelque sorte. Et voilà pourquoi il n'y a pas de recette du non-agir. C'est laisser
00:20:07agir en soi ce qu'on empêche d'agir et qui nous met dans une forme de malaise, de conflit,
00:20:14voire d'ennui, comme on le disait tout à l'heure. Et vous êtes assez sévère, et moi ça m'a beaucoup
00:20:18amusée, avec justement tous ces stages, toutes ces formations sur le lâcher prise, ces fameux
00:20:24séminaires en quatre semaines, on va vous apprendre à lâcher prise, etc. Pour vous,
00:20:27c'est une aberration absolument totale. Oui, tout à fait. Et puis là, je m'inspire aussi de ce beau
00:20:32livre de Romain Graziani, L'usage du vide. Je ne cite pas évidemment tous les livres qui existent
00:20:39sur la pensée chinoise, mais celui-ci m'a particulièrement inspirée, et je dialogue
00:20:45avec lui. Je ne suis pas toujours d'accord avec ses paradigmes, mais peu importe. En revanche,
00:20:50ça, il a lui-même cette critique, c'est-à-dire que dire à quelqu'un lâcher prise, c'est un peu
00:20:57comme dire d'or à un enfant qui ne veut pas dormir. Ce n'est pas en disant d'or que justement,
00:21:04ce qui est agissant dans la venue du sommeil, non agissant, agissant dans les processus de
00:21:10l'endormissement, ce n'est pas par l'impératif, et donc l'excitation et l'éveil de la volonté que
00:21:15ça suscite, qu'on y parvient. Donc, lâcher prise, en général, ça provoque absolument exactement le
00:21:23contraire. Il y a un autre endroit et un autre lieu qui nous est commun à tous où le vide règne
00:21:31en maître, j'oserais dire, c'est le langage. Vous consacrez plusieurs chapitres au langage,
00:21:37aux mots creux, aux mots d'amour, à la banalité de certaines expressions. Vous dites parler,
00:21:46c'est faire des trous. Oui, voilà, et je dirais, bon, ça, c'est un peu la clé. Alors, je ne commence
00:21:51pas comme ça parce que ce n'est pas du tout, je n'ai pas du tout envie de construire ce livre
00:21:54comme une démonstration, mais enfin, c'est un peu le soubassement parce que sinon, il y aurait
00:22:00bien des malentendus. Si ce n'est pas au langage qu'on se réfère, ça pourrait même être très,
00:22:05très dangereux de promouvoir, de faire l'éloge du vide. Ce serait l'éloge, je crois, de la
00:22:11dévastation, de la destruction. Non, c'est parce que c'est le langage qui fait que nous avons ce
00:22:17rapport intime au vide. Et là, évidemment, c'est quelque chose de tout à fait, peut-être difficile
00:22:27à saisir, qu'on est pris complètement, enfin, à notre insu, on est pris dans le langage. Qu'est-ce
00:22:33que c'est que cette spécificité d'être parlant ? C'est difficile aujourd'hui parce que justement,
00:22:39ce qui a été révisé, c'est ce qui apparaissait traditionnellement comme la suprématie de
00:22:45l'humain intellectuel et parlant au sommet de la hiérarchie des vivants. Évidemment, ce n'est plus
00:22:52dans l'air du temps et il y a de très bonnes raisons pour que ce ne soit plus dans l'air du
00:22:56temps. Peut-être pas, voilà, ouvrir sur cette question, mais ce n'est pas du tout de ça qu'il
00:23:01s'agit parce que le langage s'est apparu comme un privilège, mais c'est aussi ce qui cause aussi
00:23:06parfois notre malheur, ce vide de la destruction, ce vide de l'horreur. C'est aussi notre condition
00:23:13langagière qui est en jeu. Il n'y aurait pas de tortionnaire s'il n'y avait pas ce langage aussi
00:23:19chez les humains. Donc, c'est notre malheur, c'est notre bonheur, mais en tout cas, c'est cela qui
00:23:25fait que nous avons rapport au vide en nous parce que le langage, c'est la pensée symbolique. Le
00:23:31langage, c'est l'ouverture au symbolique et qu'est-ce que le symbole sinon du vide ? C'est la raison
00:23:36pour laquelle des symboles anciens dont nous avons perdu la clé d'interprétation historique ne nous
00:23:43parlent plus, on ne sait plus ce que ça veut dire. Et voilà, les archéologues sont parfois, ou les
00:23:49chercheurs sont ce qu'on appelait la préhistoire. Est-ce qu'on a affaire à du symbolique ? Mais on
00:23:55ne sait pas, on n'a plus la clé parce que le symbolique, c'est vide. Et les mots qu'on emploie
00:23:59d'eux-mêmes, au fond, par essence, ils sont vides et surtout, ils ouvrent en nous un vide. On fait des
00:24:06trous dans ce réel par les mots. Alors là aussi, c'est le meilleur et le pire. Le meilleur, parce
00:24:13que dire des riens, c'est absolument charmant, c'est sympa. Enfin, quand on croise un voisin dans
00:24:18l'ascenseur le matin, on ne sait pas quoi lui dire. On dit bonjour, ça fait beau, ça ne fait pas beau, bref. Et c'est rien, on ne dit rien, c'est des mots
00:24:24complètement creux. Mais c'est dire, on est là, on a coincé pendant deux minutes ensemble, donc on a
00:24:31lien. Et on a lien par le langage. Donc, on se touche par le langage en quelque sorte. Et puis,
00:24:39bon, on essaye quand même souvent de ne pas avoir une parole trop vide. Mais c'est ça, comment échapper
00:24:46aux mots creux ? Mais comment échapper aux mots creux ? On essaye. Mais en même temps, il y a du mensonge, c'est
00:24:52une autre sorte de creux. Et puis, il y a surtout, inintentionnellement, que le moment où on essaye
00:24:56d'être sincère, de dire la vérité, de vraiment s'ouvrir à l'autre, de dire quelque chose de plein.
00:25:04Bizarrement, parfois, ça sonne creux, ça sonne vide. Alors, soit parce qu'on ne trouve pas d'oreille.
00:25:10Quand on ne trouve pas d'oreille, boum, ça tombe dans le vide, effectivement. Et ça nous revient sous forme de
00:25:15creux. Même, on voit que l'intonation, elle change quand quelqu'un s'adresse à quelqu'un d'autre. Et
00:25:22puis, l'oreille n'est pas là. La voix de celui qui parle tombe en quelque sorte, parce qu'elle tombe
00:25:28dans le vide. Et puis, il y a aussi tout l'univers de la manipulation communicationnelle. Parce que
00:25:36la communication, c'est génial. C'est d'avoir compris que le langage est vide. Donc, on peut
00:25:41privilégier les affaits d'annonce, la manipulation d'autrui, sans servir pour l'obéissance. De toute
00:25:46façon, peu importe. C'est du vide. C'est creux. Donc, voilà pourquoi j'ai intitulé ce chapitre,
00:25:52je te dirai des mots creux. Il y a vraiment une promesse. Et c'est vraiment cela qui crée,
00:25:58entre autres, la crise du politique. Alors là, je me rectifie un peu moi-même. Parce que je crois
00:26:03que j'avais un peu eu tendance, dans mon livre sur le terrorisme et un peu dans mon livre sur la haine,
00:26:08à dire voilà, le langage comme une solution, en quelque sorte. Une solution parlée contre les
00:26:15passages à l'acte, contre la destruction. Et puis, oui, je me révise et je me rectifie un petit
00:26:23peu parler, mais à condition de ne pas se servir délibérément et cyniquement du vide du langage
00:26:30pour produire des effets de manipulation. Et c'est cette chose que quand on essaye de dire du vrai,
00:26:36on se trouve confronté à du mensonge et que cyniquement, les manipulateurs disent, on y va,
00:26:44pas de différence entre le vrai et le faux. Peu importe, ce qui compte, c'est les effets qu'on va
00:26:48produire. Donc voilà tout ce qui est en jeu dans le langage, dans le fait que le langage est notre
00:26:53condition. Et vous parlez du mensonge et j'ai envie de vous demander de nous parler un peu d'un autre
00:26:59auteur qui a une place très importante, je pense, dans votre vie, c'est Jean-Jacques Rousseau.
00:27:03Jean-Jacques Rousseau qui, dans ses Confessions, parle justement du mensonge et parle presque du
00:27:09mentir vrai. Quelles sont vos relations avec Rousseau ? J'ai toujours beaucoup aimé Jean-Jacques
00:27:17Rousseau et j'ai d'ailleurs signé une préface, une nouvelle préface, une introduction aux Confessions
00:27:23dans une collection de réédition des Confessions. Et donc je l'avais aussi vraiment en tête,
00:27:29mais de toute façon, je l'ai beaucoup, je l'ai toujours beaucoup enseigné. Je vois qu'il y a des
00:27:31anciens élèves qui sont là, beaucoup enseigné Rousseau. Et voilà, c'est un auteur pour qui j'ai
00:27:36beaucoup d'affection et qui, là, m'a beaucoup inspiré. Et encore, je me suis bridée pour les
00:27:40vacances parce que c'est lui, vous repensez à ça, s'occuper à des riens en vacances et non pas ne
00:27:47rien faire, s'occuper à des riens, ne rien achever, laisser les choses comme ça en plan, etc. Voilà,
00:27:54c'est ça les vacances. Et puis, bien sûr, je le cite aussi là dans ses passages absolument
00:28:01extraordinaires sur le mensonge parce que Rousseau dit j'étais un menteur, j'ai été souvent un menteur.
00:28:05Il a eu des mensonges absolument absurdes, comme le jour où il s'est fait appeler Mr. Dudding alors
00:28:10qu'il ne parlait pas un mot d'anglais dans une liaison amoureuse qui était condamnée,
00:28:14évidemment, à l'échec parce qu'il ne parlait pas un mot d'anglais et que donc,
00:28:17posant des questions, il fallait arrêter cette histoire. Et que justement, il remarque,
00:28:23c'est presque la seule histoire un peu heureuse, un peu gay qu'il a pu avoir dans sa vie par le
00:28:29mensonge, par ce déguisement qu'il s'est donné. Et puis, bon, il y a des mensonges plus tragiques
00:28:35où il a fait accuser une servante de vol. Voilà, Rousseau, c'est un menteur. En même temps,
00:28:40comme dit Lacan, on n'est jamais menteur âgé continu. C'est pour ça que Lacan dit le paradoxe
00:28:44du crétoir. Enfin, on en fait des tonnes. Ça n'a aucun sens parce que personne n'est menteur âgé
00:28:50continu et que, effectivement, Rousseau est quelqu'un qui parle vrai et qui écrit les
00:28:55confessions parce qu'il cherche ça avec toujours ce sentiment de mentir. Et en même temps, il se
00:29:01rectifie pour dire du vrai et il dit du vrai quand même. Voilà. Et il dit du vrai, ne serait-ce que
00:29:06en élucidant cette propension à mentir qui est la sienne.
00:29:10Alors, loin du mensonge de Rousseau et loin d'un mensonge qui dirait du vrai, on peut peut-être
00:29:16évoquer à nouveau le mensonge en politique et le péril que court notre démocratie à faire fi du
00:29:24vide et à prendre la lettre sans l'esprit. Enfin, voilà, l'esprit et la lettre sont très mal menées
00:29:32dans nos démocraties, pas seulement chez nous. Et vous consacrez aussi tout un chapitre à ce danger.
00:29:38Et vous citez un autre auteur qui vous est cher, qui est Claude Lefort.
00:29:42Absolument.
00:29:43Est-ce que vous pouvez nous parler un petit peu de l'usage de la langue en politique et de ce qu'on en fait ?
00:29:48Claude Lefort est un auteur qui est curieusement pas présent dans le débat public aujourd'hui ou rarement.
00:29:55Et je m'en étonne et je m'en désole parce que véritablement, contre toutes les tentatives de remplir...
00:30:03Voilà, la démocratie est en crise partout dans le monde. Le nombre de démocraties, effectivement, diminue.
00:30:09Enfin, voilà, le classement des régimes. Et on voit que les démocraties qui existent ont un péril.
00:30:16Elles ont affaire à toutes sortes de tentations pour remplir les formes.
00:30:19Voilà, le populisme, c'est bien un remplissage. Non, non, c'est une démocratie vide, une voix du peuple qui va parler et donc remplir.
00:30:29Et puis même ceux qui critiquent le populisme, du coup, sont pris dans ce piège du sens, de remplissage.
00:30:35Alors, il y a bien entendu pas mal d'auteurs qui ont parlé de ce vide, de la démocratie en tant que libérale.
00:30:43Donc les procédures démocratiques, les formes, c'est du vide.
00:30:46Le fait de pouvoir considérer... Le Fort le dit aussi que le pouvoir, c'est un lieu vide.
00:30:53Donc ça, c'est de la dimension républicaine en quelque sorte de la démocratie, qu'il y a une disparité des places.
00:30:59Donc il faut qu'il y ait des intervalles entre ceux qui échangent.
00:31:03Mais surtout, c'est le régime de la parole. C'est le régime de la parole.
00:31:07Et en tant que tel, c'est aussi la fragilité, bien sûr, de la démocratie.
00:31:11Le vide est en elle, qui correspond à notre division intérieure.
00:31:15Parce que ce que j'essaye de dire, c'est qu'au fond, le langage nous divise toujours.
00:31:21Voilà, il y a toujours un écart entre le son et le sens.
00:31:25Il y a toujours un écart, vous venez de l'évoquer, entre la lettre et puis l'esprit.
00:31:32D'ailleurs, bien des manipulations communicationnelles fonctionnent de cette manière.
00:31:36À la lettre, c'est comme ça. Vous, vous êtes piégés, parce que vous, vous avez compris l'esprit.
00:31:40À la lettre, en bas à la lettre, il n'y a rien à dire.
00:31:43Donc voilà, c'est comme le corbeau de la fable, il se fait piéger tout seul parce qu'il a été de bonne foi, en quelque sorte.
00:31:52Donc voilà, il y a toujours cet écart.
00:31:54Et je dirais que ce qui nous rend la démocratie désirable,
00:31:57et ce qui est le régime qui convient le mieux à des êtres parlants, c'est déjà Spinoza qui le disait,
00:32:03c'est le fait que cette division démocratique, elle est créée par le langage,
00:32:11dans la démocratie particulièrement, les affaires communes sont réglées par la parole.
00:32:16Alors ça prend du temps, c'est compliqué, il y a des débats, etc.
00:32:20Mais ça correspond à la division intérieure, la division sociale correspond à la division intérieure.
00:32:25Et là où Claude Lefort est passionnant, c'est qu'il dit que c'est une mutation symbolique.
00:32:29C'est-à-dire qu'il n'y a qu'avec la démocratie qu'on sort du modèle du corps en politique, de l'organicisme politique.
00:32:35Parce que, déjà Aristote disait, c'est comme un régime où il y avait centaines de têtes,
00:32:43bon maintenant aujourd'hui il y a des dizaines de milliers, et de pieds, des milliers de pieds.
00:32:49Des centaines, c'était grec.
00:32:50Mais voilà, des milliers et des milliers de pieds, donc ça ne fait pas un corps.
00:32:56On rompt avec tout organicisme.
00:32:58Et en cela, il y a une mutation symbolique, en cela il y a du vide.
00:33:03Et c'est ce vide auquel nous tenons, c'est ce vide que nous voulons pas voir refermer.
00:33:08Et c'est ce vide qui est la...
00:33:09Enfin voilà, la démocratie ce n'est pas un régime qui est figé, on le voit très bien.
00:33:12Je veux dire, on ne pourrait pas vivre dans la démocratie grecque,
00:33:16on la trouverait épouvantablement tyrannique, discriminatoire,
00:33:21et de même pour d'autres formes de démocratie du passé.
00:33:25Mais justement, c'est une forme vide et souple,
00:33:28et c'est ça qu'elle a de précieux, c'est ça qu'on devrait défendre précisément.
00:33:32Il y a un autre endroit de la langue où le vide est assez abyssal,
00:33:37vous l'évoquez brièvement dans votre livre, c'est l'intelligence artificielle.
00:33:40Qu'est-ce qui nous attend avec l'intelligence artificielle ?
00:33:42D'où cette langue nous parle-t-elle ? Que nous dit-elle ?
00:33:45En quoi nous met-elle éventuellement en péril ?
00:33:47Ben disons que, c'est vrai que...
00:33:52le fonctionnement de l'intelligence artificielle,
00:33:54c'est le contraire du vide qui est en nous, puisque c'est quand même...
00:33:59la compilation fait que, justement, ce qui peut apparaître de nouveau,
00:34:04c'est à partir de la compilation.
00:34:07En revanche, la subjectivité, ça, elle n'est pas programmable.
00:34:11On peut donner l'impression de la manipulation, ça peut apparaître comme tel.
00:34:15Ça, je sais que j'ai déjà entendu une histoire comme ça
00:34:18de quelqu'un qui a reçu une lettre absolument merveilleuse.
00:34:23Mais, dès là, tu verras qui.
00:34:25Voilà.
00:34:27Et ça, on peut l'entendre quand c'est un sujet.
00:34:31Parce que, on peut dire, on fonctionne tous sur le mode de l'intelligence artificielle,
00:34:35parce que comment écrire des livres sans lire, enfin...
00:34:38La création, elle est ex nihilo, mais ex nihilo avec, justement,
00:34:42comme vous le disiez tout à l'heure, un dialogue avec les autres.
00:34:45Moi, c'est vrai que je n'aime pas du tout, ça, c'est un parti pris.
00:34:48Je n'aime pas du tout les livres
00:34:51où les auteurs font semblant de ne s'être inspirés de personne, en quelque sorte.
00:34:55On ne peut pas toujours payer toutes ces dettes.
00:34:57Il y a des dettes qu'on oublie.
00:34:59Mais, en général, quand même,
00:35:01on se souvient à peu près
00:35:05d'avec qui on a dialogué.
00:35:08On oublie peut-être des références très anciennes,
00:35:10mais avec qui on a dialogué, ça, en général, on s'en souvient.
00:35:14Et c'est la moindre des choses que de le dire, voilà.
00:35:18Moi, je tiens beaucoup à ça.
00:35:20D'abord, pour aussi permettre aux lecteurs d'aller rechercher les références
00:35:25et eux-mêmes de faire leur chemin avec les textes que je cite.
00:35:30Et puis, voilà, pour dire qu'on est en dialogue.
00:35:35Mais ce n'est pas la compilation, précisément, de l'intelligence artificielle
00:35:40qui peut donner l'illusion d'un sujet.
00:35:42Mais il est vrai que ce sont de nouvelles créatures.
00:35:46Voilà, j'ai cité ce texte de Kant qui est assez incroyable,
00:35:49où il parle, si un jour advenait de nouvelles créatures,
00:35:52à quoi ils pouvaient penser ?
00:35:54Mais évidemment, ce sont de nouvelles créatures.
00:35:56Comment les identifier ?
00:35:57Quelles noms leur donner ?
00:35:59On n'en est vraiment pas là, encore.
00:36:01Je ne sais pas.
00:36:02Mais en tout état de cause,
00:36:04ce qu'on appelle le sujet désirant,
00:36:05ben non, là, il n'est pas là.
00:36:07Parce qu'il est forcément toujours dans des failles et dans ce qui ne colle pas.
00:36:10Il est dans les erreurs.
00:36:11Il est dans les trébuchements.
00:36:12Il est, justement, dans ce vide qui est en nous et qui n'est pas là, en revanche.
00:36:17Cette lettre d'amour était peut-être très belle,
00:36:19mais en fait, elle n'était pas du tout habillée.
00:36:21Il y avait quelque chose qui dit,
00:36:24mais c'est bizarre, je ne reconnais pas la personne.
00:36:27On entend quand même que quand on est sensible à une énonciation,
00:36:31on entend quand ce n'est pas un sujet qu'il faut en voir,
00:36:35surtout dans ce domaine-là.
00:36:37Et au contraire de cette lettre magnifique, magistrale et glaciale,
00:36:41vous le citez, et je trouve ça très, très beau,
00:36:42je ne peux pas m'empêcher de le citer,
00:36:44cette très jolie poème de Rézvani, chantée par Jeanne Moreau.
00:36:48Mais rien de tous les jours.
00:36:51L'amour, ça se dit avec des choses comme ça.
00:36:53Voilà, exactement.
00:36:55Ça pourrait passer pour creux et en vérité, ça ne l'est pas du tout.
00:36:58Voilà, c'est creux parce que c'est le vide du langage en tant que tel,
00:37:01mais comme dans la poésie, comme chez Malarmé.
00:37:04C'est-à-dire que dans les deux cas, il s'agit de parler pour parler.
00:37:10Je prenais l'exemple du voisin qu'on ne connaît pas bien,
00:37:13mais quand on connaît trop quelqu'un,
00:37:15on ne va pas le matin faire une dissertation.
00:37:19C'est donc ces petits mots, ces petits mots de tous les jours qui sont des riens.
00:37:23Et c'est ça, c'est ce creux du langage qui est extrêmement précieux,
00:37:27comme dans la poésie où, grâce à l'écart entre justement le son et le sens,
00:37:33le mot résonne, résonne autrement
00:37:36parce qu'il y a un petit déplacement par rapport au sens.
00:37:39Donc, il y a un autre son.
00:37:41Et donc, voilà, dans le vide, ça résonne autrement.
00:37:44Et ça fait sens.
00:37:45Et ça fait tout à coup, oui.
00:37:48Il y a un autre lieu de nos vies où le vide s'invite très cruellement
00:37:53et que nous avons tous déjà éprouvé au moins une fois, je pense, c'est le deuil.
00:37:57Vous consacrez un chapitre au deuil en disant bien à quel point
00:38:02c'est le vide le plus abyssal, le plus difficile à combler.
00:38:08Oui, celui qu'on accepte, en fait, souvent, en fait, jamais.
00:38:14On croit qu'on a accepté, puis on se rend compte.
00:38:16Vous dites qu'on est comme, on redevient comme un enfant.
00:38:19Oui, non, tout à fait non.
00:38:20Et on attend que le défunt revienne.
00:38:22Voilà, c'est ça.
00:38:23On en est tous un peu là.
00:38:24Oui, oui, oui.
00:38:25Je pense que là, on a affaire à un vide qui est pratiquement
00:38:29un vide qui est insoutenable,
00:38:31qui est précisément, certainement,
00:38:37ce à quoi nous vaut le langage et le plus douloureux.
00:38:42Enfin, avec les expériences de torture,
00:38:47c'est-à-dire d'être passé aussi par la mort.
00:38:50C'est-à-dire que qu'est-ce que c'est que la mort pour des êtres qui parlent ?
00:38:53Forcément, ça nous confronte à un vide insoutenable
00:38:57qui est à la fois creusé par,
00:39:01mais qui fait que, non,
00:39:03il y a quelque chose qui est inacceptable là-dedans,
00:39:06dans forme d'absence.
00:39:08Voilà pourquoi on peut parler aussi du fait que toujours,
00:39:14les défunts reviennent.
00:39:15Ceux qu'on a perdus sont toujours là.
00:39:18Alors, ce chapitre sur le deuil,
00:39:19il est aussi l'occasion de parler justement des objets,
00:39:22de notre rapport aux choses.
00:39:23Et vous citez un livre qu'on aime beaucoup ici,
00:39:25une autrice qu'on aime beaucoup ici,
00:39:26Lydia Flemm, qui a publié il y a exactement 20 ans,
00:39:29un très beau livre qui s'appelle
00:39:30« Comment j'ai vidé la maison de mes parents ».
00:39:32Elle vient d'y donner une suite qui s'appelle
00:39:34« Que ce soit doux pour les vivants ».
00:39:37Qu'est-ce qu'on fait des objets dont on hérite,
00:39:40mais qui ne nous ont pas été donnés ?
00:39:42Comment est-ce qu'on peut jouir de cet héritage
00:39:45sans se sentir un peu,
00:39:48pas comme un voleur évidemment,
00:39:49mais que faire d'une maison pleine,
00:39:52par exemple, de ses parents et qu'il va falloir vider ?
00:39:55Oui, j'aime beaucoup ce livre.
00:39:57J'ai dialogué avec ce livre que j'avais lu il y a très longtemps,
00:39:59que j'ai relu et que je conseille parfois,
00:40:02parce qu'il est tellement juste,
00:40:05y compris dans ce à quoi je ne consens pas.
00:40:09Par exemple, sur l'héritage,
00:40:11je ne suis pas du tout d'accord avec elle.
00:40:13Elle exprime, et je sais que ça peut être aussi une expérience commune,
00:40:17cette espèce d'interdit qu'elle a à s'emparer des objets de ses parents,
00:40:23y compris peut-être ceux qu'elle désirait le plus de leur vivant.
00:40:26Parce qu'elle dit, mais ce qu'ils ne m'ont pas donné,
00:40:29ça ne peut donc pas me revenir.
00:40:31Sinon, ils me l'auraient donné.
00:40:33Et là, je dois dire,
00:40:35je ne suis pas tellement d'accord avec ça.
00:40:37Je pense que, justement,
00:40:40on lègue ce qu'on a usé,
00:40:45ce qui porte un peu une part de soi.
00:40:48C'est-à-dire, justement, il y a les choses qu'on donne
00:40:50et puis les choses qu'on laisse pour après.
00:40:53Et qui sont des choses qui portent aussi notre empreinte,
00:40:58et c'est ce qui fait leur prix.
00:41:00Et voilà pourquoi, quand on vit de la maison de ses parents,
00:41:03on tombe sur toutes sortes de choses qui portent encore leurs habitudes
00:41:11et qui réveillent des souvenirs.
00:41:14C'est ça qui est douloureux.
00:41:15Mais c'est pour ça aussi qu'il faut faire l'inventaire de chaque chose.
00:41:19Vous dites que les choses ne sont jamais le choix
00:41:20parce qu'on fait déjà l'inventaire des souvenirs de toute façon.
00:41:23Alors, autant faire l'inventaire des choses
00:41:26et ne pas les jeter comme ça, de manière non discriminée.
00:41:29Vous dites que les choses ne sont jamais que des choses.
00:41:32Elles portent l'empreinte.
00:41:33Voilà, ne sont pas que des choses.
00:41:35Voilà, ne sont pas que des choses.
00:41:37Et d'ailleurs, de la même façon que vous êtes assez sévère
00:41:40sur ces stages de lâcher prise,
00:41:42vous êtes très sévère et c'est très drôle.
00:41:44Il y a des pages très drôles.
00:41:45Ce livre est très, très joyeux à lire.
00:41:49Le sujet du vide ne doit pas vous effrayer.
00:41:52Vous êtes aussi très sévère avec ces méthodes de rangement.
00:41:55D'ailleurs, vous appelez un de vos chapitres,
00:41:56j'ai trouvé ça très drôle,
00:41:57« Pont débarras ».
00:41:58Et alors, ces best-sellers qui vous font croire
00:42:02que vous allez ranger votre maison en deux temps,
00:42:03trois mouvements et la méthode est très simple,
00:42:05il faut tout débarrasser.
00:42:08Alors là, ça vous rend assez dingue.
00:42:10Oui, mais alors parce qu'il y a une entourloupe quand même,
00:42:13c'est-à-dire que ça paraît aller contre le consumérisme.
00:42:18Tout le monde connaît le syndrome de Diogène.
00:42:20Il ne faut pas être Diogène.
00:42:21Donc alors, vraiment, il faut se débarrasser.
00:42:24Oui, il y a de la marge.
00:42:25Il faut vider ses placards.
00:42:26Mais en fait, ça relance complètement le consumérisme.
00:42:29Alors d'une part, parce que c'est un appel à consommer de nouveau
00:42:32quand on aura jeté.
00:42:34Et puis surtout, c'est que justement,
00:42:37le syndrome de Diogène,
00:42:38c'est se laisser envahir par les déchets.
00:42:40Et ça veut bien dire ce que ça veut dire,
00:42:41c'est considérer les choses comme des déchets.
00:42:44C'est considérer ses vêtements comme des déchets,
00:42:46comme si on ne les avait pas portés,
00:42:47comme si on n'avait pas existé avec,
00:42:49comme si on n'avait pas des souvenirs avec.
00:42:51Et donc, toutes ces choses-là qui ne sont pas justement des choses,
00:42:55il faut faire attention quand on les jette.
00:42:58C'est-à-dire que parfois, on est pris de frénésie.
00:43:00Et puis, on jette, alors qu'on a jeté aussi des parts de soi.
00:43:04On s'est jeté soi-même à la poubelle, en fait.
00:43:06Parce que qu'est-ce qu'on est ?
00:43:07Soi, on n'est pas le sujet de l'idéalisme allemand,
00:43:11le sujet du vide qui est en soi.
00:43:13Ce n'est pas un sujet qui serait tout le temps plein d'lui-même,
00:43:17indépendamment des choses.
00:43:18Non, c'est un sujet divisé qui est pris dans le vide
00:43:21et qui est aussi dispersé dans quelques vêtements,
00:43:24dans quelques objets, pas tous, évidemment.
00:43:27Pas tous, c'est quand même un essai encombré de toutes sortes de choses.
00:43:33Mais voilà, là aussi, il faut faire l'inventaire.
00:43:35Il faut faire attention à ce qu'on jette.
00:43:38On a tous fait des bêtises, mais il faut faire attention.
00:43:41Les choses ne sont pas seulement des choses, effectivement.
00:43:43Et vous dites, et c'est une parole qui va droit au cœur des libraires
00:43:48que nous sommes tous ici, certains d'entre nous ici,
00:43:52s'il y a bien une chose qu'il ne faut pas jeter, ce sont les livres.
00:43:55Et vous racontez une anecdote personnelle que j'aime beaucoup.
00:43:57Est-ce que vous voulez bien nous la raconter ?
00:43:58Je ne sais pas, je vais être gênée si je raconte ça.
00:44:03Sur la grammaire ?
00:44:04Oui, oui, c'est intime.
00:44:07J'ai pu l'écrire, je ne sais pas si je pourrais le dire.
00:44:10Vous voulez que je le raconte, moi ?
00:44:12Non, on ne le raconte pas.
00:44:13Non, mais je veux dire, on peut parler des livres quand même.
00:44:15Effectivement, on peut parler des livres parce que c'est vrai
00:44:18que ce qui a causé un peu mon indignation sur ces best-sellers
00:44:22de comment se débarrasser, c'est que les livres ne sont pas épargnés
00:44:25et que justement, il y a des pages pour nous convaincre
00:44:28qu'il faut arrêter de sacraliser les livres,
00:44:31que ce sont des choses comme les autres et que c'est...
00:44:33Alors, on peut élargir le délai parce qu'en général,
00:44:36celui que je cite, je ne vais pas dire son nom parce que quand même,
00:44:40je ne suis pas très gentille avec cette autrice qui, sans doute,
00:44:44est très sympathique, peu importe.
00:44:45Mais je veux dire, c'est que bon,
00:44:48elle dit que pour les objets, les chaudes, les vêtements,
00:44:52c'est trois ans.
00:44:54On n'a pas utilisé pendant trois ans, poubelle.
00:44:57Alors que parfois, justement, on peut...
00:45:01Moi, je voulais mon expérience personnelle.
00:45:03On peut mettre pendant 15 ans un vêtement au rencard
00:45:07et puis après, on le retrouve.
00:45:08Surtout que la mode ne fait que remunier.
00:45:10Oui, en plus.
00:45:12Alors voilà, trois ans, on jette.
00:45:14Alors pour le livre, le délai, un peu plus long quand même.
00:45:19C'est ce qui reste de l'ancienne sacralisation.
00:45:21Mais enfin, je crois que notre expérience, tous les lecteurs
00:45:26savent très bien que le livre, ce n'est pas un objet de consommation
00:45:28comme un autre.
00:45:29Alors là, s'il y a une part de soi qu'on met dedans,
00:45:32alors dans les livres qu'on annote, c'était le cas de cette grammaire,
00:45:35voilà, et dans les livres qu'on a annotés,
00:45:39mais aussi dans les livres qu'on n'a pas lus.
00:45:42Parce que je crois qu'on a tous eu cette expérience
00:45:44d'avoir acheté un livre, ça paraissait absolument nécessaire.
00:45:48Finalement, on ne l'a jamais lu.
00:45:49Alors, selon le délai qui est indiqué ici,
00:45:53ça devrait aller à la poubelle.
00:45:54Mais en fait, il y a un jour, il devient absolument nécessaire, ce livre.
00:46:00Il attendait son heure, tranquillement.
00:46:03Donc voilà, et puis on ne l'a plus acheté.
00:46:05Si on suit les préceptes de cette conseillère.
00:46:08Oui, on ne l'a plus et puis voilà aussi,
00:46:10la vie des livres est de plus en plus éphémère,
00:46:12d'après ce que je peux voir.
00:46:14Ce que vous savez, oui.
00:46:16Alors, j'aimerais bien qu'on termine cette conversation
00:46:20avant de proposer au public de vous poser des questions
00:46:23sur une scène que j'ai trouvée magnifique dans votre livre.
00:46:26C'est une histoire que raconte Ginette Colinka
00:46:30pour parler justement du vide,
00:46:33de certains lieux, à certaines époques
00:46:37où l'humain a été réduit à zéro,
00:46:40ce qui a été son cas puisqu'elle a été déportée à Auschwitz.
00:46:43Elle était dans le même convoi, on le sait,
00:46:45que Marceline Henri d'Orléans et que Simone Veil.
00:46:48Et à un moment de cet enfermement,
00:46:53de cet internement, elle se sent partir.
00:46:57Elle est épuisée.
00:46:58Elle était une très jeune femme, elle a 19 ans, je crois.
00:47:01C'est une très jeune femme et elle sent qu'elle est
00:47:04arrivée au bout de quelque chose.
00:47:05Elle n'arrive plus à résister.
00:47:07Et il va se produire quelque chose d'incroyable
00:47:11et de très inattendu, justement.
00:47:12Il y a quelque chose qui se produit,
00:47:14c'est-à-dire que Simone Veil lui fait cadeau d'une robe.
00:47:17Alors d'où vient cette robe ? Je ne sais pas.
00:47:19Et quel rôle va jouer ce vêtement ?
00:47:21Est-ce que vous pouvez nous parler de cette scène
00:47:23que je trouve très saisissante ?
00:47:24Oui, oui, tout à fait.
00:47:26Et Simone Veil en parle aussi dans certains entretiens
00:47:30de ces robes.
00:47:32Parce qu'évidemment, là, on est dans le cas,
00:47:34on voit très bien ce que je disais tout à l'heure
00:47:35sur la déshumanisation permise par le fait que nous sommes
00:47:39des actes de parole, c'est-à-dire réduire un sujet au vide
00:47:44qui est en lui.
00:47:44C'est ça, voilà.
00:47:46D'avoir plus de nom, un numéro et puis le vide du corps.
00:47:50Le vide du corps décharné, un corps réduit à son vide.
00:47:56Voilà, on a les images des rescapés.
00:48:01Et donc, ces jeunes femmes étaient dans cette condition.
00:48:04Et là, il y a eu des robes qui sont apparues,
00:48:07qui visiblement se donnaient de déportées en déportées,
00:48:13d'un convoi sans doute.
00:48:15Et elles disent, Ginette Colinka le dit et Simone Veil le dit,
00:48:21cette robe a sauvé la vie.
00:48:23Alors, évidemment, il faut un peu plus de conditions.
00:48:26Mais c'est dire aussi que quand on est réduit
00:48:29par la déshumanisation à son vide,
00:48:33il est clair que ce qui peut soutenir le désir de vivre,
00:48:38tout ce qui peut soutenir le désir de vivre,
00:48:41quand on se sent glissé, comme glissait Ginette Colinka,
00:48:46quand on se sent glissé, elle dit bien qu'effectivement,
00:48:49c'est là que la recette,
00:48:51ce que Simone Veil a fait pour elle, c'est lui donner une robe.
00:48:55Et là, quelque chose se tient à nouveau du corps
00:49:01et soutient le désir de vivre.
00:49:03Et voilà pourquoi j'ai écrit,
00:49:04ça m'a un peu inspirée pour le chapitre sur le vêtement,
00:49:08couvrer ce vide, même si c'est plutôt à la fin du chapitre,
00:49:11mais en fait, c'était ça, l'idée de ce chapitre, c'était ça.
00:49:16Comment le vêtement à la fois couvre le vide dans une tenue
00:49:21et en même temps, c'est justement en se montrant qu'on cache le vide.
00:49:26On se montre pour cacher le vide.
00:49:28D'ailleurs, il y a des gens, je parle d'une histoire comme ça,
00:49:31de quelqu'un qui, tout l'inverse,
00:49:33cherchait des vêtements trop voyants pour précisément se cacher.
00:49:38C'est-à-dire que cacher le vide qui est en soi,
00:49:41ça permet parfois aussi de soutenir sa vie.
00:49:45Et dans un autre glissement,
00:49:47mais qui peut être aussi tout à fait dramatique,
00:49:49qui est le glissement dépressif,
00:49:51on voit très bien, on a l'habitude,
00:49:52quand quelqu'un est très déprimé,
00:49:56il ne s'habille plus pratiquement en pyjama
00:50:00ou presque en pyjama, en quelque sorte.
00:50:02Et puis, quand il y a un peu de couleur qui revient,
00:50:05un petit vêtement,
00:50:06alors là, c'est quand même qu'il y a quelque chose qui s'est éclairé.
00:50:09Donc le vêtement, ça paraît superficiel,
00:50:12mais c'est loin d'être superficiel
00:50:13et ce n'est pas en contradiction avec ce que je dis,
00:50:16sur les placards, etc.
00:50:18Et le consumérisme,
00:50:20ce n'est pas du tout pour favoriser la fast fashion,
00:50:22mais c'est que justement, la fast fashion,
00:50:25on réduit les vêtements aussi à des choses de peu d'importance,
00:50:30alors que les vêtements, c'est très important.
00:50:32D'abord, ça peut se léguer aussi, les vêtements.
00:50:34D'ailleurs, Simone Veil le précise bien,
00:50:36je crois que c'était dans le documentaire
00:50:38que vous avez consacré, d'Halite de Gaulle.
00:50:39Oui, c'est ça.
00:50:40Sur les robes très élégantes.
00:50:41Elle ne se rappelle plus d'où elle les tient,
00:50:43elle sait que c'est une déportée qui lui a donné.
00:50:44C'est ça.
00:50:45Mais ce sont des robes, on peut imaginer,
00:50:46peut-être des robes en soie, des robes magnifiques.
00:50:49C'est ça.
00:50:49Dont on peut imaginer ce qu'elles représentent dans cet univers.
00:50:52Oui, absolument.
00:50:52Désolation absolue.
00:50:54Oui, oui.
00:50:54Et les pyjamas rayés, enfin bon.
00:50:56Et Ginette Calica le dit, elle enfile la robe
00:50:58et elle retrouve son corps de jeune fille.
00:51:00Absolument.
00:51:00Et ça, c'est quand même extra.
00:51:03Exactement.
00:51:03Et quand on vous regarde et quand on vous voit
00:51:05avec les belles couleurs que vous arborez,
00:51:06on se dit que vous allez très bien,
00:51:09que la sortie de ce livre est un bonheur pour vous.
00:51:11Il l'est aussi pour nous.
00:51:13Et l'exploration du vide tel que Hélène Leuyer nous le propose
00:51:17est peut-être vertigineuse, peut provoquer des inquiétudes.
00:51:20Mais on se l'était dit, l'inquiétude n'est pas
00:51:22inintéressante à explorer, mais elle provoque surtout
00:51:25beaucoup de joie.
00:51:26Merci énormément à vous, Hélène Leuyer,
00:51:28pour cette traversée du vide, si je peux le dire ainsi.
00:51:33Il est vrai que le vide peut être tout à fait joyeux.
00:51:35C'est vrai aussi.
00:51:37Et l'expérience sombre aussi, mais joyeuse.
00:51:39La très belle scène d'ouverture, j'y reviens un peu.
00:51:42Cette scène de confrontation au désert de Janine chez Camus
00:51:46est magnifique, vraiment magnifique.
00:51:48Donc merci infiniment.
00:51:49Merci beaucoup à vous.
00:51:51Merci à tous.
00:52:01Je vais vous passer la parole.
00:52:02Si vous avez des questions pour notre invité,
00:52:04je vous invite à vous lancer.
00:52:07Un saut dans le vide, c'est toujours une transformation.
00:52:10Monsieur.
00:52:11Ah non, non, non.
00:52:12Je vais aussi.
00:52:18Merci beaucoup, Hélène.
00:52:19Non, c'est juste par association d'idées avant la question.
00:52:24Vous savez, dans les Grandes Lamoures, il y avait
00:52:27ce qu'il racontait même.
00:52:28Et puis, il y avait aussi les poèmes qui s'échangeaient.
00:52:33On fallait les déporter.
00:52:37Donc, il s'enveloppait aussi de mots et de poésie.
00:52:40Un petit poème les uns des autres.
00:52:42Pour certains, ça a suffi.
00:52:44Ce rien de la poésie a suffi à les tenir en vie.
00:52:48Tout s'était raconté beaucoup par les survivants.
00:52:52Bon, mais je voulais interroger Hélène sur le cœur de l'ouvrage.
00:52:59Il y a un chapitre qui m'a beaucoup étonné,
00:53:01le chapitre 10, dont le titre est...
00:53:05Tout cassé.
00:53:06Tout cassé.
00:53:07Ah oui.
00:53:08On l'a un peu évoqué.
00:53:10Je voulais demander à Hélène parce que j'avais l'impression
00:53:13que ça annonçait presque un futur travail, un futur livre.
00:53:18Parce que Hélène, à l'intérieur de ce livre,
00:53:21quand même à l'intérieur du livre, qui est d'ailleurs,
00:53:24le chapitre est le plus dense, je crois,
00:53:27et très documenté sur les mouvements sociaux
00:53:31et sur la façon dont les insurrections sont portées,
00:53:35sont parlées, sont racontées avec le comité invisible.
00:53:39Il y a plein de...
00:53:41On apprend plein de choses au passage
00:53:43sur l'insurrection contre le monde tremplin
00:53:46qui se vit produit par ce capitalisme qu'on connaît.
00:53:50Et donc, Hélène passe beaucoup de temps
00:53:53à faire le récit de cette nécessité...
00:53:59Enfin, pas de tout casser, mais de faire...
00:54:02Avec ce tremplin, comment fait-on ?
00:54:05Et ensuite, à la toute fin,
00:54:08elle rappelle effectivement que Lacan s'était beaucoup inquiété
00:54:13de ce qu'il avait appelé à l'époque le discours du capitalisme
00:54:17en promettant que ce discours,
00:54:20là qu'on vit encore plus maintenant, évidemment, après Lacan,
00:54:24qu'il allait faire la culbute de tous les discours classiques,
00:54:27discours du maître, discours de l'hystérique qui s'y oppose,
00:54:30discours de l'université,
00:54:32et que ça allait faire un tourniquet infernal
00:54:36dont on ne sait pas trop comment...
00:54:39Alors, je voudrais demander à Hélène quand même,
00:54:42est-ce que tu es, par rapport à toutes ces questions,
00:54:46dans une recherche, je dirais, plus politique,
00:54:50une façon de dire qu'il est temps qu'un discours fasse un peu de vide
00:54:55de tous ces discours ambiants qui nous rendent fous ?
00:54:58Oui, oui, je te remercie Jean-Jacques pour cette question
00:55:01et pour le résumé de ce chapitre.
00:55:04Effectivement, c'est vrai que c'est...
00:55:06Hier, très précisément, je me suis rendu compte
00:55:08qu'il y a trois chapitres sur la transformation
00:55:10et qui sont les chapitres clés, en quelque sorte,
00:55:13le chapitre sur la pensée chinoise,
00:55:15tout cassé,
00:55:16et puis le chapitre sur les atomistes grecs.
00:55:19Parce que le changement, c'est aussi le changement social.
00:55:22C'est-à-dire, comment se transformer aussi socialement ?
00:55:26Qu'est-ce que la transformation sociale ?
00:55:28Donc, je dialogue beaucoup avec le comité Invisible,
00:55:30dont les livres, je dois dire, sont parfaitement passionnants
00:55:34et qui montrent bien aussi cette aporie
00:55:38de ce qu'on appelait au XIXe siècle la propagande par les actes.
00:55:41Là, je reprends la réflexion que j'avais eue aussi
00:55:43sur l'anarchisme jadis et qui est...
00:55:47Voilà, on ne peut plus parler, donc on agit, on casse.
00:55:51Et c'est vraiment les gens qui sont dans les groupes
00:55:53de têtes de manifestations et qui cassent,
00:55:55les abrilus, etc.
00:55:57Ils sont anonymes, d'ailleurs, pour cette raison-là.
00:56:00Mais voilà, là, il y a quelque chose
00:56:03qui est tout à fait passionnant,
00:56:04parce qu'ils sont obligés de rendre compte quand même.
00:56:08Et ce qu'ils disent comme analyse est tout à fait juste.
00:56:11Mais en même temps, en décalage par rapport
00:56:14à, effectivement, ce que Lacan a amené,
00:56:16qui est tout aussi critique sur le capitalisme.
00:56:18C'est un discours qui est follement astucieux,
00:56:21voué à la crevaison,
00:56:23parce que c'est une transformation du discours du maître.
00:56:25Et c'est ça, le piège dans lequel on est aujourd'hui.
00:56:28C'est que dans la mesure où c'est une transformation constante,
00:56:33c'est-à-dire que les sociologues, par exemple,
00:56:35Boltanski et Thévenot ont bien analysé ça aussi.
00:56:39Boltanski et Capello pour le livre sur le capitalisme.
00:56:43Comment le capitalisme s'est transformé.
00:56:46Transformables, adorent les critiques,
00:56:48parce que ça permet de donner un souffle nouveau.
00:56:50Donc comment, néanmoins, la transformation peut-elle avoir lieu ?
00:56:54Alors, est-ce que c'est en cassant ?
00:56:56Alors, quand même, il y a au passage
00:56:58le fait que j'étais un peu énervée et indignée
00:57:01par cette idée d'éco-terrorisme.
00:57:04Enfin, je veux dire, les mettant sur le même plan que le terrorisme.
00:57:08Ce n'est pas de la terreur, absolument pas.
00:57:10Mais un débat sur la propriété, comme ils le disent à juste titre.
00:57:15Mais alors, d'autre part, donc,
00:57:18Lacan nous permet de dire ceci,
00:57:20c'est que ce n'est pas en cassant les choses qu'on casse un discours.
00:57:25Que de toute façon, le problème, c'est qu'il faut faire
00:57:30l'advenir en quelque sorte des choses pour les casser.
00:57:33Et que ça, ça ne tient pas.
00:57:35Ça ne peut que tourner en cercle.
00:57:37Et précisément, appeler d'ailleurs le discours du maître
00:57:41sous sa forme de bâton qui tape, etc.
00:57:44dans les manifestations et renforce la police.
00:57:47Donc, on ne tue toujours les choses que par le symbolique.
00:57:53C'est les mots qui peuvent tuer.
00:57:55Alors, comment faire avec ça, quand on a ça ?
00:57:58Et c'est vrai que, comme tu l'as sans doute remarqué,
00:58:01je prends un peu de distance aussi avec un certain discours
00:58:05qui règne chez les lacaniens.
00:58:07Parce qu'un certain discours décliniste.
00:58:10Ah oui, il n'y a plus de discours,
00:58:12parce que le discours du capitaliste, c'est un discours bizarre,
00:58:14qui n'a pas sa place dans les autres discours.
00:58:16C'est un discours qui défait le lien social.
00:58:18Donc, voilà, on n'a plus qu'à critiquer en vain
00:58:22et à essayer de faire en sorte que quelques personnes
00:58:26vivent un peu mieux leur vie, ce qui n'est déjà pas si mal.
00:58:28Mais on a aussi une position à prendre.
00:58:31Et ce discours brinque-ballant, il me semble qu'il est aussi
00:58:35à mettre en série avec les autres discours dominants
00:58:38qui sont ceux de notre société.
00:58:40Le discours de l'écologie, par exemple,
00:58:42le discours de la casse, car c'en est un.
00:58:45Et voilà, de voir un petit peu comment
00:58:50un nouvel univers discursif,
00:58:53beaucoup moins consistant sans doute,
00:58:56met en tout cas aussi un univers discursif,
00:59:00ce profil, et que s'il y a du jeu, là,
00:59:04qui peut se trouver, il ne faut pas qu'on soit, nous aussi,
00:59:07les lacaniens, prisonniers de ce piège
00:59:11de l'imaginarisation du symbolique,
00:59:13comme s'il y avait eu un ailleurs meilleur,
00:59:16où tout allait pour le mieux dans les familles,
00:59:18avec une loi symbolique respectée.
00:59:21Non, voilà, c'est un petit peu ça, l'enjeu,
00:59:25de voir comment il y a une transformation.
00:59:29On est appelé quand même par la transformation sociale.
00:59:32Savoir aussi se transformer,
00:59:34c'est aussi prendre un certain point de vue
00:59:37sur la transformation sociale,
00:59:39en sachant que ça se fait toujours dans le discours,
00:59:41et que pour cette raison, on a aussi
00:59:43beaucoup de responsabilités sur le discours qu'on tient,
00:59:46et qu'il faut être peut-être aussi un peu ambitieux
00:59:49et même un peu agressif, en quelque sorte,
00:59:52sur ce plan.
00:59:54Alors, un livre à venir sur la question, je ne sais pas,
00:59:57mais en tout cas, ce qui est en jeu,
01:00:00c'est la transformation.
01:00:02Pas seulement de soi,
01:00:04comme si on était justement un individu
01:00:08qui n'avait affaire qu'à lui-même.
01:00:09C'est parler des autres.
01:00:10Oui, oui.
01:00:11Non, mais c'est important, parce que là,
01:00:13tu fais bouger les invariants de la petite gazelle.
01:00:16Oui, ça, les psys ont remarqué ça.
01:00:19J'ai bien dit en ouverture que c'était aussi
01:00:21un livre de psychanalyse.
01:00:22Oui.
01:00:24De la théorie psychanalytique, oui, tout à fait.
01:00:26Et la transformation du mouvement.
01:00:27Oui.
01:00:28Donc, beaucoup de vide et d'appropriation du vide.
01:00:32Absolument.
01:00:33À bonne manière.
01:00:34Absolument.
01:00:35Il faut remettre du vide dans la camp,
01:00:36alors que c'est vrai que certains de nos collègues
01:00:38ont eu effectivement tendance à le compactiser.
01:00:42Compactiser.
01:00:43Oui, tout à fait.
01:00:44Je suis d'accord.
01:00:45Décompactisons la camp.
01:00:46Exactement.
01:00:47D'urgence.
01:00:48Y a-t-il d'autres questions dans la salle ?
01:00:50Une autre question au moins ?
01:00:53Oui ?
01:00:54Peut-être que dans la continuité,
01:00:55je pourrais revenir sur la question du langage.
01:00:57Il me semble, en vous écoutant,
01:00:58que c'est du vide, du langage,
01:01:01que peut survenir l'événement,
01:01:04l'autre en soi,
01:01:05ou l'événement même peut-être au sens politique.
01:01:08Alors, en vous écoutant,
01:01:09c'est peut-être parce que je suis allée voir
01:01:10l'exposition sur le surréalisme
01:01:12qui a eu lieu en ce moment à Beaucoup.
01:01:14Je me demandais si on pouvait rapprocher
01:01:16votre réflexion de celle du manifeste surréaliste
01:01:19qui invite à aller chercher dans le langage,
01:01:21le vide n'est pas cité dans le manifeste,
01:01:23c'est plutôt du côté de l'imagination,
01:01:25du sensible,
01:01:26quelque chose qui viendrait justement
01:01:27transformer politiquement les choses.
01:01:29Est-ce qu'il y a un pont à établir ?
01:01:32Je crois que c'est surtout votre idée, Fanny.
01:01:34Fanny Lédorlin qui a fait sa thèse sur la critique
01:01:38sous ma direction
01:01:40et qui a développé elle-même toute une idée
01:01:43de la transformation sociale et de la critique,
01:01:45mais beaucoup plus sur la question de l'événement.
01:01:47Je crois que vous,
01:01:48ça c'est plutôt votre idée à vous,
01:01:50et elle est très intéressante aussi.
01:01:53Et là où ça se rejoint peut-être avec ce que je dis,
01:01:58puisque quand même il y a un rapport,
01:02:01là où ça se rejoint,
01:02:04c'est que je me disais justement
01:02:06dans toute cette actualité du surréalisme,
01:02:08je n'ai pas eu le temps encore de voir cette exposition,
01:02:11mais tous ces anniversaires autour du surréalisme,
01:02:14qu'il y avait quelque chose de régénérant
01:02:16et de revigorant dans le surréalisme,
01:02:19parce que précisément,
01:02:21évidemment c'est théorisé du côté de l'imagination,
01:02:26mais en fait ça déplace à la fois la vision
01:02:32et puis les mots, le langage.
01:02:36Et donc là, en insistant sur l'écart,
01:02:39il y a quelque chose qui redonne à la pensée
01:02:42effectivement une vie,
01:02:44cette vie qui est nécessaire à la transformation.
01:02:47Maintenant, est-ce que c'est vraiment la transformation ?
01:02:50Je ne sais pas.
01:02:51Comme vous savez,
01:02:54l'événement pour moi,
01:02:58il est ce qu'on en fait aussi.
01:03:06J'ai fait beaucoup de cours sur les révolutions,
01:03:10et la révolution française,
01:03:12pendant des siècles.
01:03:14Je n'ai rien écrit dessus, c'est des cours que j'ai fait.
01:03:17Mais la révolution française,
01:03:19elle a donné lieu à des interprétations
01:03:21et des interprétations et des réinterprétations.
01:03:24L'événement, il est toujours pris
01:03:27dans un réseau aussi de discours.
01:03:31En tant que tel, tout seul,
01:03:34c'est pour ça d'ailleurs que je pense
01:03:36le Comité Invisible a écrit.
01:03:37Parce que si on casse les vitrines,
01:03:40sans aussi au moins écrire
01:03:42« Attendez à tes agios »
01:03:44sur la vitre brisée d'une banque,
01:03:47quel est le discours que ça tient ?
01:03:50Il faut bien qu'il y ait un peu des mots.
01:03:52Voilà, je ne sais pas si ça répond à votre question.
01:03:54Pas du tout.
01:03:56Ça ne m'étonne pas.
01:04:04Des paroles ?
01:04:05Elle a toujours été un petit peu insolente.
01:04:11Y a-t-il une autre question insolente ou pas d'ailleurs ?
01:04:16Non ?
01:04:18Alors je redis cette phrase très belle
01:04:19qui est dans votre livre,
01:04:21de Marcel Zermatt.
01:04:22« Se laisser aspirer par le vide
01:04:24comme les bateaux remontent au vent ».
01:04:26Je trouve que c'est un assez beau programme
01:04:28et je vous y invite tous.
01:04:30Merci.
01:04:31Merci.
01:04:32Merci à vous.

Recommandations