Le violoniste Renaud Capuçon joue la Sonate pour violon et piano de Maurice Ravel, dans sa version orchestrée par Yan Maresz, avec l'Orchestre philharmonique de Radio France placé sous la direction de Lahav Shani. Extrait du concert enregistré vendredi 18 mai 2018 à l'Auditorium de la Maison de la Radio (Paris).
Ravel a toujours estimé que le piano et les instruments à cordes étaient inconciliables. En 1897, il avait toutefois composé le premier mouvement d’une sonate pour violon et piano, longtemps resté inédit. Pourquoi revenir à cet effectif en 1923 ? La rencontre de la violoniste Jelly d’Aranyi (dédicataire de Tzigane) et la découverte des deux Sonates pour violon et piano de Bartók ont peut-être donné l’impulsion décisive. Mais sans doute Ravel a-t-il également associé deux instruments « incompatibles » par goût de la gageure, avec l’intention de produire des sonorités inédites.
Foin de l’ample sonate romantique ! La sienne sera concise, en trois mouvements, de plus en plus brefs au fil de la partition. Bien que les deux instruments échangent leurs éléments thématiques, ils donnent surtout l’impression d’évoluer parallèlement, plus que de dialoguer. L’Allegretto initial, fidèle à la forme sonate tout en la traitant librement, reste globalement dans une nuance piano. À l’exception de quelques passages, le piano adopte une écriture grêle et linéaire. Les épisodes forte et ceux dans le grave en prennent d’autant plus de relief.
Pas de mouvement lent, ni de scherzo, remplacés par un Blues étonnant. Ravel emprunte au blues américain les syncopes et l’accentuation sur des temps faibles, les degrés instables (blue notes) caractéristiques de sa déclamation intense et douloureuse. Il s’inspire aussi de ses sonorités instrumentales, le piano et le violon évoquant quelque banjo, contrebasse ou percussion. Cependant, de même qu’il ne s’était guère soucié d’approcher une authentique musique hongroise dans Tzigane, de même il tient ici son modèle à distance. « Ces formes populaires ne sont qu’un matériau de construction, l’œuvre d’art n’apparaissant qu’après maturation de la conception, aucun détail n’étant alors laissé au hasard. De plus, une stylisation minutieuse, née de la manipulation de ces matériaux, est absolument essentielle », rappelle-t-il dans une conférence prononcée à Houston en 1928. Son Blues contient des dissonances mordantes, absentes de la musique dont il s’inspire. Et il ignore le swing au profit d’une sécheresse presque mécanique.
Plusieurs éléments thématiques des deux premiers mouvements reparaissent dans l’ébouriffant Perpetuum mobile. Après quelques mesures d’introduction, le violon se lance dans une course éperdue, qui exacerbe l’aridité agressive du Blues. On sait que Ravel s’était plongé dans les Caprices de Paganini lors de la composition de Tzigane. Peut-être l’ombre du diabolique violoniste plane-t-elle aussi sur ce finale. L’intensité et la densité des textures augmentent dans les dernières pages, le dernier accord sonnant comme une rupture, au terme d’une tension portée à ses limites extrêmes.
Si la combinaison du violon et du piano est annoncée comme un défi, on peut en dire autant de l’orchestration de la Sonate. Comment se mesurer à son auteur, fabuleux alchimiste des sons ? Comment traiter cette œuvre dont l’écriture dépouillée semble rétive à toute parure symphonique ? Yan Maresz, passionné depuis longtemps par la musique de Ravel, a décidé d’entourer la partie de violon (conservée dans son état d’origine) d’une formation de « type Mozart », avec les vents par deux : celle utilisée dans la Pavane pour une infante défunte, Ma mère l’Oye et Le Tombeau de Couperin. L’orchestration s’inspire des alliages de timbres de ces partitions et de leurs textures, mais sans chercher à les imiter. Conscient que Ravel, confronté à la même tâche, aurait inventé d’autres couleurs, Maresz respecte son style tout en apportant avec humilité sa touche personnelle.
Maurice Ravel
Sonate pour violon (orchestration de Yan Maresz)
1. Allegretto
2. Blues
3. Perpetuum mobile
Texte d'Hélène Cao
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Ravel a toujours estimé que le piano et les instruments à cordes étaient inconciliables. En 1897, il avait toutefois composé le premier mouvement d’une sonate pour violon et piano, longtemps resté inédit. Pourquoi revenir à cet effectif en 1923 ? La rencontre de la violoniste Jelly d’Aranyi (dédicataire de Tzigane) et la découverte des deux Sonates pour violon et piano de Bartók ont peut-être donné l’impulsion décisive. Mais sans doute Ravel a-t-il également associé deux instruments « incompatibles » par goût de la gageure, avec l’intention de produire des sonorités inédites.
Foin de l’ample sonate romantique ! La sienne sera concise, en trois mouvements, de plus en plus brefs au fil de la partition. Bien que les deux instruments échangent leurs éléments thématiques, ils donnent surtout l’impression d’évoluer parallèlement, plus que de dialoguer. L’Allegretto initial, fidèle à la forme sonate tout en la traitant librement, reste globalement dans une nuance piano. À l’exception de quelques passages, le piano adopte une écriture grêle et linéaire. Les épisodes forte et ceux dans le grave en prennent d’autant plus de relief.
Pas de mouvement lent, ni de scherzo, remplacés par un Blues étonnant. Ravel emprunte au blues américain les syncopes et l’accentuation sur des temps faibles, les degrés instables (blue notes) caractéristiques de sa déclamation intense et douloureuse. Il s’inspire aussi de ses sonorités instrumentales, le piano et le violon évoquant quelque banjo, contrebasse ou percussion. Cependant, de même qu’il ne s’était guère soucié d’approcher une authentique musique hongroise dans Tzigane, de même il tient ici son modèle à distance. « Ces formes populaires ne sont qu’un matériau de construction, l’œuvre d’art n’apparaissant qu’après maturation de la conception, aucun détail n’étant alors laissé au hasard. De plus, une stylisation minutieuse, née de la manipulation de ces matériaux, est absolument essentielle », rappelle-t-il dans une conférence prononcée à Houston en 1928. Son Blues contient des dissonances mordantes, absentes de la musique dont il s’inspire. Et il ignore le swing au profit d’une sécheresse presque mécanique.
Plusieurs éléments thématiques des deux premiers mouvements reparaissent dans l’ébouriffant Perpetuum mobile. Après quelques mesures d’introduction, le violon se lance dans une course éperdue, qui exacerbe l’aridité agressive du Blues. On sait que Ravel s’était plongé dans les Caprices de Paganini lors de la composition de Tzigane. Peut-être l’ombre du diabolique violoniste plane-t-elle aussi sur ce finale. L’intensité et la densité des textures augmentent dans les dernières pages, le dernier accord sonnant comme une rupture, au terme d’une tension portée à ses limites extrêmes.
Si la combinaison du violon et du piano est annoncée comme un défi, on peut en dire autant de l’orchestration de la Sonate. Comment se mesurer à son auteur, fabuleux alchimiste des sons ? Comment traiter cette œuvre dont l’écriture dépouillée semble rétive à toute parure symphonique ? Yan Maresz, passionné depuis longtemps par la musique de Ravel, a décidé d’entourer la partie de violon (conservée dans son état d’origine) d’une formation de « type Mozart », avec les vents par deux : celle utilisée dans la Pavane pour une infante défunte, Ma mère l’Oye et Le Tombeau de Couperin. L’orchestration s’inspire des alliages de timbres de ces partitions et de leurs textures, mais sans chercher à les imiter. Conscient que Ravel, confronté à la même tâche, aurait inventé d’autres couleurs, Maresz respecte son style tout en apportant avec humilité sa touche personnelle.
Maurice Ravel
Sonate pour violon (orchestration de Yan Maresz)
1. Allegretto
2. Blues
3. Perpetuum mobile
Texte d'Hélène Cao
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