• il y a 4 ans
Le pianiste Rémi Geniet joue la Sonate pour piano n°28 en la majeur op. 101 composée par Beethoven en 1816.

Entre 1814 et 1816, Beethoven connaît une période de quasi-stérilité créatrice, due à de multiples facteurs. Sa surdité devient totale. Il doit renoncer à l’« immortelle bien-aimée » à laquelle il avait écrit une lettre passionnée en 1812 (si l’identité de cette femme reste incertaine, le musicologue Maynard Solomon estime qu’il s’agit d’Antonie Brentano). Après la mort de son frère Kaspar, en novembre 1815, il se lance dans une longue procédure judiciaire pour obtenir la garde de son neveu.

Par ailleurs, suite à la chute de Napoléon Ier, le climat change : l’heure n’est plus à la célébration de l’héroïsme, la population goûte des plaisirs plus tranquilles. En 1794, à peine deux ans après son installation à Vienne, Beethoven écrivait déjà à Nikolaus Simrock : « On dit qu’une révolution est près d’éclater – mais je crois qu’aussi longtemps qu’un Autrichien a sa bière brune et ses petites saucisses, il n’est pas près de se révolter. » Pourtant, même sans cette évolution de la situation politique, il aurait sans doute cherché une nouvelle voie. Il lui faut plusieurs années avant d’entrevoir la sortie du tunnel.

La Sonate n° 28 ouvre sa dernière période créatrice. À présent, Beethoven éreinte les formes traditionnelles, que ce soit dans l’agencement des mouvements ou leur structure interne. Mais cette révolution s’accomplit parfois sans geste spectaculaire. Ainsi, l’entame de l’opus 101 semble presque schubertienne, avec le déploiement de sa longue mélodie rêveuse et cantabile, dont la tonalité est sans cesse colorée d’emprunts ou suspendue par des enchaînements harmoniques qui dérobent la résolution attendue. Ce bref mouvement donne une sensation d’improvisation, tant Beethoven estompe les articulations et distribue les éléments thématiques avec liberté, pliant l’habituelle forme sonate à son propre dessein. En deuxième position, une vigoureuse marche fait office de scherzo et contraste avec le lyrisme intime de l’Allegretto. La permanence du rythme pointé imprime une énergie implacable, le trio central ménageant quelques instants d’apaisement. La polyphonie fracassée contribue à la dramatisation du discours : pas de conduite rigoureuse des voix, mais un jeu sur les textures, les registres et les timbres qui inaugure une nouvelle manière de faire sonner le piano.

Après l’héroïsme conquérant, voici la méditation empreinte de nostalgie de l’Adagio. La première mesure énonce le motif générateur de ce mouvement aux dimensions réduites, à jouer tout du long avec la pédale douce (una corda). À la fois mélancolique mais animé d’une forte tension intérieure (on remarquera la précision « sehnsuchtsvoll », « plein de désir ardent »), l’Adagio s’achève sur une libre cadence.

Suit un étonnant rappel de l’Allegretto initial, auquel s’enchaîne directement le finale. De forme sonate, celui-ci frappe par son utilisation audacieuse de l’écriture fuguée, technique de développement du matériau omniprésente dans les partitions ultérieures. Elle incarne ici les conflits dont le musicien sort victorieux.

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