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L'Orchestre national de France placé sous le direction de Pascal Rophé joue Im Sommerwind (Dans le vent d'été), idylle pour grand orchestre composée par Anton Webern en 1904. Extrait du concert enregistré jeudi 24 mai 2018 en direct de la Maison de la Radio (Paris).

Révolutionnaire ? Certes, mais sans tapage et dans une incroyable discrétion. Radical ? Absolument, mais avec une sorte de naïveté hors du monde. Créant une musique qui s’éloignera peu à peu de la séduction immédiate pour arriver à la fascination d’une ascèse délibérée. La pureté – du langage, de l’expression, de l’intention –, tel est le mot qui semble le mieux résumer le caractère d’une musique dépouillée, à l’évidence, mais riche de prolongements multiples. Pour moi, et pour bien d’autres musiciens, l’œuvre de Webern a été une pierre de touche essentielle, capitale, qui nous forçait, pour ainsi dire, à prendre parti, à nous révéler nous-mêmes.

Pierre Boulez, Webern dans le siècle.

En octobre 1999, Pierre Boulez redisait une fois encore combien l’élève de Schoenberg lui semblait tenir une place à part dans l’histoire de la musique du XXe siècle. Parce qu’il avait su se détourner des utilisations de la série ne consistant qu’à déterminer des hauteurs d’après quelques règles préétablies, Webern seul avait porté la « conscience d’une nouvelle dimension sonore ». Et bien que Boulez confiât à Célestin Deliège en arriver à aimer chez Berg ce qu’il ne trouvait plus dans la perfection ascétique et dans le « dénuement le plus total » de Webern, jamais il ne se lassa de reprendre les œuvres de celui qui l’avait tant inspiré, sensible à des richesses plus profondément cachées et plus lentes à se donner. Devine-t-on toutefois, dans les œuvres de jeunesse de Webern, cette modernité sublime qui a renversé le cours du XXe siècle musical ?

Été 1904 : Anton Webern n’a pas encore travaillé sous la direction d’Arnold Schoenberg quand il entreprend la composition d’un poème symphonique sur un texte du poète, philosophe et politicien très libéral Bruno Wille. « Transportez-moi sur ces hauteurs escarpées où ne monta jamais la parole humaine, écrivait Wille en 1890 dans Ermite et camarade, mon âme blessée redoute le son de cette voix, et mes yeux roulent dans ma tête lorsqu’ils contemplent des hommes. Le rocher et la nuée sont mes muettes consolations, et quand la tempête gronde autour de moi, j’entends des chants sublimes. »

Pour sa pièce, Webern a néanmoins opté pour un recueil un peu plus récent, Révélations d’un genévrier (publié en 1901), dont il avait recopié certains extraits dans son journal. Là encore, le poète chante la nature, cette quiétude d’un soir d’été soudainement interrompue par un orage, et un chant d’alouette annonçant un apaisement aussi terrestre que céleste. En vacances dans le domaine familial du Preglhof en Carinthie, Webern trouve sans doute son inspiration dans la nature qui se découvre devant lui autant que dans les partitions de Gustav Mahler et Richard Strauss.

Bien sûr, le langage est résolument postromantique et tonal. Rien de vraiment nouveau dans les tournures chromatiques qui se cherchent, les longes plages harmoniques qui se métamorphosent au gré des changements de timbres, dans la façon d’utiliser le crescendo ou dans les brusques oppositions de climat. Certains remarquent déjà les relais instrumentaux, la fragmentation des lignes tendant vers une parcellisation de la matière musicale, mais le développement thématique n’est pas une fin en soi, et les mélodies sont suffisamment brèves pour se renouveler d’elles-mêmes. Sans doute faut-il moins chercher ce qui se prépare de neuf dans Im Sommerwind que ce qui en demeurera dans les chefs-d’œuvre de la maturité, du point de vue de l’imaginaire littéraire comme du point de vue du romantisme musical. Car en 1904, la rencontre avec Schoenberg ne s’est pas faite et le déclic n’a pas eu lieu. L’économie du discours n’est en rien comparable avec les futurs aphorismes, et les gestes s’inscrivent pleinement dans la continuité historique.

Texte de François-Gildas Tual

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