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L'Orchestre national de France sous la direction d'Emmanuel Krivine joue le Prélude et Liebestod extraits de Tristan et Isolde, composé par Richard Wagner. Extrait du concert donné le 23 mai 2019 à la Maison de la Radio.
Il est rare de pouvoir assigner une date précise à une révolution artistique. Pourtant, on considère généralement que le 10 juin 1865 est née la modernité musicale. Ce jour-là, au Hoftheater de Munich, est créé Tristan et Isolde, « action » musicale composée quelques années plus tôt et que Wagner avait échoué à faire représenter jusqu’à sa rencontre avec Louis II de Bavière en 1864. Le choc est d’une intensité telle que le public est saisi d’un enthousiasme extraordinaire. Devant la perfection de l’interprétation portée par le couple Malvina et Ludwig Schnorr von Carosfeld, Wagner s’écrie après la troisième représentation, le 19 juin 1865 : « Plus jamais ! » Quant au jeune Friedrich Nietzsche, il insistera dans La Naissance de la tragédie à partir de l’esprit de la musique (1872) sur le charme dangereux de Tristan et Isolde, qui brise l’auditeur assez imprudent pour se jeter dans les flots de la musique wagnérienne sans la médiation du langage et des personnages : Tristan permet de faire l’expérience du dionysiaque à l’époque moderne.

Le prélude de Tristan et Isolde plonge l’auditeur dans un océan symphonique dès les premières mesures, où le thème du désir, avec son chromatisme inquiet et douloureux, est répété trois fois avec toujours plus d’insistance avant l’explosion orchestrale. Musique sensuelle, frémissante de désir et de passion, dont l’analyse a été réalisée maintes fois depuis la fin du XIXe siècle sans jamais épuiser l’impression que les modulations infinies et les rythmes assouplis par des syncopes perpétuelles produisent sur l’auditeur. Dans le Prélude, Wagner tire parti d’une technique d’écriture élaborée progressivement depuis Le Vaisseau fantôme afin d’exprimer la passion incandescente qui unit Tristan et Isolde et qui trouve son accomplissement au troisième acte. Bien plus qu’une simple ouverture, le prélude est doté d’une fonction dramatique essentielle : exprimer musicalement le lien entre le désir et la mort qui précède la transfiguration de l’amour de Tristan et d’Isolde au cours de la scène finale. Le Liebestod ou « mort d’amour », par laquelle s’achève le drame, est donc traditionnellement jointe au prélude. Au decrescendo conclusif du prélude répond une immense crescendo où la voix de la soprano s’associe amoureusement aux effluves orchestraux. La tonalité de si majeur, qui s’affirme peu à peu, dissipe dans une lumière extatique les dissonances douloureuses du prélude tandis qu’Isolde expire dans une joie charnelle et spirituelle résumée par l’ultime mot du drame : Lust (« joie »).

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