David Chavalarias est mathématicien en sciences-sociales. Directeur de recherche au CNRS (Institut des systèmes complexes Paris IdF). Co-auteur du rapport sur "Les nouveaux fronts du dénialisme et du climato-scepticisme. Deux années d'échanges sur Twitter". Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-6h20/l-invite-de-6h20-du-lundi-13-fevrier-2023-9816852
Category
🗞
NewsTranscription
00:00 France Inter, Mathilde Munoz, le 5/7.
00:08 Il est 6h20, voici un travail inédit sur les climatosceptiques.
00:13 Quel poids ont-ils sur les réseaux sociaux ? Comment font-ils circuler leurs idées ? Quelle
00:17 est leur stratégie numérique ? Forment-ils une vraie communauté ? Des chercheurs ont
00:21 fouillé deux ans d'échanges sur Twitter, ça fait des millions et des millions de messages
00:26 épluchés.
00:27 Bonjour David Chabalarias.
00:28 Bonjour.
00:29 Vous avez piloté cette étude, vous êtes mathématicien en sciences sociales, directeur
00:32 de recherche au CNRS, directeur de l'Institut des systèmes complexes.
00:36 C'est important de savoir à partir de quelle matière vous avez travaillé.
00:39 Vous avez analysé tous les tweets publiés pendant deux ans dans le monde ?
00:43 C'est ça, on a un observatoire qui permet d'analyser ce qui se dit à propos du climat
00:48 à partir de 400 mots-clés déclencheurs.
00:50 Donc ce n'est pas exhaustif mais ça donne une très bonne représentation de ce qui se
00:55 passe et ce qui se dit à propos du climat.
00:57 Ça veut dire que vous avez un logiciel qui est capable de lire dans toutes les langues
00:59 ? Tout à fait, c'est des choses qu'on a construites
01:01 au CNRS et donc ça fait une veille sur Twitter dans plusieurs langues sur le climat.
01:05 Et le résultat c'est quoi ? C'est que parmi tous les comptes Twitter qui abordent
01:08 les questions climatiques, il y a 30% qui sont… Vous vous appelez ça dénialiste,
01:13 vous ne dites pas climato-sceptique, vous préférez le terme de dénialiste.
01:15 Oui, juste pour insister sur le fait qu'il ne s'agit pas d'accepter ou de rejeter
01:19 des choses sans questionner mais que là il s'agit juste de nier les principaux résultats
01:24 de l'ensemble de la communauté scientifique sur le climat.
01:26 Et ces 30% ça vous a surpris un tel chiffre ?
01:28 Oui et non parce que c'est à peu près ce qu'on retrouve dans des études au niveau
01:33 mondial.
01:34 Ça varie d'un pays à l'autre mais c'est vrai que c'est assez important.
01:37 Et sur ces deux années, est-ce que vous avez pu observer une évolution ? Est-ce que cette
01:41 proportion augmente, diminue ? Est-ce que ça varie ?
01:43 Alors tout à fait.
01:44 Comme je disais, il y a des très grandes disparités géographiques et pour la France,
01:48 la France jusqu'à maintenant était assez peu touchée par ce phénomène.
01:52 Il y avait peu de tweets climato-sceptiques ou dénialistes ?
01:55 Il y en avait mais dans une moindre mesure, pas autant par exemple qu'aux Etats-Unis.
01:59 Et ce que l'on a vu c'est que l'activité du climato-dénialisme ou du climato-scepticisme
02:04 a été multipliée par 6 entre 2021 et cet été où là on a vu vraiment un regain d'activité
02:09 au moment de la guerre en Ukraine, des événements extrêmes et aussi du sommet international
02:14 sur le climat.
02:15 Donc quand il y a des événements particuliers internationaux, ça peut jouer sur l'intensité
02:19 d'activité des dénialistes ?
02:24 Tout à fait, c'est-à-dire que les dénialistes interviennent quand il y a des événements
02:27 extrêmes, quand il y a un éclairage sur les travaux du GIEC.
02:31 Mais aussi là ce qui est nouveau, c'est qu'il y a une nouvelle activité qui semble relativement
02:36 décorrélée de ces travaux-là et qui se rend plus liée à un contexte géopolitique
02:40 comme on l'explique dans le rapport.
02:42 Et qui sont ces internautes dénialistes ? Sachant qu'évidemment Twitter, ce n'est pas un échantillon
02:45 représentatif des Français.
02:47 Oui tout à fait, ça c'est important.
02:48 Donc ce qu'on observe c'est vraiment des militants et ce qu'il faut voir, ce qui est
02:52 important de voir, c'est qu'on a croisé ici deux observatoires.
02:55 Un qui observe le climat et l'autre qui observe la politique.
02:58 Et donc on a pu croiser en gros les groupes sociaux qui interviennent dans ces deux arènes.
03:02 Et ce que l'on a montré, c'est que les climatodénialistes en France sont pour majorité,
03:09 en grande partie, issus de la mouvance politique anti-vax qui était venue pendant la pandémie.
03:15 Et que ça ne recoupe pas en gros les principaux partis politiques traditionnels.
03:21 Ce n'est pas LFI, LR, RN...
03:24 Il y a une proximité avec Reconquête, vous notez ça ?
03:26 Il y a une petite proximité avec Reconquête, c'est vrai.
03:28 Mais la majeure partie en fait font partie de ce qu'on appelle une chambre d'écho.
03:32 C'est-à-dire une énorme communauté qui s'est radicalisée et construite en ligne.
03:36 Donc une chambre d'écho qui avant militait sur les questions autour de la pandémie,
03:41 la remise en cause des questions du gouvernement et d'une certaine manière des groupes
03:45 qui ont participé à plusieurs campagnes de déstabilisation pendant la pandémie.
03:49 Que ce soit sur la question vaccinale, mais aussi sur la question des émeutes en Guadeloupe.
03:54 Et aussi on a pu mesurer que sur les quelques 10 000 comptes
03:59 qui récemment ont été actifs du côté dénialiste en France,
04:03 60% avaient participé à relayer la propagande du Kremlin
04:06 au moment où il y a eu le déclenchement de la guerre en Ukraine.
04:08 Donc ils sont davantage ces dénialistes français anti-système que politisés.
04:14 En tout cas, à l'étranger, ils sont davantage politisés, c'est ça ?
04:16 Et nous, c'est plus des anti-système, c'est comme ça que vous les qualifiez ?
04:19 Oui, c'est-à-dire que traditionnellement, si on regarde au niveau mondial,
04:22 il y a deux grandes catégories.
04:23 Il y a les dénialistes qui sont politiques.
04:25 Par exemple, on va dénigrer les arguments de l'adversaire.
04:28 Et si les arguments de l'adversaire sont en faveur de mesures contre le réchauffement climatique,
04:32 on va les dénigrer par principe.
04:33 Et il y a du dénialisme économique qu'on connaît déjà.
04:36 Donc, par exemple, les majeurs pétrolières ont défendu l'idée
04:41 que le réchauffement climatique n'existait pas ou n'était pas de cause humaine.
04:44 Là, ce que l'on voit en France, c'est vraiment un dénialisme qui a l'air d'être de l'ordre plus de la subversion,
04:51 avec une dimension géopolitique, avec des personnes qui sont intervenues
04:54 dans énormément de conflits sociaux auparavant et qui ont transité,
04:59 en fait, qui ont changé de thématique et qui sont passées de « anti-vax » en gros,
05:02 à dénialistes climatiques avec quelques passages de relais de propagande du Kremlin.
05:08 Je ne vous ai pas posé la question, mais j'imagine que vous avez exclu de vos analyses
05:11 tous les tweets automatiques alimentés par des robots ou des choses comme ça ?
05:14 Alors, quand on attrape les tweets, on attrape à peu près tous les tweets
05:17 et après, on peut qualifier à postériorité la proportion de robots.
05:20 Alors, ce que l'on voit, c'est que...
05:21 Ce que vous cherchez, ce sont les vrais humains qui tweetent ?
05:23 Les deux, parce que quand vous avez des robots,
05:25 souvent, il y a des groupes ou des acteurs qui peuvent utiliser des robots
05:28 pour amplifier une parole et inonder le réseau avec de faux comptes.
05:31 Donc, ce que l'on voit, c'est par exemple que dans l'échantillon qu'on a regardé,
05:34 donc plusieurs centaines de millions de tweets,
05:35 il y a environ 6% de robots, ce qui est moins qu'en général sur Twitter.
05:42 Mais ce qui est important de voir, c'est que la proportion de robots
05:47 dans le camp d'énialistes est bien plus supérieure,
05:51 quasiment trois fois plus supérieure à celle qui existe ailleurs dans les autres communautés.
05:56 Sachant que les robots ne sont pas forcément mauvais,
05:57 il y en a qui sont juste pour relayer de l'information.
05:59 Mais quand vous avez trois fois plus de robots dans une communauté,
06:01 ça veut dire que probablement, vous avez des actions d'amplification
06:05 de la présence uniquement par des moyens artificiels.
06:07 Et sur le contenu, sur ces messages qui sont relayés par ces dénialistes,
06:11 c'est quoi exactement ?
06:12 Ce sont des propos argumentés dans le but de convaincre
06:15 ou c'est juste « je dis ce que je pense et j'ai le droit de le dire ? »
06:17 Alors, il y a de tout parce que c'est extrêmement opportuniste.
06:20 Ça va des contenus très techniques qui déforment ou reprennent leur contexte
06:24 des rapports du GIEC jusqu'à des contenus du genre la météo en 82.
06:30 On voyait sur les chaînes de France 2 que plusieurs îles avaient été submergées
06:34 avec la montée des eaux et le réchauffement climatique.
06:37 Il n'en est rien et donc tout ça, c'est des canulars.
06:41 Donc c'est très varié et ce qui est intéressant, enfin aussi inquiétant,
06:46 c'est qu'il y a énormément d'attaques ad nominem envers les scientifiques
06:49 et notamment ceux qui font la synthèse GIEC
06:52 avec vraiment une augmentation de ces attaques depuis juillet.
06:55 Est-ce que vous avez pu mesurer les effets de ces tweets ?
06:58 Oui.
06:58 Les conséquences ? Est-ce qu'il y a des gens qui mordent à l'hameçon ?
07:01 Alors, il y a des gens qui mordent à l'hameçon
07:02 puisqu'on a une communauté d'énialistes françaises qui s'est constituée depuis l'été
07:06 et dont la taille a été multipliée par 6.
07:09 Et puis par ailleurs, on a pu mesurer avec des analyses de causalité,
07:13 donc ça c'est des analyses mathématiques,
07:15 que même si les rapports du GIEC mènent la danse en ligne
07:21 sur le débat sur le réchauffement climatique,
07:24 il y a un effet à l'échelle de quelques jours des activités d'énialistes,
07:27 mais aussi d'un autre groupe qu'on appelle technosolutionnistes,
07:29 qui ralentit d'une certaine manière la diffusion des connaissances scientifiques
07:35 et des messages du GIEC.
07:35 Est-ce que vous avez fait comme étude sur Twitter,
07:37 c'est valable pour les autres réseaux sociaux ?
07:39 Alors, nous on a pris Twitter parce que c'est une espèce de fenêtre sur les réseaux sociaux,
07:43 que les données sont ouvertes,
07:44 mais effectivement le plus probable c'est que la même chose puisse être observée
07:48 sur Facebook, Twitter, YouTube, etc.
07:50 Vous dites les données sont ouvertes, mais pas pour bien longtemps encore.
07:52 Pas pour bien longtemps, normalement elles ferment aujourd'hui.
07:54 Elon Musk ne veut plus que les chercheurs puissent fouiller justement
07:58 dans les données de Twitter. Merci beaucoup David Chavallarias
08:01 et je renvoie nos auditeurs au site de votre étude,
08:04 climatoscope.org, il y a tout en détail.
08:07 Merci beaucoup et bonne journée à vous.