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« Beaufs et barbares : le pari du nous », d'#HouriaBouteldja, est récemment paru aux éditions de La Fabrique, quelques mois après « Rester barbare », de Louisa Yousfi, chez le même éditeur. Les deux autrices sont reçues par Julien Théry et commencent par revenir sur les positions et l'apport du Parti des indigènes de la République (le #PIR), dont l'une a été co-fondatrice en 2005, l'autre membre, et dont la contribution politique forme le contexte de leurs deux ouvrages. S'il a été très décrié, et en particulier accusé de communautarisme, le PIR est pourtant à l'origine du développement en France d'un #antiracisme « politique », qui a pour la première fois pris à bras-le-corps les causes structurelles du racisme (contrairement à l'antiracisme « moral » récupéré dans les années 80 par le Parti socialiste). De nombreuses catégories d'analyses désormais largement utilisées pour saisir les données du problème, à commencer par la notion de blanchité, ont été introduites par les militants « indigénistes ».
En revenant sur la mauvaise réputation de l'« indigénisme », H. Bouteldja et L. Yousfi rejettent les accusations d'homophobie ou de misogynie tout en expliquant pourquoi l'imposition de normes de vie extérieures désormais obligées, dont l'émergence a correspondu à des enjeux politiques européens/blancs, peut constituer un surcroît de violence subi par des communautés déjà en situation de relégation à tous égards et miner plus encore leur capacité de survie dans la dignité.
Avec « Rester barbare », L. Yousfi offre une méditation sur la condition des Français d'origines arabes et africaines à partir des références littéraires et musicales qui leur sont propres, loin de la culture légitime et des injonctions à l'intégration. Rejeter l'intégrationnisme, c'est, dit-elle, refuser de refermer la porte derrière soi en abandonnant à leur sort les familles du pays d'origine ou des « quartiers », et refuser de jouer le jeu d'une société capitaliste mortifère. Plutôt que l'intégration, donc, la libération ‒ laquelle implique aussi celle des Blancs en tant que parties prenantes de la domination postcoloniale.
H. Bouteldja, de son côté, développe une réflexion historique et stratégique sur ce qui a jusqu'ici empêché les victimes du mépris de race et celles du mépris de classe, les « beaufs » et les « barbares », de faire cause commune contre la domination bourgeoise. La notion d'« État racial intégral », qu'elle construit à partir des pensées de Gramsci et de Poulantzas, lui permet de rendre compte d'une « collaboration de race » entre bourgeoisie et petits blancs qui ont longtemps eu des intérêts communs à la perpétuation de l'impérialisme. La radicalisation néolibérale du capitalisme a cependant des effets de plus en plus dévastateurs sur les classes populaires blanches, à tel point que les élites dirigeantes doivent redoubler d'effort pour stimuler l'islamophobie ‒ comme on l'a vu avec la loi « séparatisme » promue au lendemain de la crise des gilets jaunes.

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Transcription
00:00:00 Mais on s'autorise à penser dans les milieux autorisés.
00:00:05 Alors ça c'est un pas à notre truc.
00:00:07 Les milieux autorisés, vous y êtes pauvres.
00:00:09 Bonjour à toutes et tous.
00:00:20 J'ai le plaisir de recevoir pour ce numéro dont s'autorise à penser
00:00:24 Louisa Yousfi. Bonjour. Bonjour Louisa.
00:00:27 Et Auria Boutelja. Bonjour.
00:00:29 Qui l'une et l'autre ont fait paraître un livre il y a quelques mois.
00:00:33 Louisa c'était "Restez barbares" aux éditions de La Fabrique.
00:00:37 Et Auria, plus récemment, toujours aux éditions de La Fabrique,
00:00:41 "Bof, zez barbares".
00:00:43 Alors il y a plein de raisons de vous réunir toutes les deux.
00:00:47 Vous vous connaissez bien.
00:00:48 Vous venez toutes les deux d'un univers politique
00:00:52 qui a assez mauvaise réputation.
00:00:54 Le parti des indigènes de la République, on va y revenir.
00:00:57 Vos deux livres parlent de barbares.
00:01:00 Qu'est-ce que c'est que ça ?
00:01:01 Qu'est-ce que c'est que la barbarité ?
00:01:03 Pourquoi est-ce qu'il faudrait rester barbare ?
00:01:05 Pourquoi est-ce que les bofs et les barbares devraient faire le pari du nous ?
00:01:08 Puisque c'est le sous-titre de ton livre, Auria.
00:01:11 On peut peut-être revenir, pour commencer, pour vous présenter
00:01:14 précisément sur cette formation politique,
00:01:16 le parti des indigènes de la République,
00:01:18 qui est né en 2005, si je ne me trompe pas.
00:01:21 Tu devais être encore un peu petite à cette époque, je ne sais pas.
00:01:24 Non, j'ai rejoint le parti des indigènes en 2014.
00:01:28 Voilà. Et qui a beaucoup scandalisé quand il est né,
00:01:33 qui continue sans doute, même s'il n'est plus exactement le même.
00:01:37 D'ailleurs, vous l'avez quitté toutes les deux, je crois,
00:01:39 il n'y a pas si longtemps.
00:01:40 Il a apporté une contribution que beaucoup s'accordent à reconnaître aujourd'hui,
00:01:45 même quand il ne partage pas forcément toutes les thèses
00:01:47 du parti des indigènes de la République.
00:01:48 Contribution majeure, presque à la grammaire politique du débat en France,
00:01:53 en marquant d'une certaine façon l'avènement de l'antiracisme politique,
00:01:57 par opposition à un antiracisme antérieur,
00:02:00 qu'on pourrait dire de ce fait maintenant comme un antiracisme moral,
00:02:04 au sens où il ne prenait pas à bras le corps les causes profondes,
00:02:08 structurelles et même structurales du racisme en France,
00:02:11 et en particulier du racisme d'État.
00:02:13 Ce racisme antérieur, cet antiracisme antérieur,
00:02:15 dont l'emblème est un peu SOS Racisme,
00:02:18 s'est laissé satelliser par les partis de la gauche de gouvernement,
00:02:22 qui de fait n'ont jamais rien fait contre le racisme d'État.
00:02:26 Il suffit de renvoyer par exemple à la question du contrôle au faciès,
00:02:29 tout à fait emblématique,
00:02:30 il faut-il laisser la police dé facto contrôlée au faciès ?
00:02:33 Et l'exemple irréfutable de racisme systémique,
00:02:36 puisque c'est une pratique qui est connue,
00:02:38 dont les effets sont connus,
00:02:39 qui est assumée en réalité dé facto par les forces de police et par leur hiérarchie,
00:02:43 donc c'est bien une pratique d'État.
00:02:45 Cette pratique-là, pour moi, elle est emblématique du racisme d'État.
00:02:48 Emmanuel Valls, issu du PS, qui soutenait l'antiracisme moral.
00:02:51 Donc, au temps de SOS Racisme,
00:02:54 a encore refusé, quand il était au pouvoir, de revenir dessus.
00:02:57 Ça me paraît un bon élément d'opposition pour expliquer
00:03:00 en quoi antiracisme politique,
00:03:02 né d'une certaine façon avec le pire et antiracisme moral antérieur,
00:03:05 s'opposait.
00:03:06 C'est depuis le parti des Indigènes de la République, par exemple,
00:03:08 qu'on prend conscience de quelque chose de très douloureux,
00:03:10 de très violent, pour quelqu'un comme moi par exemple,
00:03:13 c'est-à-dire qu'il y a des Blancs, tout simplement.
00:03:16 Qu'il y a des Blancs et que ça ne va pas de soi,
00:03:21 ça n'est pas universel que d'être Blanc.
00:03:23 Il y a des gens qui ne sont pas Blancs,
00:03:25 ça pourrait paraître une évidence,
00:03:27 mais politiquement, ça ne l'était pas,
00:03:29 avant le travail du parti des Indigènes de la République.
00:03:31 Et aujourd'hui, il y a plein de gens dans le champ politique français
00:03:34 qui utilisent cette catégorie pour essayer de saisir quelque chose
00:03:37 qui existe, ça vient de là.
00:03:39 Je ne sais pas si la présentation que j'ai faite du pire vous convient ou pas,
00:03:44 si vous allez me le dire, mais voilà,
00:03:46 j'aimerais bien qu'on revienne peut-être d'abord sur ce qui n'est pas précisément
00:03:52 les Blancs, le monde des Blancs,
00:03:54 et que vous appelez l'une et l'autre les barbares,
00:03:58 ou la barbarité, et qui est l'objet notamment au départ de ton livre, Louisa.
00:04:03 Ces deux livres, je voudrais le dire, je termine là-dessus,
00:04:06 la présentation se situe sur deux plans très différents.
00:04:10 Le tien est une approche, j'allais dire presque esthétique,
00:04:14 en tout cas qui se fonde sur beaucoup d'éléments d'esthétique,
00:04:17 de vécu, de sensibilité, d'une identité que tu définis comme l'identité barbare,
00:04:22 qui semble être notamment la tienne, en tout cas tu sembles la revendiquer.
00:04:26 Et le titre dit très bien que l'enjeu, c'est de le rester barbare.
00:04:30 Ton livre à toi, donc, oppose une autre identité en face,
00:04:36 qui est celle des beaufs, on y reviendra après.
00:04:38 Et c'est un texte beaucoup plus politique,
00:04:41 beaucoup plus directement politique et stratégique,
00:04:43 même s'il repose sur toute une série d'attendus historiques et aussi philosophiques.
00:04:47 Donc deux livres qui sont sur des plans complètement différents,
00:04:50 mais qui sont très étroitement liés.
00:04:52 Et je pense d'ailleurs que "Houria", d'une certaine façon,
00:04:55 a été une source d'inspiration pour toi, Louisa, quand tu as fait ce livre.
00:04:59 - Oui, très clairement.
00:05:00 Et d'ailleurs, je le dis en remerciement, assez vite.
00:05:04 Mais je crois que ce qu'il faut commencer par dire,
00:05:06 pour comprendre effectivement cette notion de barbare,
00:05:11 toi tu disais barbarité.
00:05:13 - Le fait d'être barbare.
00:05:14 - Le fait d'être barbare.
00:05:15 Je crois qu'il faut commencer par dire que, effectivement,
00:05:18 "Houria" et moi, nous sommes issus d'un mouvement
00:05:22 qui a eu à cœur, qui a toujours à cœur, par ailleurs,
00:05:25 d'inventer un nouveau territoire politique
00:05:28 et donc de forger de nouveaux outils stratégiques, théoriques, analytiques
00:05:35 et que, ce faisant, en fait, naturellement,
00:05:37 nous avons été en quête d'une langue, pour le dire,
00:05:42 d'une langue sur mesure, qui serait taillée sur mesure,
00:05:45 qui nous serait propre.
00:05:47 Et donc, l'un des, j'allais dire, des grands gestes emblématiques
00:05:54 parmi plein d'autres inventions langagières,
00:05:58 parce qu'en fait, on a inventé des formules, des mots d'ordre.
00:06:02 C'est aussi comme ça qu'on est entré dans le débat public,
00:06:05 par des grandes formules.
00:06:07 Mais donc, l'un des gestes emblématiques,
00:06:09 c'est ce qu'on appelle le fameux retournement du stigmate.
00:06:13 Donc, c'est-à-dire qu'on va camper le stigmate,
00:06:18 on va partir de lui, on va l'habiter,
00:06:21 plutôt que de s'en défendre, en fait,
00:06:23 et on va essayer de le travailler de manière à lui donner
00:06:27 un sens politique nouveau, à dire quelque chose
00:06:30 de notre condition, c'est-à-dire de partir du réel,
00:06:32 de la condition dans laquelle nous sommes, comment dire,
00:06:35 incarcérés collectivement.
00:06:36 - C'est-à-dire qu'on va utiliser la catégorie,
00:06:38 le nom infamant qui a été donné par ceux qui te mettent
00:06:41 dans la subalternité, et tu te l'appropries.
00:06:43 C'était déjà le principe d'indigène, en fait.
00:06:44 - Et voilà, en fait, c'était ça.
00:06:45 - Ça commence avec indigène.
00:06:46 - Ça commence avec indigène.
00:06:47 - C'est le premier acte.
00:06:48 - D'ailleurs, avant, à l'époque, on disait indigène.
00:06:50 Maintenant, on dit les barbares, on aurait pu dire "restez indigènes".
00:06:52 - Ce terme s'est un peu substitué, oui, oui, barbare,
00:06:54 c'est un peu substitué, indigène, ces derniers temps.
00:06:56 - En fait, il y a comme une dimension suivante.
00:06:58 - Indigène était le nom que les colons donnaient à des gens
00:06:59 qui, légalement, avaient un statut inférieur,
00:07:01 qui n'avaient pas les mêmes droits, etc.
00:07:02 - Oui, oui, clairement.
00:07:04 Et donc, alors, l'avantage de cette ruse,
00:07:09 c'est pas seulement le panache qu'il confère
00:07:12 à celui qui s'y livre, parce que c'est aussi de ça
00:07:14 dont il est question.
00:07:15 Il y a quelque chose comme...
00:07:16 - Oui, il y a une insolence.
00:07:18 - Il y a "je suis comme ça, je suis comme ça,
00:07:19 et faites avec", c'est ça.
00:07:20 - Exactement, c'est une attitude un peu insolente,
00:07:22 et pour le dire aussi, charismatique.
00:07:24 "Bah oui, nous sommes des barbares, et alors ?"
00:07:27 Du coup, ce que ça permet comme avantage,
00:07:29 j'allais dire, c'est que ça nous libère de la position
00:07:33 purement défensive, qui consisterait à faire
00:07:36 une multitude d'efforts pour prouver que nous ne sommes pas
00:07:40 ce que le racisme dit que nous sommes,
00:07:42 et donc nous ne sommes pas ceci, nous ne sommes pas cela,
00:07:44 etc. Et en fait, ce faisant, on se retrouve presque toujours
00:07:47 piégés dans le paradigme dominant, qui est le paradigme
00:07:51 intégrationniste, puisque la seule manière que nous avons
00:07:55 de prouver que nous ne sommes pas ce que nous disons
00:07:57 que nous sommes, c'est de dire "nous sommes comme vous".
00:08:00 Nous sommes comme les Blancs, nous sommes des Français
00:08:02 comme les autres, et donc c'est de se fondre dans la norme.
00:08:08 - Et un peu plus, être exemplaire en plus.
00:08:11 - Oui, et un peu plus, c'est vrai.
00:08:13 - C'est quelque chose qu'on dit souvent quand il y a un Français,
00:08:15 Zinedine Zidane par exemple, qui a mis son coup de boule,
00:08:19 je me souviens très bien, en finale de la Coupe du Monde,
00:08:22 Michel Drucker l'avait défendue à la télé en disant
00:08:25 "il vient d'une famille exemplaire".
00:08:27 Et là, tu as tout le handicap derrière, sursignifié.
00:08:32 - En fait, on montre encore plus d'aplomb quand on ne fait pas
00:08:35 partie du corps légitime de la nation.
00:08:37 Du coup, on montre encore plus de zèle pour dire qu'on mérite
00:08:41 d'en faire partie, etc. Et voilà.
00:08:44 Et donc, en fait, se revendiquer barbare, se dire barbare
00:08:47 pour les Noirs et les Arabes en France, c'est en fait une manière
00:08:52 d'assumer notre part d'altérité, même d'irréductibilité,
00:08:56 la part qui n'est pas soluble dans le grand pacte républicain,
00:09:01 universaliste, etc. et qui n'a pas vocation à s'intégrer.
00:09:05 Parce qu'en fait, s'intégrer, pour nous, c'est se désintégrer.
00:09:07 Et donc, c'est une manière de se dire, voilà, on peut partir
00:09:11 de ce que nous sommes. Et en fait, nous avons aussi un projet,
00:09:14 un projet à proposer à ce monde-là. On n'est pas voué simplement
00:09:17 à épouser les contours de ce monde-là et à s'y fondre.
00:09:21 Nous, nous pouvons aussi être force de proposition.
00:09:23 - J'ai envie de revenir sur ta présentation avant d'aborder
00:09:27 ma définition du barbare. Je pense que c'est important
00:09:30 de le souligner ici, au Média. Eh bien, en 17 ans d'existence
00:09:35 des indigènes de la République, c'est la première fois
00:09:39 que j'entends un journaliste de gauche reconnaître l'apport
00:09:44 du mouvement décolonial en France.
00:09:46 - C'est pas n'importe quoi ?
00:09:48 - Oui, c'est pas n'importe quoi. Et je pense que c'est important
00:09:51 de le dire ici. Ce que je veux dire par là, c'est qu'on a
00:09:54 une existence aujourd'hui de plus de 17 ans et qu'effectivement,
00:09:59 on a bouleversé le cadre de la pensée politique.
00:10:03 On a provoqué effectivement un certain nombre de débats
00:10:06 parce qu'on était en rupture. On était en rupture effectivement
00:10:09 avec le champ politique blanc dans lequel on avait du mal
00:10:12 à s'insérer à cause de la condition qui était la nôtre,
00:10:15 celle de l'indigèna postcoloniale. Et je suis presque choquée,
00:10:20 je veux dire parce que je n'ai pas l'habitude,
00:10:22 je n'ai pas l'habitude qu'on parle de nous dans ces termes-là.
00:10:25 Et je pense que c'est important de le dire.
00:10:27 C'est important de dire que la gauche, la gauche française,
00:10:31 a du mal à reconnaître l'apport, la contribution des non-blancs
00:10:37 dans la construction de la pensée politique en fait.
00:10:40 – Parce qu'elle se pense comme colorblind.
00:10:42 – Je trouve que ce n'est pas n'importe quoi.
00:10:44 – Elle se pense comme colorblind comme des années.
00:10:46 Elle a ce postulat qui est qu'en fait on fait comme si tout le monde
00:10:48 était de la même couleur. Sauf que ça n'est réel en fait
00:10:50 que pour les blancs. Enfin c'est un mensonge.
00:10:53 Ça revient à dire que chacun a vocation à devenir ce que nous sommes nous.
00:10:57 – Alors ça c'est une partie du problème.
00:10:59 Le fait est que lorsqu'on entre en politique,
00:11:03 lorsqu'on participe au combat politique, eh bien on transforme le champ politique.
00:11:08 C'est-à-dire qu'en fait on existe en fait.
00:11:10 On existe au sens où le proposait Abdelmalek Sayad.
00:11:14 Abdelmalek Sayad, le grand sociologue de l'immigration,
00:11:19 nous a laissé un legge et des paroles, notamment celle-ci,
00:11:23 "Exister c'est exister politiquement".
00:11:25 Et c'est vrai que dans les milieux d'immigration,
00:11:27 on a l'habitude d'utiliser un peu cette phrase comme un mantra,
00:11:31 mais souvent sans lui donner une force politique qu'elle mérite.
00:11:37 La force politique qu'elle mérite.
00:11:39 Et moi je dis que précisément, cette difficulté pour la gauche
00:11:42 de reconnaître la contribution de la pensée politique,
00:11:46 de l'activité politique des non-blancs, ça dit quelque chose
00:11:50 de cette proposition d'Abdelmalek Sayad.
00:11:52 Exister c'est exister politiquement.
00:11:54 Et si on existe réellement politiquement,
00:11:57 eh bien on nous ignore la plupart du temps.
00:12:01 Quand on nous attaque pas.
00:12:02 – Aussi ce que tu remarques comme étant quelque chose
00:12:04 comme d'une surprise, le fait qu'ici on est présenté non pas seulement
00:12:08 sous la forme d'un mouvement monstrueux,
00:12:13 enfin je veux dire qui est responsable de tous les maux,
00:12:16 c'est aussi le résultat d'une avancée en fait de notre part.
00:12:20 On a avancé l'épiant, je pense que là tout le monde constate,
00:12:23 et en fait tout le monde fait semblant, notamment à gauche,
00:12:26 d'avoir toujours été sensible et à l'écoute de la pensée décoloniale.
00:12:33 – Il y a un petit truc écœurant là-dedans,
00:12:35 moi je n'ai jamais adhéré au Parti des Indiens de la République,
00:12:37 comme tout le monde, comme beaucoup de gens,
00:12:40 quand il est apparu j'étais un peu choqué.
00:12:42 Mais c'est un petit peu écœurant de voir aujourd'hui,
00:12:44 depuis j'ai lu un peu ce que vous faites,
00:12:45 je me suis intéressé très près à tout ça,
00:12:47 et je suis un petit peu écœuré de voir qu'il y a des catégories
00:12:49 qui viennent de ce parti, qui aujourd'hui sont maniés par beaucoup de gens,
00:12:54 qui continuent à considérer que vous êtes le diable.
00:12:57 – En tout cas il y a un travail militant qui a été fait,
00:13:00 et qui a apporté ses fruits, c'est ça aussi.
00:13:02 Là je pense qu'on bénéficie de ça aujourd'hui.
00:13:07 – Oui, ce que je soulignais c'était la difficulté de le reconnaître
00:13:11 au bout de 17 ans, je veux dire.
00:13:13 Et le fait de ne l'avoir jamais entendu depuis,
00:13:15 sur cette longue période, ça en dit long aussi sur les résistances.
00:13:20 C'est ça que je voulais souligner, mais effectivement,
00:13:22 les choses ont avancé, on a progressé,
00:13:25 et nous-mêmes on fait des bilans et on le voit, on le constate.
00:13:28 Et ce que tu dis c'est vrai, à savoir qu'on a le sentiment
00:13:32 que la lutte politique elle se fait à l'université en fait.
00:13:36 En fait que les concepts naissent à l'université,
00:13:38 je veux dire, ce qui est arrivé par la lutte politique
00:13:40 est réapproprié par l'université, et on a le sentiment
00:13:42 que toutes ces notions de race, de blanchité, de décolonialité finalement,
00:13:45 elles sont arrivées, comme par magie, on ne sait pas trop comment,
00:13:48 à l'intérieur de l'université, et puis c'est elle,
00:13:50 c'est l'université qui a le pouvoir de donner une signification
00:13:54 aujourd'hui à ces mots.
00:13:56 – Il faut que ça passe par des gens qui sont institués comme savants.
00:13:59 – Qui sont légitimes.
00:14:01 – En France, je ne suis pas sûr que, sauf dans des secteurs bien précis
00:14:04 de l'université qui sont minoritaires, contrairement à ce que fantasme
00:14:06 l'extrême droite dans l'université française, et même très minoritaire,
00:14:09 je ne suis pas sûr que ces concepts soient vraiment intégrés.
00:14:11 – Ils le sont dans l'université anglo-américaine, sans doute plus.
00:14:14 – Il y a des champs du monde académique qui s'est ouvert à la pensée antiraciste,
00:14:21 et même s'ils sont très minoritaires à l'intérieur de l'université,
00:14:24 c'est quand même ici le lieu de la légitimation d'un certain nombre de concepts.
00:14:28 Je veux dire, ceux qui en parlent dans l'université sont toujours plus légitimes
00:14:32 que les militants que nous sommes, évidemment il y a les médias,
00:14:35 il y a d'autres secteurs évidemment.
00:14:37 – Quand bien même ces notions, elles sont nées dans les nécessités
00:14:39 posées par le combat politique auprès des militants,
00:14:42 face au constat de l'échec de l'antiracisme moral.
00:14:46 Mais alors cette idée de se constituer un sujet politique en quelque sorte,
00:14:51 en retournant le stigmate, en disant "oui nous sommes ce que nous sommes,
00:14:54 et nous ne sommes pas des victimes, et il va falloir que vous fassiez
00:14:56 avec ce que nous sommes", et donc en prenant votre regard,
00:15:00 "nous sommes des barbares", eh bien allons-y, prenons ce mot-là, ou indigènes,
00:15:04 ça pose un autre problème qui est celui de la place de l'identité.
00:15:09 Donc c'est revendiquer une identité.
00:15:13 Il se trouve que dans le champ politique tel qu'il existe aujourd'hui,
00:15:16 dans la grammaire politique, l'identité, être identitaire,
00:15:20 cultiver son identité, là encore, là aussi, ça a mauvaise réputation,
00:15:25 en tout cas auprès des partis dominants, parce que c'est nécessairement
00:15:29 le repli sur soi, c'est nécessairement au fond être réactionnaire
00:15:31 et rejeter l'autre. En tout cas, c'est une idée reçue.
00:15:35 D'où le sentiment qui est souvent partagé sincèrement, y compris par des gens
00:15:39 qui sont réellement de gauche, qui sont soucieux d'émancipation et de l'égalité,
00:15:43 qu'en fait, votre proposition est réactionnaire, au sens où,
00:15:47 finalement, il s'agit de n'être que ce qu'on est, et donc nécessairement
00:15:51 de finir par aller affronter ce qui n'est pas nous, et le rejeter.
00:15:54 Je pense que c'est aussi, cet aspect-là, une cause de malentendu,
00:15:58 en tout cas, c'est ce qui contribue beaucoup à faire votre mauvaise réputation,
00:16:01 et d'autant plus que vous ne cherchez pas spécialement, disons, à démentir ça,
00:16:05 et c'est peut-être aussi stratégique.
00:16:08 – Alors, nous, la première identité qu'on revendique, elle est politique.
00:16:13 Lorsqu'on s'est dit indigène, on nous a toujours rétorqué,
00:16:16 oui, mais en fait, effectivement, vous vous repliez sur des identités,
00:16:19 sur une communauté, et moi, j'avais l'habitude de répondre,
00:16:22 mais indigène, c'est quoi comme communauté, en fait ?
00:16:24 – Je veux dire, dans la catégorie indigène, il y a des antillais,
00:16:28 il y a des arabos-musulmans, il y a des noirs, il y a des roms…
00:16:31 – C'est tout ce qui n'est pas blanc, en fait.
00:16:33 – C'est tout ce qui n'est pas blanc, et en l'occurrence…
00:16:35 – Il n'y a l'unité que du point de vue des blancs.
00:16:37 – Et en l'occurrence, il ne s'agit même pas d'une identité culturelle,
00:16:39 il s'agit d'un statut, et ça, c'était vraiment l'incompréhension de départ,
00:16:42 alors que pour nous, on était extrêmement clair, c'est un statut, en fait, indigène,
00:16:45 c'est rien d'autre qu'un statut. – De subalternité.
00:16:47 – C'est même un rapport social.
00:16:49 – C'est à se faire contrôler par la police une fois par semaine,
00:16:52 à leur connaissance, mais jamais.
00:16:54 – Et ce rapport social, à partir du moment où on l'impose
00:16:57 comme étant une identité politique, eh bien, on fait apparaître
00:17:00 une autre identité politique qui est celle des blancs.
00:17:02 Parce que dans la relation raciale, il y a deux pôles,
00:17:05 il y a celui des gens et des catégories qui subissent le racisme,
00:17:09 et ceux qui en bénéficient d'une manière ou d'une autre,
00:17:11 objectivement parlant, pas subjectivement.
00:17:13 – Même si ce n'est pas volontaire.
00:17:15 – Depuis le début, vraiment depuis 2005, nous disons,
00:17:18 cette relation, c'est une relation de pouvoir.
00:17:22 C'est une relation de pouvoir. C'est une relation sociale.
00:17:25 Voilà, la blanchité, l'indigèna, ce sont des rapports de pouvoir,
00:17:28 et en plus, qui ne sont jamais fixés dans le temps.
00:17:31 Le livre précédent, "Les blancs, les juifs et nous",
00:17:36 j'ai immédiatement abordé la question de mon statut, ambivalent,
00:17:42 à travers le fait que je me suis immédiatement présentée
00:17:45 comme étant une criminelle, vivant en France,
00:17:49 bénéficiant des rapports Nord-Sud, je me suis dite blanche.
00:17:53 Et j'ai assumé immédiatement ce rapport au Sud.
00:17:57 Ce qui prouve bien que c'est un rapport social qui n'est pas figé
00:18:01 et qui dépend toujours du contexte.
00:18:04 En France, par rapport à toi, je suis une indigène,
00:18:06 je suis une non-blanche, dans le cadre des frontières de l'État-nation.
00:18:10 Moi, je suis une non-blanche, en France, tout le monde sait que je suis une arabe,
00:18:13 et c'est comme ça que j'ai toujours été traitée depuis que je suis née, en tant qu'arabe.
00:18:17 Je sais que je ne suis pas blanche dans ce rapport social précis,
00:18:21 mais dans le rapport aux autres mondes, celui que nous, nous dominons
00:18:24 en tant que citoyenne française, parce qu'il se trouve que je suis citoyenne française,
00:18:28 en bas de la société et de la dignité humaine,
00:18:31 dans l'échelle sociale française, ici, dans le cadre d'un État impérialiste,
00:18:36 mais je suis bien bénéficiaire.
00:18:38 Et donc, on voit bien que c'est fluctuant et que ça dépend toujours du contexte.
00:18:41 - Tu veux dire que tu ne partages pas la condition de...
00:18:43 - Je ne partage pas la condition de ma famille restée en Algérie.
00:18:47 Je ne partage pas la condition de ma famille restée en Algérie
00:18:51 qui ne peut pas venir en France librement,
00:18:53 qui n'a pas le passeport qui, moi, me permet de voyager dans le monde entier, quasiment.
00:18:57 Voilà, ça, ça fait partie...
00:18:58 - Donc, au fond, ton identité ne peut pas, à stricto sensu, être considérée comme la même.
00:19:02 - Exactement. Et donc, je suis blanchie, je suis une indigène,
00:19:05 ça dépend dans quel contexte. Donc, il faut toujours préciser le contexte.
00:19:09 Et j'ajoute à cela que, quand on a dit que l'indigénat, c'était une identité politique,
00:19:15 il y a pour nous, reste pour nous, le traitement de la question identitaire au sens culturel du terme.
00:19:22 Parce que ce qui est écrasé par le racisme, c'est des traditions, c'est une identité,
00:19:30 c'est une culture, c'est une manière de manger, c'est une manière de fêter les mariages,
00:19:36 c'est une manière de vivre en communauté.
00:19:39 C'est une identité qui est écrasée historiquement et qui continue de l'être.
00:19:45 Par conséquent, notre démarche, c'est de revendiquer des identités qui ont été écrasées,
00:19:51 de les réhabiliter, tout en sachant, et c'est ça aussi, mais encore faut-il qu'on respecte un peu notre parole
00:19:58 et qu'on aille jusqu'au bout de notre rapport à l'identité.
00:20:02 On parle bien des identités dominées, on ne parle pas d'identité dominante.
00:20:07 Là, ce sont des identités qui sont écrasées et qui ont le droit de se revendiquer comme telles
00:20:11 pour éviter la dissolution, la désintégration.
00:20:16 – Oui, parce qu'en fait, la véritable volonté identitaire, la véritable ambition identitaire,
00:20:22 elle est portée par le pouvoir.
00:20:23 C'est-à-dire, nous, on n'est adossé à aucune forme de pouvoir.
00:20:26 Nous, on est en résistance, en vérité, parce que c'est à ça que…
00:20:31 c'est ça qui est ciblé par le pouvoir.
00:20:34 C'est nos identités, précisément, c'est nos cultures, c'est notre attachement à l'islam, par exemple, aussi.
00:20:39 Donc, c'est à partir de là qu'on veut nous faire la peau.
00:20:42 Et donc, c'est de là, évidemment, qu'on résiste, en fait.
00:20:46 Je veux dire, c'est quelque chose… c'est un rapport de résistance.
00:20:48 – Donc, présenté de manière spéculaire et symétrique, en fait, comme le fait même une certaine gauche,
00:20:53 d'un côté, l'identité ou les identités, parce qu'en fait, il y en a plusieurs, comme tu le disais, indigènes,
00:20:59 et de l'autre, les identitaires blancs suprémacistes, en fait, c'est un tour de passe-passe, on est bien d'accord,
00:21:06 parce qu'on parle de deux choses et de deux situations qui sont complètement différentes.
00:21:09 – On les met à écoute distance, alors qu'on voit bien qu'il y a un vrai rapport de domination, bien sûr.
00:21:12 – L'une qui est hégémonique, qui est historiquement au pouvoir,
00:21:15 qui est une tendance du pouvoir extrême, mais qui participe de ce pouvoir,
00:21:20 de la suprématie blanche, de la suprématie de l'Occident en tout cas,
00:21:23 et de l'autre, effectivement, des identités dominées qui cherchent tout simplement à exister, c'est ça ?
00:21:28 – Et à survivre. – C'est ça.
00:21:30 – À survivre, parce qu'en fait, même nos identités, elles ont été tellement massacrées dans l'histoire coloniale
00:21:34 qu'en reste, ce qu'on essaie de sauver, ce sont des lambeaux, des bribes,
00:21:38 parce que, en fait, socialement, d'un point de vue anthropologique, nous sommes tellement les mêmes,
00:21:45 en fait, on est tellement peu différents. – On est intégrés, en vérité.
00:21:48 – On est très intégrés. – Vous voulez dire que vous, les indigènes,
00:21:51 vous êtes très proches des blancs, en réalité. – On est très proches des blancs, bien entendu.
00:21:54 – C'est pas possible autrement. – C'est ça, on est très proches,
00:21:57 ce qui nous sépare, c'est rien du tout, en réalité.
00:21:59 Je veux dire, un anthropologue nous ferait cette démonstration qu'en fait…
00:22:02 – Scientifiquement, vous êtes plus proches de moi que des mecs qui vivent en Afrique
00:22:07 et dans des familles qui n'ont jamais quitté l'Afrique,
00:22:09 et dans les familles qui appartiennent aux couches majoritaires africaines.
00:22:13 – Oui, cette question des identités perdues, des sociétés traditionnelles, finalement,
00:22:21 de manière fantasmatique plus que réelle, en tout cas antérieure à la colonisation,
00:22:25 antérieure à l'arrivée d'un pouvoir extérieur, et toutes ces choses qui disparaissent,
00:22:29 qui sont broyées, finalement, par un pouvoir unificateur,
00:22:33 tout ça, ça renvoie à ce que disait par exemple Lévi-Strauss,
00:22:36 à ce que déplorait quelqu'un comme Claude Lévi-Strauss,
00:22:39 concernant l'uniformisation généralisée des cultures,
00:22:42 un processus qui était en cours dès les années 50,
00:22:45 un processus de déracinement généralisé,
00:22:47 tout ça, en fait, ça correspond dans une certaine mesure à ce qu'on appelle la modernité,
00:22:53 la modernité dans son ensemble.
00:22:55 Et là encore, vous donnez des verges pour vous faire battre, si j'ose dire,
00:22:58 puisque ça veut dire que vous n'êtes pas moderne, quoi.
00:23:01 Vous rejetez, finalement, ce processus d'homogénéisation d'ensemble,
00:23:08 qui est toujours, au fond, un peu suspect.
00:23:11 L'idéal étant aujourd'hui, et je l'ai pris conscience moi,
00:23:14 en essayant de comprendre cette logique identitaire,
00:23:17 d'aspirer à la non-appartenance.
00:23:19 C'est un petit peu, je veux dire, c'est l'idéal qui est présenté, en tout cas,
00:23:22 par le progressisme, quelqu'un qui est vraiment accompli,
00:23:25 c'est quelqu'un qui ne veut… - C'est un individu ?
00:23:28 - Qui est heureux, voilà.
00:23:30 Alors il y a cette question aussi de l'individualisme,
00:23:32 du rapport de l'individu à la communauté.
00:23:34 Dans la société traditionnelle, l'individu serait…
00:23:37 - Pleinement souverain.
00:23:39 - Dans la société traditionnelle, il est opprimé par le groupe.
00:23:41 - Pardon, je voulais dire aujourd'hui…
00:23:42 - Il est opprimé par le groupe.
00:23:44 Et dans la société moderne, il est émancipé, il est absolument libre.
00:23:49 Et donc, évidemment, de votre côté,
00:23:51 si vous continuez à vouloir défendre des identités communautaires,
00:23:55 forcément, vous allez opprimer les individus.
00:23:58 Non ?
00:24:00 - On a conscience de cette tension, qu'il ne faut pas évacuer.
00:24:04 Il y a l'individu, il y a la communauté.
00:24:06 Et il est vrai que, nous, notre rapport à cette question,
00:24:10 c'est plutôt un rapport où on tente un équilibre entre les deux.
00:24:14 C'est-à-dire qu'on n'est jamais…
00:24:15 Moi, je ne sais pas où commence et où finit l'individu.
00:24:17 Je ne sais pas où commence et où finit la communauté.
00:24:19 Donc, en fait, c'est une question philosophique.
00:24:21 - Ça tombe bien parce que personne ne le sait.
00:24:22 - Personne ne le sait.
00:24:23 Et précisément, personne ne le sait, mais en même temps,
00:24:26 on sait qu'un individu n'est rien sans le collectif.
00:24:28 Et on sait que le collectif n'est rien sans la reconnaissance
00:24:32 d'une singularité, de la singularité d'un individu.
00:24:36 Je ne suis pas Louisa, qui n'est pas Julien.
00:24:38 Donc, ça, c'est… On est tous différents.
00:24:40 Et la communauté, elle a besoin, pour vivre et exister,
00:24:43 de la coexistence de toutes ces individualités.
00:24:46 Nous, on a bien conscience qu'en fait,
00:24:47 on ne peut pas être ni dans un côté, ni dans l'autre.
00:24:49 Mais il se trouve que la modernité capitaliste
00:24:52 nous encourage vivement à n'être que des individus.
00:24:56 - Il y a ce grand récit, ce grand récit qui est "L'Occident a libéré
00:25:00 grâce à l'universalisme l'individu des communautés".
00:25:03 - C'est cette idée que l'Occident a inventé l'individu.
00:25:07 - Bien sûr.
00:25:08 - Elle a inventé l'individu.
00:25:10 - Il y a cette conviction.
00:25:11 - Et… - Très naïve au fond, mais très partagée.
00:25:12 - Oui, oui, voilà.
00:25:13 Et donc, en fait, il faudrait se conformer à ce projet.
00:25:16 Et il est vrai que nous, on le vit d'autant plus dans notre chair
00:25:21 que cette invitation à la libération, elle nous est faite aussi,
00:25:25 particulièrement à nous, non-blancs,
00:25:27 elle nous est faite, pareil, depuis l'école.
00:25:29 Il faut vous émanciper de vos familles qui sont d'emblée considérées
00:25:34 comme particulièrement oppressives.
00:25:36 Donc ça, c'est le premier message qu'on reçoit quand on est petit.
00:25:39 Et toute notre vie consiste à, justement, à négocier, à négocier la trahison.
00:25:48 Donc nous, on est là, et surtout quand on est une femme,
00:25:51 parce que c'est aux femmes en particulier à qui on adresse ce message.
00:25:57 Et nous avons répondu aux partis des indigènes de la République,
00:26:01 on a répondu à cette question.
00:26:02 Et on a affirmé nos appartenances communautaires.
00:26:05 Moi, il y a une phrase, pareil, dans l'ancien bouquin
00:26:08 qui m'a été fortement reprochée, où j'ai dit "j'appartiens à ma race".
00:26:13 J'appartiens à l'Algérie, j'appartiens à l'islam,
00:26:16 j'appartiens à ma mère, j'appartiens à mon père.
00:26:19 J'ai donc affirmé une forte appartenance à ma communauté et à ma race.
00:26:25 - Qui est hyper provocateur. - Hyper provocateur.
00:26:28 - Parce qu'antimoderne. - Parce qu'antimoderne.
00:26:30 Et surtout, je vais à l'encontre du projet de la beurrette émancipée.
00:26:35 - Qui est un projet politique. - Qui est un projet politique, à n'en pas douter.
00:26:38 Et encore faut-il le savoir. Moi, je le sais.
00:26:41 - Et pas seulement l'émancipation individuelle.
00:26:43 - Oui, c'est un projet de trahison. C'est un projet de trahison.
00:26:48 - Ce que je peux très torquer, c'est que la génération de mes parents,
00:26:52 en gros, des gens qui sont nés, oui c'est ça, des baby-boomers,
00:26:56 en gros, ils ont dû trahir tous leurs familles.
00:26:58 Ces déchirements des gens qui n'ont pas voulu vivre comme vivaient leurs parents.
00:27:05 Être femme au foyer, comme l'était maman. Être gay sans se cacher.
00:27:11 Ils ont vécu ces déchirements, ces séparations avec leurs familles
00:27:15 dans les années 60, 70, etc. au cours d'un processus.
00:27:18 Et donc on va te dire, mais c'est ça le modèle, et c'est ça que vous devez faire aussi.
00:27:22 Comme modèle à suivre au fond.
00:27:24 - Oui, sauf que nous on dit que c'est un projet capitaliste, en fait.
00:27:28 C'est un projet qui, d'abord, encore une fois, nous sépare de notre force collective.
00:27:34 Parce que nous sommes en capacité d'être, collectivement, politiquement,
00:27:38 on doit retrouver la communauté, on doit retrouver le sens du commun.
00:27:43 C'est-à-dire qu'en fait, il faut s'opposer, pour des raisons anticapitalistes,
00:27:50 il faut s'opposer au projet d'individualisation.
00:27:52 - Tu dis finalement, tout est une question de curseur.
00:27:55 À quel point est-ce que l'individu peut être séparé de la communauté ?
00:27:59 À quel point est-ce qu'il faut qu'il s'en libère ?
00:28:04 Bien sûr, ça pose la question très, très douloureuse.
00:28:07 Enfin, qui est une de celles qui pose le plus de problèmes pour ceux de l'extérieur,
00:28:13 à propos du pire, c'est l'identité homosexuelle.
00:28:18 Parlons-en, puisque c'est une des choses qui vous est le plus reprochée.
00:28:23 Vous demandez aux gens, finalement, de ne pas afficher l'identité LGBT,
00:28:29 ou en tout cas, ça poserait problème que de le faire.
00:28:33 - On ne demande rien aux gens.
00:28:35 On n'est pas prescripteur.
00:28:38 - On n'a jamais rien demandé.
00:28:41 On a constaté des choses.
00:28:43 - On ne guide pas.
00:28:45 C'est ça, souvent, qui est mal compris.
00:28:49 Parfois, il y a des malentendus qui sont entretenus.
00:28:52 Il y a aussi de la mauvaise foi, évidemment.
00:28:54 Mais si on part du principe que...
00:28:56 - Oui, bien sûr.
00:28:58 - On a en face des gens qui sont bienveillants, etc.
00:29:02 L'une des choses, et ce n'est pas que pour la question des homosexuels,
00:29:06 mais aussi la question des femmes,
00:29:09 parce qu'on est aussi considérés comme des misogynes, etc.
00:29:13 On dirait aux femmes de ne pas trahir, et donc de ne pas...
00:29:18 - Voire d'accepter d'être violées par des non-blancs.
00:29:21 - C'est ça, par exemple.
00:29:23 - Oui, on s'accusait de ça.
00:29:25 - L'un des malentendus, c'est qu'on prend nos analyses pour des prescriptions.
00:29:31 Nous, ce que nous disons, c'est ce que font les non-blancs.
00:29:35 Dans leur grande majorité, dans les grandes tendances,
00:29:40 alors effectivement, il y a des exceptions,
00:29:42 mais dans les grandes tendances, les femmes non-blanches...
00:29:44 - Pour pouvoir t'accuser en te disant "tu me rabats sur ce que moi, je ne suis pas".
00:29:47 - Les femmes non-blanches et aussi les homosexuels dans les quartiers populaires
00:29:51 font le choix de ne pas révéler, par exemple, leur identité sexuelle,
00:29:57 en tout cas de ne pas la politiser sous cette forme-là.
00:30:00 - Ne pas la vivre sur le même mode.
00:30:02 - Voilà, parce que c'est une forme qui est reliée,
00:30:05 enfin je veux dire, qui s'identifie historiquement,
00:30:09 qui a une histoire, c'est-à-dire que ce n'est pas une évidence,
00:30:12 ça ne tombe pas du ciel.
00:30:14 - C'est lié à ce qu'on a dit précédemment,
00:30:16 à savoir qu'il y a une conscience forte de devoir protéger la logique communautaire.
00:30:22 - Voilà, en tout cas...
00:30:24 - De ne pas faire violence.
00:30:26 - De ne pas faire violence au corps social qui est déjà très abîmé.
00:30:29 - Voilà, en tout cas, on constate que ça n'a pas lieu,
00:30:32 c'est-à-dire que les femmes ne font pas ça,
00:30:35 les homosexuels des quartiers populaires dans leurs quartiers populaires ne font pas ça,
00:30:38 ne s'outent pas.
00:30:40 Pourquoi ? Et c'est simplement ça que nous cherchons à faire,
00:30:43 c'est que nous...
00:30:45 - Alors on va te répondre ce que nous on va dire,
00:30:47 c'est parce qu'ils sont imprimés par le gouvernement.
00:30:49 - Mais non, en fait, on cherche à le comprendre et à le politiser,
00:30:51 c'est-à-dire simplement de dépasser la simple analyse
00:30:54 qui consiste à dire "bah c'est parce qu'ils sont alinés".
00:30:56 Voilà, je veux dire, oui, effectivement,
00:30:59 l'aliénation, ça nous semble être une explication un peu trop facile,
00:31:03 un peu trop... comment dire... expéditive, quoi.
00:31:07 C'est trop simple, on ne peut pas simplement dire que c'est parce qu'ils sont alinés,
00:31:11 donc en fait ils ne sont pas, comment dire, conscients et acteurs de leurs propres choix.
00:31:16 Voilà, mais non, en fait, c'est que nous pensons qu'ils ont une intelligence fine
00:31:20 des rapports sociaux, des rapports de force politique en cours,
00:31:24 et que s'ils font ce choix, il est à comprendre comme un choix politique.
00:31:28 - C'est-à-dire qu'il y a des choses qui sont plus importantes et qui privilégient.
00:31:30 - Voilà, exactement, et donc c'est l'un des axes, c'est précisément ce que tu disais.
00:31:34 - Bien sûr, et en fait, du coup, je reviens à la démarche de la pensée décoloniale
00:31:40 qui consiste à toujours penser en contexte.
00:31:42 Il n'y a pas de recette toute faite pour tout le monde,
00:31:45 en tout temps et dans tous les espaces, ce n'est pas possible.
00:31:47 Ce qui nous est présenté comme un horizon indépassable et un horizon idéal,
00:31:52 à savoir le fait de se rendre visible, eh bien nous, de là où on est,
00:31:57 on dit "ça n'est pas vrai" tout le temps.
00:31:59 Moi, je comprends parfaitement bien le besoin de politiser sa sexualité
00:32:03 quand on est un Européen, quand les identités homosexuelles ont été opprimées
00:32:10 par les pouvoirs en place depuis à peu près l'avènement de l'éternation,
00:32:14 qui est un éternation toujours hétérosexiste.
00:32:18 La production des normes sexuelles en Occident, dans l'Occident capitaliste,
00:32:23 a effectivement produit l'oppression des homosexuels.
00:32:26 Je comprends qu'à travers cette histoire, il y ait l'émergence d'identités sexuelles
00:32:31 qui se revendiquent. Là, il n'y a pas de problème.
00:32:34 - Selon le processus de retournement du stigmate, d'ailleurs.
00:32:36 - Voilà, ça correspond à une histoire spécifique et singulière.
00:32:39 Or, tout le problème, il est d'universaliser des expériences locales.
00:32:43 Ça, c'est ça, notre rapport à la pensée critique, à notre rupture avec la pensée de gauche,
00:32:51 c'est qu'on ne peut pas prendre le progressisme comme étant une solution pour tout le monde.
00:32:56 Il se trouve, il se trouve que les sexualités, les sexualités, les formes de sexualité
00:33:02 ont été broyées par l'histoire coloniale dans nos pays d'origine.
00:33:05 Lorsque les colons arrivent au Maghreb et en Afrique,
00:33:08 ils sont effarés de trouver des formes de sexualité, notamment homosexuelles,
00:33:12 qui se vivent tout à fait normalement.
00:33:14 Je veux dire, il n'y avait pas du tout cette espèce d'héritage strict,
00:33:19 à la fois chrétien, mais j'ajoute peut-être de manière plus forte
00:33:23 la binarité qui est née de l'existence des états-nations.
00:33:28 Ça n'était pas le cas dans nos pays d'origine.
00:33:31 Et en fait, ce que n'importe quel chercheur aujourd'hui
00:33:35 qui s'intéresse à la sexualité historique, des ensembles très vastes,
00:33:41 on peut même parler d'Amérique latine,
00:33:43 eh bien on se rend compte que les formes de sexualité étaient d'abord extrêmement diverses,
00:33:48 extrêmement diverses, et que l'homosexualité pouvait se vivre,
00:33:52 même en terre d'islam, de manière super cool.
00:33:56 Simplement, les colons ont introduit des législations,
00:34:03 dans les pays musulmans notamment, homophobes.
00:34:05 Ils les ont introduites dans le droit islamique.
00:34:09 Et depuis, effectivement, nos sociétés d'origine ont été fortement transformées.
00:34:14 Aujourd'hui, nous vivons dans les pays du Sud sous un règne hétérosexiste,
00:34:18 mais qui a été importé par l'impérialisme occidental.
00:34:22 – Il y a aussi eu des réactions, on imagine.
00:34:24 – Aujourd'hui, il est absolument vrai, absolument juste de dire que
00:34:29 les pays du Sud, en gros, sont devenus homophobes.
00:34:32 Mais on voit bien que ça n'est pas une histoire qui date de Matuzalem.
00:34:36 C'est très récent, et donc quand on a à ce point métamorphosé,
00:34:40 transformé, souillé ces formes de vie, qui sont des formes de vie,
00:34:46 qu'on a transformé les indigènes,
00:34:48 aujourd'hui, effectivement, nous avons affaire à un monde qui est ce qu'il est.
00:34:52 Et qui a le sentiment, par ailleurs, de résister aujourd'hui.
00:34:56 – Bien sûr. – Voilà, on est dans cette complexité.
00:34:59 – C'est le problème de l'homonationalisme, quand tu fais, par exemple,
00:35:01 de la liberté LGBT un emblème d'une réalité qui est en réalité
00:35:06 une réalité néocoloniale ou impérialiste,
00:35:09 en face, tu vas avoir des gens qui vont être encore plus homophobes.
00:35:13 – Ce que je souligne ici, c'est que le progressisme nous arrive
00:35:17 sous sa forme civilisationnelle. – C'est-à-dire suprémaciste.
00:35:20 – Suprémaciste et civilisationnel.
00:35:22 Il faut qu'on se conforme aux nouvelles normes.
00:35:25 Et aujourd'hui, la norme, c'est celle-ci.
00:35:27 C'est-à-dire qu'en fait, il faudrait que tous, tous, nous adhérions
00:35:31 et que nous soyons heureux d'y adhérer, disons aux formes LGBT
00:35:35 qui sont celles qui sont vraiment spécifiques à l'Occident capitaliste.
00:35:40 Et en fait, ce que nous on essaye de dire, c'est qu'en fait,
00:35:43 on ne vit pas simultanément. On ne vit pas tous ensemble.
00:35:47 On ne vit pas le même temps. On n'est pas dans les mêmes espaces-temps.
00:35:51 Les espaces-temps des quartiers populaires sont les leurs.
00:35:54 Et nous, on estime que si on a du respect, si on a du respect
00:36:00 pour les populations qui vivent dans les quartiers, si on les respecte,
00:36:04 eh bien, il faut les voir, il faut les entendre, il faut les écouter,
00:36:07 il faut les sentir. C'est ce que nous, nous faisons.
00:36:11 Alors évidemment, en faisant ça, on se met à dos toute la gauche progressiste.
00:36:15 Nous, on en a bien conscience. Simplement, nous, on n'a pas le choix
00:36:18 que de se mettre au diapason, de comprendre ce qui se passe
00:36:22 et de protéger les formes de vie qui ne sont pas encore soumises
00:36:29 à la blanchité, qui y résistent. Il faut y voir la part de lumière.
00:36:33 C'est pas du tout... Alors, on marche toujours sur des oeufs.
00:36:36 Moi, nous, on a bien conscience qu'on marche toujours sur des oeufs.
00:36:39 Nous, on est toujours sur le fil du rasoir. C'est-à-dire que nous,
00:36:42 on est dans une position où, à la fois, on ne peut pas tomber
00:36:45 dans les formes réactionnaires, anti-homosexuelles,
00:36:50 mais on ne peut pas non plus adhérer au projet blanc de libération par le haut.
00:36:54 Il y a des formes qui existent, qui sont le fait des populations elles-mêmes.
00:36:58 Et croire d'emblée que les formes que propose le LGBT,
00:37:04 c'est l'horizon indépassable et l'horizon idéal, nous, nous disons non,
00:37:09 parce que l'invisibilité a du bon. L'invisibilité a du bon.
00:37:14 Et le choix de l'invisibilité, il faut le respecter parce que,
00:37:18 encore une fois, ce que disait Louisa, les indigènes dans les quartiers,
00:37:22 ils savent ce qu'ils font. Ils savent où sont leurs intérêts.
00:37:26 Et s'ils estiment comme moi en tant que femme, comme Louisa en tant que femme,
00:37:29 nous, on est des femmes. Nous aussi, on est opprimés à l'intérieur d'un corps patriarcal.
00:37:36 Mais faire le choix de cette libération dans un monde blanc,
00:37:42 comment dire, qui nous promet monts et merveilles,
00:37:45 alors que notre statut en tant que femmes issues d'immigration, en fait,
00:37:49 il est déjà programmé. Nous, on sait où on doit aller.
00:37:54 Je veux dire, le marché du travail tel qu'il existe, il est saturé.
00:37:58 Il y a un plafond de verre pour nous. C'est-à-dire, en fait,
00:38:00 ce n'est pas vrai qu'on va réussir dans cette société.
00:38:02 Les femmes issues d'immigration, dans leur grande majorité,
00:38:05 même quand elles veulent s'émanciper, elles restent pauvres.
00:38:08 Elles restent pauvres. Donc nous, on sait qu'on reste pauvres.
00:38:11 Par conséquent, rationnellement, on sait qu'on a besoin du clan.
00:38:17 On sait qu'on a besoin de la famille. Et la famille, on sait qu'elle est oppressive.
00:38:21 On le sait, on l'a vécu, ce n'est pas la question.
00:38:23 Mais je veux dire, dans un monde aussi insécure, on fait des choix rationnels.
00:38:28 Et nous sommes des gens rationnels. Voilà, nous sommes des gens rationnels.
00:38:33 – Alors, cultiver cette barbarité, donc, en tout cas,
00:38:38 le fait d'être soi-même malgré le reproche qui vient des forces dominantes,
00:38:47 c'est l'objet de ton livre, Louisa, si on revient.
00:38:50 Chacune maintenant qu'on a fait un petit peu ce tour d'horizon général,
00:38:53 finalement, ce tour de contexte, cette mise en place politique,
00:38:57 on peut peut-être parler chacune un peu plus de votre livre ?
00:39:00 – Oui.
00:39:01 – Là et l'autre sont très liées, de toute façon, on l'a bien compris.
00:39:04 Je disais, ton approche, c'est une méditation qui passe par des lectures,
00:39:08 par des images qui viennent de la littérature, qui viennent du cinéma,
00:39:12 autour de la condition d'indigène ou de barbare.
00:39:16 – Oui, en fait, ce qu'il faut avoir en tête pour comprendre le sens
00:39:22 de ce que j'ai écrit, de ce que j'ai fait, c'est parce que souvent,
00:39:26 on me pose la question de pourquoi pas être passé par la littérature ?
00:39:29 Pourquoi cette centralité de la littérature, en tout cas de la culture
00:39:32 ou de la musique, etc. pour parler de ces choses très politiques ?
00:39:36 Ce qu'il faut avoir en tête, je pense, c'est que quand on arrive,
00:39:40 admettons, quand on est militant de la gauche révolutionnaire,
00:39:44 de la gauche radicale et qu'on cherche à se former théoriquement, stratégiquement,
00:39:50 etc. on a en fait une bibliothèque qui est déjà constituée de grands penseurs,
00:39:54 même de grands systèmes de pensée.
00:39:56 On se tourne vers Marx, on se tourne vers Foucault, je ne sais pas,
00:40:00 vers Deleuze, vers Lénine.
00:40:02 Cette bibliothèque, elle existe.
00:40:06 Or, pour un militant décolonial en France, arriver sur ce terrain-là,
00:40:12 en vérité, la bibliothèque, elle n'est pas de même nature.
00:40:17 C'est-à-dire que des textes stratégiques, théoriques, etc.
00:40:20 ce n'est pas par là que moi, en tout cas personnellement,
00:40:24 je me suis conscientisée, je me suis formée.
00:40:26 Je me suis formée par la littérature.
00:40:28 Parce que, aussi, parce que c'est ce qu'on disait tout à l'heure,
00:40:31 c'est que la question raciale en France, elle a été empêchée.
00:40:35 Elle a été empêchée d'être pensée, d'être légitimée comme objet de réflexion théorique, etc.
00:40:44 Et du coup, il y avait un énorme retard, notamment par rapport aux États-Unis.
00:40:48 Malheureusement, mais pour des raisons historiques,
00:40:50 malheureusement, les États-Unis ont été plus en avance sur ces questions-là.
00:40:54 - Parce que les formes de la domination blanche ont été très différentes aussi.
00:40:57 - Oui, il y a l'histoire de l'esclavage, etc.
00:40:59 C'est encore une autre réalité.
00:41:01 Mais du coup, ce que nous, nous sommes allés chercher, c'est ça, en fait.
00:41:07 C'est des textes, en fait, c'est une espèce de culture militante
00:41:10 qui nous permettait de forger la conscience des coloniales.
00:41:15 - Par l'expérience, en fait.
00:41:17 Les livres mêlent l'expérience, ce que permet la littérature, par exemple.
00:41:21 - Concrètement, moi, quand j'ai commencé à militer,
00:41:24 je me suis dit que c'était vraiment une espèce de culture militante.
00:41:27 Et je me suis dit que c'était vraiment une espèce de culture militante.
00:41:30 Et je me suis dit que c'était vraiment une espèce de culture militante.
00:41:33 Et je me suis dit que c'était vraiment une espèce de culture militante.
00:41:36 Et je me suis dit que c'était vraiment une espèce de culture militante.
00:41:39 Et je me suis dit que c'était vraiment une espèce de culture militante.
00:41:42 Et je me suis dit que c'était vraiment une espèce de culture militante.
00:41:45 Et je me suis dit que c'était vraiment une espèce de culture militante.
00:41:48 Et je me suis dit que c'était vraiment une espèce de culture militante.
00:41:51 Et je me suis dit que c'était vraiment une espèce de culture militante.
00:41:54 Et je me suis dit que c'était vraiment une espèce de culture militante.
00:41:57 Et je me suis dit que c'était vraiment une espèce de culture militante.
00:42:00 Et je me suis dit que c'était vraiment une espèce de culture militante.
00:42:03 Et je me suis dit que c'était vraiment une espèce de culture militante.
00:42:06 Et je me suis dit que c'était vraiment une espèce de culture militante.
00:42:09 Et je me suis dit que c'était vraiment une espèce de culture militante.
00:42:12 Et je me suis dit que c'était vraiment une espèce de culture militante.
00:42:15 Et je me suis dit que c'était vraiment une espèce de culture militante.
00:42:18 Et je me suis dit que c'était vraiment une espèce de culture militante.
00:42:21 Et je me suis dit que c'était vraiment une espèce de culture militante.
00:42:24 Et je me suis dit que c'était vraiment une espèce de culture militante.
00:42:27 Et je me suis dit que c'était vraiment une espèce de culture militante.
00:42:30 Et je me suis dit que c'était vraiment une espèce de culture militante.
00:42:33 Et je me suis dit que c'était vraiment une espèce de culture militante.
00:42:36 Et je me suis dit que c'était vraiment une espèce de culture militante.
00:42:39 Et je me suis dit que c'était vraiment une espèce de culture militante.
00:42:42 Et je me suis dit que c'était vraiment une espèce de culture militante.
00:42:45 Et je me suis dit que c'était vraiment une espèce de culture militante.
00:42:48 Et je me suis dit que c'était vraiment une espèce de culture militante.
00:42:51 Et je me suis dit que c'était vraiment une espèce de culture militante.
00:42:54 Et je me suis dit que c'était vraiment une espèce de culture militante.
00:42:57 Et je me suis dit que c'était vraiment une espèce de culture militante.
00:43:00 Et je me suis dit que c'était vraiment une espèce de culture militante.
00:43:03 Et je me suis dit que c'était vraiment une espèce de culture militante.
00:43:06 Et je me suis dit que c'était vraiment une espèce de culture militante.
00:43:09 Et je me suis dit que c'était vraiment une espèce de culture militante.
00:43:12 Et je me suis dit que c'était vraiment une espèce de culture militante.
00:43:15 Et je me suis dit que c'était vraiment une espèce de culture militante.
00:43:18 Et je me suis dit que c'était vraiment une espèce de culture militante.
00:43:21 Et je me suis dit que c'était vraiment une espèce de culture militante.
00:43:24 Et je me suis dit que c'était vraiment une espèce de culture militante.
00:43:27 Et je me suis dit que c'était vraiment une espèce de culture militante.
00:43:30 Et je me suis dit que c'était vraiment une espèce de culture militante.
00:43:33 Et je me suis dit que c'était vraiment une espèce de culture militante.
00:43:36 Et je me suis dit que c'était vraiment une espèce de culture militante.
00:43:39 Et je me suis dit que c'était vraiment une espèce de culture militante.
00:43:42 Et je me suis dit que c'était vraiment une espèce de culture militante.
00:43:45 Et je me suis dit que c'était vraiment une espèce de culture militante.
00:43:48 Et je me suis dit que c'était vraiment une espèce de culture militante.
00:43:51 Et je me suis dit que c'était vraiment une espèce de culture militante.
00:43:54 Et je me suis dit que c'était vraiment une espèce de culture militante.
00:43:57 Et je me suis dit que c'était vraiment une espèce de culture militante.
00:44:00 Et je me suis dit que c'était vraiment une espèce de culture militante.
00:44:03 Et je me suis dit que c'était vraiment une espèce de culture militante.
00:44:06 Et je me suis dit que c'était vraiment une espèce de culture militante.
00:44:09 Et je me suis dit que c'était vraiment une espèce de culture militante.
00:44:12 Et je me suis dit que c'était vraiment une espèce de culture militante.
00:44:15 Et je me suis dit que c'était vraiment une espèce de culture militante.
00:44:18 Et je me suis dit que c'était vraiment une espèce de culture militante.
00:44:21 Et je me suis dit que c'était vraiment une espèce de culture militante.
00:44:24 Et je me suis dit que c'était vraiment une espèce de culture militante.
00:44:27 Et je me suis dit que c'était vraiment une espèce de culture militante.
00:44:30 Et je me suis dit que c'était vraiment une espèce de culture militante.
00:44:33 Et je me suis dit que c'était vraiment une espèce de culture militante.
00:44:36 Et je me suis dit que c'était vraiment une espèce de culture militante.
00:44:39 Et je me suis dit que c'était vraiment une espèce de culture militante.
00:44:42 Et je me suis dit que c'était vraiment une espèce de culture militante.
00:44:45 Et je me suis dit que c'était vraiment une espèce de culture militante.
00:44:48 Et je me suis dit que c'était vraiment une espèce de culture militante.
00:44:51 Et je me suis dit que c'était vraiment une espèce de culture militante.
00:44:54 Et je me suis dit que c'était vraiment une espèce de culture militante.
00:44:57 Et je me suis dit que c'était vraiment une espèce de culture militante.
00:45:00 Et je me suis dit que c'était vraiment une espèce de culture militante.
00:45:03 Et je me suis dit que c'était vraiment une espèce de culture militante.
00:45:06 Et je me suis dit que c'était vraiment une espèce de culture militante.
00:45:09 Et je me suis dit que c'était vraiment une espèce de culture militante.
00:45:12 Et je me suis dit que c'était vraiment une espèce de culture militante.
00:45:15 Et je me suis dit que c'était vraiment une espèce de culture militante.
00:45:18 Et je me suis dit que c'était vraiment une espèce de culture militante.
00:45:21 Et je me suis dit que c'était vraiment une espèce de culture militante.
00:45:24 Et je me suis dit que c'était vraiment une espèce de culture militante.
00:45:27 - Marine Le Pen, pendant la présidentielle, c'est une des premières choses qu'elle a dites.
00:45:33 "Mais moi, je ne m'attaque pas aux musulmans qui ont les papiers, qui sont français.
00:45:40 "Mais moi, je ne m'attaque pas aux musulmans qui ont les papiers, qui sont français.
00:45:43 "Mais en revanche, vous arrêtez les regroupements familiaux,
00:45:46 "Mais en revanche, vous arrêtez les regroupements familiaux,
00:45:49 "vous arrêtez de vouloir faire passer les vôtres. Ça, c'est terminé."
00:45:52 Donc il y a une espèce de deal, une négociation.
00:45:55 Moi, la question que je pose, mais c'est une question que je ne pose pas moi,
00:45:59 c'est-à-dire que c'est tout le mouvement des coloniales qui le pose,
00:46:01 même tout, j'allais dire, même le mouvement des luttes de l'immigration,
00:46:05 de manière très générale, c'est toujours ça qui se pose au final.
00:46:08 Est-ce qu'on va passer notre temps jusqu'où on est prêt à négocier notre part du gâteau ?
00:46:14 Est-ce qu'il n'y a pas un moment où on peut s'arrêter, en fait,
00:46:17 et penser la possibilité d'un autre horizon
00:46:21 que celui d'intégration, non intégration à ce monde-là ?
00:46:25 Qu'est-ce qu'on pourrait être ? Voilà.
00:46:27 Et ça, c'est une des premières questions que je pose au début,
00:46:32 c'est-à-dire que, en fait, quand finalement, on se pose la question de qui nous sommes, etc.,
00:46:37 au final, c'est une question qui est tournée davantage vers l'avenir que vers le passé.
00:46:43 C'est-à-dire qu'on n'est pas en train d'imaginer, de regretter un âge d'or perdu, précolonial,
00:46:50 parce qu'en vérité, on s'en fout, en fait, c'est pas notre question de savoir...
00:46:54 - C'est surtout qu'il est perdu. - Il est perdu, et voilà, je veux dire, on l'acte.
00:46:58 Mais c'est qu'à l'occasion de cette espèce de nostalgie de ce qu'on n'a pas vécu, en fait,
00:47:03 à l'occasion de cette nostalgie-là, qu'il faut la laisser s'exprimer...
00:47:07 - C'est un imaginaire. - Voilà, il faut la laisser s'exprimer,
00:47:09 il faut pouvoir en faire quelque chose.
00:47:11 Et à l'occasion de ça, en fait, la vraie question qui se pose,
00:47:13 c'est qu'est-ce que nous sommes en train de devenir ?
00:47:15 Et qu'est-ce qu'on veut devenir ?
00:47:17 Donc c'est vraiment une question qui regarde vers l'avant, quoi,
00:47:22 et qui pose un projet politique, ce qu'on appelle l'ensauvagement.
00:47:26 - Oui, il y en a beaucoup de questions dans le livre.
00:47:29 - Donc l'ensauvagement, nous, ce que nous disons, c'est que c'est un processus intégrationniste,
00:47:34 et qu'en plus, nous nous abîmons, et que donc, en fait,
00:47:37 on devient de véritables barbares au sens, là, pour le coup, commun du terme,
00:47:43 au sens premier du terme, en précisément, en renonçant à la barbarie,
00:47:47 au sens que moi, je l'entends, c'est-à-dire au sens de la résistance identitaire,
00:47:51 pas identitaire, mais du coup, j'ai dit identitaire,
00:47:54 mais de la résistance de ce que nous sommes, etc.
00:47:57 Donc il y a quelque chose, en fait, pour ne pas être véritablement barbare,
00:48:00 il faut rester barbare au sens où je l'entends, parce que qu'est-ce que ça signifie ?
00:48:04 C'est la question qu'on pose, qu'est-ce que ça signifie que de s'intégrer dans ce monde-là,
00:48:07 dans ce monde-là qui, justement, détruit des civilisations entières,
00:48:11 qui laisse mourir des milliers de migrants en Méditerranée,
00:48:17 qui fait des guerres à travers le monde ?
00:48:20 Je veux dire, qu'est-ce que ça signifie ?
00:48:22 Est-ce que c'est véritablement un salut pour notre âme ?
00:48:26 Je ne suis pas convaincue, voilà, et on n'est pas convaincus.
00:48:29 Donc c'est la question qu'on pose.
00:48:30 – L'acte premier de l'appel des indigènes de la République,
00:48:32 c'est ce qu'on a posé comme condition première de notre engagement politique,
00:48:37 c'est qu'on se débarrasse du projet intégrationniste,
00:48:41 on est contre l'intégration, et ce qu'on propose à la place, c'est la libération.
00:48:45 On se libère, et on se libère de quoi ?
00:48:47 Précisément de ce statut qui est le nôtre, qui est celui de l'indigénat,
00:48:50 mais quand on libère l'indigène, on libère le blanc de ce rapport-là.
00:48:55 Mais ce faisant, il ne s'agit pas simplement d'une déclaration,
00:48:59 il faut une déclaration de principe, on est contre l'intégration,
00:49:02 parce qu'on est contre notre blanchiment,
00:49:04 parce qu'on est contre notre ensauvagement dans une civilisation
00:49:07 que les décoloniaux appellent une civilisation de la mort.
00:49:10 Une civilisation de la mort.
00:49:11 Alors, il ne faut quand même pas, on n'a pas la mémoire courte,
00:49:13 on sait qu'on a été précédés par deux grandes guerres dites mondiales,
00:49:17 qui sont d'abord et avant tout des guerres occidentales, d'accord ?
00:49:20 Et ces guerres se poursuivent, elles ont…
00:49:23 Alors effectivement, on a retrouvé un semblant de paix à l'intérieur de l'Europe,
00:49:27 à mon avis, jusqu'à quand, telle est la question, d'accord ?
00:49:31 Mais surtout, on a exporté la guerre, on a toujours continué à tuer,
00:49:36 au nom de la modernité, de la civilisation, de la démocratie, etc.
00:49:41 On sait que ces guerres sont faites pour des intérêts capitalistes et impérialistes,
00:49:45 on le sait, simplement on le sait.
00:49:47 – On ne le voit pas, on ne le subit pas.
00:49:49 – On ne le voit pas, et en fait, on n'est peu à vouloir le savoir.
00:49:53 On le sait, mais on fait comme si on ne le savait pas,
00:49:55 et donc on adhère à l'idée qu'on fait des guerres pour des bonnes raisons.
00:50:00 Et ça, c'est une des problématiques que moi j'aborde dans mon livre.
00:50:04 Donc on est bien, depuis le départ, aux Indigènes de la République,
00:50:07 dans une démarche de libération, mais celle-ci ne peut se faire
00:50:10 que si on adhère au fond à un projet révolutionnaire,
00:50:14 à savoir qu'il ne faut pas vouloir s'intégrer dans le cadre,
00:50:17 qu'il faut transformer le cadre.
00:50:19 Il faut transformer le cadre, donc ça veut dire s'attaquer au système économique capitaliste,
00:50:24 il faut s'attaquer à l'état-nation tel qu'il s'est institué,
00:50:29 et tel qu'il préserve les intérêts de la grande bourgeoisie.
00:50:33 Voilà, ça veut dire que c'est un projet ambitieux.
00:50:36 – Ça nous amène à ton livre à toi,
00:50:39 "Houria", qui est un livre de stratégie politique,
00:50:42 et non plus un livre de méditation sur la condition d'Indigène.
00:50:47 Alors "Les barbares", donc oui, on en a beaucoup parlé,
00:50:50 mais dans ton titre, il est aussi "Question des beaufs".
00:50:53 Alors voilà, "Beaufs et barbares", donc le pari du "nous".
00:50:55 Voilà encore une désignation extrêmement agressive et dépréciative,
00:51:00 qui reprend finement le regard de l'adversaire sur un groupe.
00:51:06 C'est quoi les beaufs, alors politiquement ?
00:51:09 Comment tu les définis ?
00:51:10 – Alors, "beaufs et barbares", donc il y a deux catégories.
00:51:13 Alors d'abord commençons par dire que je ne revendique aucune des deux catégories,
00:51:19 ce ne sont pas mes mots,
00:51:20 ce sont ceux du mépris de race et ceux du mépris de classe.
00:51:24 Et personne ne dit officiellement "il y a des beaufs et des barbares",
00:51:28 on est d'accord, ce ne sont pas des mots officiels,
00:51:31 mais tout le monde le pense,
00:51:32 tout le monde pense que les classes populaires sont constituées de beaufs,
00:51:36 c'est un mot pour tout.
00:51:38 – Les gens qui ne partagent pas l'école culturelle, les valeurs, le style de vie.
00:51:41 – Oui, qui ont des goûts…
00:51:44 – Tu te rappelles, c'est un mot qui a été inventé par Cabu,
00:51:48 pour désigner finalement du point de vue de la classe moyenne,
00:51:52 justement émancipée, les blaireaux qui étaient restés dans des valeurs…
00:51:58 – Qui ont beaucoup de tard, qui sont racistes, qui sont homophobes,
00:52:02 qui sont antisémites, qui sont misogynes, qui ont des goûts douteux.
00:52:06 – C'est le personnage avec sa moustache que Cabu mettait tout le temps,
00:52:10 le Franck Rouillard.
00:52:11 – Donc voilà, le Franck Rouillard, et puis les barbares,
00:52:14 les indigènes, les habitants des quartiers, les non-blancs.
00:52:17 Donc on a affaire à deux catégories des classes populaires,
00:52:22 qui ont en commun de subir l'oppression de la bourgeoisie,
00:52:26 et donc qui ont en commun d'être exploitées par la bourgeoisie.
00:52:30 Et en même temps qui sont très antagoniques à cause notamment du racisme,
00:52:35 parce que par ailleurs elles peuvent partager un certain nombre de choses,
00:52:39 qui sont considérées comme pas très progressistes précisément,
00:52:43 donc des sentiments plutôt réacs, tendanciellement.
00:52:47 Mais ces deux catégories sont séparées, divisées par le racisme.
00:52:52 Et pour moi, ce que j'ai envie de dire immédiatement,
00:52:58 c'est que l'idée de faire converger ces deux catégories,
00:53:05 en fait elle n'est pas du tout nouvelle chez nous, elle est ancienne.
00:53:08 Puisqu'au pire, parce que le pire a toujours été une organisation stratégique,
00:53:12 quand on a pensé la constitution d'un bloc historique,
00:53:17 on a toujours imaginé qu'il fallait le faire avec une partie des blancs, évidemment.
00:53:22 Et de manière privilégiée, les classes populaires blanches,
00:53:26 et de manière générale avec la gauche,
00:53:29 qui serait anticapitaliste, antiraciste, etc.
00:53:33 Donc depuis le début, on a un projet d'alliance,
00:53:35 qu'on a nommé, on a donné un nom à ce projet d'alliance,
00:53:38 qui s'appelle pour nous "la majorité des coloniales".
00:53:41 Donc pour nous, il faut gagner une hégémonie en France,
00:53:44 une hégémonie politique, c'est un projet du pire depuis le départ,
00:53:47 par l'alliance des bouffes et des barbares.
00:53:50 Il se trouve que pendant de longues années,
00:53:52 on a d'abord décidé de se focaliser sur la construction d'une force indigène,
00:53:59 pour des raisons faciles à comprendre,
00:54:01 qui est qu'il n'y en avait pas,
00:54:02 et que Abdelmalek Sayyad nous l'a dit,
00:54:04 c'est d'exister politiquement.
00:54:05 Donc il fallait d'abord affirmer notre propre existence politique,
00:54:08 mais sans perdre de vue l'objectif stratégique, jamais.
00:54:11 Et tout le long de notre parcours, on a toujours fait,
00:54:13 on a toujours été capable d'organiser des grands fronts
00:54:17 avec une partie de la gauche blanche,
00:54:19 sans jamais réellement atteindre les bouffes,
00:54:21 parce que c'est beaucoup plus compliqué que ça.
00:54:23 Eux-mêmes ne sont pas forcément organisés,
00:54:25 et eux-mêmes ne constituent pas une force politique identifiée,
00:54:27 puisqu'ils sont répartis dans le champ politique.
00:54:29 Ils sont à l'extrême droite, ils sont dans une partie de la gauche,
00:54:31 ils sont résignés, ils ne votent plus, ils ne s'intéressent plus.
00:54:34 Donc en fait, les bouffes ne sont pas politiquement identifiées,
00:54:38 ils ne sont pas quelque part dans le champ politique.
00:54:40 – Ils ne sont pas constitués, oui.
00:54:42 – Ils ne sont pas constitués.
00:54:43 Donc ça c'est déjà quelque chose d'ancien,
00:54:45 contrairement à ce qu'on peut penser.
00:54:47 Simplement, c'est ce que je continue de dire,
00:54:50 c'est-à-dire que nous on avance dans le contexte, en fonction du moment,
00:54:55 et moi je pense que le moment est venu d'affirmer
00:54:58 et d'essayer de comprendre qu'est-ce qui bloque, qu'est-ce qui fait que.
00:55:01 Or il se trouve que toute la gauche se pose la question,
00:55:03 toute la gauche se pose la question de savoir
00:55:05 pourquoi les classes populaires ne convergent pas ?
00:55:08 Pourquoi lorsqu'il y a eu l'insurrection des Gilets jaunes,
00:55:12 pourquoi les quartiers ne sont pas descendus ? Grande question.
00:55:14 Au moment des élections présidentielles, les dernières,
00:55:17 Mélenchon a su parler aux indigènes,
00:55:19 il les a fait sortir de manière assez exceptionnelle,
00:55:23 il s'est passé quelque chose avec les indigènes,
00:55:26 et on constate que les classes populaires blanches l'ont un peu boudé,
00:55:30 elles ont boudé la gauche, une partie.
00:55:33 – Ça a créé des grosses difficultés dans la LFI d'ailleurs.
00:55:35 – Voilà, et donc une grande partie est allée vers l'extrême droite,
00:55:38 une partie non négligeable est allée vers l'extrême droite,
00:55:41 et puis une autre partie ne vote pas tout simplement, enfin voilà.
00:55:45 Donc la question, c'est une vraie question politique,
00:55:47 c'est une vraie question, et je pense qu'il faut passer par la question raciale,
00:55:52 la chose que la gauche ne veut pas faire.
00:55:55 Qu'est-ce qui fait que cette convergence reste impossible ? Pourquoi ?
00:56:02 Ma réponse, elle me vient grâce à Gramsci.
00:56:08 C'est Gramsci qui m'aide à résoudre cette question,
00:56:14 grâce à son idée, son concept d'État intégral.
00:56:18 Alors Gramsci définit l'État intégral comme étant constitué à la fois de l'État,
00:56:24 de ses institutions, de son administration, de sa police, de son armée,
00:56:28 mais également de la société politique, mais également de la société civile.
00:56:33 Donc l'État intégral, qu'est-ce qui permet à la bourgeoisie de garder le pouvoir ?
00:56:39 C'est parce qu'elle a su créer un lien organique avec la société politique,
00:56:44 celle qui est censée s'opposer à elle dans le cadre de la lutte des classes,
00:56:49 et qu'elle a su créer un lien organique entre elle et le peuple.
00:56:54 – C'est-à-dire qu'elle l'infiltre de manière capillaire
00:56:56 avec toute une série de valeurs ou de comportements ?
00:56:58 – Ce n'est pas simplement qu'elle l'infiltre,
00:57:00 c'est que les autres instances qui forment l'État intégral
00:57:03 sont partie prenante du projet nationaliste, en fait.
00:57:08 Il n'y a pas une société politique qui serait victime à 100% de la bourgeoisie.
00:57:14 Il n'y a pas une société civile qui serait formée de bénêts
00:57:18 qui ne savent pas où ils vont.
00:57:19 Non, en fait, chaque instance défend ses intérêts, chaque instance.
00:57:26 Et à travers moi, cette idée d'État intégral,
00:57:28 moi quand je l'ai rencontrée, je me suis dit, on peut faire un livre avec ça.
00:57:32 Parce qu'en fait, Éric Hazan m'avait demandé d'écrire un livre,
00:57:36 je n'avais pas spécialement envie d'écrire,
00:57:38 et il m'a demandé d'écrire sur le…
00:57:41 Éric Hazan, donc, éditeur de La Fabrique.
00:57:45 Et donc, en fait, il me propose d'écrire sur le racisme structurel,
00:57:48 qui est une bonne idée, mais je trouvais que ça ne faisait pas un livre.
00:57:51 Mais quand j'ai rencontré cette idée d'État intégral, là je me suis dit,
00:57:54 voilà, ça me permet de dénouer la question.
00:57:57 Pourquoi ? Parce qu'en fait, il y a deux débats sous-jacents
00:58:00 quand on aborde la question du racisme structurel,
00:58:03 c'est est-ce que le racisme est produit par l'État,
00:58:06 ou est-ce qu'il est le fait des classes populaires ?
00:58:08 – Ça c'est une grande question historique aussi,
00:58:10 la persécution, est-ce qu'elle vient du bas,
00:58:12 ou est-ce que c'est l'État qui les favorise ?
00:58:14 – Rencière, par exemple, a écrit un texte fameux
00:58:17 qui parle du racisme comme une passion d'en haut,
00:58:19 ce qui n'est pas faux, mais qui pour moi n'est pas vrai complètement.
00:58:22 Et donc, il y a cette question-là, et puis il y a la question de savoir
00:58:26 est-ce que l'État est raciste, ou est-ce qu'il y a un racisme d'État ?
00:58:30 Ça c'est une question qui est notamment posée par Éric Hazan,
00:58:34 qui répond "il y a un racisme d'État".
00:58:36 – C'est quoi la différence ? Est-ce que l'État est raciste ?
00:58:38 – Pour moi, ce que j'entends lorsqu'il dit "il y a un racisme d'État",
00:58:41 ça veut dire qu'en fait, l'État en soi n'est pas nécessairement raciste,
00:58:44 mais il y a des moments de racisme.
00:58:46 – Accidentellement presque.
00:58:47 – Accidentellement, il le serait accidentellement.
00:58:49 – C'est un dysfonctionnement.
00:58:50 – C'est un dysfonctionnement d'un État qui ne l'est pas de manière naturelle.
00:58:54 Alors, la notion, et c'est pour ça qu'elle est absolument extraordinaire,
00:58:58 c'est que l'idée d'État intégral me permet, moi,
00:59:02 de proposer l'idée de l'État racial intégral.
00:59:07 Et donc du coup, je réponds aux deux questions.
00:59:09 Est-ce que c'est un racisme d'en haut, est-ce que c'est un racisme d'en bas ?
00:59:12 Je dis les deux.
00:59:13 Est-ce qu'il y a un racisme d'État ou est-ce qu'il y a un État raciste ?
00:59:17 Je dis il y a un État raciste, racial exactement.
00:59:20 Ce faisant, avec cette idée d'État racial intégral,
00:59:26 tout simplement j'essaye de faire la démonstration que c'est une coproduction.
00:59:31 C'est une coproduction.
00:59:33 Et qu'en fait, dans le cadre des rapports impérialistes,
00:59:37 on est dans un État, la France est un État impérialiste.
00:59:40 Des richesses nous viennent du Sud.
00:59:43 On se polie le Sud, on écrase le Sud.
00:59:46 On poursuit, après la Seconde Guerre mondiale, on a poursuivi.
00:59:49 Je veux dire, il y a eu les indépendances, mais en réalité,
00:59:51 le capitalisme n'a pas abandonné ses prétentions.
00:59:55 Il n'a pas cessé, bien sûr que non.
00:59:56 Il a pris d'autres formes, plus opératoires.
00:59:58 Il a pris d'autres formes, notamment en collaborant
01:00:02 et en promouvant des élites locales qui allaient faire le sale boulot.
01:00:08 Donc c'est pour ça que le Sud, c'est que des dictatures,
01:00:11 que des régimes autoritaires.
01:00:13 Mais c'est précisément parce qu'il est structurellement
01:00:16 au service du projet capitaliste et impérialiste.
01:00:21 Donc tout ça pour dire que,
01:00:23 quand on est à l'intérieur de ces États-nations impérialistes,
01:00:25 eh bien on se partage le gâteau.
01:00:27 Donc je redis ce que je disais tout à l'heure.
01:00:29 Nous-mêmes indigènes, on fait partie du projet impérialiste.
01:00:33 – On est gagnante à ce point de vue-là.
01:00:34 – On est gagnante, moi je suis gagnante à être ici.
01:00:37 Moi je le reconnais, voilà.
01:00:40 Donc la démonstration que je fais, c'est celle-ci.
01:00:43 En fait, il y a une coproduction.
01:00:45 Et que même l'État-nation, l'État-national, c'est une volonté,
01:00:49 c'est un produit de la lutte des classes.
01:00:52 Alors je vais être honnête, c'est pas moi qui dis ça.
01:00:54 Moi je prolonge cette idée, mais Poulanzas,
01:00:58 et je le cite beaucoup, Poulanzas avait déjà dit ça,
01:01:02 avait déjà expliqué que…
01:01:04 – Nicos Poulanzas, un philosophe marxiste.
01:01:06 – Ah oui, un grand, que je recommande absolument.
01:01:08 – Et alors tu mets ça en œuvre en voyant aujourd'hui,
01:01:12 ce qui empêche finalement les beaufs de faire leur jonction avec les barbares.
01:01:17 – Mais les beaufs sont le produit de cette histoire.
01:01:19 – Pourquoi ne le font-ils pas ?
01:01:20 – Les beaufs, toutes les classes populaires blanches
01:01:22 ont intérêt à la poursuite du projet impérialiste.
01:01:26 Parce qu'on se le partage entre nous.
01:01:29 Mais les classes populaires blanches en particulier,
01:01:31 parce que c'est elles qui forment le corps légitime de la nation capitaliste,
01:01:36 qui est elle-même dominée par la bourgeoisie capitaliste.
01:01:40 Ce que je veux ici absolument dire,
01:01:43 c'est que s'il y a une coproduction de cet État racial intégral,
01:01:46 il y a une responsabilité première des classes dirigeantes et de la grande bourgeoisie.
01:01:51 Celles qui ont le plus intérêt à ce que le monde reste ce qu'il est,
01:01:56 c'est évidemment les classes dirigeantes, c'est évidemment le bloc au pouvoir.
01:02:00 C'est ce qui est aujourd'hui constitué en France du parti socialiste,
01:02:04 de la droite et de l'extrême droite.
01:02:06 C'est eux qui ont le plus grand intérêt à ce que le monde reste tel qu'il est,
01:02:10 c'est pour ça qu'ils sont tous colonialistes et qu'ils sont tous impérialistes.
01:02:12 Et c'est eux qui ont intérêt à ce que les classes populaires blanches
01:02:16 restent les plus racistes possibles.
01:02:19 Elles ont un intérêt vital à ça.
01:02:21 – Nous y voilà.
01:02:22 – On y arrive.
01:02:23 Mais comme il y a un deal, et qu'en l'occurrence elles y gagnent quelque chose,
01:02:27 et donc toute la question stratégique elle est là.
01:02:30 Parce que ce que je pense c'est qu'aujourd'hui on arrive à un moment
01:02:33 où le système libéral il est tellement déchaîné que de toute façon
01:02:37 il a commencé depuis les années 80 à trahir le corps légitime de la nation,
01:02:44 c'est-à-dire les blancs, les classes populaires,
01:02:46 il a commencé à les trahir parce que cette trahison elle vient juste après le grand pacte,
01:02:52 ce que nous on appelle le pacte racial mais qui est le grand compromis
01:02:56 entre le travail et le compromis travail…
01:03:01 – Capital.
01:03:02 – Capital.
01:03:03 – Les 30 Glorieuses tu veux dire.
01:03:04 – Exactement.
01:03:05 – La prospérité, partager.
01:03:06 – Là c'était le compromis organique entre tous les blancs,
01:03:10 sur le projet impérialiste, et bien ce pacte il est en train d'être grignoté.
01:03:14 – Ça ne marche plus.
01:03:15 – Ça ne marche plus, ça ne marche plus.
01:03:16 – Les gilets jaunes c'est une des expressions de la prise de conscience
01:03:19 par les petits blancs de cette trahison, ils vont finir par être très mal eux aussi.
01:03:24 – En 2005 une partie des blancs ont voté contre l'Europe, contre le traité européen
01:03:30 parce qu'ils étaient déjà, il y a déjà une prise de conscience que ça ne va plus.
01:03:34 – Une grande partie même.
01:03:35 – Une grande partie.
01:03:36 – Ils ont été majoritaires.
01:03:37 – Ils ont été majoritaires.
01:03:38 Ça veut dire qu'en fait le décrochage il existe depuis un certain temps,
01:03:41 la question c'est qu'est-ce qu'on fait avec ce décrochage ?
01:03:44 Ce décrochage il est soit capté par l'extrême droite,
01:03:49 il est soit capté par une gauche qui serait un peu plus révolutionnaire
01:03:53 qu'elle ne l'est actuellement.
01:03:54 L'objet de ce livre c'est de dire voilà, par quoi on remplace le pacte racial ?
01:03:59 Est-ce que c'est possible de le remplacer par autre chose ?
01:04:01 Donc la grande question elle est là, et ça permet de répondre à la question
01:04:05 quelles sont les conditions de l'alliance ?
01:04:07 Qu'est-ce qui ferait qu'on pourrait se retrouver dans la rue,
01:04:10 beauf et barbare tous ensemble, en défendant des intérêts communs ?
01:04:13 Eh bien pour ça il faut rompre avec la collaboration de race,
01:04:18 avec la bourgeoisie, celle qui s'apprête à sacrifier les classes populaires blanches.
01:04:25 – C'est-à-dire l'adhésion à un État-nation impérialiste, j'ai bien compris.
01:04:29 – Et bourgeois qui défendent de toute façon les intérêts de la bourgeoisie
01:04:32 et qui de toute façon tiennent à tirer le maximum de profits
01:04:36 dans un monde très incertain où à mon avis les grandes bourgeoisies
01:04:41 du bloc occidental sont en concurrence avec les grandes bourgeoisies chinoises,
01:04:46 russes, iraniennes, voilà.
01:04:48 Et que la rente impérialiste elle commence à diminuer,
01:04:52 et quand elle diminue il faut aller chercher l'argent là où il est,
01:04:55 sur la retraite, sur les salaires, ce qu'on va sacrifier c'est les salariés en fait.
01:05:03 – Alors ce que tu dis ça fait penser à une formule qui est pas mal employée je crois à LFI,
01:05:07 autour du Front National et du racisme en général, comme assurance vie du système.
01:05:12 – Ah oui, oui, oui, c'est une assurance vie du système.
01:05:15 – Le système ne survit que parce que les perdants blancs
01:05:17 ne s'allient pas avec les perdants barbares.
01:05:20 – Alors, et la bourgeoisie qui a toujours un ton d'avance
01:05:24 et qui a la conscience la plus forte de ses intérêts,
01:05:27 quand elle voit les gilets jaunes qui descendent dans la rue
01:05:30 et qui ne sont pas là où elle aimerait qu'ils soient,
01:05:33 c'est-à-dire qu'en fait quand on a préparé l'opinion à l'islamophobie
01:05:36 et à considérer que l'ennemi principal c'était le mec de quartier,
01:05:40 les habitants des quartiers, les musulmans,
01:05:42 et que les gilets jaunes sortent, tendanciellement racistes, bien entendu,
01:05:47 je veux dire ces affects-là ils existent, mais c'était pas leur priorité.
01:05:50 C'était pas leur priorité, c'était pas.
01:05:52 Et là la bourgeoisie qui voit déferler les petits blancs…
01:05:57 – Elle commence à dire c'est les salariats.
01:05:59 – Non, non, non, ils commencent à se dire,
01:06:01 ils n'ont pas comme ennemi principal les musulmans,
01:06:03 ils n'ont pas comme ennemi principal nous.
01:06:05 Danger, danger, et donc il faut à ce moment-là reproduire de l'islamophobie.
01:06:10 Et c'est ce qui s'est passé, un an, un an et demi après les gilets jaunes,
01:06:14 la loi séparatisme, la loi séparatisme, et là on se resépare.
01:06:19 – Ils étaient très déçus que les gilets jaunes ne soient pas d'extrême droite.
01:06:21 – Comment ?
01:06:22 – Ils étaient très déçus que les gilets jaunes ne soient pas d'extrême droite.
01:06:24 – C'est ce que je dis, c'est ce que je dis.
01:06:25 – Le premier truc qui a été dit c'est une bande de fachos.
01:06:26 – C'est ça.
01:06:27 – Il s'est avéré que ce n'était pas le cas.
01:06:28 – Ce n'était pas le cas.
01:06:29 – Et que même les surveillants s'étaient retirés parce qu'elles n'arrivaient pas à faire quelque chose.
01:06:32 – Voilà, il fallait restimuler les affects racistes.
01:06:36 Il fallait re…
01:06:38 – Donc tu vois un enchaînement nécessaire entre d'un côté le mouvement des gilets jaunes
01:06:40 et puis ensuite ce regain de la part de l'État finalement pour agiter le chiffre rouge.
01:06:44 – Il faut se souvenir que pendant les gilets jaunes,
01:06:46 il y a eu aussi les grandes mobilisations contre les violences policières,
01:06:48 les grandes mobilisations du comité Adama,
01:06:50 quand on a 30 000, 40 000 personnes dans la rue,
01:06:52 et que c'est précédé par l'effervescence des gilets jaunes,
01:06:56 et que les deux corps sont tous les deux opprimés et réprimés par la police,
01:07:02 là il y a quelque chose qui peut se faire.
01:07:04 Moi je pense personnellement qu'on en était loin en fait.
01:07:06 On était loin d'une rencontre massive des deux blocs tout simplement
01:07:09 parce qu'il n'y a pas de direction politique.
01:07:11 Je veux dire à un moment donné si on pense qu'il y a une convergence possible,
01:07:15 il faut chercher la direction, les directions des deux pôles qui n'existent pas.
01:07:21 – Il faut que ça se traduise politiquement.
01:07:22 – Et qui n'existent pas parce qu'elles ont été empêchées.
01:07:24 On peut se mobiliser massivement,
01:07:26 mais on n'a pas encore de grande direction politique en capacité d'orienter.
01:07:30 – Et quand on dit que ça a été empêché, vous pensez à quoi ?
01:07:32 – À nous.
01:07:33 – Non, à nous, mais à tous ceux qui nous ont précédés dans l'histoire.
01:07:37 Quand les marcheurs de 83 déboulent, déferlent dans les rues de Paris,
01:07:43 on a dit une centaine de milliers,
01:07:45 ce mouvement est immédiatement neutralisé.
01:07:48 – Par SOS Racisme en gros.
01:07:49 – Alors par le Parti Socialiste.
01:07:51 Disons les mots tels qu'ils sont, c'est le Parti Socialiste
01:07:54 qui à ce moment-là fait son tournant libéral,
01:07:58 on est en plein dans les années 80,
01:08:00 et le Parti Socialiste, il y a une chose à laquelle il n'avait pas intérêt à ce moment-là,
01:08:03 c'est qu'il y ait une radicalisation sociale par le bas,
01:08:07 venant de l'immigration, qui pourrait rallier une partie du monde ouvrier blanc.
01:08:11 C'était ce qu'il fallait empêcher absolument, c'est ce qui s'est passé.
01:08:14 Donc nos grands frères et nos grandes sœurs ont été empêchés,
01:08:17 et nous avons toujours été empêchés, je dirais,
01:08:19 et nous avons toujours été empêchés jusqu'à maintenant.
01:08:22 Alors, il faut quand même préciser, c'est que, en fait,
01:08:25 parfois l'État, il n'a pas besoin d'agir pour nous empêcher,
01:08:29 parce que nous on a été empêchés par la gauche et l'extrême-gauche.
01:08:31 [Rires]
01:08:33 – Mais comme il participe de l'État.
01:08:35 – Mais comme, précisément, il participe de l'État racial intégral.
01:08:38 Oui, mais ce que je veux dire, ce n'est pas nécessairement…
01:08:41 – En fait, ce que je voulais dire, c'est que ce qui est empêché,
01:08:43 c'est l'autonomie, c'est l'autonomie de nos mouvements,
01:08:46 c'est pas le sabotage organisationnel qu'on a subi, mais pas que nous.
01:08:51 C'est précisément nous empêcher de pouvoir créer notre agenda propre
01:08:56 et de pouvoir, effectivement, mobiliser,
01:08:59 enfin, constituer un véritable camp, une véritable nouvelle force politique
01:09:03 qui ne soit pas sous tutelle de la gauche traditionnelle.
01:09:07 – Et c'est ça qui a servi, le fait de rejeter dans le communautarisme
01:09:12 et dans l'obscurantisme identitaire, comme l'a très bien fait la gauche en 1983
01:09:17 quand les ouvriers de chez Talbot, majoritairement immigrés,
01:09:20 protestent pour se mettre en grève contre leurs conditions de travail.
01:09:23 Mauroy dit "ils sont noyautés par l'Islam".
01:09:26 – C'est l'alliance du Coran, de la faussie et du Coran.
01:09:29 – C'est ce qu'il disait, c'était ça ?
01:09:31 – Oui, c'est ça.
01:09:32 – Ce qu'a dit la droite à ce moment-là.
01:09:34 – Oui, on peut peut-être terminer sur cette affaire de dignité des beaufs
01:09:41 et de dignité blanche sur laquelle tu t'attardes,
01:09:43 aussi bien qu'il est question de dignité des indigènes.
01:09:48 Qu'est-ce qu'on entend par là ?
01:09:50 C'est un mot, c'est une catégorie politique, là encore,
01:09:53 dont l'émergence, je pense, est largement due à l'antiracisme politique,
01:09:57 cette notion de dignité, et en quoi ça intervient là-dedans ?
01:10:00 – La dignité est au cœur de toutes les luttes du Sud et des Sud du Nord,
01:10:06 des pays du Sud global, dans leur lutte contre le colonialisme
01:10:12 et dans les luttes de l'immigration.
01:10:14 C'est une notion fondamentale, centrale, parce qu'on part de nos blessures,
01:10:22 on part de ce qui a été abîmé, on part de ce qui nous fait tenir debout.
01:10:26 Et avant les questions matérielles, c'est le fait d'être dans ce monde,
01:10:31 et d'avoir le droit d'y être, c'est le droit d'exister.
01:10:35 Et quand on est colonisé, en fait, on n'existe pas.
01:10:38 En tout cas, on est broyé par le pouvoir blanc.
01:10:44 Et c'est vrai que c'est la première chose qu'on revendique
01:10:48 et qu'on brandit, la notion de dignité.
01:10:51 Et ce n'est pas du tout compris par la gauche,
01:10:53 qui a abandonné ce terrain de la dignité,
01:10:55 qui pour moi peut très bien marcher chez les Blancs.
01:11:00 Et malheureusement, ce que je dis, c'est que c'est l'extrême droite
01:11:04 qui comprend le mieux les questions de dignité,
01:11:09 les questions de rapport au monde, les questions, par exemple,
01:11:12 la question de l'identité, qui pour moi est très problématique
01:11:14 quand il s'agit des Blancs.
01:11:15 Je veux dire, ce n'est pas du tout une question facile,
01:11:17 puisque pour moi, la blanchité, elle n'est que affect négatif.
01:11:24 Je ne parle pas des cultures traditionnelles,
01:11:26 parce que je fais la différence entre le statut de Blanc,
01:11:32 qui est vidé de culture, qui est vidé de culture littéralement,
01:11:36 qui est...
01:11:37 - Parce que la modernité a imposé le déracinement, c'est ça que tu veux dire ?
01:11:39 - Entre autres.
01:11:41 Qui a créé une nouvelle communauté de destin,
01:11:47 qui est liée au capital, à la consommation, à l'individualisme,
01:11:52 et qui remplace tout le reste.
01:11:55 - Qui remplace toutes les valeurs historiques par, en gros,
01:11:56 gagner du fric et le dépenser, quoi.
01:11:57 - Voilà.
01:11:58 - Il n'y a plus que ça, c'est ça qui définit l'humanité.
01:11:59 - C'est ça qui définit le rapport des Blancs à...
01:12:01 - Ce qui reste, c'est ça, et d'être Blanc, et la blanchité.
01:12:04 - Oui, mais être Blanc, c'est ne pas être indigène.
01:12:06 - Voilà.
01:12:07 - En définition.
01:12:08 C'est pour ça que tu dis que c'est négatif.
01:12:09 Tu dis que c'est que la négativité,
01:12:10 parce qu'en fait, tu n'es Blanc que dans la mesure où tu te distingues
01:12:12 d'un groupe qui est celui des barbares, précisément.
01:12:15 - Mais précisément...
01:12:16 - Si je comprends rien.
01:12:17 - Mais en même temps, un Blanc n'est pas que Blanc.
01:12:20 Et il ne peut pas être que Blanc.
01:12:21 - Dans ce sens-là, oui.
01:12:22 Il faut espérer.
01:12:23 - Il n'y a personne sur cette terre qui n'est défini que par ce statut.
01:12:28 Mais les autres affects sont tous plus ou moins déterminés
01:12:32 par cette longue histoire du colonialisme et du rapport au monde.
01:12:35 Et je dis à un moment dans le livre, c'est très difficile pour un indigène
01:12:38 de s'adresser à un Blanc et de dire frère.
01:12:42 C'est très difficile, parce qu'on sent qu'on est trop séparés
01:12:45 par ce statut de la domination.
01:12:47 On est trop séparés.
01:12:48 C'est-à-dire que pour être frère ou sœur,
01:12:50 il faut être au moins à égalité dans les relations humaines.
01:12:53 Et qu'est-ce qui pourrait faire que les Blancs redeviennent des humains ?
01:13:00 Des humains, c'est-à-dire…
01:13:02 - A pied d'égalité avec les autres.
01:13:05 - …regagnent leur droit à appartenir à l'humanité générique.
01:13:09 Ça, c'est une question que Marx se posait.
01:13:12 Eh bien, il faut en finir avec la blanchité.
01:13:16 Mais quand on dit ça, tout de suite, c'est une agression.
01:13:19 Parce qu'en fait, j'ai le sentiment que beaucoup de Blancs
01:13:23 sont attachés à leur blanchité parce qu'ils la confondent avec une culture.
01:13:26 - Oui, parce que justement, ils ont été vidés.
01:13:28 - Voilà.
01:13:29 - Donc ils n'ont plus rien que ça.
01:13:30 - Voilà, c'est ça.
01:13:31 Donc en fait, la question, c'est juste,
01:13:33 qu'est-ce qui pourrait faire l'objet d'une dignité blanche ?
01:13:36 Autre que suprémaciste.
01:13:38 - Qu'est-ce qui serait à sauver, en fait ?
01:13:40 - Qu'est-ce qu'il y a à sauver ?
01:13:41 - Autre que l'extrême droite, quoi.
01:13:42 - Voilà, autre que l'extrême droite.
01:13:43 Eh bien, ça, c'est un travail qui doit être une proposition,
01:13:46 qui doit devenir une proposition de la gauche, en fait.
01:13:49 De la gauche radicale.
01:13:51 Parce que nous, on doit déjà...
01:13:53 Parce que nous, c'est pas nous qui allons diriger les Blancs.
01:13:55 C'est pas nous.
01:13:56 C'est pas nous qui allons faire ce travail-là.
01:13:58 Nous, on pense qu'il faut, d'un point de vue décolonial,
01:14:01 nous, notre travail, c'est d'en finir avec la domination,
01:14:03 avec la race.
01:14:04 En fait, c'est de l'abolir, la race.
01:14:06 D'accord ?
01:14:07 Et donc de cesser de servir le projet bourgeois et impérialiste.
01:14:10 D'accord ?
01:14:11 Donc il faut une autre dignité blanche,
01:14:14 qui ne soit pas celle qui soit captée par l'extrême droite.
01:14:16 Et il faut donc, effectivement,
01:14:18 comprendre que, dans leurs ambivalences,
01:14:22 les petits Blancs ont des besoins,
01:14:24 des besoins sociaux, de sécurité, de dignité,
01:14:28 de fierté de soi.
01:14:32 D'avoir, de retrouver des traditions, des cultures,
01:14:37 je sais pas, moi, je pourrais dire, par exemple,
01:14:39 retrouver le chemin de l'Église, par exemple.
01:14:41 D'avoir, de retrouver des spiritualités, des choses,
01:14:44 que eux, constatent chez nous.
01:14:46 Et en fait, quand ils nous voient,
01:14:48 ils voient bien qu'en fait, il y a un décalage entre nous.
01:14:51 C'est-à-dire qu'en fait, nous sommes encore ce qu'ils ont été.
01:14:56 Mais tu vois bien que là...
01:14:57 Nous sommes un peu encore ce qu'ils ont été.
01:14:58 Parce qu'il y a une histoire propre du développement avec les Lumières,
01:15:02 que tu peux pas non plus rejeter comme entièrement négative,
01:15:06 qui ont des éléments, voilà.
01:15:07 C'est toute l'ambiguïté de la modernité.
01:15:09 C'est à la fois un déracinement, un évidage au profit,
01:15:12 finalement, des seules valeurs du commerce, du néolibéralisme,
01:15:16 qui n'a rien à dire sur l'homme, à part, il faut être performant,
01:15:19 il faut gagner du fric et il faut le dépenser, voilà.
01:15:21 C'est tout ce qui reste.
01:15:22 - Et il faut être en compétition les uns avec les autres.
01:15:24 - Il faut être en compétition, bien sûr, oui.
01:15:26 Voilà.
01:15:27 Mais d'un autre côté, en face, la société traditionnelle, disons,
01:15:34 le retour à la société traditionnelle, n'est pas non plus...
01:15:37 C'est pas possible.
01:15:38 Et ensuite, c'est pas...
01:15:39 - Alors nous, c'est pareil.
01:15:40 C'est comme pour les indigènes, on dit pas qu'il faut un retour
01:15:42 à la société traditionnelle, qu'on peut pas réinventer comme ça.
01:15:45 C'est fini, je veux dire.
01:15:46 - Le retour des autorités, tu vois, c'est un grand fantasme
01:15:48 des réacs néolibéraux conservateurs, qui sont pas contre, d'ailleurs,
01:15:51 le retour des valeurs traditionnelles, de l'autorité.
01:15:55 Ça s'empêche pas d'être néolibéraux en même temps, ça leur va très bien.
01:15:57 - Donc à la différence d'un projet...
01:15:58 - Quelqu'un comme Tremperieck, le grand penseur du néolibéralisme,
01:16:00 c'est un conservateur, il pense que les valeurs traditionnelles doivent être maintenues.
01:16:03 - Oui, mais je crois pas qu'on puisse être confondu avec des conservateurs.
01:16:06 Moi, je pense qu'on doit réinventer quelque chose de partir de ce qui existe,
01:16:09 de l'existant, et la priorité des priorités, pour moi,
01:16:12 c'est de reconstituer des communautés et des solidarités.
01:16:16 Des solidarités qui ne soient plus dépendantes de la stricte volonté
01:16:19 de l'État bourgeois, et de l'État blanc et bourgeois.
01:16:23 Ça veut dire d'autres formes de solidarité, d'autres formes de vie en commun,
01:16:26 et donc, pour le coup, redécouvrir le mot "commun".
01:16:29 Et nous, on dit "tiens", puisque quand on nous dit "vous êtes des communautaristes",
01:16:32 parce qu'en fait, ce serait péché que d'être communautariste,
01:16:35 mais nous, on dit "on est fiers d'être communautaristes".
01:16:38 C'est quoi le problème ? Je veux dire, c'est parce qu'on est communautariste
01:16:41 qu'on arrive encore à résister, qu'on n'est pas complètement broyés.
01:16:44 - Et ça veut pas dire communautariste, vouloir attaquer les autres communautés.
01:16:48 - Ah non ! Mais je veux dire, la communauté, quand elle existe...
01:16:53 Parlons de la communauté musulmane, sur laquelle on a beaucoup de fantasmes.
01:16:57 Mais la communauté musulmane, elle l'accueille tout le monde.
01:17:00 La communauté musulmane, quand on la laisse épanouir,
01:17:03 et quand on la laisse organiser et préserver ses valeurs
01:17:09 dans des contextes d'oppression et d'attaques systématiques,
01:17:14 quand on la laisse épanouir, elle accueille les blancs.
01:17:18 Sans problème. Je veux dire, ça s'est toujours fait naturellement.
01:17:21 Donc, je veux dire, c'est un bienfait, en fait.
01:17:23 Mais encore, faut-il vraiment se débarrasser radicalement
01:17:28 de la manière dont on nous présente l'islam et les musulmans en France.
01:17:32 Et les communautés en général, je veux dire, pas que la communauté musulmane.
01:17:35 - Non, mais il y a aussi l'idée que nous, on ne croit pas
01:17:39 que les affects politiques soient figés, en fait.
01:17:43 On pense que c'est l'objet d'un travail, d'un travail politique,
01:17:46 et qu'on peut transformer les affects.
01:17:48 Donc, même dans ce qu'on appelle l'affect blanc, en fait,
01:17:52 les blancs, les petits blancs ne sont pas condamnés au fascisme.
01:17:56 Ne sont pas condamnés à être des racistes, en fait.
01:17:59 Et à s'y perdre.
01:18:02 Et donc, on pense que tout ça, c'est l'objet d'un travail politique,
01:18:05 et est à mener. Mais du coup, pour pouvoir le mener,
01:18:07 il faut pouvoir le regarder en face, l'assumer en tant que tel,
01:18:10 et proposer une véritable alternative.
01:18:12 - Alors, ces affects sont d'autant moins figés
01:18:14 que ça demande de la part des classes dirigeantes
01:18:17 un effort permanent de les maintenir à niveau.
01:18:19 - Oui, il faut régulièrement créer un débat.
01:18:21 - Voilà, ça veut dire qu'eux-mêmes ne sont pas sûrs
01:18:23 que les blancs vont rester bien racistes.
01:18:25 Ça veut dire qu'il y a un travail de politisation dans l'autre sens.
01:18:28 - C'est la première ancière à laquelle tu faisais allusion tout à l'heure.
01:18:31 - Mais nous-mêmes, on est exposés à ces problèmes-là
01:18:33 au sein de la communauté, je veux dire, indigène.
01:18:36 - Les indigènes, eux aussi, ils deviennent racistes.
01:18:38 La blanchité, elle est en nous.
01:18:42 Je veux dire, c'est pas, je vois un Européen qui traverse,
01:18:44 je dis, lui, c'est un blanc.
01:18:46 La blanchité, c'est beaucoup plus subtil que ça.
01:18:48 Et nous aussi, on est menacés de devenir des racistes,
01:18:52 des misogynes, des homophobes, tout ça.
01:18:55 On est tous les jours menacés de le devenir.
01:18:58 Antisémites, également.
01:19:00 - C'est important, excusez-moi,
01:19:02 c'est juste que, de dire aussi qu'on ne cherche pas
01:19:06 à coller simplement aux affects des nôtres
01:19:09 pour pouvoir leur parler et les mobiliser.
01:19:12 Parce qu'au début, on sait ce qu'on disait,
01:19:14 on disait, on ne peut pas arriver de surplomb en surplomb,
01:19:17 comme ça, et leur dire, en gros, on va vous éduquer
01:19:20 aux vraies valeurs, etc.
01:19:22 Et du coup, il faut aller, il faut être,
01:19:24 je veux dire, il faut parler aux gens
01:19:26 à partir de ce qu'ils sont réellement.
01:19:28 Mais pas seulement pour coller à eux,
01:19:32 parce que ça serait de la démagogie, en fait, ça.
01:19:35 Mais c'est parce qu'on sait qu'ensuite,
01:19:37 il y a un travail politique.
01:19:39 Et le travail politique que nous, on propose,
01:19:42 je veux dire, il est clair, il est exposé
01:19:44 dans des milliers de textes qu'on a écrits
01:19:46 et qui sont des textes, je veux dire,
01:19:49 quand on s'y attarde, ils sont impossibles
01:19:53 à être classés dans des, je ne sais pas,
01:19:56 qu'on ne pourrait pas classer dans la catégorie…
01:19:58 – Comme Réa…
01:19:59 – Réa, que je ne sais pas être quoi…
01:20:01 Je veux dire, quand on s'y attarde,
01:20:03 clairement, c'est ça qui nous pose des questions.
01:20:05 – Comme c'est une position qui échappe
01:20:07 au clivage gauche-droite traditionnel,
01:20:09 on ne sait pas où nous mettre.
01:20:11 Mais précisément, pour les raisons que j'ai dites tout à l'heure,
01:20:14 on ne peut pas être classé dans progressiste ou antiprogressiste,
01:20:16 ce n'est pas notre question.
01:20:18 Et ce n'est pas valable pour nous.
01:20:20 Et même, j'ai envie de dire que, même la notion de progressiste,
01:20:22 je pense qu'il faut aussi la remettre en question
01:20:24 parce que je ne suis pas sûre qu'elle soit si valable que ça,
01:20:26 aujourd'hui, dans un monde où il faut plutôt
01:20:28 penser en termes de justice, d'égalité, d'anti-impérialisme,
01:20:33 les grandes catégories qu'on oublie,
01:20:35 qui sont remplacées par des notions qui sont pauvres,
01:20:41 qui sont indigentes, je veux dire…
01:20:43 – Vous avez forgé le nouvel lunette en fait.
01:20:45 – Comment on peut aborder le monde des gilets jaunes
01:20:47 avec la grille d'analyse progressiste-pas-progressiste ?
01:20:50 Si c'est ça, on les abandonne tout de suite parce que…
01:20:52 – En général, les gens qui se rétablissent progressistes
01:20:54 ont assigné les gilets jaunes à l'extrême droite.
01:20:56 – Mais c'est ça, donc voilà, on ne peut pas, ce n'est pas possible.
01:20:58 Ce qu'il y a un travail politique à faire,
01:21:00 c'est de dépasser ces catégories, ces manières,
01:21:02 ces grilles d'analyse, pour aller, moi, vers des choses
01:21:07 qui sont beaucoup plus matérialistes et que…
01:21:09 Je veux dire, il y a des gens qui nous ont précédés
01:21:11 et qui ont expliqué les choses très bien, je veux dire… voilà.
01:21:15 – De nouvelles lunettes et une nouvelle langue aussi, pour aborder le réel.
01:21:19 – Et de la poésie.
01:21:21 – C'est pour ça que je parle de la langue, oui, de la poésie.
01:21:24 – Merci beaucoup, mesdames.
01:21:25 J'étais vraiment content qu'on puisse avoir cette discussion.
01:21:29 Je rappelle donc que Louisa a publié, Louisa Youssoufi a publié ce livre,
01:21:33 "Restez barbares", aux éditions de La Fabrique,
01:21:35 et que les dix éditions, après avoir publié le premier livre, "Doria",
01:21:38 ont publié le second récemment, qui s'appelle "Beauf et barbares",
01:21:41 "Le pari du nous".
01:21:43 Merci à toutes les deux.
01:21:44 – Merci.
01:21:45 [Générique]

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