Alain, le poète des objets oubliés

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« Ça peut être un plaisir de réaliser quelque chose avec rien […] dans une société de consommation omniprésente. » Grand rêveur, Alain Fornells fabrique des meubles et des jouets avec des objets perdus.

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00:00 On va dire que je suis le pire ouvrier de France.
00:03 La livreuse de chocolat,
00:05 bâtie à partir de 40 caisses,
00:08 chargement 6 mètres 20 de haut.
00:10 J'ai souvent la sensation de jouer quand je fabrique mes objets
00:13 et ma femme me peut dire "le petit s'amuse".
00:15 Je vais en mer et je fais vœu d'y faire exister l'imaginaire.
00:20 Au large, le vent se lève, le temps change
00:23 et ça devient une véritable tempête.
00:25 Trois jours de combat avec la mer.
00:28 La camionnette surchargée.
00:30 C'est peut-être un plaisir de réaliser quelque chose avec rien,
00:35 avec des choses perdues, jetées, oubliées ou méprisées
00:40 dans une société de consommation omniprésente
00:43 où la consommation a gagné.
00:46 Je suis Alain Fournells
00:50 et je fabrique les meubles,
00:53 les meubles modestes qui sont aussi les meubles du récit.
00:57 Ils sont faits avec des objets perdus de la palette, de la cagette,
01:01 des poignets, des objets perdus réinterprétés.
01:04 Avec le temps, ils m'ont apporté une possibilité de parole.
01:08 Quand elle reviendra, maman,
01:10 qui c'est qui sera content ?
01:13 C'est moi.
01:15 Elle reviendra comme chaque fois
01:18 et elle me rechantera les chansons,
01:21 les chansons que j'aimais tellement.
01:23 On a tellement besoin de chansons.
01:26 Quand il paraît qu'on a 20 ans.
01:28 Donc on est à Bassan, dans le sud de la France,
01:31 près de Béziers.
01:32 Et c'était le village de ma grand-tante
01:35 qui m'a accueilli pendant mes études d'infirmier.
01:38 Et puis je ne suis plus parti.
01:40 Et une partie de ce lieu, sans que je l'aie calculé,
01:44 est devenue mon atelier.
01:46 J'accueille des groupes,
01:48 on prend rendez-vous et une visite se déroule
01:51 au jour qui leur convient.
01:53 Ce qui m'attire, c'est le partage,
01:56 le regard des gens qui s'arrêtent, l'écoute.
01:58 Au-delà de tout ça, ce que je voudrais,
02:01 c'est lutter contre l'aridité de la vie.
02:04 La mienne et peut-être la leur.
02:05 C'est une sorte de devoir d'illusion.
02:09 Proposer une illusion, un moment.
02:11 Et cette illusion, on la partage ensemble.
02:14 Et puis, quand les gens repartent,
02:17 les choses retournent à leur silence.
02:20 Ce crochet peut devenir la clé
02:24 d'une forteresse imaginaire ou un autre symbole.
02:27 Ce crochet qui était un collier de cheval
02:30 peut devenir, avec une soudure, une encre marine.
02:33 Un bidon d'huile de mon époque
02:36 peut devenir cette lampe aussi.
02:39 L'utilisation de matériaux perdus
02:42 m'a apporté des couleurs mates, de la poussière,
02:46 des choses qui n'existent pas dans la société de consommation,
02:49 qui produisent des choses hyper lisses, hyper finies.
02:53 Et donc, j'avais justement envie
02:55 d'objets complètement différents
02:58 et par là, un peu contestataires.
03:01 Une bonne vandange, c'est un bon cru.
03:03 Et c'est rare de trouver autant de boîtes anciennes à Emmaüs.
03:08 Et il s'agit un petit peu d'une inspiration
03:11 qui est venue aussi de l'art populaire.
03:13 L'art populaire, c'est l'art de tous.
03:15 C'est l'art de toujours.
03:16 C'est l'art de faire comme on peut,
03:19 avec ce que l'on a, avec ce que l'on trouve,
03:21 à temps perdu, puisqu'on ne gagne pas de sous avec ça.
03:24 Et donc enfin, j'allais au bord de la rivière.
03:30 Et la rivière, après les crues, déposait des objets brisés
03:33 qui étaient venus comme d'un ailleurs imaginaire.
03:36 Et avec ces objets, on les réparait.
03:38 On les réparait mal avec mes frères.
03:40 Et peut-être que là, on avait la sensation de créer,
03:44 créer un objet d'art.
03:46 J'ai été quand même formé par mon grand-père et mon père
03:50 qui étaient artisans, qui fabriquaient des objets.
03:53 Et donc, dans cet atelier, il fallait que j'y travaille.
03:56 Ce n'était pas forcément drôle.
03:57 Mais aussi, on me laissait disposer des outils
04:00 pour fabriquer des jouets.
04:02 Et j'avais fabriqué des bateaux, j'avais fabriqué plusieurs choses.
04:05 Ma mère, elle me dit, à montagne,
04:08 on redescend sans courir,
04:11 parce qu'on pourrait tomber.
04:13 La chapelle du travailleur.
04:15 Vous voyez, il est sérieux.
04:17 Mais tout jeune déjà, il est sorti major de sa promotion.
04:20 Son ami est venu le voir au labo et lui, il lui a demandé,
04:24 tu sais combien j'ai surveillé de cadrans, d'écrans,
04:27 de compteurs, de jauges ?
04:29 Je le sais.
04:30 Elle a répondu, pas assez.
04:32 Il t'en manquerait un ou deux pour le sens de la vie.
04:35 Et elle a réussi à l'entraîner, hors de son travail,
04:39 dans la grand jette de vignes de son père à elle.
04:43 C'est aussi un nid pour les amoureux.
04:47 Un enfant, c'est quelqu'un qui n'a pas capitulé,
04:50 qui n'a pas abandonné ses rêves,
04:52 qui a donc en lui un potentiel.
04:55 Et ce potentiel, je le vois réapparaître
04:57 quand je me plonge dans ce travail.
05:00 Et les enfants comprennent ce jeu aussi,
05:02 que je suis à la fois celui qui parle
05:04 et qui parle pourtant de lui et être à la fois moi-même
05:08 et puis une sorte de rêve que pourrait avoir un enfant.
05:12 Ici, ce télemeuble,
05:15 Alain Fornells,
05:17 n'a plus rien à dire.
05:19 [Sonnerie de fin]
05:21 [SILENCE]

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