Julien Caquineau : un Français, chasseur au Groenland - L'invité de Sonia Devillers

  • l’année dernière
Alpiniste, Julien Caquineau a quitté la France il y a 15 ans pour s'installer dans le Grand Nord. Tombé amoureux du Groenland, de ses habitants et de leur mode de vie, il raconte son histoire dans "Le Dernier chasseur" (Albin Michel). Il est l'invité de 9H10.

Retrouvez "L'invité de Sonia Devillers" sur
https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-9h10

Category

🗞
News
Transcription
00:00 Sonia De Villeher, votre invité s'est installé dans un village à l'ouest du Groenland,
00:05 où la température descend jusqu'à -30°C.
00:08 Voilà, et encore sur la banquise, ça peut chuter jusqu'à -50°C.
00:12 Bonjour Julien Caquineau.
00:13 Bonjour.
00:14 Voilà, et mon invité, je vous le dis, est très impressionné par ce studio de radio.
00:18 Vous qui affrontez des morses, c'est pas sympa les morses d'après ce que j'ai compris.
00:22 Non, c'est pas très sympa.
00:23 Non, c'est ça.
00:24 Des ours et des rennes.
00:26 Donc vous allez voir qu'un studio de radio finalement, c'est quand même beaucoup plus paisible que votre habitat habituel.
00:33 Je vous invite, Julien Caquineau, parce que c'est l'occasion.
00:36 Vous êtes très très rarement en France.
00:39 Vous vous êtes installé au Groenland.
00:41 En ce moment, vous faites un petit break au Danemark avec votre épouse et vos enfants.
00:45 Hubert Prolongeau, un confrère journaliste, vient d'écrire un formidable livre qui raconte votre histoire,
00:52 qui s'intitule "Le dernier chasseur" et qui paraît chez Albain Michel.
00:56 Comment un français s'est réinventé au Groenland ?
01:00 Un petit mot peut-être sur ce village où vous avez habité pendant 15 ans avec vos enfants ?
01:07 C'est paisible.
01:08 C'est plus paisible que Paris.
01:10 C'est sûr.
01:12 C'est beaucoup plus paisible que Paris.
01:13 Il y a un cube, mais ça se prononce R.
01:16 On dit "Oeratsut".
01:18 Voilà, Oeratsut.
01:21 Vous êtes très peu nombreux à y vivre.
01:22 Qui sont les autres habitants ?
01:24 On est 29.
01:26 Il y a, je crois, 5 familles.
01:28 Je crois qu'Hubert est plus au courant que moi de combien de familles il y a.
01:32 On est juste 29.
01:33 Mais en fait, le village s'est développé depuis ces trois dernières années.
01:37 Il doit y avoir 50, si ce n'est même 60 habitants maintenant.
01:41 Ils ont construit une petite usine à la sortie du village.
01:45 Ce qui fait qu'une petite pêcherie, vous appelez ça en France ?
01:48 Oui, c'est ça.
01:49 Ce qui fait que les gens reviennent habiter dans le village,
01:52 puisqu'ils peuvent travailler dans la pêcherie.
01:54 Souvent, les hommes sont pêcheurs,
01:57 ils déposent leurs poissons à la pêcherie,
01:58 et leurs épouses et leurs enfants peuvent aller travailler à l'usine.
02:01 Voilà. On va raconter votre expérience de chasseur.
02:05 C'est très rare que les Inuits acceptent un étranger parmi eux.
02:09 On va raconter surtout comment rien ne vous prédestinait
02:13 à habiter ces cabanes, à attendre des semaines entières
02:17 que la météo vous autorise, entre différentes 50 nuances de blanc,
02:22 à prendre vos chiens de traîneau et à parcourir la banquise.
02:27 3, 2, 1, base !
02:30 Voilà, vous venez de sauter en base-jump.
02:35 Le base, c'est une discipline issue du parachutisme.
02:38 Une différence tout de même.
02:40 Vous ne sautez plus d'un avion, mais d'une falaise ou d'un building.
02:44 Aujourd'hui, on considère que le base-jump est 10 fois plus dangereux
02:48 que le parachutisme traditionnel.
02:51 - Ah oui, ça c'était des sujets à sensation.
02:53 Ça c'était votre ancienne vie, Julien Quaquineau.
02:56 Qu'est-ce que c'est que le base-jump ?
02:58 - C'est tellement vieux que je ne m'en souviens plus.
03:02 En fait, c'est une discipline du parachutisme.
03:05 Je ne sais pas si je peux appeler ça une discipline.
03:06 Je vais me faire taper sur les doigts par les gens qui pratiquent ça aujourd'hui.
03:10 En fait, on saute de point fixe avec un parachute sur le dos.
03:13 Ça peut être une falaise, un immeuble.
03:16 Aujourd'hui, ils appellent ça les actions sport, je pense.
03:20 Et non, ce n'est pas si dangereux que ça.
03:23 Je ne vais pas développer là-dedans parce que je pourrais développer pendant deux heures.
03:26 Mais ce sont des gens assez réfléchis.
03:28 En fait, tout est calculé.
03:29 Donc pour moi, c'est même moins dangereux que le foot.
03:31 Parce qu'on a moins de chances de se casser une jambe en faisant du base-jump
03:34 qu'en jouant au foot.
03:36 C'est sûr que si vous pensez que vous êtes plus fort que la nature,
03:39 vous allez finir dans une petite caisse en bois.
03:42 - Vous n'êtes pas passé loin.
03:43 Vous étiez quand même pendant des années très accro à l'adrénaline de ces sauts extrêmes.
03:49 Jusqu'au jour où il y a eu un accident.
03:53 Et un accident très très grave.
03:55 - Alors oui, j'ai eu un accident.
03:56 Pas parce que j'étais accro à l'adrénaline.
03:58 J'ai eu un accident parce que j'étais idiot.
04:01 Il arrive un moment où on progresse dans un sport.
04:04 On pense qu'on est toujours plus fort que les autres.
04:05 Et qu'on va faire des trucs toujours plus loin.
04:09 Et en fait c'est une grosse erreur de ma part,
04:12 une grosse erreur d'appréciation dans l'endroit où je sautais.
04:14 Ce qui fait que j'ai eu un accident.
04:18 La recherche d'adrénaline n'avait pas trop grand-chose à voir là-dedans.
04:20 C'était plus de la bêtise de penser que j'étais plus solide que...
04:25 - Donc coma, un corps en mille morceaux, un an d'hospitalisation,
04:33 des douleurs surtout.
04:34 Vous avez le souvenir de la douleur et surtout des médicaments ?
04:37 - Oui, c'était il y a longtemps.
04:40 - Parce que le problème c'est que quand on sort de ça,
04:43 on est complètement accro aux médicaments.
04:46 - Oui.
04:52 - Et le Groenland, ça vous travaillait déjà ?
04:57 - Le Groenland, j'y étais allé pour faire une expédition.
05:02 Je voulais escalader les icebergs Piolet-Crampon,
05:05 en technique d'escalade des glaces.
05:07 Et puis les sauter ensuite en base jump.
05:09 Et en fait, c'est comme ça que j'ai connu le Groenland.
05:13 Ça m'avait bien plu.
05:14 Je m'étais senti un peu en paix quand j'étais arrivé là-bas.
05:19 J'étais un touriste, puisque je n'ai pas resté très longtemps.
05:21 On était restés trois semaines à l'époque.
05:24 Mais c'est comme ça que j'ai découvert le Groenland.
05:27 - Et c'est comme ça que le Groenland vous a probablement sauvé et reconstruit,
05:31 mais physiquement et puis aussi moralement ?
05:36 - Oui, plusieurs années après.
05:38 - Comment on rencontre un chasseur au Groenland ?
05:41 Comment on se fait accepter par un chasseur au Groenland ?
05:45 - Au Groenland, de se faire accepter, c'est assez facile,
05:48 parce que les gens sont très, très ouverts là-bas.
05:51 Il y a une ouverture d'esprit que vous trouverez difficilement ailleurs.
05:57 Donc c'est assez facile de se faire accepter.
05:59 Moi, j'ai rencontré un monsieur qui s'appelle Niels Gundel,
06:02 qui est devenu un peu mon père adoptif.
06:05 Tout le monde l'appelle là-bas, sur place, quand il parle de lui, il parle de mon père.
06:11 On s'est rencontrés par hasard.
06:12 Je travaillais pour une agence de touristes
06:13 et lui, il travaillait pour cette agence de touristes un peu l'été
06:16 pour se faire un peu de complément de revenus.
06:18 On a tout de suite accroché, on s'est tout de suite sentis.
06:21 - Voilà. Lui, il vit de sa chasse et de sa pêche depuis toujours.
06:26 - Depuis toujours, oui.
06:27 - Il vous a appris. - Oui, ça peut être facile.
06:29 - Il vous a montré. - Oui.
06:32 - Qu'est-ce qui a été le plus difficile ?
06:35 - La patience.
06:36 D'apprendre la patience.
06:37 C'est quelqu'un de très, très, très, très impatient.
06:40 Et je pense que c'est la patience qui est le plus dur à apprendre.
06:44 Après, il y a les techniques, évidemment, de chasse et de pêche,
06:46 mais ça, c'est beaucoup plus pratique.
06:49 Ça, ça s'apprend avec le temps.
06:51 Par contre, la patience, c'est très difficile.
06:53 - Vous avez reçu votre permis de chasse.
06:56 - Oui. - Ça, c'est une fierté ?
06:59 - Oui, oui, oui, non, oui, oui.
07:01 - C'est surtout qu'il n'y a pas beaucoup d'étrangers qui reçoivent le permis de chasse.
07:04 - Oui, parce qu'en fait, il y a deux permis de chasse.
07:07 Vous avez le permis de chasse qui est un permis de chasse sur un peu de loisir.
07:11 Je ne sais pas si on peut parler de loisir, mais sur temps libre.
07:14 Il y a un permis de chasse professionnel, commercial.
07:17 Et si vous voulez être chasseur commercial, vous ne pouvez pas exercer une autre activité.
07:21 Si vous êtes instituteur, travaillez pour une administration, etc.,
07:24 vous ne pouvez pas avoir ce permis de chasse.
07:26 Pour devenir chasseur professionnel, il faut que ce soit la profession principale ou pêcheur.
07:32 Donc en fait, oui, il n'y a pas beaucoup d'étrangers à avoir.
07:35 - Alors, je voudrais que vous nous racontiez chasser le renne.
07:38 Ça ressemble à quoi de chasser le renne au Groenland ?
07:42 - Ça dépend quelle saison. Si c'est en été, ça semble marcher beaucoup.
07:48 Marcher longtemps, loin.
07:51 Et puis, une fois que vous avez chassé le renne, que vous en avez abattu un,
07:55 il faut rentrer avec. C'est-à-dire que toute la route de l'allée,
07:57 il faut rentrer au retour avec le renne sur le dos.
07:59 - Oui, ça pèse combien un renne ?
08:01 - Entre 75 et 100 kilos.
08:05 - Vous êtes mieux au courant que moi.
08:07 - Je me suis posé la question, forcément.
08:10 Donc c'est très lourd à porter.
08:12 - Et c'est pour ça qu'on y va l'hiver avec les traîneaux.
08:15 - C'est ça. Et le traîneau, alors, une meute, c'est 10 chiens ?
08:19 - Entre 10 et 20 chiens.
08:22 Vous pouvez avoir une meute avec 5-7 chiens si vous vous amusez autour de chez vous.
08:28 Et quand vous commencez à aller travailler, à faire de la distance,
08:32 à revenir avec du poids, avec du poisson, etc.,
08:35 il faut commencer à mettre plus de chiens.
08:37 - Alors, Hubert Prolongé, qui fait votre portrait dans ce livre qui s'appelle "Le dernier chasseur",
08:41 dit que vous êtes d'une sévérité nécessaire avec les chiens.
08:46 - Euh... Oui. Oui. Oui.
08:51 C'est-à-dire que les chiens, ils font partie de notre famille.
08:55 On a des chiens qui font partie de notre famille, mais on n'a pas ce côté...
08:59 On ne peut pas avoir ce côté attendrissant qu'on peut avoir avec un chien de compagnie,
09:03 comme on aurait ici, par exemple, à Paris.
09:06 - Pourquoi ? Il faut que vous y étiez.
09:08 - Déjà, le chien, il faut qu'on évite le maximum le contact humain.
09:13 Si vous êtes sur une route avec vos chiens, et qu'il y a des gens en train de marcher sur le bord de la route,
09:19 si le chien, il est habitué à chaque fois qu'il rencontre quelqu'un, qu'il se fait caresser,
09:22 il va vouloir aller chercher le contact humain.
09:24 Et il faut surtout que vos chiens vous répondent au doigt et à l'œil.
09:28 Il faut vraiment que vous soyez leur chef de meute.
09:31 Parce que quand vous êtes sur la banquise, ou même dans la montagne, il peut arriver...
09:34 Il y a des moments, c'est quand même assez critique.
09:36 Vous pouvez passer à travers la glace, vous pouvez vous perdre s'il y a une tempête, etc.
09:41 Donc il faut que le chien, il réponde à... Comment on dit ça en français ?
09:46 Je suis désolé, je perds un peu mon témo.
09:47 - Non, c'est pas grave, c'est normal, ça fait des années que vous vivez là-bas.
09:50 - Mais il faut que le chien soit capable de répondre au doigt et à l'œil, en fait.
09:53 Si à un moment je vois qu'on est sur la banquise, tout va très bien, il fait beau,
09:57 et juste au dernier moment je me rends compte qu'on arrive sur une portion de glace qui est dangereuse,
10:03 il faut que le chien puisse répondre au doigt et à l'œil quand je lui dis d'aller à droite ou à gauche.
10:07 - Il y a eu une épidémie à une époque, vous avez perdu des chiens.
10:10 - Oui, en 2014 ou 2015, on a eu une épidémie de parvovirus.
10:16 Et le pays n'était pas préparé à ça.
10:19 A l'époque, les chiens n'étaient pas vaccinés.
10:21 A Elulissat, on a eu 2500 chiens qui sont décédés.
10:26 - Voilà. Bienvenue au Groenland, Le Dernier Chasseur, c'est le livre dont on parle ce matin avec vous, Julien Caquineau.
10:32 Vous écoutez France Inter, il est 9h18, je vous fais écouter ma chanson préférée des Pink Floyd.
10:39 Elle est exprès pour vous, elle s'appelle "On the turning away".
10:42 Puis ensuite vous allez nous raconter la chasse au Narval.
10:44 On the turning away
10:50 From the pale and downtrodden
10:57 And the words they say which we won't understand
11:05 Don't accept that what's happening
11:10 Is just a case of all the suffering
11:15 Or you'll find that you're joining in the turning away
11:23 It's a sin that somehow
11:28 Light is changing to shadow
11:33 And casting its shroud over all we have known
11:40 Unaware how the ranks have grown
11:45 Driven on by a heart of stone
11:50 We could find that we're all alone
11:54 In the dream of the proud
11:58 On the wings of the night
12:03 As the daytime is slurring
12:08 Where the speechless unite in a silent accord
12:15 Using words you will find a strain
12:20 Mesmerized as they light the flame
12:25 Feel the new wind of change
12:29 On the wings of the night
12:33 On the turning away
12:38 On the turning away
13:02 Et voilà "On the turning away", ma chanson préférée des Pink Floyd.
13:05 Et puis au passage j'envoie un salut très amical à une auditrice de France Inter
13:09 qui nous a adressé il y a un mois un courrier délicieux.
13:13 Figurez-vous qu'elle aussi française, elle a vécu des années au Groenland
13:17 où elle a élevé des brebis. Et puis là elle s'est installée sur l'île de Bornholm.
13:21 Agathe. Agathe, vous la connaissez ? Ah bah oui forcément, vous êtes si peu nombreux.
13:26 Vous la connaissez ? Oui, Agathe, devine. Ben voilà. Bonjour Agathe.
13:30 Voilà, c'est extraordinaire. C'est-à-dire qu'il y a si peu de monde au Groenland que vous vous connaissez tous.
13:34 Donc elle s'est installée sur l'île de Bornholm en mer Baltique.
13:37 Maintenant elle cultive des sapins de Noël. Et comme elle a de l'internet, elle a du réseau,
13:43 elle écoute tous les jours l'interview du 9h10 en cultivant ses sapins de Noël.
13:51 J'ai voulu refaire les expéditions du siècle dernier en traîneau à chien.
14:01 On a fait 2000 km en traîneau à chien dans les glaces de l'Arctique.
14:04 Et je vous avoue que même pour des chamoniards comme Pierre Thérèse et moi, ça a été très dur.
14:08 Nous avons chassé l'ours avec les esquimaux, nous avons vécu sous leurs îles loups d'hivernage,
14:12 nous avons traqué les bemusquets avec les indiens dans la forêt, nous avons fait la traque aux caribous.
14:17 Enfin, des images merveilleuses. C'est les images de Jacques London.
14:21 Et c'était Roger Frison-Roche de camp de l'artiste de 1967.
14:29 Évidemment, le Groenland est plein de fantômes, plein de souvenirs de grands aventuriers et surtout d'explorateurs.
14:36 Julien Quaquineau, qui sont passés avant vous.
14:39 Oui, moi je ne me considère pas comme un explorateur du tout.
14:42 Non, non, non, pas du tout.
14:44 Vous vous considérez comme un français qui est venu habiter là-bas, qui a adopté les traditions des Inuits
14:50 et surtout qui a chassé, et chassé à leur côté, et chassé aussi pour vous-même.
14:57 Quand même, vous racontez des expéditions, vous racontez qu'il arrive de se perdre
15:03 et que ça peut être extrêmement dangereux, très impressionnant, se perdre.
15:07 On peut se perdre pendant une semaine ?
15:10 Oui, on peut se perdre.
15:12 Le truc, c'est qu'au début, j'étais un peu idiot, pour continuer dans ma lancée quand j'étais plus jeune.
15:18 C'est-à-dire qu'on est occidentaux, on a fait de la montagne, tout ça.
15:22 On pense qu'on connaît tout, on a tout vu, tout fait.
15:25 Quand on est plus jeune, on a un ego qui est placé un peu plus haut.
15:32 On pense qu'on peut tout faire tout seul et en fait, au Groenland, on apprend qu'on ne sort jamais tout seul.
15:37 On est toujours à deux ou à trois.
15:39 Et effectivement, au début, il m'est arrivé pas mal de petites mésaventures à cause de ça.
15:45 Voilà, vous étiez parti sur la calotte pour l'explorer, le vent s'était levé.
15:49 Et donc, en fait, les chiens ne distinguaient plus rien du paysage, c'est ça ?
15:53 Les chiens n'arrivaient plus à s'orienter ?
15:55 - Ben oui, c'est ça. En fait, les chiens, habituellement, ils s'orientent un peu à l'odeur.
16:00 Parce qu'on est toujours entouré de terre quand on se déplace sur la banquise.
16:04 Et donc, à Elulissat, à l'époque, il y avait un accès pour aller sur la calotte glaciaire qu'on utilisait pour les touristes.
16:10 On n'allait pas très haut, on rentrait juste sur la calotte, on faisait des photons et on redescendait.
16:13 Puis un jour, j'ai décidé, j'avais posé ma ligne pour la pêche.
16:18 Puis au lieu d'attendre dans la cabane de pêcheurs, en fait, je suis parti sur la calotte.
16:22 Et ce qui arrive souvent au Groenland, surtout l'hiver, c'est que la météo change très très vite.
16:27 Et je me suis retrouvé dans la tempête.
16:29 Ce qui fait qu'au lieu d'arrêter mes chiens, parce qu'à l'époque, je n'avais pas d'expérience,
16:33 donc au lieu d'arrêter mes chiens et d'attendre, de poser une tente sur mon traîneau et d'attendre,
16:40 j'ai continué et je me suis perdu.
16:43 Donc, quand la tempête s'est finie et que j'ai démonté la tente un petit peu plus loin,
16:48 je me suis rendu compte que j'avais quand même bien avancé.
16:50 J'ai eu de la chance de ne pas tomber dans une crevasse d'ailleurs.
16:53 Et puis voilà.
16:55 - Et vous vous êtes repéré grâce au soleil ?
16:57 - La lueur, parce qu'à cette époque de l'année, il n'y a pas de soleil.
17:02 - C'est ce que je voulais bien que vous racontiez justement.
17:04 - Mais il y a une lueur qui se lève et ce qui fait que je savais qu'il fallait que je me dirige.
17:09 C'est un peu compliqué d'expliquer quand on ne connaît pas l'endroit,
17:13 mais j'avais peur d'avoir passé ce fameux gros glacier qu'on a à Elulissat,
17:18 d'être descendu au sud en fait.
17:20 Et en fait non.
17:22 Et comme la calotte glaciaire, c'est une grosse montagne la glace.
17:27 Donc quand je suis retourné en direction des terres, d'assez loin, j'ai pu voir, comme il faisait beau,
17:32 quand je suis revenu d'assez loin, j'ai pu voir les terres et j'ai pu me situer où j'étais
17:35 par rapport aux montagnes que je voyais au loin.
17:37 - Alors je vais vous faire écouter Julien Quaquineau, la voix de Brigitte Bardot.
17:41 On était gosses à ce moment-là, mais ça a marqué notre enfance.
17:45 Brigitte Bardot, alors il faut l'imaginer, allongée sur la banquise au Canada,
17:51 et elle sert un petit animal dans ses bras.
17:54 - Voilà ce que c'est qu'un bébé phoque.
17:57 Et voilà ce qu'on tue.
17:59 Par centaines de milliers pour la fourrure.
18:03 Ces petites choses qui se laissent prendre comme ça, tout confiants, adorables.
18:07 Comment on peut les tuer, c'est dégueulasse !
18:15 - Et Hubert Prolongeau, qui vous consacre un livre, Julien Quaquineau,
18:19 le dernier chasseur, dit "Brigitte Bardot, c'est sans doute la française la plus connue au Côte-Nord,
18:24 et la plus détestée".
18:26 - C'est vrai. Les anciens la connaissent, je pense que les jeunes ne la connaissent pas trop.
18:30 - Ça c'est sûr. Pareil chez nous.
18:33 - Mais ouais, c'est une blague, ils s'en fichent un peu en fait.
18:38 - Ils s'en fichent un peu. Qu'est-ce que vous chassez, vous ?
18:42 - Principalement, les gens chassent le phoque.
18:45 C'est le principal revenu.
18:48 Le phoque, le narval, le béluga, les petits rocs alcomins,
18:53 le morse, le renne, le bœuf musqué, l'ours polaire dans certaines régions.
19:00 - Le morse qui attaque ?
19:03 - Ah bah oui, un ors, c'est très dangereux, c'est comme un hippopotame.
19:06 Ça paraît gentil comme ça, sur une photo, mais c'est très dangereux, c'est très agressif en fait, un morse.
19:11 - D'accord, donc c'est la chasse la plus difficile ?
19:15 - Pas forcément, mais quand le morse a décidé de ne pas se laisser faire,
19:21 ça peut être impressionnant quand vous êtes sur un petit bateau.
19:24 - On chasse pour se nourrir ? On chasse pour vivre ?
19:28 - Oui. Alors pour se nourrir, je ne vais pas rentrer dans les détails,
19:33 parce que ça va être long, mais pour se nourrir, en fait, c'est de moins en moins vrai.
19:37 On chasse pour l'argent, en fait. A dire comme ça, ça peut paraître cru,
19:41 mais en fait, on vend la viande, donc on chasse pour avoir un revenu.
19:46 On ne chasse plus pour nourrir sa famille, c'est fini, ça fait 20, 30, 50 ans que c'est fini.
19:52 Donc on chasse principalement pour gagner de l'argent.
19:56 - Vous êtes au cours d'une chasse, tombé dans l'eau glacée ?
20:01 - Oui, ça, ça arrive souvent.
20:03 Alors ça, c'est que les aventuriers et pseudo-explorateurs aiment bien raconter ça,
20:09 ça fait un peu... Mais c'est un truc qui arrive souvent, en fait, de passer un pied au travers de la glace.
20:14 Je crois qu'Hubert, il a trempé les fesses dans l'eau entre nous,
20:17 on a failli passer au travers de la glace ensemble.
20:19 C'est arrivé à des touristes avec moi, ça arrive assez régulièrement.
20:24 Ça peut être plus ou moins dangereux, suivant où vous vous trouvez, en fait.
20:27 Mais comme on n'est jamais seul, à part quand vous êtes un idiot de français...
20:32 - Qui arrive au Groenland et qui croit tout savoir...
20:35 - Mais après, en fait, vous n'êtes en général jamais seul,
20:38 donc on se retrouve rarement dans des situations où on voit la mort.
20:43 Il y a toujours une sortie, et puis les chiens sont assez intelligents pour vous sortir de là, en général.
20:49 - C'est ça. Un dernier mot sur le narval. Vous avez déjà vu un narval ?
20:53 - Oui, plein. - Plein ?
20:54 - Oui, plein. - Racontez.
20:56 - Vous voulez que je raconte quoi ?
20:59 - Comment on les chasse ?
21:03 - Merci Julien Quinquineau, le dernier chasseur.
21:07 C'est le livre formidable d'Hubert Prolongeau qui nous donne tous envie d'aller vous voir au Groenland.
21:12 Et salut à Agathe, cette autre française que vous êtes.
21:15 - Oui, bonjour Agathe. - Merci Sonia.

Recommandations