François Sureau est l'auteur d'une nouvelle dans "Brèves rencontres" (Gallimard). L'académicien y narre sa rencontre avec le diable, et nous la confie ce matin. Il est l'invité de 9H10.
Retrouvez "L'invité de Sonia Devillers" sur
https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-9h10
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00:00 Bonjour François Surault. L'immortalité, n'est-ce pas là le pacte avec le diable par excellence ?
00:06 Ah si si si, et puis c'est une des raisons d'ailleurs de douter de tout, du diable et de l'immortalité, donc c'est bon.
00:11 Est-ce que vous pourriez nous dire pourquoi les académiciens sont immortels ? Ils sont dits immortels.
00:17 C'est ça, on ne va pas rester trop longtemps sur ce sujet.
00:21 Mais ce n'est pas eux qui sont censés être immortels, ce n'est pas eux qui sont censés être immortels à titre individuel.
00:29 Ils représentent une forme de ce qu'on espère être l'immortalité de la langue à travers ses transformations successives,
00:35 ou le cas échéant, l'immortalité de notre littérature peut-être.
00:38 Et tout ça est faux parce que sans être un esprit extraordinairement religieux ou apocalyptique,
00:44 il est sûr que l'éternité n'est promise en réalité à personne.
00:50 Même pas aux académiciens.
00:51 Un jour le diable fit une jada, qui avait tout l'air d'une mazurka.
00:56 Valsa trois temps, il ne savait pas ce qu'il venait de composer là.
01:00 Aussitôt la terre entière, par ses terres fut enchantée, des dancings aussi métières.
01:07 Tout le monde le chantait.
01:09 * Extrait de « La terre entière » de Valsa *
01:13 L'été dernier, sur l'antenne de France Inter, on a entendu neuf écrivains dire neuf nouvelles écrites pour nous.
01:21 Ça s'appelait « Brève rencontre ».
01:23 Il y avait parmi vous Monica Sabolo, il y avait Hervé Le Tellier, il y avait François-Henri Désirable,
01:28 il y avait Natacha Apana, etc.
01:31 C'est devenu un livre.
01:32 Pour ouvrir ce livre, vous proposez un texte inédit, François Seureau,
01:37 « Une brève rencontre avec le diable ».
01:40 Et ça commence par cette phrase, ou pas loin,
01:43 « La rencontre avec le diable est toujours décevante, sauf en littérature ».
01:47 Oui, c'est absolument vrai.
01:48 Et d'ailleurs, un mot quand même, je ne veux pas dire « acheter le livre », etc.
01:55 Il y a des choses assez extraordinaires dans ce livre que j'ai découvert moi-même,
01:57 parce que ce livre est consacré aux rencontres.
01:59 Et il y a des rencontres qui présentent un caractère presque diabolique dans ce livre,
02:04 alors même que le nom du diable n'est jamais prononcé.
02:06 Par exemple...
02:08 * Quand Bonnie Parker rencontre Clyde Barrow, d'une certaine manière, elle a rencontré le diable. *
02:12 Elle a rencontré le diable, donc c'est le diable d'une certaine manière pétaradant, cartouchier, volcanique,
02:21 et je ne dirais pas sympathique, parce que tout ça, c'est des criminels.
02:23 Mais enfin, c'est un diable assez gai et engageant.
02:26 Non, ce qui est terrible, et ce qui est pour moi d'ailleurs l'un des plus beaux textes du recueil,
02:32 c'est « Désirables », qui raconte les lettres que reçoit Romain Garry d'une femme qui l'a aimée,
02:41 et qui lui explique qu'elle est devenue religieuse dans un couvent, alors qu'en réalité elle est folle.
02:45 Et qui lui envoie toujours la même lettre jusqu'à la fin,
02:48 et où il paraît d'ailleurs voir, d'une certaine manière, la trace d'un remord.
02:54 Quand Garry dit, au moment de sa dernière lettre, rien à voir avec Jeanne Seberg,
03:00 « Désirables », il se demande si ça a au contraire quelque chose à voir avec celle-là.
03:03 C'est-à-dire avec une vie qui bascule définitivement du côté du noir,
03:07 ce qui est après tout l'action principale du diable.
03:10 Le diable n'est pas un personnage amusant, le diable est quelque chose qui incite au désespoir.
03:15 - Le diable sert à exprimer toutes nos passions, dites-vous,
03:19 toutes ces passions que nous ne pouvons nous expliquer à nous-mêmes.
03:22 Le diable est très pratique en littérature.
03:24 - Le diable est commode.
03:27 Alors il y a deux sujets là-dedans.
03:31 D'abord, il est clair que, d'une certaine manière, le diable apparaît en littérature quand on cesse d'y croire.
03:38 C'est-à-dire que, par exemple, il est très présent dans le XIXe siècle français,
03:42 il est présent dans Théophile Gautier, il est présent, il y a une nouvelle extraordinaire,
03:45 De Gensu où un voyageur dans la montagne découvre qu'il rencontre quelqu'un qui est possédé par le diable.
03:55 Et à quoi est-ce qu'il reconnaît qu'il est possédé par le diable ?
03:57 À ce que son chien aboie en silence.
04:00 J'adore cette idée, c'est terrifiant quand on y pense.
04:03 Le chien qui aboie en silence.
04:04 Le XIXe siècle est plein de ça.
04:06 Il y a un recueil extraordinaire qui a été fait dans les années 1860, mon époque,
04:12 où avait participé Georges Sand, qui a été repris après dans les années 30,
04:18 dans un autre, un Macorlan, il participait par exemple, qui s'appelle "Le diable à Paris".
04:23 Le diable à Paris sert à décrire, par exemple, le vice et les vertus de la capitale.
04:28 Par exemple, le principal risque étant l'émancipation des femmes,
04:31 qui est décrit comme quelque chose d'absolument diabolique.
04:34 Il y a un portrait de la Parisienne qui est extrêmement drôle.
04:36 Mais il est clair que c'est un diable de fantaisie.
04:40 Et le diable apparaît dans la littérature comme un thème littéraire,
04:43 parce que globalement, au fond, on cesse de croire à l'omniprésence du mal.
04:49 - Ce diable de carton qui vous amuse tant, ce diable de pacotille,
04:55 ce diable que l'on rencontre dans les jardins, tantôt dans les cavernes,
04:59 partout sur les trottoirs.
05:02 Vous n'auriez pas osé vous moquer de l'autre diable ?
05:07 - Ah non, non, non, ça, ce n'est pas possible.
05:10 Et ce n'est pas simplement parce que je me souviens que ma plus grande terreur d'adolescent
05:15 a été d'aller assister à la sortie du film "L'exorciste" de Friedkin,
05:21 d'après William Peter Blatty.
05:23 Et je me souviens encore d'avoir mis une bonne semaine à m'en remettre.
05:27 D'autant que j'étais élève chez les Jésuites à l'époque
05:31 et que j'ai interrogé un des bons pères sur la réalité de ce genre de phénomène.
05:35 Il se trouve que le bon père en question avait fait son stage de troisième an,
05:38 un truc du cursus jésuite, dans le collège de Boston,
05:43 d'où étaient originaires les deux pères qui avaient pratiqué l'exorcisme final
05:46 de ce qui est dans la réalité un petit garçon et pas une jeune fille.
05:50 Et donc ça, je ne sais pas pourquoi, depuis cette époque, je ne m'en moque pas.
05:54 Par ailleurs...
05:54 - Vous ne vous en moquez pas et par ailleurs, vous glissez dans cette nouvelle,
05:58 cette brève rencontre avec le diable, qu'il vous est arrivé parfois,
06:01 au cours de votre vie, d'avoir cette impression fugitive
06:05 que l'absence de bien peut amener quelque chose de supplémentaire,
06:13 c'est-à-dire une présence diabolique.
06:15 - Alors ça, c'est quelque chose dont il est très difficile de parler.
06:18 Mais en réalité, il y a des moments, il y avait peu de moments,
06:24 mais quelques moments en Yougoslavie, en particulier pendant la guerre en Yougoslavie,
06:27 où j'avais l'impression que d'une certaine manière, la totalité du bien existant dans le paysage
06:32 avait été, par l'effet de l'action des hommes,
06:35 entièrement soufflé de l'intérieur, avait entièrement disparu.
06:39 Vous savez, comme si le néant avait la possibilité de faire le vide.
06:43 Et quand on est dans ce genre d'atmosphère,
06:46 on sent quelque chose qui ressemble à une présence maléfique,
06:51 qui est quelque chose de tout à fait différent de la fonction du diable,
06:56 par exemple dans les écrits des mystiques, dans les écrits des pères du désert,
06:59 où au fond, ils se servent du diable pour désigner leur passion propre.
07:02 Et c'est une manière de combattre leur passion propre,
07:06 que d'imaginer que ces passions propres ont une sorte de figure.
07:10 En plus, c'est un exercice dangereux parce qu'à trop croire au diable,
07:13 on finit par penser que le mal est aussi fort que le bien,
07:15 ce qui est également un mode de superstition absolument contestable.
07:19 Mais ceci mis à part, il y a des endroits, en effet, où tout d'un coup,
07:25 on a l'impression qu'il existe une quantité de néant en circulation
07:29 qui excède la possibilité même, pour les hommes, laissés à eux-mêmes, de faire le mal.
07:35 Et ça, c'est un spectacle extrêmement impressionnant.
07:37 - Des endroits où des êtres humains,
07:40 vous avez été pendant quelques années avocat, maître Surault,
07:45 vous auriez pu être l'avocat du diable ?
07:47 - Euh... Non, d'abord, le problème de...
07:50 Alors, cela dit, le diable est le client idéal pour l'avocat
07:53 parce que, d'une certaine manière, il laisse entièrement libre des moyens de la défense
07:56 puisque la caractéristique du diable, c'est qu'il ne dit jamais la vérité.
07:59 C'est assez commode. Vous avez un client qui dit la vérité, c'est emmerdant...
08:02 Enfin bon, un client qui ne dit jamais la vérité, en réalité, ça vous laisse entièrement libre
08:06 de vous distancier de lui.
08:08 Écoutez, tout ce qu'il raconte, c'est carabistouille,
08:10 mais voilà quand même les raisons pour lesquelles il faut la quitter.
08:13 Mais là, on est dans un domaine différent, au fond, vous savez, quand on...
08:17 Le diable, au...
08:19 L'un des grands spécialistes du diable était un des grands avocats du XXe siècle,
08:24 qui était Maurice Garçon.
08:25 Maurice Garçon était absolument fou du diable.
08:28 Alors, de manière comique, pour lui, pareil,
08:31 le diable, c'était pas quelque chose de sérieux, c'est une manière de considérer
08:36 le mal en tant qu'avocat et en tant qu'écrivain, c'est-à-dire que...
08:41 Comme tous les gens qui avaient fait beaucoup de droits pénales, ce qui n'a pas été mon cas,
08:44 Garçon s'était beaucoup interrogé, évidemment, sur l'origine des actions mauvaises.
08:48 Et il raconte des choses absolument désopilantes, comme par exemple
08:51 ce financier qu'il défendait et qui expliquait son immense fortune
08:55 par un pacte qu'il avait fait avec le diable.
08:57 - Avec le diable. Alors ce pacte avec le diable.
08:59 Je voudrais qu'en quelques mots, vous nous racontiez
09:02 ce qu'est le diable de Venves et le pacte qu'a signé avec le diable,
09:05 ou n'a pas encore signé, ce pauvre Meunier.
09:07 - Alors, ça c'est le...
09:09 Alors, il y a plusieurs diables, il y a des diables géographiques tout à fait différents.
09:12 Par exemple, le diable de Montmartre est tout à fait différent du diable de Venves.
09:17 Le diable de Montmartre n'est pas sérieux.
09:19 Le diable de Montmartre est une sorte de normalien qui fait des canulars.
09:21 - Un plaisantin.
09:22 - C'est un plaisantin. On voit ça dans...
09:24 Je crois que c'est dans les...
09:27 dans les... Maxime de Chanfort,
09:30 où Chanfort raconte qu'au moment de la Régence,
09:32 un grand seigneur libertin allait avec ses copains dans les carrières de Montmartre,
09:37 ou de Vaugirard d'ailleurs,
09:38 et essayait d'invoquer le diable.
09:40 Et le diable n'apparaissait jamais, sauf pour leur tirer la barbe.
09:44 En fait, c'était des plaisantins du coin
09:46 qui se répandaient partout en criant "Victoire et malheur, malheur et victoire, victoire et malheur".
09:49 - Alors que le diable de Venves ne plaisante pas du tout.
09:51 - Alors que le diable de Venves, lui, ne plaisante pas du tout.
09:52 Et c'est une histoire assez belle
09:55 qui donne...
09:56 qui a donné son...
09:57 qui est l'origine des mots,
09:59 enfin, qui sont devenus, je crois, une marque commerciale,
10:00 maintenant, le moulin de la Vierge.
10:02 - Oui, c'est une chaîne de boulangerie.
10:05 - Qui va au moulin de la Vierge, maintenant, doit savoir à quoi s'attendre.
10:08 Parce que ce qui se passe, c'est que le pauvre Meunier,
10:12 voilà, il revient de la guerre, on est au 14e siècle,
10:15 il n'a pas d'argent, son moulin ne tourne pas,
10:17 et il demande au...
10:20 voilà, il est tenté de passer un pacte avec le diable pour gagner sa vie.
10:24 Et le pacte, le diable lui dit "d'accord, à condition que tu signes".
10:27 Le diable fait d'ailleurs tourner les ailes de son moulin un peu en avance,
10:30 ce qui fait qu'il est content.
10:31 Le Meunier participe à une possession de la Vierge,
10:33 et derrière...
10:34 et derrière, le diable est là...
10:35 - Et le Meunier s'en remet à la Vierge,
10:38 en lui disant "comment dois-je faire,
10:40 parce que le diable me poursuit pour que je signe sur le parchemin".
10:42 - Derrière lui, il y a le diable avec le parchemin.
10:45 Le Meunier dit à la Vierge "qu'est-ce que je dois faire maintenant ?"
10:48 et la Vierge répond de manière extraordinairement humoristique,
10:52 ça rappelle un peu le livre de Grosjean sur l'ironie christique,
10:55 elle lui répond "signe comme tu sais le faire".
10:57 Et le Meunier est illettré, il signe donc avec une croix,
11:00 et le diable disparaît.
11:03 - Vous écoutez France Inter, il est 9h19,
11:06 j'ai invité François Surault pour parler du diable, et pourquoi pas ?
11:10 Jamais, au grand...
11:11 jamais je ne choisis un disque qui soit l'illustration littérale
11:14 de mon sujet d'émission, c'est une des premières choses qu'on m'a apprises
11:16 quand j'ai commencé à faire de la radio, mais là je n'ai pas résisté.
11:20 Jacques Higelin était un grand auteur, Champagne...
11:23 Forever.
11:24 * Extrait de Champagne *
11:30 La nuit promet d'être belle, car voici qu'au fond du ciel
11:34 apparaît la lune rousse.
11:38 Saisie d'une sainte frousse, coule comme un des mortels.
11:43 Crois voir le diable à ses trousses.
11:47 Ma lèvre l'âge est vulgaire, ouvrez mon sarcopage.
11:51 Et vous pas, je perverse, qu'au réseau s'il me tienne.
11:55 Prévenez de ma part, mes amis les croppages.
12:00 Que ce soit nous sommes attendus dans les mains des crânes.
12:09 Voici mon message.
12:13 Cauchemars, fantômes et squelettes, les sifflets, la nuit aux idées noires.
12:18 La Delamare aux oubliettes, venu du sphère obligatoire.
12:22 * Extrait de Champagne *
12:32 Soudain les impôts frissons, car le sphère en personne
12:37 est une courte apparition.
12:41 L'air tellement d'accablé, qu'on lui donnerait volontiers
12:45 le bon Dieu sans confession.
12:49 S'il ne laissez malicieux courir le moule sa queue
12:53 devant ses yeux maléfiques.
12:57 Il ne se drapera pas beau dans un concert de choureaux
13:01 disant d'un ton pathétique
13:05 que l'état des objets cyniques et corrompus
13:09 va se griller de la peine à ceux qu'ils ont élus.
13:13 Car devant tant de problèmes et de malentendus
13:17 les yeux du diable sont allus à tout et de même.
13:23 * Extrait de Champagne *
13:29 Quelle pédince suprême !
13:35 Mais déjà le ciel blanchit.
13:37 Esprit, je vous remercie de m'avoir si bien reçu.
13:41 Caché, léguvre et bassu, déposez-moi au manoir
13:47 et lâchez ce crucifix.
13:51 Décrochez-moi ces gousses d'ail qui déshonorent mon portail
13:54 et me cherchent sans regard.
13:57 L'ami qui soigne et guérit, la folie qui m'accompagne
14:03 et jamais ne m'a trahi.
14:07 Champagne !
14:11 Le diable, selon Jackie Geland.
14:15 * Extrait de France Inter *
14:20 Il n'y a pas une once d'actualité dans cette invitation François Surault
14:24 à part la sortie de ce très joli livre "Brève rencontre"
14:27 coédité par Gallimard et France Inter.
14:29 Neuf nouvelles écrites pour notre antenne.
14:32 Des rencontres fortuites, des rencontres imaginaires,
14:34 des rencontres bien réelles, des rencontres littérelles, littéraires
14:38 et une rencontre avec le diable, la vôtre François Surault.
14:42 J'aime beaucoup cette idée du pacte avec le diable,
14:45 de ce diable que vous qualifiez vous-même de juriste.
14:50 * Vous l'homme de droit ! *
14:52 C'est assez amusant le diable.
14:56 Le diable français est juriste.
14:59 Le diable il est où ? Il est dans les textes littéraires à partir du 18ème.
15:03 De toute manière, c'est assez amusant,
15:05 mais le diable apparaît vraiment fortement en littérature.
15:07 Je parle de littérature profane, grand public.
15:09 Le diable apparaît en littérature à partir du moment où se développe le siècle de la raison.
15:13 C'est dans la mesure où on cesse d'y croire qu'on transforme le diable en objet littéraire.
15:18 Le siècle de la raison est aussi le siècle du droit.
15:21 Il y a beaucoup de remise en forme de contes et légendes populaires antérieures,
15:26 mais moi j'ai toujours été frappé par le côté contractuel du diable.
15:29 Le diable, on a l'impression que c'est deux chefs d'entreprise en train de négocier un contrat.
15:35 * Il signe des contrats à terme et à condition. *
15:41 La caractéristique du diable, c'est que,
15:45 évidemment, de manière assez curieuse pour l'ange déchu le plus intelligent de la création,
15:50 c'est que, si vous me passez cette expression, il est toujours niqué à la fin.
15:54 * A l'académie française, on parle comme ça ? *
15:57 J'espère bien, la langue est vivante.
15:59 Pourquoi ? Parce qu'en fait, il signe, et toutes les histoires diaboliques sont les multiples ruses
16:08 par lesquelles la créature, par hypothèse moins intelligente que l'ange déchu,
16:11 est susceptible de se libérer du contrat.
16:14 Et donc, tout ce qu'on voit toute la journée, c'est-à-dire les gens essayant de se libérer des contrats qu'ils ont signés,
16:20 les gens qui font des fausses promesses, les gens qui se libèrent de leurs promesses,
16:23 les gens qui se mettent en infraction, tout ça, en réalité, ça a un rapport avec le diable.
16:27 * C'est vrai que ce pacte avec le diable finit presque systématiquement mal, c'est-à-dire qu'à la fin,
16:33 on se libère du pacte et le diable finit en hurlant, il remonte en enfer, il brûle, il se consume,
16:40 et il poursuit sa course pour aller tenter quelqu'un d'autre.
16:43 Et il y a une scène extraordinaire, il y a un endroit que j'adore en France, que je recommande à tout le monde d'ailleurs,
16:47 peut-être qu'il y a des auditeurs qui habitent à côté, c'est le gouffre de Padirac.
16:50 Vous savez que le gouffre de Padirac, vous voyez ce que c'est que le gouffre de Padirac ?
16:53 * Je n'y suis jamais allée !
16:55 C'est magnifique, c'est splendide, c'est comme le début du voyage au centre de la Terre, c'est dans le Kerci, c'est absolument incroyable.
17:00 Et le gouffre de Padirac, c'est l'endroit par lequel le diable rentre en enfer.
17:03 Parce qu'un jour, il se balade dans le haut Kerci, comme ça,
17:06 et puis il est très content parce qu'il a fait une provision incroyable, c'est une légende locale,
17:11 il a fait une provision incroyable d'âme à Danée.
17:13 Parce que, évidemment, dans le Kerci, je ne sais pas pourquoi, mais les gens sont quand même mauvais.
17:18 Et donc il a une grande provision d'âme à Danée, et il rencontre Saint-Pierre.
17:21 Et Saint-Pierre est lui tout triste parce que dans le Kerci, il n'y a personne à sauver.
17:24 Donc Saint-Pierre se pince-pierre sur sa mule, le diable est là,
17:27 et le diable veut, ironiquement, parce qu'on est toujours perdu par l'ironie diabolique,
17:32 le diable a un côté politicien, il se pense plus malin qu'il n'est en réalité.
17:37 Donc il veut tenter Saint-Pierre et il lui dit "écoute, si tu fais ce que je te demande,
17:43 eh bien je te file mes âmes et comme ça, tu en auras sauvé quelques-unes".
17:46 Et Saint-Pierre lui dit "ah d'accord, très bien, je veux bien essayer".
17:49 Le diable tape de son pied fourchu sur le sol, le gouffre de Padirac se crée,
17:54 et le diable lui dit "passe de l'autre côté si tu peux".
17:56 Saint-Pierre fait un grand signe de croix, éprône sa mule,
17:59 qui évidemment saute de l'autre côté du gouffre de Padirac,
18:02 a gagné son pari, prend les âmes, le diable pousse le rugissement dont vous parlez,
18:07 et regagne l'enfer par l'intérieur du gouffre de Padirac.
18:10 - Et alors quel est le rapport du diable à la loi ?
18:13 Parce que vous dites "le diable est légaliste, le diable fait signer un contrat".
18:18 Mais le diable est menteur, le diable est naïf,
18:21 et c'est évidemment ce qui met en lumière quelque chose de passionnant,
18:25 c'est qu'on peut respecter scrupuleusement le droit, mais pas la morale.
18:30 C'est-à-dire, on peut faire le mal en respectant le droit.
18:34 Je m'adresse à l'homme de loi que vous avez été.
18:36 - Bien sûr, mais bon, cela dit, le rapport...
18:38 - Bien sûr.
18:39 - Oui, bien sûr, oui, oui.
18:40 Non mais, le système de...
18:42 Ce qui est extraordinaire, c'est le détournement du système du droit chez le diable.
18:47 En fait, le système de droit, il est là pourquoi ?
18:50 Il n'est pas là pour maintenir la morale ou les bonnes mœurs.
18:53 Comme on vit dans une époque, comment dire, d'autant plus moralisatrice
18:58 que les règles transcendantes sont assez peu admises par quiconque,
19:00 en réalité, on est en train, en ce moment en tout cas,
19:02 de charger le droit d'une puissance morale absolument incroyable.
19:06 C'est tout à fait nouveau.
19:07 - Qui ne devrait pas...
19:08 - Qui ne devrait pas avoir.
19:09 Le droit est là pour maintenir la paix civile,
19:11 et ce que Pascal appelait l'assentiment public aux institutions.
19:14 - Pour réguler les relations entre les hommes.
19:16 - Pour réguler les relations entre les hommes.
19:17 Le diable détourne ça.
19:19 Le diable fait de la loi, fait du pacte, fait des documents juridiques,
19:23 l'instrument du salut ou de la damnation éternelle.
19:26 Et sous ce rapport, le diable est d'une certaine manière pré-totalitaire.
19:31 Il détourne cette idée que le système de droit est un système assez tranquille,
19:36 fait pour réguler les rapports sociaux,
19:38 en quelque chose dans quoi il voit le moyen d'obtenir le salut pour les uns
19:43 ou la damnation pour les autres.
19:45 Et ce qui est assez fantastique, c'est que sous ce rapport,
19:47 le diable est un idéaliste.
19:49 Vous savez, on dit souvent, le diable c'est la matière,
19:55 c'est la jolie fille qui passe dans la rue,
19:57 la cuisse de canard confite,
19:59 le désir de passer ses vacances au Bahamas,
20:02 que c'est tout ça le diable.
20:04 Et bien pas du tout.
20:05 Tout ça c'est de la matière,
20:07 et la matière est bonne puisque Dieu a d'abord créé la matière.
20:10 Ce qui est évidemment...
20:12 - Donc le diable est spirituel.
20:14 - Le diable, lui, est spirituel.
20:15 En fait, en réalité, le diable est spiritualiste.
20:18 Il n'est pas du tout matérialiste.
20:19 - Le diable est dans l'idée.
20:21 - Le diable est dans l'idée.
20:22 Chesterton le disait de manière absolument magnifique.
20:24 Le diable est dans l'idée,
20:26 et c'est la raison pour laquelle on voit du diabolique
20:29 à chaque fois qu'on voit de l'idée dans l'idéologie,
20:33 spécialement dans les idéologies meurtrières,
20:35 dans le nazisme, dans le communisme,
20:37 à chaque fois qu'on prétend superposer à la matière
20:43 quelque chose qui est censé lui donner forme
20:45 par une pure création de l'orgueil intellectuel.
20:47 Et ça, c'est quelque chose d'assez fascinant.
20:50 Le diable est spiritualiste.
20:51 Et c'est pour ça que la période actuelle,
20:53 à certains égards, est assez diabolique,
20:56 puisque nous vivons environnés de gens
20:59 qui tous ont une idée sur les choses,
21:01 un projet sur les choses, des agendas sur les choses.
21:05 Et c'est la raison pour laquelle, derrière tout ça,
21:08 se profile le petit Milou noir et fourchu qu'on lit
21:13 dans "Les aventures de Tintin".
21:14 Vous savez que c'est un des plus beaux récits
21:16 de la tentation diabolique.
21:18 C'est C.R.G. !
21:20 Quand on voit Milou qui se demande
21:22 s'il va boire du whisky ou pas,
21:24 c'est là où R.G. se trompe d'ailleurs.
21:26 En réalité, si on veut être diabolique,
21:28 il ne s'agit pas de...
21:31 Il s'agit de lire un ouvrage de philosophie politique totalitaire,
21:33 et pas de boire du whisky,
21:34 qui est une activité complètement anodine.
21:36 Merci François Surault !
21:38 Brève rencontre !
21:39 François Surault a rencontré le diable,
21:41 et voici son conseil.
21:42 Le diable, c'est quand on ne le rencontre pas précisément
21:45 qu'il faut commencer à s'en méfier.