Comprendre l'imaginaire de la Silicon Valley

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00:00 *Générique*
00:18 Bonjour à tous et bonjour à toutes, merci d'avoir poussé la porte du club de lecture de France Culture ce midi.
00:24 Direction la côte ouest des Etats-Unis, dans le sud de la baie de San Francisco, c'est la Californie.
00:29 Bienvenue dans la vallée du silicium.
00:31 Vous savez ce semi-conducteur que l'on retrouve dans la quasi-totalité des appareils électroniques et informatiques.
00:37 C'est dans la Silicon Valley que sont nées les nouvelles technologies qui accompagnent aujourd'hui nos vies, la vie des milliards d'individus.
00:44 C'est là aussi que s'est construit le mythe de l'entrepreneur.
00:48 Vous connaissez leur nom, Elon Musk, Steve Jobs, Jeff Bezos.
00:52 Nos invités nous racontent jusqu'à 13h30 le monde dans lequel ils évoluent.
00:56 Un monde qui a envahi notre imaginaire. On en discute avec eux et avec les lecteurs électriques du book club.
01:01 En une vingtaine d'années, il a créé Paypal, SpaceX et Tesla.
01:05 Il a révolutionné l'aérospatiale et les voitures électriques. La science et le progrès sont au centre de sa vie.
01:11 Il s'agit ici de la déconstruction d'un mythe, puisque oui, le mot est posé.
01:15 Jamais une fiction ne m'a paru autant réelle.
01:18 Mais les dés sont pipés.
01:19 *Générique*
01:25 Les voix de Quentin Clerc, candice, lecteur électrice du book club,
01:28 qui nous accompagne ce midi avec impression de lecture et conseil de lecture.
01:32 Bonjour Olivier Alexandre.
01:33 Bonjour Nicolas.
01:34 Vous êtes docteur en sociologie, chercheur de... Recherche ! Chargé de recherche. Je vais réessayer.
01:40 Il y a eu beaucoup d'années, donc je comprends que vous ayez beaucoup de temps pour prononcer.
01:43 Vous publiez ces jours-ci aux éditions du Seuil un essai intitulé "La Tech, quand la Silicon Valley refait le monde".
01:50 On connaît le nom Silicon Valley, on entend le mot "tech" même si on a peut-être du mal à définir précisément ce que c'est.
01:56 Comment vous vous êtes dit qu'il y avait derrière ces mondes, ces mots, un objet de sociologie, en tout cas un terrain d'études ?
02:03 Je me le suis dit en me rendant compte.
02:06 C'est-à-dire que moi, quand j'étais encore jeune chercheur, je travaillais sur le cinéma et la culture,
02:11 plus précisément le cinéma français.
02:13 C'est à la faveur d'un post-doctorat et d'un séjour de recherche à Stanford
02:17 que j'étais parti avec beaucoup d'espoir et d'enthousiasme pour aller enquêter Netflix.
02:21 Et puis je me suis aperçu, visuellement, physiquement, que ces grandes entreprises de la Silicon Valley,
02:28 même si elles présentaient des valeurs de transparence,
02:31 et d'ailleurs si vous vous rendez aujourd'hui encore sur le siège social de Netflix, c'est des baies vitrées.
02:36 Donc il y a aussi cette idéologie incarnée.
02:39 En fait, ce sont plutôt des forteresses qu'il faut apprendre à contourner, à déverrouiller
02:47 et à développer différentes stratégies de recherche pour pouvoir y pénétrer.
02:51 Vous avez pu le faire par le biais d'abord de l'université, c'est ça ?
02:54 Ou comment vous avez pu, vous, pénétrer ces mondes-là ?
02:57 En fait, je pense que je suis passé un peu par les mêmes phases que tout entrepreneur ou entrepreneuse qui arrive là-bas.
03:03 La première phase, c'est celle de fascination,
03:05 parce que, de fait, on peut croiser des personnes et des personnalités extrêmement connues ou richissimes.
03:13 Et moi-même, j'ai failli me faire renverser un soir dans une rue déserte par Peter Thiel.
03:17 La deuxième phase, c'est plutôt une phase de désenchantement ou de désillusion,
03:22 parce qu'on s'aperçoit qu'en fait c'est extrêmement compliqué, qu'il y a des codes qui sont très serrés,
03:26 et qu'on ne peut pas y échapper, et qu'en plus on a affaire à un univers extrêmement hiérarchisé, quoi qu'ils en disent.
03:33 Et puis la troisième phase, qui est une phase de réalisme,
03:38 où il s'agit là de se dire "Ok, je suis là, je suis loin, j'ai pas les mêmes ressources que tout le monde,
03:44 mais je vais quand même essayer d'en faire quelque chose".
03:47 Et en l'occurrence, c'est ce que j'ai essayé de faire, en passant par les... comment dire...
03:52 les ascenseurs, les 3-4 ascenseurs qu'on peut utiliser dans la Silicon Valley.
03:57 Le premier, effectivement, c'est les réseaux d'alumni, d'anciens, d'universités.
04:01 Stanford, c'est vraiment le cœur du réacteur, donc ça effectivement c'est relativement efficace.
04:04 Le deuxième, c'est les connaissances au sein des entreprises, qui peuvent aussi jouer comme un relais important.
04:11 Donc moi, je n'étais pas salarié, mais en tout cas, à chaque fois que je pouvais pénétrer ou me socialiser avec quelqu'un,
04:16 j'avais tendance à creuser ce sillon.
04:18 Le troisième, c'est la diaspora, c'est les communautés d'étrangers.
04:22 Il faut vraiment le rappeler, c'est un point extrêmement important,
04:25 c'est la moitié des travailleurs de la Silicon Valley qui sont nés dans un autre pays.
04:29 Le Busk lui-même est d'origine sud-africaine.
04:31 Et puis le quatrième, qui est plus incertain, c'est la question des loisirs et/ou des stigmates.
04:41 Et en l'occurrence, capacité à transformer un centre d'intérêt ou une discrimination, ça dépend.
04:47 Si on est racisé par exemple, ou si on adore le yoga, ce serait un autre exemple opposé.
04:52 Et bien on peut aussi s'inscrire au sein d'une communauté.
04:54 La communauté étant une espèce de forme sociale dominante au sein de la Silicon Valley.
04:58 On va pendant cette émission se balancer en permanence entre enchantement et désillusion dans ce monde, évidemment.
05:05 Et vous allez dialoguer, Olivier Alexandre, avec notre autre invité, Anthony Galluzzo.
05:09 Bonjour. - Bonjour.
05:10 - Vous êtes maître de conférence à l'Université de Saint-Etienne,
05:12 l'auteur aux éditions ZONE de cet essai, "Le mythe de l'entrepreneur",
05:16 sous-titré "Défaire l'imaginaire de la Silicon Valley".
05:19 Ça nous a paru évident de vous faire discuter et échanger.
05:23 Peut-être même la même question d'abord, vous votre voix vous porte sur l'imaginaire marchand,
05:28 sur les cultures de consommation.
05:30 Comment est-ce que la Silicon Valley et les entrepreneurs se sont imposés comme un sujet d'étude ?
05:36 - Alors, par deux voies, je dirais.
05:39 La première, c'est le fait qu'en étudiant les cultures de consommation, le marketing, la publicité,
05:43 on se rend vite compte qu'Apple est une marque très importante dans cette histoire, fin 20ème siècle,
05:47 notamment parce que c'est la plus grande capitalisation de marques, la marque la plus chère au monde.
05:51 Et ça s'explique aussi par toute une ingénierie symbolique,
05:54 tout un travail publicitaire qui a été réalisé à travers la publicité, bien sûr,
05:58 mais aussi à travers une forme de storytelling.
06:01 - L'incarnation par Steve Jobs. - Par Steve Jobs, oui.
06:04 Et justement, à la mort de Steve Jobs aussi, mon intérêt avait été piqué,
06:07 puisque j'avais remarqué qu'il y avait tout un ensemble d'hommages,
06:10 c'était vraiment un hommage planétaire, il y avait des tweets dans tous les sens, etc.
06:14 Il y avait des hommages de présidents, il y avait des hommages de businessmen,
06:20 de personnes de tous horizons,
06:23 et en fait, on relevait à chaque fois les mêmes descripteurs, les mêmes éléments,
06:28 visionnaires, génial, créateurs,
06:31 une phrase zéologie du don, il nous a donné l'iPhone, il nous a donné l'ordinateur moderne, etc.
06:37 Il y avait toujours les mêmes éléments de langage qui revenaient,
06:39 et je me disais qu'il y avait quelque chose d'assez structurel là-dessous,
06:42 sur lequel on pouvait enquêter de manière plus historique, socio-historique.
06:47 - Avec aussi des hommages d'inconnus devant les magasins Apple,
06:51 et ça vous le racontez très bien dans l'introduction de votre livre.
06:54 Quant à notre lecteur qui est aussi libraire à la souterraine,
06:57 librairie L'Apothicaire, a lu votre essai, Anthony Galluzzo,
07:00 et voici ce qu'il en a retenu.
07:02 - Il s'agit ici de la déconstruction d'un mythe.
07:05 Il s'agit bien de la déconstruction d'une histoire montée de toutes pièces par Homo Narans,
07:09 qui depuis sans doute les premiers foyers, les premières veillées,
07:12 se gorge d'histoire nourrissant l'espoir, l'émancipation,
07:15 mais pouvant, comme l'autre face d'une même médaille,
07:18 être l'outil de la coercition, être l'étendard d'un idéal
07:21 qui sert celui qui le diffuse au détriment de celui qui y croit.
07:24 Ainsi en va-t-il du mythe de l'entrepreneur qu'Anthony Galluzzo s'emploie brillamment à déconstruire.
07:29 Longue-nous-brandit le parcours de ces hommes, car oui, peu de femmes dans cette mythologie,
07:33 tels Steve Jobs, Jeff Bezos ou d'autres qui, venus de nulle part,
07:37 par un sens inné de l'innovation, par une volonté acharnée,
07:40 révolutionnent qui la technologie, qui le marché.
07:43 Et c'est la force de ce mythe, donner à croire à n'importe qui
07:46 qu'à force de sueur, de travail acharné, l'on pourra devenir la nouvelle incarnation de ce mythe.
07:51 Que l'on peut se faire seul, mais l'aider sans pipi.
07:54 Et c'est ce que nous rappelle brillamment Anthony Galluzzo.
07:57 L'individu est un produit conjoncturel, le produit d'une période, d'une époque, d'un contexte.
08:03 L'individu tout-puissant que l'on monte au pinacle n'est là que parce qu'il s'est appuyé sur des constructions collectives
08:08 et sur le travail de milliers ou centaines de milliers d'autres
08:11 que la mythologie, sciemment, n'aura pas retenu.
08:14 Sans service public, pas d'essor individuel, sans les routes construites par les Etats,
08:18 pas de transport de marchandises, etc.
08:21 Alors oui, à l'heure où l'une des incarnations de ce mythe se voit décorée de la Légion d'honneur,
08:26 le livre d'Anthony Galluzzo revêt d'autant plus d'importance.
08:29 La Légion d'honneur, c'est Elon Musk,
08:37 qui a été décoré par Emmanuel Macron il y a quelques semaines.
08:40 Vous dites, Anthony Galluzzo, que l'entrepreneur que vous analysez
08:45 n'est pas un acteur économique et social comme on peut le connaître plus communément.
08:50 Vous dites que c'est une catégorie de discours, c'est-à-dire un assemblage de récits, d'anecdotes, de citations,
08:56 et qui transforme cet entrepreneur presque en célébrité au fil des productions médiatiques.
09:02 Ça veut dire qu'il y a un alliage, une alliance plutôt, entre lui, ce qu'il fait, et le monde médiatique,
09:10 c'est-à-dire une sorte de porte-parole qui s'exprime à sa place ?
09:15 Alors, l'entrepreneur, ça peut être plein de choses, selon le regard qu'on porte sur lui.
09:18 Ça peut être un acteur économique, ça peut être un acteur social.
09:21 Moi, effectivement, je l'ai abordé comme une catégorie de discours,
09:23 et j'ai produit une analyse qui est plutôt narratologique.
09:26 Et effectivement, comment j'ai procédé ? J'ai construit un corpus.
09:30 J'ai commencé par une étude de cas, une étude de cas inaugurale autour du Steve Jobs,
09:34 qui est pratique puisque c'est suffisamment reculé dans le temps pour qu'on puisse avoir un recul historique,
09:39 mais aussi, c'est pas comme une des premières figures, une des premières célébrités entrepreneuriales,
09:43 comme Andrew Carnegie, par exemple, qui est beaucoup moins connu, notamment en France.
09:47 Voilà, ça me semblait être une étude de cas intéressante.
09:49 Donc j'ai collecté tout un ensemble de documentaires, de biopics, d'articles de presse,
09:53 depuis les années... fin des années 70, de biographie également,
09:58 et j'ai essayé de faire une analyse thématique, en essayant de cerner les redondances,
10:03 les termes, la terminologie qui est récurrente, et également aussi,
10:07 toutes les anecdotes qu'on raconte vraiment très fréquemment,
10:12 et au contraire, les choses qu'on va avoir tendance à euphémiser.
10:15 Et on voit qu'il y a un discours commun. C'est pour ça, en fait, la terminologie, le mythe,
10:19 qu'est-ce que c'est qu'un mythe ? C'est une narration sans auteur.
10:21 C'est-à-dire que c'est tout un ensemble d'éléments, une narration type,
10:25 qu'on peut deviner, qu'on peut apercevoir à travers tout un ensemble,
10:29 tout un corpus de textes, en les empilant.
10:32 Et alors effectivement, il y a une relation symbiotique entre la presse...
10:35 En fait, tout ce storytelling, c'est une coproduction.
10:37 C'est une coproduction entre les entrepreneurs,
10:39 entrepreneurs d'eux-mêmes, de leur image, storytellers,
10:42 qui vont s'imposer en tant que personnages médiatiques,
10:44 en tant que célébrités entrepreneuriales,
10:46 et ils vont le faire à travers notamment une collaboration avec des journalistes,
10:50 relation symbiotique, pourquoi ?
10:51 Puisque les journalistes vont aussi profiter de cette relation
10:53 en faisant du clic, en vendant du papier,
10:55 avec ce qu'on peut appeler un bon client.
10:57 - Une belle histoire, ce qu'on appelle une belle histoire,
11:00 un récit qui est très séducteur, une bonne histoire à raconter,
11:03 parce qu'on a l'impression qu'il n'y a pas d'enjeu derrière,
11:05 que c'est simplement l'idée de la réussite qu'on met en avant, c'est ça ?
11:09 - Alors, c'est assez complexe en fait.
11:11 Il y a tout un imaginaire qui est celui de l'entrepreneur américain,
11:14 qui a beaucoup à voir avec l'imaginaire national,
11:16 l'imaginaire du self-making,
11:18 le fait de parvenir à la force de sa propre individualité,
11:22 de son propre talent, de ses propres efforts.
11:24 C'est quelque chose qu'on ne peut pas résumer à une formule simple.
11:28 Il y a tout un ensemble de chèmes,
11:30 il y a tout un ensemble de catégories thématiques.
11:32 On peut parler par exemple,
11:33 quelque chose qui est très structurant dans cette littérature,
11:35 une littérature assez manichéenne, dichotomique,
11:37 l'opposition entre le vilain capitaliste
11:39 et l'entrepreneur au sens le plus humaniste du terme.
11:42 C'est-à-dire quelqu'un qui n'est pas là pour réaliser du profit,
11:44 mais qui est là pour faire advenir le beau.
11:46 Et Steve Jobs est très, dans sa mythologie,
11:49 Steve Jobs est très représentatif de cette dichotomie,
11:52 notamment dans la guerre symbolique qu'il a livrée à Bill Gates
11:54 dans les années 80-90,
11:56 en le caractérisant comme un capitaliste
11:58 qui vendait des ordinateurs,
11:59 mais qui aurait pu vendre toute autre chose,
12:01 puisqu'il n'était pas là en humaniste,
12:03 il était là en profiteur.
12:04 - C'est Jeff Bezos qui a été décoré,
12:06 j'ai dit une bêtise tout à l'heure.
12:08 Le mythe de l'entrepreneur
12:10 commence dans le cas de Steve Jobs
12:12 par cette petite anecdote,
12:14 c'est un peu comme Olivier Alexandre qui a failli se faire écraser tout à l'heure,
12:17 c'est le mythe du garage.
12:20 C'est là que tout s'est créé,
12:22 et on imagine très bien Steve Jobs
12:24 avec Steve Wozniak dans son garage,
12:26 en train de brancher des câbles, etc.
12:28 Et ça, évidemment, ça fait rêver.
12:30 - Alors, un des passages obligés, en fait,
12:33 des grandes narrations entrepreneuriales,
12:35 c'est la scène fondatrice.
12:36 Une scène du garage, c'est la scène qu'on voit souvent
12:39 apparaître dans les histoires consacrées à Apple,
12:41 mais aussi à Amazon ou à d'autres entreprises.
12:43 Effectivement, ça implique toujours
12:45 d'aller face à un entrepreneur qui est sorti du désert,
12:47 sorti du néant.
12:49 Et, en fait, on se rend compte que c'est une construction très arbitraire,
12:52 puisque quand on fait l'histoire d'une entreprise,
12:55 on n'a pas un moment de création.
12:56 On en a plusieurs qui ne s'étalent souvent pas
12:58 sur des semaines, des mois, voire des années.
13:00 Et alors, on a toujours un choix qui est très arbitraire.
13:02 On peut raconter la naissance d'Apple
13:04 en fixant l'objectif, bien davantage,
13:06 sur Hewlett-Packard.
13:07 Hewlett-Packard, où les prototypes de l'Apple 1 et 2
13:09 ont été élaborés par Wozniak,
13:11 qui était alors ingénieur dans cette entreprise.
13:13 J'aurais pu vous donner d'autres scènes
13:15 alternatives, en fait,
13:17 pour raconter cette histoire
13:19 de création, cette scène fondatrice.
13:21 On se rend compte, quand on fait des comptabilisations,
13:23 des quantifications sur le corpus
13:25 de documents, d'œuvres qui sont consacrées à Apple,
13:28 que très majoritairement, ce qu'ils racontaient, c'est la scène du garage.
13:31 - Olivier Alexandre, est-ce que cette mythologie,
13:33 ces récits, ces anecdotes, ça fonctionne toujours
13:35 auprès des gens que vous avez pu rencontrer
13:37 dans la Silicon Valley ?
13:39 Est-ce que tout le monde est dupe, si on peut le poser autrement ?
13:42 - Il y a un livre
13:45 d'un historien bien connu,
13:47 français, Paul Veyne,
13:49 qui s'intitule "Les Grecs ont-ils cru en leur mythe ?"
13:52 Je pense que c'est une lecture utile.
13:54 En l'occurrence,
13:56 un des chocs pour des gens
13:58 qui arrivent dans la Silicon Valley, parce qu'on arrive
14:00 presque toujours dans la Silicon Valley,
14:02 on y naît et on y repart,
14:04 mais on y naît en tant qu'entrepreneur
14:06 et assez peu comme individu.
14:08 C'est à quel point, en fait,
14:10 il y a un écart entre
14:12 cette mythologie, que raconte bien Anthony,
14:14 et la réalité concrète
14:16 et la manière dont les choses se passent.
14:18 Y compris quand elles portent sur le même motif.
14:20 Là, en l'occurrence, le garage fonctionne
14:22 de notre point de vue
14:24 comme un mythe quasiment cinématographique.
14:26 En l'occurrence,
14:28 dans la Silicon Valley, c'est une condition
14:30 de production. C'est-à-dire que les logements
14:32 sont tellement chers, qu'en fait, le garage
14:34 est loué, sous-loué,
14:36 y compris par le personnel enseignant,
14:38 y compris par des employés
14:40 de la tech, y compris par des employés de la tech
14:42 très bien rémunérés, parce qu'on peut
14:44 louer ou sous-louer son garage
14:46 facilement à 1000 dollars, 1000 euros.
14:48 Et il y a des cas très connus.
14:50 Suzanne Vosicky, l'ancienne PDG
14:52 de YouTube, par exemple,
14:54 a rencontré Larry Page, qui est
14:56 actuellement son compagnon, le fondateur de Google,
14:58 en leur soulouant, et en lui
15:00 soulouant le garage. Et il faut voir aussi,
15:02 je parlais d'unité de production,
15:04 il faut voir aussi le rôle
15:06 des entrepreneurs
15:08 vraiment en tant que porteurs
15:10 de nouvelles combinaisons, et utilisés
15:12 par des investisseurs,
15:14 parce que c'est une industrie
15:16 effectivement dite des nouvelles technologies,
15:18 on ne sait jamais ce qui va marcher, et donc
15:20 c'est une industrie qui est très, très, très
15:22 gourmande des nouveaux projets, des nouvelles
15:24 personnes qui peuvent les porter, et qui fait
15:26 de ce point de vue, de feu de tout bois.
15:28 Et c'est aussi bien le garage que les dortoirs
15:30 d'universités, on peut penser à Facebook,
15:32 que les
15:34 coffee shops,
15:36 on peut penser à Yahoo,
15:38 etc.
15:40 - Un mot sur les femmes, notre
15:42 auditeur disait, il y a très peu de femmes
15:44 dans ces personnalités, dans ces
15:46 entrepreneurs, comment ça s'explique ?
15:48 Olivier Alexandrand.
15:50 - Alors,
15:52 effectivement, on peut saisir,
15:54 et c'est très tentant, et je pense
15:56 important, parce qu'au moment où on parle, aussi,
15:58 on sort de deux mandats,
16:00 d'Emmanuel Macron, de la Startup Nation,
16:02 et on ne peut pas faire
16:04 l'économie d'un rappel à ce qui se passe dans les
16:06 rues aujourd'hui, et le sentiment
16:08 d'être un peu écrasé sous
16:10 une mythologie de la force,
16:12 et je crois qu'Anthony utilise l'expression
16:14 dans son livre, la violence de
16:16 l'entrepreneur.
16:18 Donc, il y a ces dimensions-là.
16:20 Il faut rappeler aussi que, derrière
16:22 quelques grandes figures très
16:24 connues, en réalité, la majorité
16:26 des entrepreneurs et des entrepreneurs de la Silicon Valley
16:28 sont plutôt
16:30 absolument ou totalement inconnus,
16:32 bataillent vraiment quotidiennement
16:34 et aussi la nuit pour
16:36 se faire un nom, pour essayer d'avoir
16:38 un petit écho auprès des médias,
16:40 et vivent
16:42 au niveau,
16:44 l'équivalent
16:46 du seuil de pauvreté, au sens
16:48 californien du terme, qui est
16:50 plus élevé, bien sûr, que le sens français
16:52 du terme. Et sur cette population
16:54 donc extrêmement hétérogène, il y a un quart de femmes
16:56 qui
16:58 se retrouvent confrontées
17:00 à tout un tas de
17:02 barrières invisibles,
17:04 de plafonds invisibles, qui
17:06 tiennent au mode sociabilité de la Silicon Valley, parce que
17:08 dans cette industrie, on ne sait jamais ce qui va marcher demain,
17:10 on a tendance à faire confiance au plus évident,
17:12 et ce qui est le plus évident, c'est quelqu'un qui sort
17:14 de Harvard ou de Stanford, qui est blanc,
17:16 qui est déjà hyper connecté,
17:18 et qui semble maîtriser avec Mastria
17:20 le code informatique. - Anthony Galuzzo
17:22 sur cette question des femmes.
17:24 - Alors, sur la question des femmes,
17:26 c'est une porte que j'ai entre-ouverte
17:28 et que je n'ai pas trouvé les moyens d'explorer
17:30 davantage la chose, mais à l'évidence,
17:32 le mythe de l'entrepreneur, c'est un mythe
17:34 assez viriliste, et il y aurait
17:36 un autre ouvrage à écrire sur le sujet
17:38 avec une approche féministe de la question.
17:40 Et effectivement, quand on s'intéresse,
17:42 comme je l'ai fait encore une fois, moi je m'intéresse
17:44 aux célébrités entrepreneuriales, c'est-à-dire aux entrepreneurs
17:46 siliconiens, non pas en ce qu'ils sont
17:48 sociologiquement, statistiquement, mais en ce qu'ils
17:50 paraissent à travers des couvertures de magazines,
17:52 etc., dans l'imaginaire,
17:54 dans l'imaginaire médiatique mondialisé.
17:56 Là, effectivement, il n'y a pas
17:58 de femmes, ou quasiment aucune femme, et plus largement
18:00 si on prend l'histoire des célébrités
18:02 entrepreneuriales américaines de la fin du XIXe siècle
18:04 à nos jours, il y a des classements qui ont été
18:06 faits pour évaluer, des classements scientifiques
18:08 qui ont été publiés dans des revues scientifiques
18:10 pour évaluer
18:12 et quantifier la popularité
18:14 de ces entrepreneurs, on ne retrouve aucune femme.
18:16 De Rockefeller Senior,
18:18 Carnegie, jusqu'à Elon Musk,
18:20 en passant par Gates, Jobs, etc.,
18:22 effectivement, aucune femme.
18:24 - Parlons de cette région, la Silicon Valley,
18:26 Olivier Alexandre,
18:28 vous dites que c'est une énigme, on ne comprend pas
18:30 bien pourquoi est-ce qu'on s'est installé là,
18:32 pourquoi est-ce que cette industrie s'est installée là,
18:34 d'autant plus que tous ceux
18:36 qui y vivent s'y plaignent, vous avez commencé à le dire,
18:38 notamment sur les logements, sur
18:40 la fiscalité, sur les embouteillages,
18:42 c'est quoi la piste ?
18:44 Quelle est la piste pour trouver une réponse
18:46 à cette énigme ? - Non, non, effectivement, quand on regarde
18:48 les choses d'un point de vue historique, ou géographique,
18:50 c'est très étonnant,
18:52 cette histoire est même toujours aujourd'hui, je crois que
18:54 San Francisco, c'est la 18ème ville la mieux connectée au monde,
18:56 la 18ème, très très loin derrière
18:58 des villes comme Francfort, Londres,
19:00 Singapour et Paris.
19:02 Donc ça c'est le premier élément, le deuxième élément c'est qu'il n'y avait pas
19:04 vraiment de ressources à exploiter,
19:06 de ressources naturelles dans le nord de la Californie.
19:08 D'ailleurs San Francisco, la péninsule,
19:10 le bout de la péninsule a été découvert très tard,
19:12 parce qu'il y avait du brouillard, enfin, il y a des collines,
19:14 c'est extrêmement difficile
19:16 de s'y déplacer, alors maintenant il y a des infrastructures
19:18 notamment autoroutières,
19:20 mais alors en pleine période de boum,
19:22 on peut faire, on peut passer une heure ou deux
19:24 heures dans les bouchons,
19:26 c'est loin de tout, c'est loin de New York,
19:28 c'est loin de Washington,
19:30 c'est loin de l'Asie, c'est loin de l'Europe,
19:32 et y compris du point de vue des Californiens,
19:34 c'est très loin de Los Angeles,
19:36 qui est vraiment la ville star,
19:38 et d'ailleurs très longtemps, on se rendait à San Francisco
19:40 en fait quand on trouvait sa place nulle part ailleurs dans le pays.
19:42 Et il y a toujours cette tradition
19:44 contre culturelle, alors avec un S
19:46 qui est vibrante,
19:48 récupérée dans la Silicon Valley.
19:50 Ce qui est intéressant de voir,
19:52 c'est qu'en fait, cette région, elle a un peu
19:54 retourné ce handicap
19:56 en qualité,
19:58 et même en spécialité, puisque c'est une industrie
20:00 avant tout, et il faut le dire et le rappeler, d'information
20:02 et de communication, dès l'origine en fait,
20:04 et c'est une origine qui est
20:06 diffuse,
20:08 qui a plusieurs étapes, à partir
20:10 de la fin du XIXème siècle
20:12 jusqu'à aujourd'hui,
20:14 on trouve différentes vagues ou cycles d'innovation
20:16 qui sont la radio, qui sont le microtransistor,
20:18 qui sont l'informatique
20:20 personnelle, qui sont internet,
20:22 qui sont aujourd'hui, on verra demain,
20:24 l'intelligence artificielle,
20:26 et qui restent, au-delà de ces vagues,
20:28 à une vraie cohérence autour de ce paradigme
20:30 de l'information et de la communication, qui consiste
20:32 du coup à dépasser les frontières
20:34 et les limites physiques. - Alors évidemment,
20:36 cet endroit, cet imaginaire
20:38 a donné
20:40 des idées, et à la fiction
20:42 notamment, qui s'en est emparée,
20:44 et de ces thématiques aussi, Claire nous propose
20:46 une suggestion de lecture,
20:48 le roman "Le Cercle" de Dave Hager.
20:50 On l'écoute. - Ce qui m'a plu
20:52 dans "Le Cercle" de Dave Hager, c'est que
20:54 jamais une fiction
20:56 ne m'a paru autant réelle.
20:58 Alors la jeune femme qui vient d'être
21:00 embauchée par l'entreprise
21:02 de rêve, la plus
21:04 puissante du monde,
21:06 qui fait penser au GAFAM,
21:08 une entreprise de l'internet,
21:10 est enchantée.
21:12 Elle découvre un univers où l'anonymat,
21:14 la vie privée, ont disparu
21:16 au bénéfice de la
21:18 transparence et du partage.
21:20 Elle vient d'entrer dans le cercle, c'est la forme
21:22 du siège social de cette entreprise.
21:24 Elle participe
21:26 au cercle et elle vient le nourrir de ses données,
21:28 de ses images.
21:30 Ce qui plaît dans ce livre,
21:32 peut-être, plus que les
21:34 personnages, c'est que ce n'est pas
21:36 de la science-fiction,
21:38 ce n'est pas de l'anticipation,
21:40 c'est un futur très très proche.
21:42 Il a été écrit en 2013
21:44 et il décrit un monde panotique
21:46 dont il faut nous méfier,
21:48 sinon, n'en prenons pas
21:50 confiance, il va nous absorber.
21:52 Le cercle de
22:00 Dave Eggers que nous conseille de lire clair
22:02 sur ce qu'elle raconte
22:04 dans cette fiction, qui est pour
22:06 elle, qui n'est pas de la science-fiction,
22:08 c'est des choses que vous avez pu voir, vous,
22:10 sur le terrain, c'est-à-dire ces entreprises
22:12 où il n'y a plus d'anonymat,
22:14 il n'y a plus de vie privée. Vous parliez
22:16 de transparence tout à l'heure sur
22:18 les bâtiments. Est-ce qu'il y a quelque chose
22:20 à déduire
22:22 de cet endroit, physiquement aussi ?
22:24 Oui, oui, oui.
22:26 J'ai pu le constater plutôt dans les têtes
22:28 que physiquement,
22:30 il y a vraiment un travail d'exploration,
22:32 d'anthropologie et
22:34 il y a un coup intellectuel aussi à faire.
22:36 Et quand on vient
22:38 d'Europe, quand on vient de la France,
22:40 quand on vient de Paris, essayer de comprendre
22:42 et d'accepter qu'on a affaire à des
22:44 psychologies, des manières
22:46 de faire, des esprits, des cultures
22:48 totalement différentes de la nôtre, y compris
22:50 sur la notion d'intimité,
22:52 y compris sur la notion de marché,
22:54 y compris sur la notion de communauté,
22:56 ce qui explique en fait tout un tas de
22:58 malentendus
23:00 et de lectures
23:02 de relecture. Là,
23:04 ce qui a été évoqué dans l'extrait qu'on vient
23:06 d'écouter, c'est vraiment la version
23:08 dystopique du système d'information
23:10 en fait. Parce qu'un système d'information,
23:12 quand il marche bien, c'était l'objectif de beaucoup
23:14 de pères fondateurs et
23:16 qui étaient assez peu des mères fondatrices,
23:18 on est d'accord, de pères fondateurs,
23:20 c'était vraiment de
23:22 connecter différents points dans le monde
23:24 et de constituer un système
23:26 d'information qui soit bénéfique.
23:28 Avec cette idée sûrement un peu naïve que
23:30 plus on aurait un système ouvert,
23:32 plus les choses se passeraient bien.
23:34 On voit que cette idéologie
23:36 s'est transformée ou retournée
23:38 en une série de pratiques
23:40 plutôt néfastes qui vont de la
23:42 domination des gars-femmes jusqu'au
23:44 biais algorithmique en passant
23:46 par la collecte et le commerce des données.
23:48 - C'est ce que vous dites aussi, Anthony Galuzzo,
23:50 il y a tout ce storytelling,
23:52 ce compte moral presque, ce
23:54 champ sacré qui est caché
23:56 derrière chaque entrepreneur
23:58 et chaque mythe, mais il y a aussi une vision
24:00 du monde qu'ils sont en train de projeter,
24:02 de propager,
24:04 au-delà de celui de la réussite et de la prouesse.
24:06 - Oui, en fait, il y a
24:08 tout un ensemble de sous-entendus qu'on peut qualifier de politiques
24:10 dans la littérature que j'ai étudiée,
24:12 la littérature entrepreneuriale,
24:14 comme je l'expliquais, articles, documentaires, biographies,
24:16 etc. On retrouve toujours
24:18 les mêmes éléments,
24:20 comme je l'ai indiqué, l'entrepreneur créateur
24:22 quasiment démiurge,
24:24 qui est celui qui est en fait l'acteur
24:26 moteur de l'activité économique
24:28 qui va en fait faire advenir le progrès
24:30 par la disruption, par le fait
24:32 de perturber l'ordre établi et de
24:34 réinventer un nouveau monde. Voilà, cet imaginaire très
24:36 choumpétérien. Et en fait, quand on pousse
24:38 la logique jusqu'au bout sur
24:40 ces sous-entendus politiques, justement, et cette espèce
24:42 d'axiologie sous-jacente, cette espèce de
24:44 politique sous-jacente, on comprend
24:46 assez vite que, bien évidemment,
24:48 si l'entrepreneur est supérieurement
24:50 visionnaire et créateur, alors
24:52 on peut
24:54 considérer qu'il doit être légitimement seul
24:56 aux commandes, seul à mener
24:58 à diriger son entreprise, puisque qu'est-ce que
25:00 comprendrait à l'activité entrepreneuriale
25:02 un syndicat, par exemple ?
25:04 On peut comprendre aussi qu'en termes de redistribution
25:06 de la valeur produite, si la valeur produite
25:08 n'est pas tant produite collectivement
25:10 par une espèce d'écosystème inextricable,
25:12 comme ça, des milliers d'individus en interaction permanente,
25:14 des milliers d'entreprises en interaction permanente,
25:16 mais par un individu qui, avant tout, est
25:18 aux commandes, derrière son gouvernail,
25:20 alors là, effectivement,
25:22 la redistribution des profits
25:24 peut être légitimement,
25:26 peut légitimement, en fait, s'orienter
25:28 vers cet individu supérieur et le récompenser, lui,
25:30 avant toute autre personne.
25:32 Derrière tout ce qui peut nous
25:34 apparaître comme ça, comme assez
25:36 superficiel, des récits,
25:38 des narrations, on a des représentations du monde
25:40 qui sont porteuses de politique.
25:42 - Olivier, excellent de vous parler de joueurs
25:44 dans ce monde de la Silicon Valley.
25:46 Alors, est-ce que vous pouvez nous expliquer pourquoi
25:48 vous les qualifiez comme cela, et qu'est-ce que ça veut dire
25:50 de qui ils sont ?
25:52 - Oui, je peux tenter.
25:54 Alors, bon,
25:56 effectivement, dans le répertoire des sciences sociales, on a
25:58 tout un tas d'offres et de possibilités
26:00 conceptuelles. On a
26:02 les acteurs, on a les agents,
26:04 on a les actants. Et, en l'occurrence,
26:06 je n'étais pas, enfin, tout à fait
26:08 convaincu de
26:10 l'utilité de ces termes-là,
26:12 ou du moins, il m'apparaissait
26:14 comme un peu limité à certains endroits,
26:16 notamment dans leur incapacité à restituer
26:18 le rapport au temps et le rapport
26:20 à l'avenir. Et le fait que
26:22 tout un tas de personnes, en l'occurrence, là, consacrées
26:24 dans la Silicon Valley, mais en fait,
26:26 toute la population
26:28 entrepreneuriale
26:30 dans le monde aujourd'hui,
26:32 s'envisageaient comme
26:34 les artisans de leur propre
26:36 avenir, et de l'avenir, d'une certaine façon,
26:38 de l'humanité. Et du coup,
26:40 se comporter en joueurs,
26:42 en mobilisant des ressources, en les
26:44 transformant, en constituant leur propre...
26:46 ou en recomposant leur propre
26:48 environnement à travers des infrastructures techniques
26:50 et des entreprises. Et c'est exactement
26:52 l'histoire ou le schéma qu'on retrouve
26:54 derrière Apple, derrière Facebook,
26:56 derrière Google, et demain,
26:58 peut-être, derrière ChetGPT.
27:00 - Un mot sur cette idée ? Est-ce que
27:02 vous êtes plutôt d'accord, Anthony Galuzzo, sur
27:04 cette forme un peu...
27:06 enfin, en tout cas, sur l'idée
27:08 qu'il faut trouver de nouveaux termes pour définir
27:10 aussi ces acteurs-là ?
27:12 - Alors,
27:14 pour rebondir sur cette idée, en fait,
27:16 ce que je peux dire, c'est que
27:18 en fait, il y a une constante,
27:20 parce qu'on parle de technologie, on parle de vision d'avenir
27:22 par rapport à la technologie, il y a une constante, au-delà
27:24 de la Silicon Valley, dans tout l'imaginaire entrepreneurial
27:26 américain, des
27:28 ce qu'on appelait les pères fondateurs de l'économie
27:30 américaine, Carnegie,
27:32 Morgan, Rockefeller, etc.,
27:34 avec la conquête du ray, la conquête de l'ouest,
27:36 jusque nos jours, en fait, la Silicon Valley,
27:38 qui devient de plus en plus une synécdoque, en fait.
27:40 En fait, on a toujours cette idée
27:42 du progrès qu'on va faire advenir,
27:44 du progrès humain qu'on va faire advenir à travers
27:46 l'innovation technologique. Et ça, voilà,
27:48 ça a restitué aussi
27:50 dans l'histoire de l'idée
27:52 de progrès, qu'a bien
27:54 travaillé quelqu'un comme Jarisch, par exemple,
27:56 en histoire. Et, en fait,
27:58 on est vraiment sur cette
28:00 idéologie-là, c'est-à-dire l'idée que
28:02 des individus dotés
28:04 d'une vision supérieure sont capables
28:06 de nous faire faire des bons en avant,
28:08 en fait, sur cette histoire de l'humanité
28:10 qu'il y a à comprendre comme l'histoire linéaire
28:12 d'un progrès. - Et parmi eux,
28:14 il y a donc Elon Musk, et
28:16 Candice a lu l'une de ses
28:18 biographies d'H. Levens,
28:20 et on écoute ce qu'elle en retient.
28:22 - J'ai lu la biographie d'Elon Musk
28:24 écrite par H. Levens et publiée
28:26 aux éditions Erol. Nous connaissons tous
28:28 cet entrepreneur américain, mais j'ai
28:30 souhaité comprendre pourquoi tant de personnes sont
28:32 captivées par Musk. Dans ce livre,
28:34 nous découvrons son histoire, de son enfance
28:36 jusqu'en 2017. Nous comprenons
28:38 également sa personnalité et ses intentions.
28:40 Ce que j'en retiens aujourd'hui grâce à ce livre,
28:42 c'est qu'Elon Musk est un personnage
28:44 fascinant qui a construit un empire.
28:46 En une vingtaine d'années, il a créé
28:48 Paypal, SpaceX et Tesla.
28:50 Il a révolutionné l'aérospatiale et les voitures
28:52 électriques. La science et le progrès
28:54 sont au centre de sa vie. Mais pour arriver à cela,
28:56 il a fallu faire bien des sacrifices,
28:58 et cela concerne ses employés.
29:00 H. Levens met bien en avant le fait que le visionnaire
29:02 n'hésite pas à renvoyer ceux qui sont trop
29:04 lents ou ceux qui osent se plaindre.
29:06 Cela est très souvent souligné dans sa biographie,
29:08 et je ne m'attendais pas à un personnage
29:10 aussi dur et aussi peu compétissant.
29:12 Finalement, à la fois travailleur
29:14 acharné et entrepreneur passionné,
29:16 Musk a réalisé un travail titanesque,
29:18 et il est certain qu'il n'a pas terminé de nous surprendre.
29:20 Elon Musk n'a pas terminé
29:34 de nous surprendre,
29:36 dans le bon sens et dans le mauvais sens du terme.
29:38 Si j'ose dire, nous dit Candice,
29:40 il y a en permanence, on a l'impression
29:42 qu'on n'a pas le droit de dire du mal
29:44 de ces super entrepreneurs,
29:46 de ces rock stars, presque, de ces célébrités.
29:48 Pourtant, ça pose des questions,
29:50 on a commencé à le dire, politiques,
29:52 ça pose aussi des questions
29:54 d'économie et de rapport de domination.
29:56 Alors Olivier Alexandre, vous dites
29:58 dans votre livre
30:00 que l'économie de la Silicon Valley
30:02 garnerait un nouveau type de capitalisme.
30:04 Comment
30:06 on regarde ce monde-là
30:08 avec aussi
30:10 la littérature
30:12 qu'on connaît depuis
30:14 des siècles maintenant ?
30:16 - Oui, oui, oui. Alors,
30:18 déjà, j'aimerais bien rebondir sur ce qui a été dit
30:20 dans l'extrait qu'on vient d'écouter,
30:22 et ça rejoint la discussion qu'on a avec
30:24 Anthony. Il faut bien
30:26 voir que
30:28 les étoiles qui brillent dans la Silicon Valley
30:30 sont vraiment le produit d'un écosystème
30:32 et en fait, d'une certaine façon,
30:34 c'est tombé sur Elon Musk,
30:36 mais les personnes sont substituables.
30:38 Et si les personnes sont substituables, c'est parce
30:40 qu'il y a un environnement qui produit
30:42 de l'insangularité
30:46 et des personnes comme ça
30:48 flamboyantes. Et puis aussi parce qu'il y a
30:50 un lignage. Il y a ces deux choses.
30:52 C'est-à-dire que, en fait, l'entrepreneur, c'est plus
30:54 un opérateur du capitalisme
30:56 dans ce système-là, c'est-à-dire que
30:58 c'est plutôt
31:00 des universités, des laboratoires,
31:02 des entreprises, des investisseurs,
31:04 qui ont besoin d'entrepreneurs et qui donnent de l'argent,
31:06 des conseils, orientent vers des marchés
31:08 pour les disrupter,
31:10 un certain nombre d'individus, et
31:12 le système de sélection fait que
31:14 pour un individu,
31:16 on va avoir 20 000 personnes
31:18 qui vont galérer, comme on dit,
31:20 à Hollywood. Ça, c'est
31:22 le premier point. Le deuxième point, c'est
31:24 comment on pense ce capitalisme-là.
31:26 Il y a beaucoup de travaux
31:28 sur le capitalisme numérique,
31:30 de surveillance, digital,
31:32 etc., avec des
31:34 grandes choses et des moins bonnes choses.
31:36 C'est difficile de s'en saisir,
31:38 parce qu'effectivement, il y a un effet de sidération, je pense,
31:40 pour beaucoup d'académiciens,
31:42 face à la nouveauté de ce
31:44 modèle qui apparaissait comme, en fait,
31:46 prendre à contre-pied toutes les
31:48 grandes propriétés traditionnelles du capitalisme,
31:50 que ce soit la propriété privée, que ce soit
31:52 l'entreprise, que ce soit
31:54 la recherche de profit,
31:56 que ce soit encore
31:58 l'incorporation, parce
32:00 qu'en fait, originalement,
32:02 après Internet, c'était la gratuité
32:04 qui était mise en avant, c'était la communauté, le réseau
32:06 qui était mis en avant, c'était
32:08 le partage qui était mis en avant.
32:10 En l'occurrence,
32:12 si on lit ou si on regarde comment ça se fait,
32:14 en fait, c'est juste un phase
32:16 de décalage de construction du marché,
32:18 parce que le marché,
32:20 il reste dans la tête des entrepreneurs,
32:22 c'est juste qu'il va être monétisé un peu plus tard.
32:24 - Ça ne veut pas dire, Anthony Galluzzo,
32:26 qu'il y a des grands entrepreneurs qui réussissent,
32:28 qu'il n'y a pas aussi des travailleurs pauvres, et toute une partie
32:30 de travailleurs
32:32 qu'on ne met pas en avant et qui ne travaillent
32:34 pas dans des conditions acceptables.
32:36 - Oui, alors, avant de
32:38 commenter cela, juste un petit retour sur
32:40 Elon Musk.
32:42 Pour moi, Elon Musk, il est symptomatique, justement,
32:44 d'une très forte croyance, chez une part
32:46 non négligeable du public, en le mythe de l'entrepreneur.
32:48 Puisque, traditionnellement, une célébrité
32:50 entrepreneurial est connue pour avoir
32:52 créé et dirigé une entreprise.
32:54 Elon Musk, c'est quelqu'un qui serait censé
32:56 diriger de front, au sens le plus fort
32:58 du terme, des véritables directions,
33:00 cinq entreprises simultanément. Tesla,
33:02 SpaceX, Boring Company, Neuralink,
33:04 et désormais Twitter aussi. - Et il a douze enfants, en plus,
33:06 je crois. - Oui. - C'est du boulot, oui.
33:08 - Donc, on est vraiment sur un surhomme.
33:10 Et, dernièrement,
33:12 on pose souvent la question, mais, le mythe
33:14 d'entrepreneur n'est-il pas en train de péricliter,
33:16 puisqu'en fait, il est de plus en plus
33:18 sous le feu des critiques. Elon Musk est quand même
33:20 sa dernière incarnation. Pas du tout,
33:22 à mon sens, puisqu'effectivement, il est
33:24 critiqué surtout pour, dans une dimension vraiment politique,
33:26 sur ses choix politiques et sur ce qu'il a fait
33:28 à la tête de Twitter, dernièrement.
33:30 Mais, ça fait dix ans, en fait, qu'on a des
33:32 déclarations très démiurgiques
33:34 qui font sourcier personne. C'est-à-dire qu'en
33:36 2016, par exemple, Elon Musk
33:38 a annoncé qu'il enverrait une fusée sur Mars d'ici
33:40 2018, et il entamerait la colonisation
33:42 de la planète avant 2024.
33:44 On est quand même, là, sur
33:46 des déclarations de ce type qui tombent
33:48 tous les six mois avec lui, en fait.
33:50 Et, dernièrement, on a tendance à le parodier,
33:52 et avoir un discours qui, semble-t-il,
33:54 est plus critique, et qui pointe
33:56 ses outrances.
33:58 Mais, véritablement,
34:00 à mon sens, ça fait partie du modèle
34:02 économique de la célébrité entrepreneuriale.
34:04 C'est-à-dire occuper l'espace médiatique
34:06 en alimentant
34:08 le débat,
34:10 l'opinion publique,
34:12 les médias, de ce type
34:14 de déclarations fracassantes, qui donnent
34:16 à parler, et qui l'instituent aussi,
34:18 toujours dans ce rôle de visionnaire, de personnage
34:20 qui est capable de voir l'avenir et le faire advenir.
34:22 - Et, encore une fois, même si ce n'est même pas
34:24 de raconter le passé, là, c'est de raconter
34:26 presque, de faire du storytelling de son propre
34:28 avenir, évidemment, et c'est passionnant
34:30 d'en discuter avec vous.
34:32 Et je renvoie donc aux deux livres de nos
34:34 invités, Anthony Galluzzo, "Le mythe de
34:36 l'entrepreneur", "Défaire l'imaginaire de la
34:38 Silicon Valley", disponible aux éditions Zone,
34:40 et Olivier Alexandre,
34:42 "La Tech, quand la Silicon Valley
34:44 refait le monde", qui paraît aux éditions du Seuil.
34:46 Merci à tous les deux d'avoir débuté cet échange,
34:48 et je suis sûr qu'il se poursuivra
34:50 ici ou ailleurs. Merci beaucoup.
34:52 - Merci. - Merci.
34:54 ♪ ♪ ♪

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