Hollywood : dans l'envers du décor de la machine à rêve

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00:00 * Extrait de « France Culture » de Nicolas Herbeau *
00:19 Depuis minuit, des milliers de scénaristes américains n'écrivent plus une ligne.
00:23 Ils sont en grève et c'est tout Hollywood qui tremble.
00:27 Le dernier mouvement d'ampleur en 2007 avait paralysé toute l'industrie de la télé,
00:30 des séries, du cinéma.
00:31 La guilde des scénaristes demande de meilleurs traitements et l'inquiétude est justifiée.
00:36 Sans scénaristes, les grandes stars n'ont plus de mots, plus de gestes.
00:41 Dans le book club ce midi, deux livres, deux livres qui racontent Hollywood et ses obsessions.
00:47 Un essai sur une industrie qui pense pouvoir créer des comédiennes comme on produit des
00:52 boîtes de conserve.
00:53 Un roman qui mélange le vrai et le faux pour nous immerger dans ce monde qui était censé
00:58 nous faire rêver.
01:00 Hollywood, la grande illusion, c'est le book club du jour avec nos invités et la
01:04 communauté du book club donc.
01:05 * Extrait de « Hollywood » de Nicolas Herbeau *
01:09 - Cévie nous raconte les Célibées, les cabarets comme ultime refuge des exilés du star sixième.
01:14 - Le livre nous fait réfléchir à ce mot star, vidé de son sens mystérieux et fantasmagorique.
01:20 - Hollywood était un tout petit royaume dominé par une poignée de seigneurs.
01:23 * Extrait de « Hollywood » de Nicolas Herbeau *
01:28 - Sophie et Dany, lecteurs et lectrices du book club qui partent donc avec nous aujourd'hui à Hollywood.
01:33 Bonjour Adrien Gombeau.
01:34 - Bonjour.
01:35 - Vous êtes critique de cinéma au journal Les Echos et à la revue Positif, l'auteur
01:39 aussi d'une dizaine de récits et d'essais parmi lesquels « Une blonde à Manhattan »
01:43 que vous aviez publié aux éditions 10/18 en 2012.
01:47 Vous nous racontiez alors les années New Yorkais de Marilyn Monroe et vous revenez
01:51 aujourd'hui avec « Des blondes pour Hollywood », nouvel essai publié aux éditions Capricci.
01:57 Vous nous racontez Marilyn et ses doubles.
02:00 Marilyn Monroe c'était une star, un tel canon de beauté, un tel emblème presque
02:06 que Hollywood ne pouvait pas s'en passer.
02:08 - Oui exactement.
02:09 C'est vrai que quand j'ai publié ce premier livre il y a maintenant plus de dix ans, je
02:13 m'étais aperçu qu'en 1955 quand elle part à New York, les studios sont désemparés,
02:18 c'est-à-dire que c'est une manne d'argent qui s'en va et il faut trouver quelqu'un
02:24 d'autre pour remplacer, pour continuer à prospérer.
02:27 Et de façon un peu naïve, ils vont chercher d'autres actrices pour remplacer cette blonde
02:34 extraordinaire et comme vous l'avez dit, essayer de fabriquer une nouvelle Marilyn
02:38 comme on va fabriquer un paquet de tabac ou une boîte de conserve.
02:42 Et c'est vrai que ce sont des femmes qui dans les biographies de Marilyn ont souvent
02:46 droit à une note de bas de page et j'avais envie de les mettre en avant.
02:49 - Alors on va évidemment parcourir avec vous leur vie d'actrice de second plan, il faut
02:54 bien le dire, de savoir pourquoi est-ce qu'on ne se souvient plus d'elle non plus.
02:58 Mais on parlait de ce statut de star à Hollywood, est-ce qu'il existe encore aujourd'hui
03:04 véritablement comme c'était le cas pour Marilyn Monroe ?
03:06 - Ça c'est une grande question.
03:08 Je pense que cette idée de fabriquer un double de Marilyn vient d'une ambition économique
03:14 très précise qui est de supprimer l'aspect humain.
03:17 En réalité, les stars rapportent beaucoup d'argent au studio mais c'est compliqué
03:21 parce que ce sont des personnes humaines et donc des personnes qui nécessitent de l'attention,
03:25 qui réclament un peu plus d'argent quand elles en rapportent plus.
03:28 Et donc la star, c'est la machine à cash de l'industrie des studios mais c'est aussi
03:33 un problème.
03:34 Donc l'idée de supprimer la star tout en gardant l'argent a toujours existé au fond.
03:38 Et peut-être qu'aujourd'hui on en est là, peut-être qu'aujourd'hui la grande star,
03:42 c'est Superman qui peut être joué par divers acteurs et qui rapporte tout autant d'argent
03:47 qu'il soit joué par X ou Y et que les stars sont désormais des personnages.
03:52 Peut-être, oui.
03:53 - Et ce sont aussi peut-être, je le disais en introduction, les scénaristes qui se mettent
03:55 en grève aujourd'hui à Hollywood, ça fait vraiment trembler l'industrie du cinéma ?
04:00 - Oui, parce que là, évidemment, le facteur humain est indispensable pour écrire.
04:05 C'est-à-dire qu'autant vous pouvez remplacer un acteur par un autre en lui mettant une
04:10 cape similaire, autant un scénariste, il faut qu'il soit quand même là pour écrire.
04:14 Donc c'est toujours problématique, oui, quand les scénaristes se mettent en grève.
04:17 Et puis c'est quand même Hollywood aussi un endroit où on fait beaucoup de séries.
04:20 Et là, il faut produire très, très vite et continuer à la chaîne.
04:24 Donc bien entendu, c'est extrêmement inquiétant pour l'économie de ces studios, cette grève.
04:29 - On va voir comment ça évolue, bien sûr, dans les prochains jours.
04:31 Pour réfléchir sur cette attractivité, attraction presque, j'ai envie de dire, de Hollywood,
04:35 nous avons convié Guillaume Poix.
04:36 Bonjour.
04:37 - Bonjour.
04:38 - Vous êtes dramaturge, auteur notamment de Soudain, Robby Schneider, adapté en fiction
04:42 radiophonique pour France Culture, c'était en 2021, romancier également.
04:46 Et on plonge donc dans l'univers du cinéma avec Star au Singulier, votre troisième roman
04:52 aux éditions Vertical.
04:53 Sophie, dans un instant, nous donnera son impression de lecture.
04:55 D'abord, quel est votre rapport au cinéma ?
04:59 Est-ce que vous avez eu personnellement, et je pose bien cette question-là, vous, une
05:02 expérience avec le cinéma ?
05:04 - Oui, c'est ce que je raconte un petit peu dans le livre, puisque le narrateur du roman
05:07 est un peu mon alter ego.
05:08 Cet acteur, l'acteur que j'ai été, que j'ai espéré être à un moment et qui essayait
05:13 comme ça de s'incruster sur des plateaux de tournage pour vivre son rêve.
05:16 Mais plus largement, le cinéma, ça a été fondateur du point de vue de l'imaginaire,
05:21 du point de vue du désir, du point de vue de la politique.
05:24 En fait, je m'aperçois que j'ai été un spectateur compulsif de cinéma et c'est
05:29 devenu très présent dans ma pratique d'écriture.
05:31 Donc, oui, j'ai l'impression que le cinéma, c'est le grand mythe, le grand mythe moderne
05:36 qui en tout cas a totalement nourri et construit ma psychologie, mes émotions, mon rapport
05:41 aux autres.
05:42 - On va dans un instant vous suivre, donc, vous et votre alter ego jusqu'à Hollywood.
05:47 Mais d'abord, Sophie a donc lu Star de Guillaume Point et voici ce qu'elle en retient.
05:51 - Dans Star de Guillaume Point, le narrateur est un comédien raté qui pose un regard
05:57 sarcastique, mais aussi très drôle sur le monde du cinéma.
06:00 Ce que j'ai aimé dans ce livre, c'est la manière dont Guillaume Point nous emporte
06:04 dans un incessant va-et-vient entre la fiction et la réalité.
06:08 Il brouille les pistes et au lecteur, mais aussi au narrateur de se retrouver, retrouver
06:14 la vérité, la vérité dans le grand répertoire du cinéma.
06:17 Et c'est là où nous allons découvrir Ariel Wintrop, le plus grand figurant de tous
06:22 les temps, qui a joué avec les plus grands acteurs et réalisateurs, et qui pourtant
06:27 demeure un parfait inconnu.
06:28 Le narrateur va décortiquer ses faits et gestes pour écrire la bible du parfait acteur.
06:35 La question de la starification se pose alors.
06:37 Qu'est-ce être une star aujourd'hui ? Est-ce être un acteur reconnu ou est-ce,
06:43 à l'image d'Ariel, parfait le geste ultime, mais resté dans l'ombre des médias ?
06:48 Star est un très bon roman d'apprentissage que je vous recommande vivement.
06:52 Guillaume Point, qui est selon vous la grande star du cinéma aujourd'hui ?
06:59 Merci Sophie, c'est une colle.
07:04 Qui est la grande star du cinéma aujourd'hui ? Adrien disait que c'est plutôt les personnages
07:09 au fond qui sont aujourd'hui les grandes stars, les personnages qu'on peut dupliquer
07:12 à l'éternel.
07:13 Au fond, la question de l'incarnation apporte moins que la question du mythe lui-même.
07:19 Si je pense à une grande star aujourd'hui, ce n'est pas simple, puisque j'ai l'impression
07:25 que je vais être ramené à ma génération.
07:27 Je ne sais même pas si aujourd'hui des gens comme Marion Cotillard, par exemple,
07:31 est-ce que c'est une grande star ? Je penserais plutôt peut-être à Isabelle Huppert, mais
07:35 c'est peut-être dans une exception du cinéma d'art, alors que j'imagine que la star,
07:39 c'est aussi un rapport au cinéma, au grand cinéma de divertissement populaire.
07:44 C'est une bonne colle, je n'ai pas de réponse.
07:48 On voit dans votre roman donc ce personnage, ce comédien furtif, Ariel Wintrop, qui est
07:56 non pas le narrateur, mais qui est l'un des personnages principaux présents sans
08:00 être véritablement présent.
08:02 Quel lien il y a ? Quel lien vous avez imaginé entre le narrateur, ce comédien apprenti
08:09 raté, disait Sophie, et celui qui va devenir une obsession pour lui ?
08:15 - Je pense que le livre s'est construit dans cette...
08:19 C'est comme si j'avais voulu retraverser ces années où j'ai aspiré à être au
08:23 premier plan, à être un premier rôle, à occuper le devant de la scène.
08:29 Je me suis interrogé sur cette pulsion, en me demandant si elle était universelle,
08:32 si on la partageait tous.
08:34 Et en fait, dans la figure d'Ariel Wintrop, dans ce figurant, cet homme qui s'acharne
08:39 à disparaître, qui s'acharne à être furtif, comme vous le disiez, invisible, il m'a semblé
08:45 au fond qu'il y avait un rapport à l'écriture.
08:48 Et en fait, le livre raconte, je crois, ce passage d'une vocation à une autre, c'est-à-dire
08:53 j'ai espéré être acteur et je suis devenu écrivain.
08:56 Et en fait, il y a un travail de la disparition qui a été à l'œuvre à travers toutes
09:01 ces années.
09:02 Et je crois qu'en fait, Ariel représente, ou en tout cas, le motif d'Ariel initie le
09:08 narrateur à la question de l'écriture, à la question, comme je disais, de la disparition,
09:11 du retrait, du repli, à la question de l'enquête aussi, puisque le narrateur ne va pas cesser
09:17 de manière compulsive de traquer sa star à lui, cette espèce d'homme qui disparaît,
09:22 qui a mille visages, qui n'en a aucun et qui se concentre sur une chose très simple.
09:26 Et je crois qu'au fond, l'acte d'écriture, c'est peut-être un peu ça.
09:30 En tout cas, c'est comme ça que j'ai essayé de le raconter.
09:33 - Alors, on ne sait pas.
09:34 On a beaucoup joué aussi avec l'émission en lisant votre livre, avec l'équipe de
09:39 l'émission, savoir ce qui est vrai, ce qui est faux, évidemment.
09:42 En tout cas, votre narrateur rencontre Nicole Garcia et c'est elle qui lui parle d'Ariel
09:48 Wintrop.
09:49 Et c'est ce qui va l'emmener d'ailleurs à New York.
09:52 Qu'est-ce qui le pousse vers New York ?
09:54 Ça représente quoi pour votre narrateur New York ?
09:56 - Alors, c'est Los Angeles.
09:57 - Los Angeles et Hollywood, pardon.
09:59 - Nicole Garcia, elle donne au narrateur, en fait, elle lui donne un sujet.
10:03 Elle lui donne un personnage.
10:05 Elle lui donne une trame et elle lui donne un décor.
10:08 En fait, elle lui donne comme un synopsis.
10:09 Et à partir de là, le narrateur l'apprend au mot et part enquêter pour lui-même, pour
10:16 essayer de voir sur place si cette personne existe.
10:20 Et Los Angeles, c'est évidemment, sachant que j'écrivais un roman sur le cinéma, Los
10:26 Angeles, c'est comme à la fois le trou noir, l'étoile noire autour de laquelle gravite
10:31 toutes nos aspirations.
10:33 Et donc Los Angeles, c'est le lieu de la perdition.
10:37 C'est le lieu du fantasme.
10:38 C'est le lieu du désir pour ce personnage.
10:40 C'est le lieu, en fait, de l'impossible puisque la ville est tellement tentaculaire.
10:45 L'histoire d'Hollywood est tellement emblématique que pour ce petit Français un peu raté que
10:51 j'ai été, que je suis, en tout cas que le narrateur, il est comme mon emblème.
10:57 Je voulais jouer sur cette disproportion de cette ville immense, de ce mythe et puis
11:04 de ce tout petit personnage qui essaie de s'y faire une place, armé d'un bon sujet
11:09 que lui a donné Nicole Garcia.
11:11 - Adrien Gombeau, Hollywood, une ville hantée, remplie de fantômes et de souvenirs.
11:15 C'est ainsi que Mamie Van Doren définit Hollywood dans votre recueil.
11:20 Mamie Van Doren, c'est aussi une star d'Hollywood, à sa façon l'une des nouvelles Marylin.
11:27 - Oui, Mamie Van Doren, ce qui est très particulier, c'est que parmi toutes les actrices qui figurent
11:33 dans ce livre, c'est la seule qui est encore en vie.
11:35 Elle est très âgée, elle a plus de 90 ans et elle est toujours sur les réseaux sociaux.
11:39 D'ailleurs, vous pouvez la suivre.
11:41 C'est assez spectaculaire.
11:42 On la voit faire du vélo, d'appartement et essayer de maintenir ce glamour de son époque.
11:48 Et effectivement, elle vit encore dans ce Los Angeles perdu qui n'existe plus.
11:55 Elle parle encore d'acteurs qui sont disparus depuis très longtemps, qui ont été ses
11:59 amis, parfois ses amants.
12:02 Et elle est le dernier témoin d'un monde qui a cessé d'exister en réalité dès le
12:06 début des années 60.
12:07 Et c'est ça qui m'intéressait dans Mamie Van Doren, qui par ailleurs était très connue.
12:13 C'est à dire que c'est ça la particularité de ces actrices.
12:16 Ce n'était pas l'équivalent des figurants.
12:18 C'est des femmes qui, à leur époque, ont fait des couvertures de magazines, ont été
12:23 très connues et qui n'ont pas été rattrapées par la postérité.
12:27 Vous dites dans votre livre, Adrien Gombaud, qui retrace le destin de ces dix actrices,
12:32 dont Mamie Van Doren, que c'est comme un recueil de nouvelles.
12:35 La nouvelle, c'est ce fameux genre littéraire organisé autour d'une question.
12:40 Qu'est-ce qui s'est passé ? Qu'est-ce qui a pu bien se passer ? Qu'est-ce qui s'est
12:43 passé pour ces dix femmes ? Pour qu'elles soient oubliées ? Pour qu'elles n'arrivent
12:47 pas véritablement à construire une carrière comme on imagine une carrière à Hollywood ?
12:52 C'est le personnage aussi de Guillaume.
12:54 Je pense que déjà, l'ambition était folle.
12:57 C'est-à-dire que ce sont des jeunes femmes qui ont 20 ans, qui arrivent à Los Angeles.
13:01 Et il faut voir que c'est une époque où tout est loin.
13:04 Ce sont des femmes qui arrivent en bus et c'est des heures de bus, des heures de train,
13:09 parfois même d'avion.
13:10 Il y a une Française parmi elles.
13:13 Et donc, c'est une aventure véritablement d'aller à Los Angeles et de s'y installer.
13:18 On leur propose du travail, un travail qui consiste à être la nouvelle Marylin.
13:22 Mais ce travail est une impasse, puisqu'on ne peut pas répliquer Marylin.
13:27 Et en plus, de toute façon, le modèle de femme qu'elles sont censées incarner, c'est-à-dire
13:32 cette blondeur, ces robes lamées, cette musique un peu jazz, va disparaître dans les sixties
13:38 très rapidement.
13:39 Et donc, l'ambition qu'on leur a demandé, le but qu'on leur a demandé d'accomplir
13:43 n'est pas possible, n'existe pas.
13:46 C'est un rêve, une chimère.
13:47 Mais c'était des femmes qui avaient sans doute d'autres talents et qui n'ont pas
13:51 eu l'occasion de l'exprimer parce que le système ne leur a pas permis.
13:55 - Ce que vous disiez tout à l'heure sur Superman, là, c'est par exemple la même
14:00 chose.
14:01 On leur demande d'endosser la cape de Marylin, si je puis dire, la couleur de cheveux, le
14:07 physique, les gestes.
14:09 Enfin, on cherche des sosies.
14:10 - Exactement.
14:11 - Pour remplacer cette manne d'argent qui est Marylin Monroe.
14:16 Et la différence, c'est que Superman est un personnage de fiction.
14:19 Donc, on peut interpréter comme un acteur de théâtre, peut interpréter Don Juan et
14:23 passer le rôle à quelqu'un d'autre.
14:25 Mais Marylin, c'est une personne qui joue des personnages.
14:27 C'est une personne humaine.
14:29 Donc, elle n'est pas remplaçable.
14:31 Elle est unique.
14:32 Tout comme ces femmes elles-mêmes sont uniques.
14:34 Tout comme tout le monde est unique.
14:35 Donc, l'idée d'être quelqu'un d'autre est une impasse et d'une naïveté et d'un cynisme
14:41 confondant.
14:42 - Alors, Marylin Monroe, évidemment, c'était aussi un caractère.
14:46 Vous racontez en partie aussi qui elle était.
14:50 On a l'image de Marylin Monroe, Starlet en quelque sorte.
14:54 Et il y a évidemment beaucoup plus derrière l'actrice et la personne.
14:58 On va d'abord écouter Dani.
15:00 Dani, elle a lu « Des blondes pour Hollywood » d'Adrien Gombeau.
15:03 Voici ce qu'elle en retient.
15:04 - Je connaissais déjà Marylin, ses excès, ses légendaires retards sur les plateaux
15:08 qui firent d'elle le cauchemar des producteurs.
15:10 Le livre d'Adrien Gombeau dresse ce portrait de dix comédiennes envisagées pour la remplacer.
15:15 On recherchait un autre objet du désir mais plus malléable aux exigences des studios
15:20 tout en restant asservi aux clichés de la blonde sensuelle.
15:22 J'ai trouvé les présentations intéressantes, vivantes.
15:25 J'ai aimé découvrir leurs débuts, les anecdotes de tournage.
15:27 Leur célébrité était plus ou moins longue.
15:30 La trentaine était quasi une date butoir aux carrières des actrices.
15:33 Grâce à ce livre, j'ai aussi revécu un voyage effectué à Los Angeles.
15:37 Le quartier de West Hollywood que traverse Sunset Boulevard, le Walk of Fame où j'ai
15:41 vu les empreintes de Lunick, Marylin, le Beverly's Hotel, Fairfax Avenue, la Sienega,
15:46 tous ces lieux emblématiques de l'âge d'or du cinéma, hantés par leurs rêves
15:50 de gloire et les fantômes de leur désillusion.
15:52 Interroger ces ombres revient à plonger dans un métier et une époque impitoyable.
15:57 Ses vies nous racontent les séries B, l'arrivée de la télévision dans les foyers, les cabarets
16:01 comme ultime refuge des exilés du star-system.
16:04 Au-delà de la profession d'actrice, ses silhouettes relatent la difficulté d'être
16:08 des femmes indépendantes et ambitieuses dans un monde façonné par des hommes carnassiers
16:12 et affamés.
16:13 Ses carrières tournent autour des mêmes adresses, des mêmes boîtes de nuit, des
16:16 mêmes restaurants, sur un îlot de l'immense Los Angeles.
16:19 Hollywood était un tout petit royaume dominé par une poignée de seigneurs.
16:22 * Extrait de « Diamond » de Marilyn Monroe *
16:36 On y est dans le Hollywood des années 60, Adrien Gombeau.
16:40 Tel Frankenstein, il faut donc trouver quelqu'un qui va remplacer Marilyn Monroe.
16:46 Qu'est-ce qui gêne tant chez Marilyn ?
16:48 Évidemment, le fait que ça rapporte de l'argent, vous l'aviez dit tout à l'heure, dans le
16:53 monde de l'industrie, mais elle a aussi son caractère, c'est aussi quelqu'un qui n'est
16:57 pas très malléable.
16:58 Oui, alors ça c'est très connu, c'est quelqu'un qui est sans cesse en retard, qui a des exigences,
17:05 mais qui travaille.
17:06 C'est-à-dire que si on étudie les vies de ces actrices et si on regarde leurs films,
17:11 on s'aperçoit que peut-être qu'elle était en retard, peut-être que c'était très compliqué,
17:15 peut-être qu'elle négociait trop longuement, qu'elle disait oui de façon très parsimonieuse,
17:21 mais le résultat est incomparable.
17:23 C'est-à-dire que quand on voit les films de Mamie Van Doren, qui a du talent, qui chante
17:27 bien, qui danse bien, qui a une vraie présence, quand on voit Jane Mansfield aussi, il y a
17:32 quelque chose d'assez particulier chez elle, mais il n'y a pas la petite chose en plus
17:36 qui fait que Marilyn est Marilyn.
17:38 Et donc, tout cela, on voudrait supprimer une partie de sa personnalité, mais en réalité,
17:44 si on veut Marilyn, il n'y a qu'une seule personne capable d'être Marilyn.
17:47 - Et vous dites que c'est un fantasme même de producteur de pouvoir trouver la personne
17:53 qui va la remplacer, et vous racontez cette anecdote qu'à sa mort, dans la nuit du 4
17:59 au 5 août 1962, le grand producteur haricot hurle "trouvez-moi une autre blonde".
18:05 - Oui, c'est terrible cette phrase.
18:07 À la fois, il y a quelque chose de grotesque et un peu drôle, mais en même temps, une
18:11 réalité.
18:12 C'est-à-dire que pour lui, ce sont des blondes.
18:16 Et donc, on peut trouver une autre blonde.
18:18 Et ça doit se trouver dans la nuit.
18:20 C'est un rapport assez bizarre pour des gens qui sont des très grands professionnels du
18:24 cinéma, des pères fondateurs du cinéma américain, de penser aussi naïvement que
18:28 cela qu'une actrice est d'abord une blonde avant d'être une actrice.
18:32 - C'est ça aussi, Guillaume Poi, une star.
18:35 Ce sont toutes les légendes que l'on raconte autour d'elle.
18:38 C'est un peu comme d'ailleurs votre narrateur qui arrive aux États-Unis grâce à un coup
18:43 de bol, un coup de chance.
18:44 - Oui, oui.
18:45 C'est vrai que j'ai l'impression que la star, elle est aussi puissante parce qu'elle
18:52 est comme… il y a mille couches d'histoire, de fiction, de fantasme autour d'elle.
18:58 Et en fait, ce qui nous intéresse dans la star, c'est de la retrouver de film en
19:02 film.
19:03 Ce n'est pas tant peut-être les personnages qu'elle joue, mais c'est de continuer
19:05 à entretenir ce lien intime entre soi, spectateur et l'écran.
19:09 Cette espèce d'attraction unique qui nous guide l'un vers l'autre.
19:15 Et j'ai l'impression que plus la star vit de manière labyrinthique, plus il lui
19:20 arrive des choses… c'était un peu le cas dans la vie de Romy Schneider, au fond,
19:25 plus la vie est pleine, alors pleine de choses qui peuvent être tragiques.
19:30 Mais en tout cas, plus il y a tout à coup… le costume n'est plus là, la fiction n'est
19:34 plus là, mais on a accès à la personne véritable, on a l'impression d'avoir un accès intime
19:38 à cette personne véritable.
19:39 Alors, je crois que le dialogue intime, il se noue.
19:42 Et la star est d'autant plus puissante en nous.
19:46 Son aura est d'autant plus magnétique.
19:49 - « À moi l'Amérique », dit votre narrateur, qui obtient donc sa green card par loterie,
19:56 à la loterie américaine.
19:57 Il arrive là-bas et il a l'impression de vivre carrément dans un film lui-même.
20:03 Ça ne pouvait arriver qu'aux Etats-Unis, ce rêve américain de devenir acteur, en
20:09 France, ça n'a pas marché.
20:10 - Ça n'a pas marché parce qu'il suit un peu le parcours de nombreux acteurs.
20:15 On est nombreux à avoir tenté de passer des castings et de les rater, de ne pas réussir
20:19 à trouver un agent, de payer ses cours de théâtre en étant serveur ou alors de rater
20:25 tous les concours du conservatoire.
20:26 Et effectivement, à un moment donné, toutes les portes se ferment en France.
20:29 Donc face à cet impasse, il se dit peut-être que se réinventer ailleurs, dans une autre
20:33 langue, dans un autre territoire, est une chose possible au fond.
20:37 Et je pense qu'aussi, c'est comme un passage obligé.
20:42 Sophie disait que c'est un roman d'apprentissage.
20:45 C'est effectivement, je crois, un roman initiatique.
20:47 Il y a comme des épreuves.
20:48 Il y a des épreuves qualifiantes pour ce narrateur.
20:51 Et l'une des épreuves qualifiantes ou invalidantes, c'est le passage à Hollywood.
20:56 Il y a aussi des épreuves disqualifiantes, si on peut dire.
21:01 Et c'est là où on se rend compte.
21:02 On parlait tout à l'heure de déshumanisation, de Marilyn qui n'est plus qu'une sorte
21:09 de poupée, si on peut dire, en tout cas d'objet pour les producteurs.
21:12 Vous racontez, vous Guillaume Poi, le casting.
21:16 On m'avait imposé de faire le chien, le rouge, le noir, Patrick Juvet, l'alimas,
21:22 l'assérandipité et l'ovule.
21:23 On m'avait baratiné sur mon clone intérieur, mon médium et mon timbre de ténor enrhumé.
21:29 - C'est un peu l'hommage que je voulais rendre dans le roman à cette vie d'acteur.
21:35 Parce qu'en fait, la vie d'acteur, c'est une vie dont on n'entrevoit que le côté
21:40 clinquant ou le côté merveilleux pour ceux qui parviennent à vivre cette vie.
21:44 En fait, c'est une vie de labeur infini.
21:46 On en parlait avec Adrien tout à l'heure aussi sur la question de l'œuvre, qui est
21:49 aussi quelque chose que j'avais tenté d'approcher dans le travail sur Romy Schneider.
21:52 Qu'est-ce qui fait œuvre pour un acteur ?
21:53 Parce qu'on parle tout le temps de l'œuvre des auteurs, des sculpteurs, des peintres,
21:58 des chanteurs et puis rarement de l'œuvre d'un acteur.
22:00 Et en fait, vous devez votre œuvre au regard, au désir des autres.
22:03 Vous devez votre œuvre à tant d'éléments extérieurs que ce n'est pas aussi simple
22:08 qu'il n'y paraît.
22:09 Et je voulais rendre hommage, je crois, à toutes ces petites mains, toutes ces petites
22:13 vies, toutes ces petites aspirations qui sont en fait de grands destins, mais qui ne sont
22:18 pas racontées.
22:19 Et tous les acteurs passent par ces épreuves d'humiliation, ces épreuves où le narcissisme
22:23 est mis à rude épreuve.
22:24 Alors bien sûr qu'on met son narcissisme en bouclier pour se dresser et se lever, pour
22:29 forcer le regard sur soi.
22:30 C'est ce que dit Nicole Garcia à un moment donné dans le roman au narrateur.
22:32 Mais ce narcissisme, il n'est pas qu'une vaine chose.
22:37 Il est aussi un désir de raconter le monde.
22:39 Et je crois que les acteurs, aujourd'hui, portent ça pour nous.
22:43 On a un tel désir de fiction que raconter le monde, c'est ce qu'on leur demande.
22:46 C'est éperdument ce qu'on veut qu'ils fassent pour nous.
22:50 Et tous ne sont pas divinisés de leur vivant.
22:54 Et je voulais raconter ça à toutes les petites expériences, toutes les petites choses qui
22:57 sont honteuses, qui sont difficiles à vivre, mais qui forgent quand même une certaine
23:02 distance par rapport au réel.
23:04 - Adrien Gombeau, justement, sur cette idée de petite vie, de petite carrière.
23:10 Et pourtant, vous le dites, elles ne sont pas nulles, les actrices dont vous nous racontez
23:16 la vie.
23:17 - Il y a la rencontre d'une actrice et d'une époque dans la starification.
23:22 Et c'est vrai que ce sont des actrices qui arrivent à un moment de l'histoire où de
23:26 toute façon, un monde est en train de s'écrouler.
23:28 C'est à dire qu'on est à la fin des années 50, au début des années 60.
23:32 L'après-guerre se termine, une nouvelle jeunesse arrive et certaines vont tenter de devenir
23:38 - Mamie Van Doren est un bon exemple.
23:40 Elle tente de chanter du rock'n'roll.
23:42 Elle voit bien qu'il y a quelque chose qui est en train de se terminer, qu'elle incarne
23:45 un monde qui va disparaître.
23:47 Et ce monde va disparaître au cinéma et ces femmes, celles qui vont survivre un peu, vont
23:52 trouver refuge au cabaret.
23:53 Parce que là, évidemment, dans les cabarets, il y a ce public un peu ancien qu'elles ont
23:59 accumulé au cours des 10 ou 5 années où elles étaient là, en haut de l'affiche.
24:04 Et ça peut continuer un peu.
24:05 Mais pour le cinéma, quelque chose se termine effectivement.
24:10 Peu importe son âge, même si on a 25 ans, 26 ans, du moment qu'on incarne quelque chose
24:15 d'ancien, c'est très, très difficile après de recoller avec ce public qui a déjà tourné
24:21 la page.
24:22 - Il y a aussi dans votre livre la façon dont Hollywood et donc dont les hommes considèrent
24:29 les femmes.
24:30 Il y a ce rapport de domination qu'on a commencé à décrire.
24:34 Racontez-nous, par exemple, Corinne Calvet, c'est la seule française qui est présente
24:39 dans votre livre et qui a voulu aussi ressembler à Marilyn.
24:43 - Oui, c'est effectivement un monde d'hommes.
24:46 Alors, c'est un monde, comme c'était dit, tout petit.
24:48 C'est vrai que Los Angeles est une ville gigantesque, mais le quartier du cinéma n'est pas si
24:53 grand.
24:54 Donc, on s'aperçoit que ces femmes fréquentent toutes les mêmes restaurants, les mêmes
24:57 boîtes de nuit et ont affaire aux mêmes hommes qui dirigent.
25:02 Et l'idée de "Trouvez-moi une autre blonde", ça dit aussi le rapport que ces hommes avaient
25:07 avec ces femmes, qui étaient pas seulement leurs employées, mais leurs choses.
25:10 Et donc, évidemment, c'est d'une violence sur les rapports de sexe qui est terrifiante
25:17 par moment.
25:18 C'est-à-dire Corinne Calvet, les anecdotes qu'elle raconte avec Fox, qui relèvent du
25:23 harcèlement, qui relèvent du pénal, mais qui finalement sont intégrées dans ce monde-là.
25:28 - C'est une rencontre avec un producteur où littéralement, il lui demande de coucher
25:33 avec elle.
25:34 Il ne lui demande pas d'ailleurs.
25:35 - Voilà, il ne lui demande pas.
25:36 C'est un chantage sexuel totalement assumé.
25:41 Et on est bien avant cette époque où on peut rendre ça public ou porter plainte.
25:45 Tout ce qu'elle va pouvoir faire, Corinne Calvet, c'est l'écrire dans ses mémoires
25:48 des décennies plus tard.
25:50 Mais ce sont des choses proprement terrifiantes et en même temps complètement ordinaires
25:57 dans l'époque à laquelle ces femmes évoluent.
25:59 Donc, en même temps, elles sont quand même indépendantes.
26:02 C'est-à-dire qu'elles vivent dans un monde où elles sont des victimes, mais où elles
26:07 travaillent, où elles gagnent de l'argent et où elles ont quand même une petite marge
26:10 de pouvoir que certaines parviennent à exercer.
26:13 - Il y a quand même une rare violence dans ce milieu, dans ce monde que l'on décrit.
26:18 Hollywood, la grande illusion.
26:20 Quand votre personnage, Guillaume Poi, arrive à Hollywood, évidemment, ça ne va pas bien
26:26 marcher non plus.
26:27 - On ne l'attendait pas.
26:28 Personne ne l'attendait.
26:29 - Ça ne va pas bien marcher non plus parce que peut-être il n'a pas les outils, il
26:38 n'a pas la boîte à outils pour réussir.
26:40 Il vient d'ailleurs.
26:41 Il va quand même réussir à trouver l'aide d'un agent qui n'est pas le bon agent, mais
26:45 qui en tout cas est quelqu'un qui va le guider un petit peu.
26:47 Mais je suis frappé par ce que vous dites, Adrien, parce qu'effectivement, c'est quand
26:51 même...
26:52 Moi, c'est ça qui m'a profondément marqué à la lecture de votre livre.
26:56 L'extrême violence que traversent ces femmes, c'est quand même des vies...
27:01 C'est Barbara Nichols qui dit, je crois, dans un des films "On est des mandarines", où
27:06 vous parlez de cette métaphore de la mandarine que j'ai trouvé vraiment saisissante.
27:09 Oui, c'est le Kleenex, c'est ce rapport du capitalisme aux êtres, aux acteurs.
27:14 Et je pense qu'il y a quelque chose qui est fondateur dans le fait même d'être acteur,
27:22 puisque c'est un jeu de désir.
27:23 C'est un jeu où la circulation du désir est fondamentale.
27:26 Et en plus, quand vous êtes acteur de cinéma, c'est votre corps, c'est la manière dont
27:29 vous incarnez.
27:30 Il se trouve que dans "Star", le narrateur n'est peut-être pas suffisamment en paix
27:35 ou à l'aise avec son corps, ou en tout cas n'a pas un corps triomphant, n'a pas un corps
27:40 viril triomphant.
27:41 Et c'est peut-être ça qui va lui poser problème.
27:44 C'est qu'il échappe au canon et il cherche à travers Ariel Wintrop un autre modèle
27:50 d'homme.
27:51 Et c'est quand même l'histoire d'un homme qui disparaît, ce qui est par rapport à
27:53 Hollywood ou par rapport au système patriarcal général dans lequel on évolue, une anomalie.
27:58 Et c'est cette anomalie-là qui l'intéresse.
28:00 Mais il y a aussi dans "Star", je pense, un rapport au thème de la pudeur.
28:05 Je crois que c'est Dominique Sanda à un moment qui dit "je suis pudique".
28:10 Et le narrateur lui répond "mais vous êtes actrice".
28:13 Et elle dit "c'est la même chose".
28:14 C'est-à-dire que toutes ces cicatrices, toutes ces humiliations, il n'est pas question de
28:20 les afficher.
28:21 Et en jouant, quelque part, on crée autre chose.
28:26 On crée un bouclier qui vous protège de cette violence.
28:29 - Oui, exactement.
28:30 On crée un masque comme d'autres mettent une perruque blonde pour cacher les égratignures.
28:36 - On a l'impression qu'on n'a pas le droit de se plaindre quand on veut devenir acteur
28:41 ou actrice.
28:42 Qu'il faut endurer tout ce qu'on vient de décrire et parfois bien plus.
28:47 Si on se plaint, c'est qu'on ne mérite pas ce rôle ou qu'on ne mérite pas de faire ce
28:52 métier.
28:53 - Oui, c'est qu'aussi, je pense, il y a peut-être une confusion.
29:00 C'est-à-dire qu'on suppose qu'être acteur, puisqu'on se montre, on ne va pas en plus
29:06 demander de l'indulgence vis-à-vis de ses propres problèmes.
29:11 C'est-à-dire qu'il y a cette espèce de relation un peu bizarre où on est sur le devant de
29:16 la scène et c'est une chance.
29:17 Et cette chance-là ne supporte aucune, comme vous le disiez, aucune plainte d'aucune nature.
29:25 Je n'ai pas de réponse particulière précise là-dessus.
29:30 J'ai l'impression que toute personne qui jouit d'une présence médiatique, c'est pareil
29:36 pour les journalistes, au fond, aujourd'hui, les hommes politiques, toute personne qui
29:39 a un champ d'occupation de l'espace public, médiatique, on considère que puisqu'il est
29:44 visible, alors il n'a pas en plus à exprimer ses états d'âme ou à se plaindre parce
29:49 qu'il serait déjà privilégié, au fond, dans cette grande hiérarchie que serait ce
29:53 que de nommer Warhol sur ce quart d'heure de célébrité.
29:56 Puisque vous l'avez, alors inutile de vous plaindre.
29:59 Vous l'avez voulu, vous l'avez cherché, vous l'avez eu.
30:00 Mais il y a une confusion, je pense, par rapport à ce que c'est que l'art de l'acteur.
30:05 Je me suis demandé à un moment pourquoi Mamie Van Der En was still alive.
30:10 Bien sûr, il y a des considérations biologiques, elle a sans doute des gènes extraordinaires.
30:14 Mais quand on lit ses mémoires, on voit que c'est une femme très dure.
30:18 C'est une femme qui est allée au Vietnam pour soutenir les troupes, qui a connu la
30:22 guerre, qui a connu les bombardements.
30:24 C'est une femme qui, quand elle parle de ses collègues actrices, raconte tout ce qu'on
30:30 a dit, tous ces chantages sexuels, etc.
30:32 Mais jamais ne trouve ça anormal.
30:35 Elle raconte ça de façon très naturelle.
30:38 Et je me suis demandé si effectivement toutes les autres, qui ont quand même très mal
30:42 fini, qui sont mortes jeunes, si pour survivre, il ne fallait pas être une guerrière.
30:47 Avec des tentatives de suicide, avec des morts prématurées, si on peut dire.
30:54 Et vous le dites bien, d'ailleurs, Adrien Gombeau, elles se battent quand même pour
30:57 exister, ces femmes, pour rester à la mode.
31:01 Elles vivent ce qu'on a décrit.
31:03 Mais il y a aussi une force de caractère.
31:05 Elles ne se laissent pas faire.
31:07 Oui, et je crois que c'est là où on peut tous s'identifier à ces femmes aussi.
31:11 C'est qu'elles se battent pour faire ce qu'elles aiment.
31:14 Tout simplement.
31:15 Elles veulent faire quelque chose qu'elles aiment faire.
31:17 Et ce n'est pas donné à tout le monde dans la vie de tous les jours.
31:20 C'est compliqué de réussir à gagner sa vie en faisant ce qu'on aime, que ce soit
31:25 actrice ou n'importe quel autre métier.
31:27 Mais c'est encore plus compliqué quand on est actrice parce que la compétition est
31:30 énorme.
31:31 Et c'est encore plus compliqué quand on est une femme à la fin des années 50.
31:34 - Lise René, c'est celle qui est devenue une vedette sans arriver à les avoir tournées
31:39 de films quasiment.
31:40 - Lise René, c'était extraordinaire parce que Lise René est un personnage.
31:48 C'est-à-dire que là, on est à la limite avec Lise René de la célébrité, comme on
31:52 l'entend aujourd'hui.
31:53 C'est quelqu'un qui a fait de la prison et qui a transformé son procès en un véritable
31:58 champ médiatique où tout le monde la regardait et qui faisait un show à la barre.
32:03 Et si elle n'a pas réussi à Hollywood, elle a finalement percé à Las Vegas en devenant
32:08 une grande showgirl de Vegas où, chez elle, elle a reproduit un petit Hollywood avec son
32:14 petit Walk of Fame où elle a mis son étoile à elle.
32:18 Elle n'a pas son étoile à Los Angeles, mais elle l'a dans sa maison de Las Vegas.
32:22 Et finalement, à sa façon, elle a réussi.
32:25 Et elle était extrêmement célèbre dans ce milieu des shows de Las Vegas.
32:30 - Guillaume Poi pour terminer, c'est aussi une critique, votre livre, évidemment, de
32:34 ce monde du cinéma.
32:36 C'est facile pour quelqu'un qui écrit des pièces de théâtre.
32:39 Mais est-ce qu'on retrouve cette même chose, ce même esprit, ces mêmes difficultés aussi
32:44 pour les comédiens de théâtre ?
32:46 - Vous voulez dire la difficulté de trouver sa place ?
32:52 - Alors c'est autre chose parce qu'au théâtre, en fait, il y a quelque chose de moins cinglant
32:57 qui est l'objectif.
32:58 En fait, l'objectif, il est démultiplié puisqu'il y a plusieurs spectateurs et le
33:03 cadre, c'est le spectateur qui le fait lui-même.
33:05 Au cinéma, votre corps, il est capté par la caméra.
33:10 Il y a quelque chose, le fait d'être cinégénique, enfin, cette espèce de chose.
33:15 Est-ce que ça passe à l'écran ? Est-ce que je passe à l'écran ?
33:16 C'est comme vous disiez par rapport à Marilyn, c'est-à-dire c'est quelque chose qu'on a
33:20 ou qu'on n'a pas.
33:21 Bon, ça, c'est terrible dans la vie.
33:22 C'est une injustice terrible.
33:24 C'est une violence folle.
33:25 Quand on a rêvé ça, le théâtre, sans être un lot de consolation, vous demande toute
33:30 autre chose parce que c'est Louis Jouvet qui disait au théâtre, on joue, au cinéma,
33:35 on a joué.
33:36 Donc, ça impose une toute autre chose.
33:39 Il me semble que les acteurs de théâtre, ça impose une endurance, ça impose un rapport
33:44 au temps beaucoup plus long, un rapport à la présence qui se situe complètement ailleurs.
33:50 C'est aussi une aventure collective qui n'a rien à voir avec le cinéma puisque le théâtre
33:54 n'est pas dépendant d'une technique.
33:55 Il y a évidemment, bien sûr, que le théâtre, il y a de la lumière, des décors, bien sûr
34:00 qu'il y a toute une technique qui accompagne le théâtre.
34:02 Mais en fait, ça reste le face à face d'un acteur avec quelqu'un, avec cette illusion
34:06 du quatrième mur que l'acteur ne cessera de rompre.
34:10 Et ça, c'est irremplaçable.
34:11 Et c'est sans doute plus nu, une pratique plus nue.
34:14 - Hollywood, grandeur et décadence.
34:17 Vous retrouvez la sélection des livres suggérés par les auditeurs, membres du Book Club, sur
34:21 notre page Instagram, Blonde, notamment de Joyce Carol Oates, Rien n'a plus de Douglas
34:26 Kennedy ou encore Dernier feu sur Sunset de Stewart Honan.
34:29 Merci à tous les deux d'être venus.
34:31 Adrien Gombeau des Blondes pour Hollywood, Marilyn et ses doubles.
34:35 Votre nouvel essai publié aux éditions Capricci.
34:37 Merci à vous Guillaume Poi.
34:39 Votre troisième roman s'intitule Star au singulier.
34:41 Il est disponible aux éditions Verticales au pluriel.
34:44 Charles Danzig, C.
34:49 Cadritem avant l'épilogue dans un instant.
34:51 - Beaucoup de choses sont à reprocher à Maurice Saxe.
34:54 Il était veule et voleur, imitateur et traître.
34:58 Je m'arrête un instant.
35:00 Avez-vous remarqué combien ces deux vices vont ensemble ? Un imitateur imite parce qu'il
35:06 admire.
35:07 Il se croit lui-même admirable d'admiration.
35:09 Qu'il imite, il ne s'en rend pas complètement compte.
35:13 Il est imbibé de son maître.
35:15 Si cela dure, cela devient un vice.
35:18 L'admiration tourne au vampirisme.
35:20 À la fin, et parfois même au début, tout ce que ce genre d'imitateur souhaite, c'est
35:25 de tuer celui qu'il imite.
35:27 Il veut devenir lui.
35:29 Et, une fois qu'il pense avoir accompli sa rapine, il trahit celui à qui, si souvent,
35:35 il devait tant.
35:36 C'est pour cela qu'il trahit.
35:37 Il n'aime pas être redevable.
35:40 Méfiez-vous des imitateurs, ce sont des esprits médiocres qui désirent votre mort.
35:45 Maurice Saxe, qui devait beaucoup à Cocteau, l'a admiré, a écrit le plus grand bien
35:50 de lui, l'a imité, puis, quand il a pensé pouvoir le trahir, a écrit des horreurs sur
35:56 lui.
35:57 Elle montrait qu'il lui restait attaché.
35:59 Juif, il a continué ses malversations sous l'occupation jusqu'à devenir, pour autant
36:04 qu'on le sache, collaborateur.
36:06 Étant corrompu, c'était un moraliste.
36:09 La morale est la punition faite aux autres de la corruption qu'on ne veut pas lâcher.
36:13 Saxe a écrit un excellent récit moraliste sur le gouvernement de Bordeaux, la chasse
36:19 à courre.
36:20 Lui-même a fait l'exode, si je puis dire.
36:22 Je le cite, « Je n'ai jamais rien vu qui pût se comparer.
36:26 Trois millions de réfugiés a encombré la ville, celle de Bordeaux.
36:30 » Je ne sais pas d'où il tire ce chiffre,
36:32 sans doute exagéré, mais il est évocateur.
36:34 Tout ce qu'il écrit pourrait avoir été peint par un satiriste comme Hogarth.
36:39 Plus de chambres dans les hôtels, on loue des fauteuils pour dormir.
36:44 Les terrasses des cafés, ce peuple de Parisiens qui se reconnaît, s'écrit Saxe avec amusement.
36:49 Dans les restaurants, il y avait bonbance.
36:52 Ils croisent Pierre Laval.
36:54 Déjà, dit Saxe, se prêchait ouvertement une politique anti-anglaise.
36:59 Déjà, quelques-uns tournaient Kazakh et la peur de voir arriver jusque-là les Allemands
37:05 faisait une opinion nouvelle.
37:06 C'est une chose relevée par deux autres écrivains présents à Bordeaux, Emmanuel
37:11 Berle, dont je parlais hier, et Julien Green, dont je parlerai demain.
37:14 Les Français avaient mâché de l'anglophobie depuis la guerre de cent ans, depuis la révolution
37:20 et l'empire, depuis 1870 où le Royaume-Uni avait refusé de s'allier avec nous contre
37:26 la Prusse.
37:27 L'Alliance de 1914 n'avait pas tout réparé.
37:30 Le plus désolant est l'impréparation, le laissé-aller, les péroraisons, la rigolade.
37:36 Voici ce que dit Saxe.
37:38 On s'imagine que les heures graves d'une nation sont vécues par le public dans une
37:43 atmosphère d'exception et de gravité.
37:46 Il n'en est rien.
37:47 Et cette frivolité hideuse, ces soulagements d'un quart d'heure par une soulerie ou
37:52 dans les bras d'une prostituée ou au moyen d'un simple comérage, constitue un moment
37:58 répugnant de l'humanité.
37:59 Sans aller jusqu'à réclamer de l'héroïsme, qui est d'ailleurs parfois une forme de
38:04 sottise, on pourrait avoir de la tenue.
38:06 Charles Danzig à retrouver sur franceculture.fr et sur l'appli Radio France.
38:09 Un grand merci à toute l'équipe du Book Club, Anouk Delphineau, Oriane Delacroix,
38:13 Zora Vignier, Jeanna Grappard, Didier Pinault et Alexandre Halébégovitch.
38:16 C'est Colin Gruel qui réalise cette émission cette semaine.
38:19 À la prise de son ce midi, Jordan Fentes, voici l'épilogue.
38:22 C'est une colle.
38:24 Je penserais plutôt peut-être à Isabelle Huppert.
38:26 C'est la seule qui est encore en vie.
38:27 Elle est très âgée, elle a plus de 90 ans et elle est toujours sur les réseaux sociaux.
38:32 D'ailleurs, vous pouvez la suivre, c'est assez spectaculaire.
38:34 C'est comme à la fois l'étoile noire autour de laquelle gravitent toutes nos aspirations.
38:40 Et la différence, c'est que Superman est un personnage de fiction.
38:43 On ne l'attendait pas.
38:44 Personne ne l'attendait.
38:44 Oh, poufidoupe !

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