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Art et designTranscription
00:00 Jusqu'à 13h30, les midis d'Occulture.
00:04 Nicolas Herbeau, Géraldine Moussna Savoie.
00:08 Notre invitée a été enseignante de français, animée par un désir de transmission, passionnée
00:17 aussi par l'écriture.
00:18 Mais l'écriture pour parler, s'exprimer, oui mais à l'oral.
00:23 Donc dire, déclamer ce qu'elle pense, s'affirmer, décrire ses émotions aussi.
00:27 Depuis 8 ans, elle monte sur scène, partage sa poésie et aide aussi les autres à le
00:32 faire.
00:33 Notre invitée publie son premier roman, "Eunice", aux éditions du Seuil.
00:37 Bonjour Lisette Lombé, bienvenue dans les midis d'Occulture.
00:40 Nous sommes ravis d'accueillir celle qui deviendra dans quelques mois, en janvier prochain,
00:45 la nouvelle Poétesse Nationale de Belgique, le pays où vous êtes née.
00:49 Racontez-nous d'abord cette mission, ça va durer 2 ans, elle consiste en quoi ?
00:54 C'est une mandature qui dure 2 ans, on a très peu d'obligations si ce n'est d'écrire
01:01 un texte tous les 2 mois qui rencontre des voyages et des rencontres.
01:05 On doit aussi faire circuler les textes entre les différentes communautés de Belgique,
01:10 germanophone, néerlandophone et francophone.
01:11 Et puis mettre en avant des projets qui nous tiennent à cœur et une certaine manière,
01:16 pour nous en tout cas, notre vision de la poésie.
01:17 Moi venant de la Seine-Slam, étant connectée à l'associatif, étant connectée à l'enseignement,
01:23 et étant connectée aussi au sport, je sais que mes grandes lignes directrices vont aller
01:27 dans ce sens-là.
01:28 Vous avez la pression ?
01:29 Non, c'est beaucoup de joie, parce qu'en fait, sur le terrain, il existe déjà beaucoup
01:34 beaucoup d'initiatives, il y a beaucoup de collectifs de slam, il y a une effervescence
01:37 aussi, donc je vais juste m'appuyer sur ce qui existe et profiter en fait de cette étiquette
01:43 de Poétesse Nationale pour donner un petit coup de bousse, mettre en lumière des choses
01:47 qui existent déjà.
01:48 Vous avez déjà une idée des textes que vous voulez écrire ? Dans quel but vous
01:53 avez dit de faire circuler les différentes langues en Belgique ? Est-ce que vous voulez
01:58 dire des choses ?
01:59 Je vais me laisser porter, honnêtement.
02:01 On n'a pas d'idée ?
02:02 Non, après c'est bien le principe du slam, c'est que l'écriture est mue et impulsée
02:06 par des urgences de dire.
02:08 Donc ça va dépendre fort de l'actualité, on ne peut pas la prédire.
02:12 Ça va dépendre des rencontres, des personnes en présence aussi.
02:15 Je suis à un endroit très organique dans mon écriture, très connecté, assez proche
02:20 du présent aussi.
02:21 Donc je vais me laisser porter.
02:23 Et puis comme j'ai une grosse actu à l'automne, je vais essayer de faire les choses dans l'ordre
02:27 et prioriser, de laisser d'abord venir le roman, l'album jeunesse, l'album musique,
02:32 et puis entamer la mandature.
02:33 Parce que réellement, dans les faits, Moustapha Kor, qui est l'actuel Poète National, va
02:38 encore aller jusqu'au printemps des Poètes, mars.
02:41 Et moi, ma mandature va aller jusqu'à presque 2026.
02:44 Donc vous avez le temps.
02:45 En tout cas, ce que vous dites, c'est que le public qui vous intéresse, ce sont les
02:49 personnes qui sont peut-être les plus éloignées de la littérature et notamment de la poésie.
02:54 Je disais tout à l'heure que vous étiez professeur de français.
02:57 Comment vous avez réussi justement à intéresser ce jeune public à la poésie ? C'était
03:03 l'un de vos objectifs quand vous enseignez ?
03:05 Je vais être honnête avec vous.
03:07 Quand j'étais enseignante, j'étais fort éloignée encore à ce moment-là de la poésie.
03:12 J'ai travaillé dans des écoles dites difficiles, où on était sur de l'apprentissage du français,
03:20 très, très éloignée des grands classiques que nous-mêmes, nous avions étudiés à
03:22 l'université.
03:23 On était sur des apprentissages de base, des apprentissages de langue de base.
03:28 Et moi, il a fallu un burn-out pour que je me reconnecte aussi à cette poésie.
03:32 C'est assez neuf, en fait, si je dois être honnête.
03:35 C'est ça, il y a eu ce burn-out qui vous est arrivé quand vous étiez enseignante.
03:40 Et là, il y a eu un changement de vie et c'est passé notamment par des ateliers d'écriture,
03:43 c'est ça ?
03:44 J'en ai suivi d'abord moi-même comme participante.
03:46 J'ai été me reconnecter là-bas à ma cève première et peut-être aux rêves d'enfance
03:51 avec cette première machine à écrire.
03:52 Et c'est un endroit pour moi d'abord de reconnection à l'être et de catharsis.
04:00 C'est ça, les premières montées sur scène, c'est plutôt des textes de catharsis.
04:03 Et j'appelle ça l'infra-littéraire.
04:04 Je ne sais pas ce que c'est le slam.
04:06 Je n'ai pas de vélité artistique.
04:08 Je ne m'imagine pas encore à ce moment-là que ça va être ma troisième vie professionnelle
04:13 après l'enseignement et après l'animation dans le tissu associatif.
04:18 Mais c'est les rencontres qui ont fait que ça a modifié ma trajectoire de vie de manière
04:23 assez fulgurante.
04:24 Comment vous avez rencontré la poésie ?
04:26 Parce que vous l'avez dit, vous étiez enseignante, mais la poésie était assez éloignée de
04:30 vous à ce moment-là.
04:31 Alors, à quel moment elle a surgi ?
04:33 Est-ce que c'est vous qui êtes allée la chercher ?
04:35 Est-ce qu'elle s'est imposée ?
04:37 Est-ce qu'on vous a offert un recueil en disant que ça pouvait avoir un effet thérapeutique
04:41 ?
04:42 En fait, j'ai une culture enseignante, donc assez classique, des textes classiques avec
04:46 de l'analyse de texte.
04:47 Je viens même d'une ville où on a ce qu'on appelle l'analyse de texte à la liégeoise.
04:51 C'est vraiment décortiquer les textes.
04:52 C'est quoi la liégeoise ?
04:54 C'est dans notre fac.
04:56 C'est vraiment une analyse de texte qui éloigne très très fort la biographie de l'auteur,
05:00 le contexte historique et qui se concentre uniquement sur le texte.
05:03 C'est quelque chose qui m'a complètement asséchée au niveau du rapport que j'ai
05:06 pu avoir avec les textes poétiques.
05:08 Il a fallu que quelqu'un m'emmène dans une scène slam et me présente.
05:13 Ce que j'ai découvert, je pense que beaucoup de personnes qui découvrent les micros ouverts
05:17 de slams, c'est un espèce de coup de foudre.
05:19 Je ne connaissais pas cet endroit.
05:21 J'ai vu des gens, vraiment une bigarrure, des gens qui venaient de tout horizon et qui
05:29 avaient cette espèce d'audace de venir dire du texte.
05:31 Il faut avoir écrit son texte soi-même.
05:33 C'est ça la règle du slam.
05:34 Il n'y a pas de costume, il n'y a pas de musique et c'est un texte de maximum trois
05:38 minutes.
05:39 J'ai vu ce succéder sur scène, contrairement aux endroits plus poétiques classiques où
05:43 les poètes invités ont un plus grand temps de parole.
05:46 J'ai vu toutes les trois minutes ou toutes les deux minutes trente des paroles.
05:49 Du coup, ça brasse.
05:51 Il y avait du texte politique, du texte intime, mais quand même beaucoup de textes politiques
05:55 et des écritures très différentes.
05:57 Certains qui sont dans la forme, qui sont aguerris et puis d'autres qui arrivent complètement
06:02 trembletants.
06:03 Et ce n'est pas ça l'important, c'est la présence des personnes.
06:07 Vous étiez dans quel état d'esprit, vous, à quelques secondes, minutes de monter sur
06:11 cette scène ?
06:12 Au début, vous étiez spectatrice.
06:16 Et après, vous avez tout de suite...
06:18 Le truc, c'est inversé.
06:19 C'est que la toute première scène, à mes 36 ans, je venais sur une invitation pour
06:23 la commémoration de la mort de Patrice Lumumba.
06:26 Donc, j'avais écrit un texte sur une agression raciste.
06:29 Et puis après, j'ai découvert la scène slam parce que dans la salle, il y avait une
06:32 metteuse en scène, Rosa Gasquet, qui m'a dit « tu pourrais participer à un concours
06:36 ». Donc, ça s'est inversé.
06:38 J'étais dans un lieu prestigieux avec tout ce que la Belgique francophone compte de la
06:42 diaspora congolaise artistique.
06:45 Il y a quelque chose qui s'est inversé pour moi, mais j'ai senti que j'étais à ma
06:50 juste place.
06:51 Et comme j'étais en burn-out, que je venais juste d'être diagnostiquée à l'intérieur,
06:54 c'était mort.
06:55 J'étais cramée, mais y compris la peur.
06:57 Et je pense que c'est ça qui a fait que j'ai eu une année magnifique.
06:59 C'est que je me suis reconnectée à l'écriture fleuve, à l'écriture cathartique, sans
07:05 peur et sans avoir conscience des enjeux.
07:07 Donc, ça a été complètement fou.
07:08 J'ai créé du cabaret, le premier livre sur le burn-out, sans me sentir à l'ombre
07:18 d'attentes ou de grands noms.
07:21 Il y a un truc très brut.
07:22 Et je remercie finalement le destin de m'avoir fait...
07:27 - D'avoir eu un burn-out ?
07:28 - Quand même, parce que le tout premier texte, ça s'appelle "La magie du burn-out".
07:32 Et je pense que quand on est dans la course, qu'on ne peut pas écouter ce corps qui est
07:37 en auto-combustion et parce que le sang s'est complètement siphonné.
07:41 Le burn-out, de manière très spectaculaire, va éjecter le corps de cette course.
07:46 Et là-bas, dans les ornières, on découvre des choses qu'on n'aurait pas vues si on
07:50 avait continué à courir.
07:51 - Vous dites que votre corps était mort à l'intérieur.
07:54 Ça veut dire aussi qu'on n'a plus confiance en soi.
07:56 Et vous l'avez retrouvé, cette confiance en soi, avec l'écriture.
08:00 Vous dites que la confiance en soi amène l'écriture et vice-versa.
08:03 - Oui.
08:04 Je pense...
08:05 Et alors, tout particulièrement parce que moi, ce que j'observe dans mes collègues
08:08 qui sont plutôt poètes de l'écrit, ça reste quand même un acte fort solitaire.
08:12 Un acte où, comme pour le moment, c'est la poésie orale, la poésie performée.
08:17 On voit qu'il y a Tampest et d'autres qui sont fort mis en avant.
08:21 Il y a quelque chose de l'ordre...
08:23 Je pense que mes collègues ne goûtent pas ce que nous, on peut goûter sur la scène.
08:28 Cette proximité du public, cette réaction immédiate en termes de circulation d'énergie,
08:33 d'émotion.
08:34 Et aussi avec cette porte d'entrée de slam qui est que si demain, ou même cet après-midi,
08:38 on écrit un texte, on peut aller le dire sur scène ce soir.
08:41 On ne doit pas attendre le temps long de l'édition, le recueil et les déceptions qui vont avec.
08:46 Mais ça veut dire que ça change tout à l'écriture.
08:49 On le pense déjà comme quelque chose qu'on dit à quelqu'un, qu'on adresse à quelqu'un.
08:53 Sur la manière de l'écrire, ce n'est pas pour un éditeur, c'est pour un public.
08:58 Oui, le texte est tendu dès l'écriture vers ce partage.
09:02 Et donc du coup, ça va modifier.
09:04 Il y a une recherche puisque le slam, c'est vraiment une poésie.
09:08 On dit, nous, une musicalité sans la musique puisqu'on est a cappella.
09:13 Donc il y a effectivement sur les assonances, les allitérations, sur la rythmique,
09:16 il y a quelque chose qui se travaille et qui passe par le corps.
09:19 Moi, je me souviens d'une tournée qu'on a faite dans les écoles avec l'orchestre philharmonique de Liège,
09:25 où en fait, avant de présenter le spectacle aux classes, c'était des scolaires,
09:29 on voyait tous les slameurs et les slameuses dans les couloirs marcher et répéter le texte, le passer en bouche.
09:35 Il y a vraiment la présence du corps.
09:37 Et là, dans le roman, il porte quand même la trace de ce travail-là.
09:41 [Musique]
09:50 Dans mes jeans, au soleil
09:53 My cherie, my cherie, my cherie Jane
09:58 On me dit à l'oreille
10:02 My cherie, my cherie, my cherie Jane
10:06 À mes trousses, en sujette
10:10 Je me dis sur les branches mes prêtresses
10:14 Ils sont tous comme des bêtes
10:18 À bas, vite, my cherie, cherie Jane
10:22 Ma visage me sent moche
10:27 Ça va pas de ma caboche
10:31 J'ai des nuages gris bleus qui soudain me sortent par les yeux
10:39 Et puis merde, avec vous
10:43 My cherie, my cherie, my cherie Jane
10:47 La voix de Jane Birkin, "My Cherie Jane", en hommage évidemment à la chanteuse de CD7 été.
10:52 Et en plein deuil, Lisette Lombé, aussi à l'un des personnages de ce roman que vous venez de nous présenter aujourd'hui,
10:57 "Eunice" aux éditions du Seuil.
10:59 Jeanne, que tout le monde appelle Jane, c'est la mère de votre personnage principal, Eunice.
11:05 Mère présente tout au long de ce roman, malgré sa mort, dès les premières pages,
11:10 on découvre que Jane sort d'une boîte de nuit, qu'elle tombe dans les eaux de la meuse.
11:14 Et Eunice, sa fille de 19 ans, refuse de croire à un accident.
11:19 C'est ça le début de votre récit ?
11:23 Oui, c'est le début de la quête en quête, si je puis dire ça comme ça.
11:30 Ça démarre comme ce qui pourrait être improprement appelé un fait divers,
11:35 mais qui est un cataclysme pour Eunice, pour sa famille.
11:39 C'est ça un peu le fil, c'est Eunice qui remonte ce fil vers sa mère,
11:45 qu'elle ne connaît pas en tant que femme.
11:49 Se faisant sur ce chemin-là, c'est aussi elle qu'elle rencontre.
11:52 Il y a évidemment toutes les questions sur le rapport entre la mère et la fille,
11:58 le rapport aussi aux figures féminines qu'on peut avoir dans une famille,
12:01 notamment sa tante, qui devient en quelque sorte un modèle,
12:05 même si ça évolue au fur et à mesure du roman.
12:08 Et puis les secrets de famille qui vont hanter Eunice
12:14 dès qu'elle remet en cause la mort de sa mère, en tout cas cet accident.
12:18 Oui, là j'ai voulu faire un travail sur des secrets de famille
12:23 qui sont avec des grandes conséquences sur les psychismes des membres,
12:28 mais qui en même temps ne sont pas, là aussi, pas spectaculaires.
12:32 J'ai travaillé sur un continuum des violences aussi faites aux femmes,
12:36 essayé de trouver une porte d'entrée qui n'était pas dans l'extraordinaire,
12:42 pas dans le plus violent, mais pour montrer que malgré tout, quand même,
12:46 quand il y a couvercle sur la parole, il y a des petites bombes à retardement aussi.
12:51 - Ta mère est un puzzle, chaque personne que tu rencontres te confie une pièce
12:54 dont la teinte devient modifiée, ce que tu croyais déjà savoir d'elle.
12:57 Tu ne sais pas, tu ne connais pas Jane.
13:00 Ça c'est très fort parce qu'il y a quelque chose qui est évidemment en partie autobiographique.
13:07 Et dans la genèse de ce récit, vous parlez d'une expression très belle
13:12 qui est le bourgeon de narration.
13:15 Alors qu'est-ce qui vous a emmené vers cette histoire, vous, dans votre vie ?
13:18 On a parlé de ce qui a pu vous arriver au fil de votre vie professionnelle,
13:22 mais dans votre vie personnelle, qu'est-ce qui vous emmène vers ce récit ?
13:26 - Il y a toujours beaucoup d'impulsion d'écriture, et c'est comme justement un petit puzzle
13:30 qui à un moment donné va faire qu'il y a un jaillissement d'écriture.
13:35 Mais c'est vrai que moi j'ai fait une chute dans les escaliers chez moi.
13:39 Et je me suis juste dit que mes enfants, j'ai trois enfants,
13:44 auraient pu au petit matin me retrouver enroulée autour du pied d'escalier.
13:48 Ça m'a mis un déclic. J'ai pensé aussi à une amie qui se sentait très proche de son père,
13:54 mais qui à la mort de celui-ci a retrouvé une lettre sur l'ordinateur de son père
13:58 qui l'a dézinguée totalement. Et donc en fait ça a été une déflagration pour elle,
14:05 parce que du coup elle était dans un autre rapport,
14:08 alors qu'elle se sentait dans quelque chose d'extrêmement complice.
14:11 Ça, ça a été des moteurs d'écriture. Et puis aussi, je qualifie Eunice de texte de confinement.
14:18 L'idée a commencé à naître dans le confinement.
14:21 Et dans le confinement, moi j'ai dû m'asseoir, comme beaucoup de personnes,
14:27 mais quand on est un peu au barricade et dans la militance,
14:30 j'ai commencé à observer... On n'avait plus de scène,
14:33 et on avait par contre toujours du texte politique.
14:36 Je me suis dit, quel est le sens finalement de faire ces textes politiques à la maison
14:41 ou dans des salles sans public ? J'ai commencé à observer une forme de gesticulation.
14:44 Et ça m'a obligée à réfléchir à ce feu,
14:48 qui était vraiment l'élément porteur de mon écriture slam.
14:51 Qu'est-ce qui va devenir de ce feu s'il n'y a plus de public ?
14:54 Et sur le long terme surtout.
14:56 Et donc il y a eu un petit glissement vers revenir, quand on dit l'intime et politique,
15:01 revenir un peu taquiner cette intime aussi.
15:04 Parce qu'en parallèle, j'écrivais un spectacle qui s'appelait "Brûlé dansé".
15:08 Il y a toute une liste d'injustices dans ce spectacle "Brûlé dansé",
15:11 qui sont des injustices de l'enfance, bien avant même les injustices sociales,
15:15 dont une qui est de naître par exemple d'une mère qui n'a pas envie d'être mère,
15:21 et que notre naissance coïncide avec la fin d'un couple.
15:25 C'est toute une série d'injustices qui sont avant les injustices politiques.
15:28 Et de là est né ce récit. Pour moi, il y a beaucoup d'eau.
15:31 J'ai comme changé d'élément.
15:34 - D'eau ? De l'élément aquatique ?
15:37 - Oui, du feu vers l'eau. - Oui, c'est un élément aquatique.
15:39 - J'ai comme fait une petite glissade vers plus d'intime.
15:45 - Et moins de politique ?
15:47 - Alors c'est là. Mais vraiment ce qui m'a questionnée, c'est quand, en écriture slam,
15:52 et d'ailleurs c'est ce que j'entends quand on a une écriture frontale,
15:55 quand on a une écriture cash, on peut perdre des gens au passage.
16:01 Moi ce que j'ai vraiment entendu pendant le confinement,
16:04 j'avais des amis qui ne se qualifient pas de féministes,
16:06 mais qui pour moi, quand je les observais dans leur, par exemple,
16:09 une prof de français, Julie Hirst, qui me disait "moi dans mon corpus de texte,
16:12 je vais intégrer plus de femmes, plus de poétesses, plus de personnes racisées".
16:16 Et moi je trouve que c'était un endroit d'engagement.
16:19 Parce que c'était juste. Ce n'est pas la grande radicalité,
16:23 mais c'est aussi un endroit de justesse.
16:25 Donc moi j'ai commencé à réfléchir à ça pendant le confinement,
16:27 de déplacer mon curseur de la radicalité à la justesse.
16:30 Et avec cette envie que cette parole féministe soit plus partageable, plus entendable.
16:39 C'est-à-dire qu'elle tombe… si je la prends trop en frontale,
16:42 je vais perdre des gens dès le départ.
16:44 Et pour la première fois, j'ai réfléchi, ça porte ça aussi,
16:48 à un public plus au-delà du slam.
16:51 - Un grand public finalement.
16:53 - Voilà, quelque chose d'un peu plus large que le public de la militance.
16:56 - Paradoxal, parce que le slam, on s'adresse vraiment à des personnes réelles, concrètes.
17:01 - Qui sont dans la salle d'ailleurs.
17:02 - Qui sont dans la salle. Vous l'avez dit tout à l'heure, l'écriture c'est un peu plus solitaire.
17:05 Et finalement, avec ce roman, vous vous disiez que peut-être, là vous alliez toucher plus large.
17:10 Il y a un paradoxe dans l'adresse en fait.
17:12 - Oui. Nous sommes des êtres de paradoxes.
17:16 - Ce n'est pas du tout un problème.
17:18 - Oui, voilà. Je vous fais part de mes réflexions de confinement,
17:24 où j'ai eu cette impression de tourner un peu sur moi-même.
17:29 En fait, mon écriture a commencé à se déployer,
17:31 parce que sur les questions de racisme, sur les questions de féminisme,
17:34 c'est ce que je me disais, comment faire du neuf ?
17:37 Comment aller dans des métaphores neuves,
17:39 avec une écriture si dense que celle de la poésie et du slam ?
17:42 Et moi j'avais l'impression que si je reprenais encore cette porte d'entrée, la poésie,
17:47 pour dire ce que j'avais à dire là, j'allais être corsetée.
17:51 Et donc tout d'un coup, le roman m'a paru à un endroit plus propice à ça.
17:57 - Plus spacieux en fait.
17:59 - Vous aviez besoin d'espace en fait,
18:01 parce que vous n'auriez plus à répondre à ces questions, à ces angoisses,
18:05 en écrivant effectivement ce texte de trois minutes.
18:07 Mais là, il vous fallait plus d'espace.
18:09 Vous poser, réfléchir autrement aussi, reconstruire un récit autrement.
18:13 - Oui. Et après, ça c'est le texte qui nous appelle quelque part.
18:17 Dès le départ, j'avais lu "Disparu" de Catherine Barsix,
18:23 qui est une poétesse belge, qui a écrit un texte,
18:26 c'est comme une enquête, mais sous forme de poème.
18:30 Et c'est une forme qui m'a vraiment parlé.
18:33 Et dès le départ, j'ai cette intrigue avec les initiales "t", "m",
18:38 et j'ai la résolution dès le départ.
18:41 Et donc je me suis simplement dit, comment je peux aller jusque là ?
18:44 J'avais l'impression que je tenais un petit fil.
18:47 Et alors voilà, ça m'a tiré vers là.
18:49 - Je racoche l'intrigue.
18:50 Eunice, donc, encaisse le coup de la mort de sa mère et ne croit pas à l'accident.
18:55 Elle récupère un agenda chez sa coiffeuse, un agenda rouge qui appartient à sa mère.
19:00 Et elle voit ce rendez-vous noté "t", "m" sous le nom d'un hôtel.
19:04 Et elle va donc enquêter.
19:06 - Oui, c'est ça.
19:07 Donc c'est ténu, c'est pas un polar.
19:09 - C'est vrai que c'est une intrigue, on se demande vraiment.
19:12 - Mais il y a quelque chose, c'est ce qui tient un peu en haleine, si je puis dire ça comme ça.
19:17 Et puis ça croise avec sa quête identitaire, cette quête initiatique.
19:23 - Vous l'avez dit, Lisette Lombé, vous avez invoqué cette phrase qu'on entend beaucoup,
19:28 "l'intime est politique".
19:30 Qu'est-ce que ça signifie pour vous ?
19:32 Et qu'est-ce que ça signifiait pour vous au moment de l'écriture de Nice,
19:35 d'être peut-être moins dans le politique frontal,
19:38 moins dans des questions de militantisme, mais plutôt du côté de l'intime ?
19:42 - Ça a signifié pour moi, c'est un peu une prise de risque,
19:45 il faut sortir des lieux connus.
19:49 Ça a signifié aussi d'aller dans des territoires que je connais peu,
19:55 qui sont le territoire de la tristesse, la colère, je connais.
20:00 - Vous voulez dire dans l'expression de la colère ?
20:02 - Oui, je connais cet endroit quand on est victime d'injustice.
20:05 Il y a une urgence de dire après, mon écriture, il y a quand même ce terreau-là.
20:11 La tristesse, je ne connais pas, c'est moins dans l'écriture,
20:16 parce que ça ne se voit pas à la radio, mais je suis une personne racisée,
20:21 avec un père congolais, et on a cette éducation dans ma famille,
20:25 une forme de relativisme.
20:27 Là, par exemple, ce week-end, j'ai accompagné mon fils aîné,
20:30 qui a une double fracture du poignet dans son premier match de foot de la saison,
20:34 et dans les urgences, on se redisait ça.
20:36 "Regarde, c'est quand même moins grave le poignet qu'une jambe."
20:42 Et aussi, on est en Belgique, on a un système de soins,
20:45 et ça t'était arrivé là-bas, au cœur du Congo.
20:49 Donc, je vois que c'est un territoire de tristesse,
20:55 que je fréquentais moins, pas beaucoup,
20:59 et aussi le territoire de prose,
21:02 avec cette espèce de narration, avec la vraisemblance,
21:07 c'est un autre contrat de lecture, donc ça m'a mis dans des endroits...
21:10 Après, c'est génial de se mettre en danger,
21:13 mais c'était aussi âpre comme travail, j'ai découvert le temps long.
21:18 - C'était dur ? - Oui, âpre, vraiment.
21:21 J'y suis des gouttes.
21:29 En tant que Noir, que personne de couleur,
21:32 on nous dit encore et toujours de ne pas être vulnérable.
21:35 Quand on parle de vulnérabilité, on se dit souvent "Oh non, ça va te tuer."
21:40 Quand j'étais enfant, j'avais beaucoup de chagrin, et je pleurais beaucoup.
21:45 Et toute ma famille se moquait de moi.
21:47 On m'appelait "Mademoiselle la petite blanche",
21:49 et je me disais "Qu'est-ce qui ne va pas chez moi ?"
21:51 Je pleurais sans arrêt.
21:53 Et ça m'a pris des années pour arrêter de pleurer.
21:56 C'est comme un erreur nocturne.
21:59 Mais c'est du travail.
22:02 Il faut travailler ça.
22:04 Il faut travailler pour aller vers le bonheur, et il faut choisir.
22:08 Et en tant que peuple, à qui on a dit qu'on n'avait pas le choix,
22:12 comprendre qu'on a le choix.
22:23 Vous avez reconnu Lisette Lombé, j'imagine, Bell Hooks.
22:27 Et ce livre qu'elle a écrit "Apprendre à transgresser" qui vous a marqué,
22:31 Bell Hooks, c'est cette intellectuelle militante américaine
22:34 qui a terrorisé ce qu'on appelle le black féminisme.
22:39 Le black féminisme.
22:41 C'est un beau lapsus.
22:43 J'ai pas peur.
22:44 Un mouvement qui articule justement le sexisme, le racisme.
22:47 On est là dans les années 60-70 aux Etats-Unis.
22:50 Qu'est-ce qui vous marque autant dans ce livre ?
22:52 On a l'impression qu'il est fondateur pour vous.
22:55 Parce qu'il y a toute une dimension aussi sur la question pédagogique dans le livre.
22:58 Et moi je l'ai lu à un moment donné où je me questionnais vraiment
23:01 sur cet angle-là.
23:02 Qu'est-ce qu'on transmet ? Comment on le transmet ?
23:04 Comment on est aussi transmis, si je prends l'image de la cascade inversée.
23:08 Ce que j'aimais aussi, c'est une dimension, dans ce texte mais peut-être plus dans d'autres aussi,
23:13 la question de l'amour et le côté rassembleur.
23:17 Des fois les livres nous arrivent à des moments où ils répondent à des questionnements.
23:22 Et ça arrivait pile à ce moment-là aussi, de questionnements par rapport à ça.
23:27 Est-ce que c'est un modèle pour vous, Bellux, en termes d'articulation, de concept ?
23:32 Le fait que vous avez parlé d'amour.
23:34 Elle a publié ce texte magnifique qui s'appelle "A propos d'amour"
23:37 où elle essaie justement de penser ensemble comment des revendications politiques,
23:41 avec quand même aussi une exigence de sentiments, d'émotions.
23:47 Cette articulation-là, vous vous inspirez de Bellux ?
23:50 Vous essayez de la retravailler tout le temps ?
23:52 Oui, ça fait partie des figures tutélaires et inspirantes.
23:58 J'aime bien ce mot "articulation", ce mot d'intersection,
24:02 de comment elle, les textes théoriques et aussi la sensibilité, l'aspect terrain, pratique,
24:08 qui rendent des textes très accessibles.
24:09 C'est ça aussi qui m'intéresse dans ce type de démarche.
24:12 C'est une attention à cet endroit-là, que le texte va être accessible,
24:18 qu'on n'est pas dans quelque chose d'hermétique, avec l'expérience.
24:21 Ce n'est pas un combat entre le côté théorique-scientifique.
24:25 Les deux s'articulent, les deux se nourrissent.
24:27 Pour moi, c'est vraiment un endroit où je me retrouve.
24:30 Le côté aussi rassembleur, de comment...
24:34 Ce n'est pas tellement de riz, mais comment on va quand même faire dialogue à un moment donné.
24:39 Et puis le mélange auxi-texte de prose, de poésie, et la longévité.
24:44 C'est vraiment mon endroit de fascination.
24:47 C'est comment une pugnacité peut durer dans le temps.
24:51 Quelque chose d'intraitable et qui va...
24:53 Justement, on a lu que vous vous positionniez comme antiraciste et pas comme décolonialiste.
24:59 Qu'est-ce que vous mettez derrière ces mots ?
25:01 Et comment vous nous expliquez cette différence que vous vous faites ?
25:04 Parce que moi, je n'aime pas utiliser des étiquettes.
25:08 J'ai repensé à ces questions qu'on m'a posées dans cette émission.
25:12 Parce que ça a fait débat aussi dans mon entourage.
25:15 Les étiquettes, je trouve ça...
25:18 J'adore les étiquettes dans le sens où elles dépathologisent et elles nous donnent beaucoup d'empouvoir.
25:22 Il faut nommer pour que c'est ce que visibiliser.
25:25 Mais j'aime bien être juste aussi.
25:27 Par exemple, quand on dit "queer", je n'ai pas envie de l'utiliser comme ça, vite vite.
25:32 "Alla va vite", si on dit ça de moi.
25:35 La même chose là, j'ai l'impression que pour me dire décoloniale,
25:39 je devrais être à un endroit de plus grande radicalité.
25:43 Et je devrais être aussi à un endroit de plus grande connexion avec l'histoire.
25:48 Avec l'histoire passée et de plus grande connaissance aussi.
25:51 Je n'ai pas envie d'utiliser cette étiquette.
25:53 Alors que si on me pose des questions sur justement tout le mouvement décolonial,
25:57 je m'ancrerai de culture panafricaine.
26:03 Je ne me sens pas légitime d'utiliser cette étiquette.
26:06 Tandis que dans l'antiracisme, je me sens les deux pieds dans le concret.
26:09 Ça part de mon corps, ça part de mon présent, ça part de mes luttes concrètes.
26:14 J'ai l'impression que je peux poigner dans cette matière.
26:18 Et c'est une étiquette qui me scie mieux, qui ne me fait pas peur.
26:23 Avec laquelle je me sens légitime.
26:25 On parlait de l'articulation entre plaisir et droit.
26:29 On peut parler aussi de militantisme.
26:31 Quelle réponse vous apportez entre plaisir et revendication ?
26:37 Comment vous tranchez cette question ?
26:39 Moi je suis fascinée par cette question.
26:41 Comment vous arrivez à la résoudre si on vous pose des questions,
26:43 si vous êtes en débat ou même au quotidien ?
26:46 Pas simple. C'est un apprentissage de longue haleine.
26:50 Et j'y parviens depuis cet été, j'ai l'impression.
26:54 Donc là maintenant c'est tout frais ?
26:56 Oui c'est tout frais.
26:57 Pour la première fois cet été, j'ai senti une détente, une autorisation à déconnecter.
27:02 Une compréhension qu'il fallait prendre du temps pour soi,
27:06 et pour pouvoir en donner aux autres.
27:08 C'est tout neuf.
27:09 Sinon il y a comme une non-autorisation, un devoir d'être toujours au taquet,
27:17 un devoir d'être toujours là pour les autres.
27:19 C'est très très neuf.
27:20 Et après ça reste sur le fil.
27:21 Et moi je me dis que dans les thématiques,
27:23 l'endroit qui dit bien ça, c'est quand on aborde la question de la sexualité.
27:27 Parce qu'il y a les deux versants.
27:29 Il y a le côté dénonciation, il y a tout ce qui va mal,
27:31 tous les droits auxquels on s'attèle.
27:34 Et puis il y a quand même un côté de célébration.
27:37 La question du plaisir, la question de la liberté,
27:40 la question de comment on grandit aussi humainement grâce à cette sexualité.
27:43 Pour moi, ma thématique de la sexualité, dans tous mes textes,
27:47 c'est l'endroit où je peux être à la fois sur les deux rives.
27:51 Et dans Eunice, notamment, la sexualité, on entre plein fouet dedans,
27:56 si je puis dire, avec des passages assez crus,
27:59 de fantasmes, de relations sexuelles,
28:02 et puis des passages aussi qui racontent les tabous, la honte aussi,
28:07 qui entourent parfois la sexualité chez les femmes.
28:09 Ça, c'est aussi une thématique qu'il faut aborder
28:13 quand on est comme vous, comme féministe en tout cas.
28:16 Oui, j'ai l'impression que cette frontalité-là de la langue,
28:21 sert tout ce qui...
28:23 Vous disiez "nommer les choses". Il faut nommer les choses.
28:26 Oui, après, je dois bien être honnête avec vous,
28:31 j'écris en écriture automatique.
28:33 Et pour la petite anecdote, là, on est en train de passer Eunice
28:36 en lecture musicale avec ma collègue Loé Dutreffle.
28:40 Et à l'oral, il a fallu reprendre des extraits.
28:44 Forcément, il y aura de la sexualité.
28:47 J'ai dû relire le texte et il y a des endroits que je ne peux pas dire à l'oral.
28:51 Parce que ?
28:52 Parce que j'ai l'impression que ça a été fait pour être découvert
28:56 dans l'intimité des lecteuristes.
28:58 Et que, je ne sais pas vous dire...
29:01 Ça vous gêne ?
29:02 Oui, d'un coup, je récupère le rouge au joujou.
29:05 J'entends ce que certaines personnes disent "oui, c'est trash, c'est cru".
29:08 Alors qu'au moment même où je l'écris, il n'y a pas de volonté.
29:11 Des gens disent "oui, une volonté de choquer".
29:13 Non, il y a quelque chose qui sort, qui est très impérieux
29:15 et qui s'exprime comme ça.
29:18 Et après, là, je redécouvre mon texte du côté lectrice.
29:21 Et voilà, c'est tout un retravail.
29:24 Parce qu'en fait, le roman, même si je l'ai oralisé totalement,
29:27 debout dans mon salon, à chercher une rythmique slam,
29:30 il n'avait pas prétention à revenir sur scène tel un slam.
29:35 C'est amusant.
29:36 On est un peu dans l'ambivalence, la contradiction dont on parlait tout à l'heure.
29:40 C'est-à-dire, écrire pour l'oral ou écrire, effectivement, pour l'écrit
29:43 et pour être lu dans sa tête.
29:45 D'ailleurs, vous serez, ce sera le 7 septembre prochain,
29:47 à l'ouverture du Festival Extra au Centre Pompidou à Paris.
29:51 Une performance, vous l'avez dit, accompagnée de votre amie et musicienne Chloé Dutreffle,
29:57 avec qui vous avez aussi mis sur scène cet autre spectacle.
30:01 [Musique]
30:06 En 1998, ce corps, ce corps avait 20 ans.
30:12 Fallait voir, fallait voir son allure.
30:16 Fallait voir.
30:18 À cette époque-là, où que la fiesta eut lieu,
30:22 ses amis, elles, débarquaient toujours en bande.
30:26 Jamais seule, jamais sobre, jamais silence.
30:32 Elles marchaient.
30:34 Electro girls, électrons libres.
30:36 Direction l'éclate, l'exage, le dance floor.
30:41 [Musique]
30:44 Extrait du spectacle "Brûlés, dansés pour aller danser",
30:48 les Etelombés, c'est vous qu'on entend, évidemment.
30:51 Un mot sur cette tradition orale.
30:54 Elle est peut-être moins présente en France.
30:56 Est-ce qu'en Belgique, c'est plus facile, justement, d'écrire pour dire ?
31:02 En tout cas, la particularité en Belgique francophone,
31:05 on a un territoire petit, mais il y a surtout une connexion entre...
31:10 Nous, en ce qui nous concerne, il y a une espèce de porosité entre la poésie et le slam.
31:15 On a des éditeurs qui, justement, qui acceptent d'éditer beaucoup de slams heureuses.
31:21 On a des gens qui programment des formes orales.
31:24 Et quand je repasse en France, je vois qu'il y a comme une frontière
31:28 qui est quand même plus dure entre ces deux univers-là.
31:33 Il y a des champions, championnes du monde de slam,
31:35 qui ne sont pas encore éditées, qui sont auto-éditées.
31:37 Alors que nous, je pense à ma maison d'édition aussi,
31:40 on a chez Mallstrom des booklegs qui sont vendus 3 euros.
31:45 C'est des petits formats, mais qui permettent assez vite d'être lus
31:50 et d'entrer en littérature aussi.
31:52 - Vous pensez que ça vient d'où ce problème de la France,
31:54 avec justement l'oral ou peut-être une sorte de sacralisation de la poésie écrite ?
31:59 - Voilà.
32:00 - J'ai entendu !
32:01 - Elle était bien ma question !
32:02 - Merci pour la réponse !
32:03 - La poésie écrite, voilà.
32:04 - Mais aujourd'hui, par exemple, on peut vous entendre assez facilement.
32:07 Il suffit d'aller sur Internet, de vous écouter.
32:10 Donc il y a quand même aussi l'inverse peut-être, la volonté de s'inscrire, d'inscrire ces paroles.
32:17 - Oui, parce qu'il y a aussi l'autre mouvement en France, et qui est magnifique,
32:21 puisque moi je suis beaucoup de poétesses et de poètes via les réseaux sociaux.
32:26 Il y a quand même toute cette floraison d'autres formes poétiques.
32:30 Le confinement, nous aussi, nous a permis ça.
32:32 On a vu des gens, je ne vais pas parler pour la France, mais en Belgique aussi,
32:35 qui se sont emparés des réseaux.
32:37 Il y a des vidéos poèmes, il y a toutes sortes de formats comme ça neufs,
32:40 qui désacralisent aussi.
32:42 Je vois une jeunesse qui s'empare avec espier-glorie de nouveaux codes,
32:51 et qui ne s'embarrasse pas, qui ne se sent pas écrasée par les grands noms,
32:56 par les classiques, et qui tente des choses très audacieuses.
32:59 - Est-ce que c'est ça le renouveau de la poésie ?
33:01 Est-ce que finalement la poésie va se renouveler grâce au fait de la porter à l'oral,
33:06 et que ça signe aussi la mort d'une poésie qui a été trop sacralisée,
33:09 un petit peu poussiéreuse, cantonnée dans l'écriture ?
33:12 - Pas la mort, parce que j'ai un éditeur de poésie, Alexandre Bor,
33:16 chez Iconopop, qui a un podcast qui s'appelle "Mort à la poésie",
33:20 et qui lui alterne, c'est magnifique ce qu'il fait,
33:23 c'est-à-dire d'alterner entre des formes très contemporaines
33:25 et des choses plus pointues,
33:27 que certaines personnes pourraient qualifier de plus hermétiques,
33:31 moins abordables.
33:33 Pas la mort, mais en tout cas,
33:36 moi quand je vais dans des lieux de micro-ouverts, c'est plein.
33:40 Je ne sais pas si les personnes achètent de la poésie écrite,
33:43 mais en tout cas je sens un élan pour partager ses propres textes,
33:46 il y a en tout cas un besoin de dire,
33:49 et ces espaces-là permettent ça.
33:51 Et donc ça va percoler du coup,
33:54 moi je sens les enseignants, on est invité en tant qu'autrices dans les classes,
33:58 c'est une prise de risque,
34:02 c'est ce que je vous ai dit quand j'étais enseignante,
34:04 j'étais un peu dans des choses plus classiques,
34:07 dans des écoles dites difficiles, dans de la gestion de groupe,
34:10 et je ne me sentais pas assurée
34:13 pour faire entrer dans ma classe des poètes, des poétesses,
34:17 il y a quand même, ce que j'observe en tout cas de la Belgique,
34:20 ces invitations, elles se multiplient.
34:23 - Ça marche, et ça passe peut-être aussi par les thématiques qui sont abordées,
34:27 vous parlez de poésie sociale,
34:29 et vous dites que la poésie sociale c'est la langue de feu contre la langue de bois,
34:32 ça veut dire qu'on dit plus de choses aujourd'hui dans la poésie contemporaine ?
34:37 - Oui, mais de nouveau sur ce segment-là,
34:42 parce qu'après, on peut aussi écrire des textes sur cette grande communion avec la nature,
34:48 je ne voudrais pas réduire ma propre écriture ou l'écriture d'Eslam Heureuse
34:53 sur cette question sociale,
34:55 mais c'est clair qu'on vit, on l'a vu avec le mouvement #MeToo,
34:59 on voit qu'il y a comme ça des couverts qui sont en train de sauter à différents endroits,
35:04 et voilà, ça permet ça, il y a des plus grands espaces, en tout cas pour cette parole-là,
35:09 plus grands espaces pour les paroles aussi qui étaient minoritaires ou issues des minorités.
35:14 - On va écouter, au lieu de lire, puisqu'on est à la radio, vous allez lire,
35:19 et nous on va écouter un extrait de "The Eunice",
35:22 ce roman que vous publiez aux éditions du Seuil,
35:25 et on est au moment où, en fait, Eunice, sans trop en dire,
35:31 est confrontée à ses parents, et au fait qu'on ne la croit pas,
35:38 on ne croit pas quand elle dénonce les agissements de son oncle.
35:41 - Oui.
35:42 "Tout te revient aujourd'hui, boomerang, dans les moindres détails, le face-à-face.
35:48 Tu te revois, rouge pivoine, encaissant les mensonges de ton ongle.
35:52 Chacun des mots qui sort de son horrible bouche vient taper sur ta tête.
35:56 Poids lourd contre poids mouche, mensonge, mensonge.
35:59 Direct du droit, pas d'esquive, sidération, crochet du gauche,
36:02 ça cogne, ça enchaîne, KO debout.
36:04 Tu vas perdre toutes tes dents si ça continue de cogner ainsi.
36:07 Tu trembles de honte et de rage.
36:09 Et ton frère, qui joue à l'amnésique de service
36:11 et qui te regarde valser dans les cordes sans moufeter,
36:14 on dirait une statue de cire.
36:15 Tu es seule, Eunice, tu pleures en silence, l'affaire est close."
36:20 [Musique]
36:31 "Devenir gris"
36:33 [Musique]
36:40 "Devenir gris"
36:42 [Musique]
36:46 "Devenir gris"
36:50 [Musique]
36:55 "Devenir gris"
36:58 [Musique]
37:11 "Devenir gris"
37:13 [Musique]
37:25 - Un grand merci, grand merci à Lisette Lombé d'être venue dans les midis de Culture.
37:29 Votre premier roman "Eunice" est disponible aux éditions du Seuil.
37:32 Je signale aussi la publication le 1er septembre prochain, c'est-à-dire vendredi,
37:36 de votre poème "À hauteur d'enfant" illustré par un collectif de street art.
37:40 Et c'est chez Côte Côte Côte Édition.
37:42 Merci d'être venue dans les midis de Culture.
37:44 Un grand merci à toute l'équipe qui prépare cette émission.
37:47 Aïssa Toundoy, Anaïs Isbert, Cyril Marchand, Zora Vignet, Laura Dutèche-Pérez et Manon Delassalle.
37:53 L'émission est réalisée ce midi par Nicolas Berger et à la prise de son c'est Antoine Tropé.
37:58 A demain Géraldine Mosnass, au revoir. - A demain Nicolas.