La fin de vie vue par un médecin et un philosophe, avec André Comte-Sponville

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Transcription
00:00 * Extrait de « France Culture » de Nicolas Herbeau *
00:18 Et c'est le club de lecture de France Culture qui débute notre promesse, vous donner envie
00:23 de lire et construire cette émission de la mi-journée avec vous.
00:26 Une seule façon pour monter à bord de l'aventure, nous rejoindre sur notre compte Instagram.
00:30 * Hashtag #bookclubculture *
00:32 La force de la littérature et des livres, c'est de pouvoir aborder tous les sujets.
00:36 C'est-à-dire comment accompagner la fin de vie, pourquoi les saints palatiques ne sont
00:41 pas les plus développés.
00:42 En fait, pourquoi interviennent-ils si tard ? Que signifie l'idée d'un droit à mourir
00:47 dignement, librement, volontairement ? Nous discuterons ces termes alors que nous sommes
00:51 de plus en plus questionnés sur notre façon de considérer nos aînés, ceux qui sont
00:55 désignés par la périphrase « le grand âge ». On y réfléchit jusqu'à 13h30
01:00 avec les lectrices et lecteurs du book club, avec nos invités, leurs ouvrages qui viennent
01:04 d'arriver dans vos librairies.
01:06 * On n'a pas choisi de naître, on n'a pas le choix de mourir ou non.
01:09 Il faudra mourir de toute façon.
01:11 Mais on a le choix, parfois, du moment et des modalités de sa mort.
01:14 * Confronté à la mort de mes patients, je ne savais ni quoi et comment dire, ni quoi
01:19 et comment faire.
01:20 Pour beaucoup de médecins, la mort est vécue comme un échec.
01:22 * France Culture *
01:26 * Le book club, Nicolas Herbeau *
01:29 Bonjour docteur Claude Grange.
01:31 Bonjour.
01:32 Vous avez été médecin généraliste pendant 20 ans avant de devenir spécialiste des
01:35 soins palliatifs.
01:36 Vous êtes aujourd'hui chef de service de l'unité d'accompagnement et de soins palliatifs
01:39 du centre hospitalier de Oudan dans les Yvelines.
01:41 Vous dispensez aussi des formations aux soins palliatifs pour les professionnels de santé.
01:46 Vous dites naître qu'un petit médecin de campagne.
01:49 Vous le dites dans ce livre intitulé « Le dernier souffle », sous-titré « Accompagner
01:53 la fin de vie » que vous publiez avec le philosophe Régis Debré aux éditions Gallimard.
01:57 Comment passe-t-on de petit médecin de campagne à la médecine de soins palliatifs ?
02:02 * Alors d'abord, juste une petite précision.
02:05 Je ne suis plus le chef de service.
02:06 * Alors, vous n'y êtes plus.
02:07 Mais vous l'avez créé.
02:08 * Je l'ai créé.
02:09 Et donc j'ai quitté en septembre 2022.
02:14 Voilà.
02:15 Alors comment on passe de médecin généraliste à cette médecine palliative ? Alors qu'au
02:21 départ, j'étais plutôt vers la médecine triomphante qui guérit, c'est parce que
02:26 j'étais confronté à la mort de mes malades et j'étais catastrophiquement nul.
02:31 Je ne savais pas quoi dire.
02:33 Je ne savais pas comment dire.
02:35 Je ne savais pas quoi faire, comment faire.
02:37 Et j'étais tellement démuni que quelques fois, quand je rentrais dans ma voiture,
02:45 j'avais les larmes qui coulaient.
02:46 Je me disais mais je suis passé à côté.
02:48 Je n'ai pas su rentrer en relation.
02:51 Et j'ai eu besoin de faire une formation.
02:54 Une formation de soins palliatifs.
02:57 Le premier des U de soins palliatifs en France, c'était avec Michel Salamagne.
03:02 Et c'était la deuxième année du premier des U de soins palliatifs.
03:05 Autant dire que c'était les tout débuts.
03:07 Et cette formation m'a transformé à la fois comme médecin et à la fois comme homme.
03:13 Et puis il y a aussi une histoire que je partage avec André Conspeville d'avoir perdu un
03:19 enfant qui est une situation dramatique.
03:23 Et donc moi c'était un petit Augustin de 28 jours de mort subie d'une vône.
03:28 Et vous c'était Claire.
03:31 Et dans ces moments-là, j'ai été accueilli par une équipe de pédiatrie très professionnelle
03:39 et en même temps très humaine.
03:41 Et j'ai eu de cesse que de vouloir redonner ce que j'avais reçu dans ce moment-là en
03:47 créant cette unité de soins palliatifs à l'hôpital de Houdon, dont j'étais l'initiateur,
03:52 le créateur et le chef de service pendant plus de 25 ans.
03:55 Vous avez dit catastrophiquement nul.
03:57 Ça veut dire que chez les médecins, durant leur longue formation, c'est un mot qui est
04:03 tabou la mort ?
04:04 Oui, je peux dire qu'en sept ans d'études de médecine, je n'ai jamais entendu le mot
04:07 mort prononcé.
04:08 Comme si nos patients ne mourraient pas.
04:11 Et c'est vrai qu'on était dans cette médecine triomphante qui guérit.
04:14 Comme si on n'allait jamais mourir.
04:18 Mais on sait bien que quels que soient les problèmes de la médecine à science, nous
04:21 allons tous mourir un jour.
04:23 Et je pense qu'il est souhaitable que la médecine soit là dans ces moments-là.
04:26 Alors pour échanger avec vous, vous l'avez dit, André Gonsponville est avec nous.
04:30 Bonjour.
04:31 Bonjour.
04:32 Vous êtes philosophe, vous publiez aux presses universitaires de France votre nouveau livre
04:34 intitulé "La clé des champs et autres impromptus".
04:37 Vous avez rassemblé 12 articles écrits sur le champ et sans préparation, comme vous
04:42 dites.
04:43 Vous réfléchissez sur des sujets nombreux, sombres, douloureux.
04:46 On va en citer quelques-uns.
04:47 Le handicap, l'agonie, le suicide et l'euthanasie qui sera l'un de nos terrains de réflexion
04:52 du jour.
04:53 Dans cet article sur l'euthanasie que vous avez intitulé "La clé des champs", vous
04:57 rappelez, et c'est ce que vient de dire le Dr Grange, qu'on ne choisit pas de naître
05:02 et qu'on n'a pas non plus le choix de mourir ou non.
05:04 Oui, bien sûr.
05:06 La mort fait partie de la vie.
05:08 C'est l'un des traits communs entre le livre du Dr Grange et le mien.
05:12 C'est une façon d'accepter la mort, d'accepter la finitude, de ne pas en avoir exagérément
05:19 peur, de ne pas vouloir la marginaliser.
05:22 Le Dr Grange dit qu'il faut re-socialiser la mort.
05:25 Moi, je dirais volontiers que je suis d'accord avec l'expression, mais aussi la banaliser.
05:30 Il n'y a rien de plus banal au fond que de mourir.
05:33 Ce n'est pas un livre sur l'euthanasie.
05:35 Le premier chapitre porte là-dessus, mais beaucoup d'autres portent sur d'autres sujets,
05:40 notamment le dernier, le plus long, qui porte sur ma mère.
05:43 Il est vrai que ma mère s'est suicidée, donc la mort est aussi présente, mais c'est
05:47 essentiellement un texte sur elle vivante et sur l'enfance que j'ai vécue avec elle.
05:52 Mais voilà, la mort fait partie de la vie.
05:54 Et en effet, le Dr Grange a raison aussi de le noter.
05:58 Nous avons en commun d'avoir perdu l'un et l'autre un enfant, dans les deux cas un
06:02 très jeune enfant.
06:03 Et forcément, ça change le rapport à la mort et ça change aussi, évidemment, le
06:08 rapport à la vie.
06:09 Mais c'est la vie qui compte.
06:11 Voilà, surtout pas une émission de lamentation.
06:14 Sur la mort, il y a l'une des formules qui me touche le plus, c'est une formule d'André
06:20 Gide, grand lecteur de Montaigne.
06:22 L'idée au fond est déjà chez Montaigne.
06:23 André Gide écrit dans "Les nourritures terrestres" "Une pas assez constante pensée
06:29 de la mort n'a donné pas assez de prix aux plus petits instants de ta vie."
06:34 Autrement dit, si nous pensions plus souvent que nous allons mourir, ce qui est une banalité
06:38 extrême et que beaucoup font tout pour oublier, si nous pensions plus souvent que nous allons
06:42 mourir, nous vivrions mieux parce que nous vivrions plus intensément, parce que chaque
06:48 instant se détacherait sur ce qu'André Gide appelle le fond très obscur de la mort.
06:52 Et donc, il faut penser la mort, mais pour vivre mieux, pour que la vie soit vécue avec
06:57 davantage d'intensité, de lucidité.
07:00 Pour envoyer la balle au Dr.
07:01 Grange, est-ce qu'il faut repenser la mort et penser à la mort pour mieux soigner aussi
07:06 du coup ?
07:07 - Sûrement.
07:08 J'ai vu que vous appréciez beaucoup Montaigne, que vous avez écrit sur Montaigne.
07:12 Donc moi, je n'ai pas toute la connaissance que vous avez sur Montaigne, mais c'est vrai
07:16 que j'aime aussi citer Montaigne.
07:18 Et notamment quand il dit "ce n'est pas la mort que je crains, mais c'est de mourir".
07:24 Et c'est vrai qu'en soi-imparatif, ce n'est pas tant la mort, c'est le problème de ce
07:30 moment, du mourir.
07:32 Et c'est les conditions du mourir qui posent un problème.
07:34 Et puis cette phrase aussi que j'aime bien, c'est "si nous avons besoin de sages femmes
07:39 pour nous mettre au monde, nous avons besoin d'hommes encore plus sages pour nous en sortir".
07:43 - On est dans un book club, on a demandé à notre communauté des livres sur ces thématiques-là.
07:49 Et Emna nous a parlé de Simone de Beauvoir.
07:53 - Le livre "Une mort très douce" de Simone de Beauvoir est clair et nourrit encore ma
07:58 réflexion sur la fin de vie.
08:00 Je revois cette fille au chevet de sa mère et ses réflexions et ses interrogations sur
08:05 la fin de vie.
08:06 Car elle le dit, inutile de prétendre intégrer la mort à la vie et se conduire de manière
08:11 rationnelle en face d'une chose qui ne l'est pas, que chacun se débrouille à sa guise
08:15 dans la confusion de ses sentiments.
08:17 Je retiens de ce texte le témoignage d'un proche et toutes ses réflexions qui l'habitent
08:24 face au progrès de la médecine qui nous interroge de plus en plus sur l'acharnement thérapeutique.
08:29 Je crois que cette dernière citation résume le tout.
08:32 "Et moi aussi un cancer me dévorait, le remords.
08:35 Je ne la laissais pas opérer et je n'avais rien à empêcher.
08:40 Souvent quand les malades souffraient un long martyr, je m'étais indignée de l'inertie
08:43 de leurs proches.
08:44 Moi, je le tuerais.
08:46 À la première épreuve, j'avais flanché.
08:49 J'avais renié ma propre morale, vaincue par la morale sociale.
08:53 Non, vous m'avez dit ça, Artre.
08:55 Vous avez été vaincu par la technique et c'était fatal."
08:59 *Musique*
09:03 #BookClubCulture
09:05 La proposition d'Emna sur notre page Instagram, sur l'idée de l'acharnement thérapeutique,
09:12 de guérir, de soigner en permanence, docteur Grange.
09:16 Comment vous arrivez à, parce que là on parle d'un témoignage, à parler aux proches ?
09:23 Parce que c'est ça aussi qui est le plus difficile quand la mort d'un être arrive,
09:27 c'est d'expliquer aux proches autour ce qui va se passer et ce que vous pouvez faire.
09:30 Vous, quel est votre "pouvoir" ?
09:33 Alors, d'abord, je voudrais parler de l'acharnement thérapeutique, vous en parliez.
09:38 Ça, c'est un vrai problème.
09:39 Du fait que la médecine, heureusement, a fait beaucoup de progrès et qu'on guérit de plus en plus,
09:45 on a été vraiment dans quelque chose qui est de l'acharnement thérapeutique.
09:49 Et ça, c'est insupportable.
09:51 C'est-à-dire que l'obstination déraisonnable, de continuer à faire des chimothérapies,
09:55 notamment pour le cancer, quand il n'y a aucune amélioration
09:59 et qu'il y a davantage d'effets délétères que d'effets bénéfiques.
10:04 Ça, c'est un vrai problème.
10:05 Déjà, commençons à ne pas nous acharner, à ne pas s'obstiner.
10:12 Et aussi, de laisser la possibilité aux malades qu'ils soient sujets de soins et pas objets de soins.
10:18 Parce que très souvent, dans l'information du malade, on ne donne pas trop l'information au malade,
10:25 mais plutôt à la famille.
10:26 Ce faisant, c'est la famille, quelquefois, qui prend des décisions pour le malade.
10:32 Croyons bien faire. Parce que quand on aime quelqu'un, on n'a pas envie qu'il s'en aille.
10:37 Et on est davantage à poursuivre des traitements alors que le malade, il n'en peut plus.
10:42 Donc ça, c'est un vrai problème.
10:44 Les familles, c'est souvent un problème.
10:46 Parce qu'il y a un décalage qui peut y avoir entre le malade et la famille.
10:53 Entre le souhait du malade qui, à un moment donné, dit "c'est bon, je comprends qu'on ne peut pas me guérir".
11:01 Et peut-être davantage dans une acceptation d'arrêter les traitements inutiles, surtout quand ils sont délétères.
11:08 Et la famille qui pousse encore à continuer à faire.
11:12 Et donc là, je pense que c'est aussi l'expérience. Parce qu'au début, on fait des boulettes.
11:18 On n'a pas les bons mots.
11:21 Mais les familles, elles n'ont besoin que d'une seule chose.
11:26 Elles ont besoin d'explications, d'explications et d'explications.
11:31 Elles ont besoin de comprendre pourquoi on fait les choses ou pourquoi on ne les fait pas.
11:35 - André Contrepondville, vous citez Epictète qui dit "ne sois pas plus lâche que les enfants quand la chose ne leur plaît pas".
11:41 Ils disent "je ne joue plus". Toi aussi, quand tu crois être en semblable situation, dis "je ne joue plus et va-t'en, mais si tu restes, ne gémis pas".
11:49 - Oui, c'est l'esprit du stoïcisme dont Baudelaire disait avec un peu d'exagération
11:55 que le stoïcisme était une religion dont le seul sacrement était le suicide.
12:00 C'est faux à la lettre, évidemment. D'abord, ça n'est pas une religion.
12:04 Et puis les stoïciens ne faisaient pas l'éloge systématique du suicide.
12:09 Ils disaient simplement que le sage vit aussi longtemps qu'il le doit et qu'il le veut.
12:15 Pas forcément aussi longtemps qu'il le peut. Autrement dit, pour les stoïciens, mais comme pour la quasi-totalité des penseurs antiques,
12:22 le suicide, la mort volontaire, fait partie des droits de l'homme.
12:26 On a le droit de mourir si on le veut.
12:28 Il faudra des siècles de christianisme pour que cette idée bien banale puisse passer pour scandaleuse.
12:36 Mais en même temps, les stoïciens étaient assez lucides pour savoir que beaucoup de suicides ne sont pas du tout des actes de sagesse,
12:42 ni même des actes vertueux, mais simplement des moments de lâcheté, de faiblesse, de folie.
12:47 Loin de moi l'idée de faire l'apologie du suicide en général.
12:51 Mais là où je retrouve effectivement l'esprit des piquetettes, c'est qu'il y a des situations où on peut raisonnablement penser
12:58 que mourir vaudrait mieux que continuer à vivre.
13:01 Quelle situation ? L'extrême souffrance, l'extrême fin de vie si on perd ses facultés, le très lourd handicap qu'on ne sera pas capable de supporter.
13:11 Il ne s'agit surtout pas d'un asiat qui est contre sa volonté, mais qu'on ait le droit de mourir quand on le veut,
13:18 je crois que c'est une idée forte qui fait l'objet d'un assez large consensus.
13:23 Alors, il ne faut pas l'exagérer.
13:24 Et c'est pour ça que le débat avec le docteur Grange est intéressant, parce qu'au fond, nous sommes beaucoup plus proches qu'on ne pourrait le croire.
13:31 La différence, disons, tout de suite, c'est que moi, je suis pour la légalisation de l'euthanasie.
13:36 Le docteur Grange est plutôt contre, mais il n'est pas du tout un fanatique, bien sûr, pas de l'acharnement thérapeutique, il l'a rappelé,
13:43 mais même pas de la diabolisation de toute interruption volontaire de vie.
13:47 Et moi-même, je ne suis pas un militant acharné de l'euthanasie.
13:51 Il faut arrêter de faire de ce débat l'essentiel.
13:54 Le droit de vivre est beaucoup plus important que le droit de mourir.
13:57 Puisqu'au demeurant, nous mourrons tous.
14:00 On débat presque sur une question un peu marginale.
14:04 Mourir un peu plus tôt, un peu plus tard, avec plus de souffrance, moins de souffrance.
14:08 C'est une question importante.
14:09 Je pense qu'il est légitime que la loi s'en empare.
14:12 Voyez, mais voilà l'essentiel.
14:14 Et au fond, ce qui nous rapproche beaucoup, je crois, c'est une certaine conception de la vie en tant qu'elle est mortelle,
14:20 en tant que la mort fait partie de la vie, mais avec l'idée, évidemment, que c'est la vie qui vaut.
14:26 - Claude Grange, vous refusez de vous dire dans votre livre un débat entre la gauche et la droite.
14:33 Est-ce qu'il faut effectivement, par progressisme, qu'on puisse choisir de mourir ou en se référant à Dieu qui a donné la vie, la sacraliser en quelque sorte ?
14:42 Vous, vous dites une chose qui est très importante du point de vue de vous parler,
14:46 celui de médecin confronté avec vos patients à cette mort.
14:50 Vous dites que pour avoir accompagné des milliers de personnes dans ces derniers moments,
14:56 les malades ne demandent plus à mourir quand ils sont soulagés, accompagnés et qu'ils savent qu'ils peuvent décider.
15:03 - Oui, ça, j'ai constaté ça.
15:05 Donc, j'ai accompagné plus de 300, 3500 malades dans 25 ans.
15:09 Ça fait beaucoup. Alors, il y en a un certain nombre qui venait à l'unité de soins palliatifs,
15:16 donc avec leur carte ADMD et qui demandait.
15:20 - Association pour le droit de mourir dans la divinité.
15:22 - Voilà. Et qui demandait.
15:24 Alors, on disait écoutez, ça, non, on ne va pas le faire.
15:27 On était, voilà, c'était ni compatible avec notre éthique, ni compatible avec la loi.
15:31 On est dans un hôpital public et on respecte la loi.
15:34 Et donc, par contre, on va prendre soin de vous le mieux possible.
15:40 Et ces mêmes malades qui, au départ, étaient dans ce désir là, à partir du moment où ils étaient soulagés, entourés, accompagnés
15:49 et qu'on ne faisait que des choses qui avaient du sens pour eux,
15:52 c'est à dire on construit un projet de soins en fonction de ce qu'ils veulent eux.
15:57 Eh bien, à la fin, ils ne demandaient pas.
15:59 Et puis, il y a quand même la loi Léonetti, Jean Léonetti de 2005 et Claes Léonetti en 2016,
16:06 qui ont apporté aussi le fait de cette sédation qui a été,
16:13 donc au départ, c'était une sédation transitoire et ensuite jusqu'à la sédation profonde continue jusqu'au décès
16:20 et qui, dans des situations où il y a des symptômes réfractaires,
16:24 eh bien, apporte quand même une solution pour ces situations de symptômes réfractaires,
16:30 que ce soit la douleur, que ce soit une angoisse.
16:33 Voilà. Et donc là, à partir du moment où la personne est dans un sommeil,
16:39 bon, ça va se passer en quelques jours, voilà, le malade est paisible.
16:43 Et quand on pose, moi, ça fait 25 ans que je fais de la formation, je pose la question souvent,
16:48 pour vous, une belle mort, ça serait quoi ?
16:50 Je peux vous la poser.
16:52 Souvent, les personnes, ils disent, pour moi, une belle mort, ça serait plutôt à la maison,
16:58 plutôt chez moi, entouré de mes proches, surtout sans souffrance.
17:02 Et si ça peut arriver que ça ne dure pas trop longtemps ?
17:07 Et si ça peut passer pendant mon sommeil ?
17:11 Eh bien, la médecine est capable, justement, de faire ça.
17:16 C'est-à-dire de soulager les douleurs.
17:18 Les douleurs, on arrive à les soulager sur des équipes qui sont compétentes,
17:24 on arrive à soulager la douleur.
17:27 Il y a les douleurs, on ne va pas rentrer dans les détails, nociceptives, neuropathiques,
17:31 et puis, par contre, il y a la souffrance.
17:33 Et moi, je préfère le mot douleur pour la douleur physique,
17:36 et puis le mot souffrance pour tout ce qui est psychique, social et spirituel.
17:40 Et la souffrance, ça, c'est plus compliqué.
17:42 Mais de quitter cette terre, de quitter ses proches,
17:45 ben oui, c'est aussi de la souffrance, et on ne peut pas complètement la gommer, cette souffrance.
17:49 - André Comte-Ponville, sur ce que dit le Dr Gance,
17:52 tous les médecins qui travaillent dans les soins palliatifs le disent,
17:55 et ils ont raison, et c'est une bonne nouvelle.
17:57 Quand les soins palliatifs sont bien faits, la demande d'euthanasie diminue très nettement.
18:03 Tant mieux, encore une fois, il ne s'agit pas de multiplier les euthanasies.
18:06 Mais il y a des cas où la demande demeure.
18:10 La loi Leonetti et la loi Kless-Leonetti ont été un formidable progrès
18:15 par rapport à la situation antérieure, qui était proprement scandaleuse.
18:19 Mais ces lois ne règlent pas tous les problèmes.
18:22 Dans mon livre, je prends l'exemple du jeune Vincent Imbert,
18:25 rappelons qu'il s'agit d'un jeune homme de 20 ans,
18:28 qui après un accident de voiture est paralysé des quatre membres,
18:33 aveugle, muet, ne pouvant plus bouger, je crois,
18:36 que le pouce de la main droite ou gauche, je ne sais plus laquelle des deux,
18:41 qui supplie sa mère de l'aider à mourir.
18:44 Ce jeune homme n'est pas en fin de vie, il a 20 ans.
18:46 Il a devant lui une espérance de vie de 60 ans.
18:49 En toute rigueur, il n'est même pas malade, il est très lourdement handicapé.
18:54 S'il avait voulu vivre, il va de soi qu'il fallait tout faire,
18:57 lui donner les moyens pour qu'il vive le mieux possible ou le moins mal possible.
19:00 Mais dès lors qu'il voulait mourir, je me demande de quel droit
19:04 est-ce que la République peut l'empêcher de mourir ?
19:08 Alors on me dit oui, mais c'est un cas exceptionnel dans ce degré de gravité.
19:12 Oui, sans doute, sauf que la plupart des gens qui demandent l'euthanasie
19:16 ne sont pas en état de mettre de même fin à leur jour.
19:19 C'est ce que je dis dans mon livre.
19:21 Essayez de vous suicider dans un EHPAD ou dans un hôpital,
19:23 vous m'en direz des nouvelles. En pratique, c'est impossible.
19:26 Or, moi, mon problème, ce n'est pas seulement les derniers jours de vie.
19:29 Vous avez raison, si on supprime la souffrance,
19:31 à la limite, pourquoi gagner 8 jours ou perdre 8 jours de vie en plus ou en moins ?
19:36 C'est aussi les dernières années.
19:38 Moi, comme tout le monde, enfin à notre âge,
19:40 j'ai accompagné des proches dans des EHPAD, des maisons de retraite,
19:43 spécialement dans les EHPAD.
19:45 Il est difficile d'y aller sans se dire, mais surtout ne pas finir là.
19:51 On n'est pas forcément en fin de vie.
19:53 Quand on rentre dans un EHPAD, statistiquement,
19:55 on a deux ans d'espérance de vie.
19:57 Mais j'ai le droit de préférer éviter ces deux années-là.
20:00 Et pas parce que les EHPAD sont mal tenus.
20:02 Ils le sont parfois, mais souvent très bien tenus.
20:04 Il y a beaucoup de compétences professionnelles, de dévouement.
20:06 Oui, mais il y a l'extrême vieillesse.
20:09 Lucrèce rapporte que le grand démocrite s'est suicidé quand il a vu que l'âge
20:14 lui faisait perdre la mémoire.
20:15 Au fond, une de mes amies disait très récemment, sa mère est morte d'Alzheimer.
20:19 Elle me disait, je serais prête à tout pour m'éviter ça et pour l'éviter à mes enfants.
20:25 Voilà, c'est aussi la liberté de mourir.
20:27 Ce n'est pas seulement les derniers jours, ce n'est pas seulement les soins palliatifs.
20:30 Tout le monde est pour les soins palliatifs.
20:32 C'est aussi donner aux gens le droit de mourir, y compris quand ils sont hospitalisés
20:37 ou dans un EHPAD, ce qui actuellement est impossible parce qu'effectivement,
20:41 la loi ne le permet pas.
20:43 La parole du philosophe André Comtes-Ponville et la réaction du docteur Claude Grange.
20:47 Alors la première réaction, c'est par rapport à l'histoire de Vincent Imbert.
20:51 Vincent Imbert, vous avez décrit sa situation.
20:54 Et la loi de 2016 permet de résoudre le problème.
21:02 C'est-à-dire qu'il demande d'arrêter.
21:06 Il demande à sa mère de le faire mourir.
21:08 Et donc pour lui, c'est une obstination déraisonnable de continuer les thérapeutiques qu'on lui donne.
21:15 Et donc il avait des thérapeutiques de suppléance, de maintien en vie.
21:20 Eh bien, on pouvait tout à fait arrêter les traitements de suppléance.
21:24 C'est ça la charme.
21:24 Mais il n'était pas en fin de vie.
21:25 Il n'était pas en fin de vie.
21:27 Mais la loi dit qu'un malade a le droit de refuser tout traitement.
21:33 Tout traitement.
21:35 Tout traitement, ça veut dire l'oxygène, ça veut dire la nutrition artificielle,
21:40 ça veut dire l'hydratation artificielle, qui très souvent maintiennent en vie.
21:46 Et donc on arrête ces traitements.
21:49 Et il serait décédé sous sédation en quelques jours.
21:52 Donc la nouvelle loi Claes-Leoniti pouvait permettre tout à fait par rapport à ça.
22:00 Moi, j'ai envie de dire, en effet, la loi ne résout pas tout parce qu'il y a deux situations.
22:08 Il y a les gens qui vont mourir et il y a les gens qui veulent mourir.
22:12 Dans la grande majorité des cas, pour les gens qui vont mourir, la solution,
22:17 ce sont les soins palliatifs par des équipes.
22:19 Le problème, c'est qu'on manque de plus en plus de médecins,
22:22 qu'il y a 22 ou 26 départements avec l'outre-mer sans unité de soins palliatifs
22:28 et que là, il ne faut pas mettre la charrue avant les bœufs.
22:31 Commençons à développer les soins palliatifs pour tous ceux qui vont mourir.
22:35 Et après, il y a les personnes qui veulent mourir.
22:39 Alors là, oui, mais la réponse, elle n'est pas médicale.
22:43 La réponse est sociétale et le suicide n'est pas interdit.
22:47 Et éventuellement, moi, si on devait aller, les législateurs, vers cette situation,
22:53 ce n'est pas que je sois pour ou contre.
22:58 Mais je pense que ce serait plutôt quelque chose comme l'état d'Oregon
23:03 ou en Suisse qui soit pris en charge par des associations,
23:08 mais surtout pas à l'hôpital, surtout pas à l'hôpital.
23:12 Qu'est-ce qu'on va faire à cet hôpital qui est déjà meurtri, abîmé
23:16 avec le Covid, où il y a des soignants, on les a changés de service,
23:20 on les a mutualisés pour aller.
23:21 Et puis là, on va leur donner.
23:24 Non, ça, je vous dis, ce n'est pas possible.
23:27 Ça va faire une catastrophe parce qu'en plus de ça,
23:30 nous, même en tant qu'équipe de soins palliatifs,
23:33 quand on met en place des sédations, même pour certains médecins
23:36 ou certains infirmières, le fait de la sédation, ils nous disent
23:40 mais ça ne serait pas...
23:42 Mais non, là, on fait dormir.
23:43 Faire dormir, ce n'est pas faire mourir.
23:46 On n'accuse pas le sommeil quand...
23:48 Vous savez qu'on meurt le jour, mais on meurt la nuit.
23:51 Et quand on meurt la nuit, on n'accuse pas le sommeil d'avoir fait mourir la personne.
23:55 Donc voilà, là, c'est au niveau de l'intention.
23:58 Il faut que dans l'intention des soignants,
24:01 ça reste le soin et le soin jusqu'au bout.
24:03 Faire dormir, oui. Faire mourir, non.
24:06 - André de Contreprenne. - Là aussi, on est assez proche.
24:08 Moi, je pense, comme le docteur Grange, que
24:11 quand les deux sont possibles, mieux vaut le suicide assisté que l'euthanasie.
24:15 Pourquoi ? Parce qu'un médecin me disait récemment
24:18 « je n'ai pas fait médecine pour tuer les gens ».
24:20 Ben oui, je le comprends bien.
24:22 Et ça veut dire aussi que la réticence du corps médical,
24:25 elle est non seulement compréhensible, mais elle est légitime.
24:28 De même que la demande sociétale d'avoir le droit de mourir si on le veut,
24:32 est aussi légitime.
24:34 La différence, c'est que le médecin et moi, si je dois dire,
24:37 nous ne sommes pas du même côté de la seringue.
24:40 Moi, ce que je lui demande, c'est un service à me rendre.
24:42 Mais c'est lui qui doit pousser la seringue, qui accomplit l'acte d'état.
24:45 De mon point de vue, c'est un service.
24:47 De son point de vue, c'est un homicide. Je comprends très bien que je sois réticent.
24:49 Et donc, le plus simple, c'est d'autoriser le suicide assisté,
24:53 comme dans l'État de l'Oregon aux États-Unis,
24:56 où on donne au malade qui le demande et qui retourne chez lui la substance létale,
25:01 libre à lui de la prendre ou pas.
25:03 Je crois qu'en gros, une fois sur deux, il ne la prend pas,
25:04 une fois sur deux, il la prend. C'est très bien.
25:06 Moi, je suis pour qu'il y ait la plus grande liberté possible,
25:10 avec en même temps des gardes fous.
25:11 On ne va pas non plus donner une substance létale
25:13 aux gamins de 16 ans qui ont eu un chagrin d'amour.
25:15 Il va de soi que la loi devrait prévoir des gardes fous.
25:19 Bien sûr, garantir une clause de conscience pour le médecin
25:21 qui ne doit jamais être obligé de pratiquer un acte médical
25:24 contraire à sa conscience ou à sa religion, tout ça va de soi.
25:27 Mais moi, je ne suis pas législateur.
25:29 Donc, mon article porte sur le principe même de la liberté de mourir.
25:32 Voilà, je pense que le droit de mourir fait partie des droits de l'homme,
25:35 d'où le titre de mon livre, La clé des chants, c'est un clé d'oeil.
25:38 C'est une citation de Montaigne.
25:40 Montaigne écrit dans les Essais,
25:42 "Le plus beau cadeau que nature nous ait fait,
25:45 c'est de nous avoir laissé la clé des chants."
25:48 La clé des chants, c'est-à-dire le droit de s'en aller.
25:50 Et Dieu sait que Montaigne aimait la vie.
25:52 Dieu sait qu'il n'a aucune pulsion mortifère.
25:55 Mais c'est justement parce qu'il aime la vie et parce qu'il aime la liberté
25:58 qu'il pense que le droit de quitter la vie
26:00 fait partie des libertés qu'on doit assumer.
26:04 - Alors, le suicide, il y a quand même 200 000 tentatives de suicide en France.
26:09 Il y en a 12 000 qui décèdent.
26:13 Bon, alors, vous savez, le combat entre la liberté de disposer de sa propre vie, de...
26:19 OK, et voilà, peut-être que c'est un combat entre la liberté
26:25 et la solidarité ou la fraternité.
26:28 Mais si les médecins, alors que les personnes sont libres de se suicider,
26:36 on va plus s'occuper des personnes qui se suicident.
26:40 C'est-à-dire que ce serait une non-assistance à personne en danger.
26:44 Et donc, bien évidemment que les gens qui se suicident,
26:47 heureusement qu'ils sont pris en charge encore dans les urgences et en réanimation,
26:50 parce qu'il y en a en effet qui... Voilà, un chagrin d'amour ou autre chose.
26:55 Et puis, moi, ce que je voudrais dire aussi, c'est que le nombre de fois
27:00 où des malades disaient "Je n'en peux plus, docteur, vous ne pouvez pas faire quelque chose",
27:05 ils le disent un jour, et le lendemain, "Ah, j'ai vu ma fille, on a passé des bons moments."
27:11 Il y a une ambivalence et une fluctuance.
27:19 C'est-à-dire qu'à un moment donné, ils veulent, à un moment donné, ils ne veulent pas.
27:21 Donc si on a poussé la cingle au moment où ils veulent,
27:24 ils ne seront plus là pour vous dire que là, ils ne voulaient plus.
27:26 Donc vraiment, c'est éminemment complexe.
27:31 Mais le malade qui est vulnérable, souvent, il change d'avis, mais très souvent, très souvent.
27:38 Et encore une fois, nous, vraiment, sincèrement, les malades qui sont soulagés, accompagnés,
27:47 et on ne les emmerde pas à faire ceci, à faire cela.
27:52 - C'est aussi une question qui revient, c'est comment est-ce qu'on considère nos aînés ?
27:56 Comment est-ce qu'on les prend en charge ?
27:58 Et Karine, à ce sujet de la communauté du Book Club, veut nous parler du livre
28:02 "La voyageuse de nuit" de Laura Adler. Voilà ce qu'elle a à dire.
28:04 - Un livre qui m'a percutée, bousculée, qui m'a amenée à cette réflexion assez importante
28:13 de qu'est-ce que la vieillesse et à partir de quand on rentre dans cette fausse catégorie, finalement,
28:21 de vieux, de personnes âgées ? Est-ce que c'est à 60, 70 ans ?
28:25 Est-ce que c'est quand on commence à avoir des soucis de santé ?
28:30 Tout un questionnement là autour, puisque finalement, on y passera tous.
28:34 Et puis, ça éveille aussi beaucoup de colère de voir à quel point on déconsidère
28:42 ceux grâce à qui on est là, à quel point on leur enlève tout,
28:47 parce qu'on décide à leur place qu'ils ne sont plus capables,
28:51 ce qui, à mon avis, accélère justement leur départ, leur fin de vie,
28:55 qui bouscule le processus et qui fait qu'ils abandonnent.
28:59 Donc voilà, un livre qui amène beaucoup de réflexion et qui a toute sa place
29:04 dans cette question de la fin de vie et de comment on traite nos aînés.
29:09 - André Contesponville, c'est une question de civilisation, presque.
29:12 - Oui, le rapport à la vieillesse.
29:15 Il faut bien sûr prendre soin de nos vieux, plus et mieux qu'on ne le fait,
29:20 mais aussi le droit de s'en aller.
29:22 Et alors, la complexité aussi, un mot sur le suicide,
29:25 c'est que le suicide, ça peut être une décision et un symptôme.
29:30 Il faut rappeler qu'en France, une dépression sur deux n'est pas soignée.
29:34 Et donc, il ne s'agit pas du tout, encore une fois, de faire l'apologie du suicide.
29:37 Montaigne écrit dans les Essais "la plus volontaire mort, c'est la plus belle".
29:42 Je n'en crois rien, je pense qu'il y a des morts plus belles que le suicide,
29:45 mais il y a des circonstances où on a le droit de s'en aller.
29:48 Et donc, là encore, il faut rentrer dans la complexité.
29:51 Il faut à la fois mieux soigner les dépressions,
29:53 le fait qu'une dépression sur deux ne soit pas soignée en France,
29:56 alors qu'on a des médicaments de plus en plus efficaces,
29:58 c'est une espèce de scandale de santé publique.
30:01 Mais si certains suicides sont des symptômes,
30:04 certains suicides sont des décisions qui relèvent de la liberté.
30:08 Le type, il n'est pas malade, simplement, il veut en finir.
30:10 Et on a le droit d'en finir.
30:12 Sauf qu'encore une fois, la plupart des suicides en pratique sont très difficiles.
30:17 Moi, je n'ai pas un revolver chez moi pour me tirer une balle dans la tête.
30:20 Souvenez-vous de Gilles Deleuze, immense philosophe, 70 ans,
30:23 souffrant terriblement d'une insuffisance respiratoire.
30:27 Il a dû, pour mourir, se jeter de la fenêtre de chez lui,
30:30 au cinquième étage en l'occurrence.
30:32 Qui a envie d'une mort comme ça ?
30:34 Comment est-ce qu'on fait quand on est chez soi à 70 ans,
30:36 avec une machine pour respirer ?
30:38 Ou quand on est hospitalisé ou dans un EHPAD,
30:41 comment est-ce qu'on fait pour mourir ?
30:44 Mon ami Roland Jacquard, qui était mon premier éditeur,
30:46 s'est suicidé à l'âge de 80 ans.
30:48 J'ai dîné avec lui un mois avant son suicide.
30:52 C'est l'une des soirées les plus gays, les plus chaleureuses que j'ai vécues de ma vie.
30:57 Et l'une des raisons de sa gaieté, de sa bonne humeur, de sa sérénité,
31:01 c'est que, mis à faillite, ce coup-ci, je suis rassuré,
31:03 un de mes amis mexicains m'a donné la substance létale.
31:06 Maintenant, je sais que je pourrais mourir quand je le veux.
31:09 Il a 80 ans, de quel droit est-ce qu'on va lui interdire de mettre fin à ses jours ?
31:14 Il a écrit 10 livres sur la question du suicide.
31:16 Sauf qu'actuellement, toute assistance au suicide est considérée comme un délit.
31:21 Et d'où le problème dès lors que le suicide n'est pas un délit.
31:24 Pourquoi l'assistance au suicide en serait-elle toujours un,
31:28 y compris quand elle est faite par un médecin ?
31:29 Non pas pour mourir à l'hôpital, je suis d'accord avec vous, Docteur Grange,
31:32 pour mourir chez soi, mais avec l'aide de la médecine,
31:35 plutôt qu'en se jetant par la fenêtre.
31:37 Vous demandez évidemment qu'on change la législation,
31:40 ça on l'a bien compris, Docteur Grange ?
31:41 Pour votre ami, monsieur Deleuze,
31:44 l'insuffisance respiratoire, il est peut-être sous oxygène,
31:47 ou sous ventilation, ou sous respirateur.
31:49 Eh bien, il serait hospitalisé dans mon unité de soins palliatifs,
31:55 il dit qu'il ne veut pas continuer à vivre avec un respirateur,
32:00 il a le droit de refuser cette suppléance,
32:03 donc on peut tout à fait le mettre sous sédation,
32:05 et retirer son respirateur, et il décède en quelque temps,
32:09 surtout s'il est dépendant de son respirateur,
32:12 et il n'a pas besoin de se jeter du cinquième étage.
32:15 Moi, je vais vous raconter une histoire.
32:18 Il y a une personne qui voulait rester chez elle,
32:23 et ses enfants, ça faisait deux, trois fois,
32:26 on les appelait les pompiers, tout ça,
32:29 parce qu'elles faisaient des problèmes cardiaques.
32:33 Et donc, toujours dérangé, à un moment donné,
32:36 on lui dit, on va mettre un pacemaker,
32:39 comme ça, tu n'auras plus de...
32:41 OK.
32:42 Elle accepte de mettre son pacemaker,
32:44 uniquement si à un moment donné, elle pourra le retirer.
32:47 Et puis, à un moment donné, elle perd un petit peu la tête,
32:50 elle est un peu moins bien, et tout ça,
32:52 elle est hospitalisée,
32:55 elle est prise en charge, hébergée dans un Ehpad.
32:58 Et là, elle dit non.
32:59 Non, non, moi, je voulais rester chez moi.
33:00 Je voulais mon petit jardin, le petit chat, le mur rose, non.
33:04 Et là, elle me demande d'arrêter son pacemaker,
33:08 parce que c'est ça,
33:10 elle est persuadée que c'est ça qui l'empêche de mourir.
33:12 Ça a été compliqué,
33:14 mais tout malade a le droit d'arrêter un traitement.
33:18 Le pacemaker est un traitement de suppléance.
33:21 Et donc, avec le cardiologue, un jour,
33:24 en recevant la famille,
33:27 en faisant acter le fait qu'elle refusait son pacemaker,
33:30 on a désactivé son pacemaker.
33:32 Elle n'était pas tout à fait dépendante
33:34 et elle est décédée quelques semaines après,
33:37 mais on peut arrêter les traitements qui maintiennent en vie.
33:40 Et c'est tout le but de ces soins palliatifs,
33:42 on l'a bien compris, qui sont, selon vous,
33:45 pas assez financés, il faut bien le dire,
33:47 pas assez développés aussi dans notre pays.
33:49 On l'a bien compris.
33:50 Merci beaucoup, Claude Grange d'être venu nous parler de votre expérience
33:54 qu'on retrouve dans ce livre, "Le dernier souffle",
33:57 accompagné de la fin de vie, discussion avec Régis Debré,
34:00 aux éditions Gallimard.
34:02 Et merci également à vous, André Comtes-Ponville.
34:05 La philosophie, c'est apprendre à mourir,
34:07 c'est aussi ce que disaient Socrate et Montaigne.
34:09 Merci d'être venu nous parler de "La clé des chants"
34:11 et autres impromptus aux presses universitaires de France.
34:15 Merci d'avoir accepté cet échange dans le Book Club, très fort.
34:18 Merci à vous tous les deux.
34:19 Dans un instant, vous écouterez l'épilogue de ce Book Club,
34:26 mais avant, 13h25 sur France Culture,
34:27 les cadres itémes de Charles Danzig,
34:29 qui nous parle des artistes qui ont pris la plume
34:30 et on termine avec la plasticienne Sophie Calle.
34:33 Je vais vous dire un secret, un secret à ciel ouvert.
34:36 Ce sont ceux que l'on voit le moins.
34:39 Il est bien connu que pour dissimuler une chose,
34:41 il faut la mettre en évidence.
34:43 C'est ainsi que les correcteurs d'édition ont appris
34:46 à faire particulièrement attention au titre des livres.
34:50 C'est généralement là, comme ils sont très gros
34:52 et ont un air d'évidence, qu'on laisse passer des fautes.
34:56 Le secret à ciel ouvert de ce cadre itème
34:59 est que Sophie Calle est une romancière.
35:02 Elle utilise des médiums qui ne sont pas ceux du roman,
35:05 ne publiant pas des livres imprimés en noir et blanc
35:07 qui raconteraient des fictions,
35:09 mais il ne reste pas moins que ces des fictions qu'elle élabore.
35:13 Des livres, elle en publie le plus souvent
35:15 des catalogues de ses expositions.
35:17 Dans ces expositions même,
35:18 elle utilise quelque chose de très roman, l'écrit.
35:22 Les écrits de Sophie Calle viennent à côté des images.
35:25 Il ne les explique pas, il ne les complète pas,
35:28 il les accompagne.
35:29 Ils sont des indices, quelquefois trompeurs,
35:32 comme dans L'ascenseur occupé, la 501,
35:35 où elle enquête dans un hôtel désaffecté.
35:38 Sophie Calle tente de faire ce que font tous les romanciers,
35:42 de mettre en ordre le désordre de la vie.
35:45 Elle prend souvent des lieux pour cadre de ses expos romans,
35:48 si je peux tenter ce néologisme.
35:50 Lieux qui sont loin d'être de simples décors,
35:53 ils sont des contenants, parfois passés, parfois à venir.
35:57 Je pense dans les deux cas à un hôtel.
35:59 L'un, celui de l'exposition précisément intitulé L'hôtel,
36:03 était en activité quand elle s'y est intéressée.
36:06 Les clients et leur vie.
36:08 Pour les connaître, Sophie Calle s'était faite femme de chambre.
36:11 Ne croyez pas qu'un romancier soit autre chose.
36:14 Je suis en train d'écrire un roman et je peux vous dire que,
36:17 à tour de rôle, je suis un étudiant des Beaux-Arts,
36:19 une galeriste quinquagénaire, un gigolo brésilien.
36:22 Sophie Calle est une narratrice le plus souvent neutre
36:26 ou apparemment neutre, car elle est aussi une grande espiègle.
36:30 Dans un autre de ses livres, dont le sujet apparent
36:34 est « Quelques journées de sa vie dans Paris »
36:36 et le sujet réel « La valeur du témoignage »,
36:38 notre expo romancière donne le compte rendu d'une de ses journées.
36:43 Elle dit ensuite qu'elle a embauché un détective privé pour la suivre
36:47 et publie son rapport.
36:49 À partir d'une certaine heure, il dit n'importe quoi,
36:52 ment ou invente, en tout cas ce qu'il énonce
36:55 n'a rien à voir avec ce qui s'est passé.
36:57 Et que s'est-il donc passé ?
36:59 Sophie Calle a fait suivre le détective privé
37:02 par un autre détective privé.
37:04 Et c'est ainsi que nous apprenons que le premier,
37:06 à partir de l'heure où il dit n'importe quoi,
37:09 est allé au cinéma.
37:11 Manière de romancier là encore, et de romancier très fin.
37:14 Il arrive, comme dans ce délicieux exemple,
37:17 que l'auteur s'arrange pour nous faire douter du narrateur.
37:20 Qui sait si ce que je viens de vous dire est exact ?
37:23 C'est une bonne question, Charles Danzig, les cadres ITM
37:25 à retrouver sur franceculture.fr et sur l'appli Radio France.
37:29 Un grand merci à toute l'équipe du Book Club.
37:31 Oriane Delacroix, Jeannette Grappard, Zora Vignet,
37:34 Didier Pinault et Alexandra Laibegovitch.
37:36 Colin Gruel réalise cette émission ce midi à la prise de Sens et Florent Bujon.
37:40 Le Book Club de France Culture est ouvert 24h/24.
37:42 Et on revient demain, voici l'épilogue du jour.
37:44 C'est l'une des soirées les plus gays, les plus chaleureuses que j'ai vécues de ma vie.
37:49 J'étais catastrophiquement nul.
37:51 Et c'est une bonne nouvelle ?
37:52 Non, ça je vous dis, c'est pas possible.
37:55 Une pas assez constante pensée de la mort
37:58 n'a donné pas assez de prix aux plus petits instants de ta vie.
38:03 Ça, j'ai constaté ça.
38:04 Vous m'en direz des nouvelles.

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