"Je suis maîtresse en petite section et je vois bien que l'éducation des enfants change" - Marie

  • l’année dernière
Avec Didier Pleux, psychologue, psychothérapeute et auteur de plusieurs ouvrages, dont « On aime comme on a été aimé » avec Brigitte Lahaie aux éditions La Musardine et de « Comment échapper à la dictature de notre cerveau reptilien » aux éditions Odile Jacob.

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Transcription
00:00 14h16, Brigitte Lahaie, Sud Radio.
00:04 Nous continuons à évoquer l'éducation à donner aux enfants avec Didier Pleu à l'occasion de la sortie de ce livre
00:11 "L'éducation bienveillante, ça suffit" c'est aux éditions Odile Jacob.
00:16 Et vous nous parlez évidemment d'une éducation beaucoup plus rationnelle
00:21 parce que, en effet, les enfants ont aussi besoin de repères,
00:25 ils ont besoin aussi qu'on leur apprenne la frustration, tout n'est pas possible,
00:29 le plaisir immédiat, et bien ça n'a qu'un petit moment immédiat justement,
00:35 ça ne peut pas être tout le temps.
00:37 Alors, est-ce que vous pourriez donner déjà la réponse à ma devinette, Didier Pleu ?
00:41 Pourquoi les amants, quand ils s'embrassent, ferment les yeux ?
00:44 J'essaie de réfléchir Brigitte, je pense que c'est lié au plaisir,
00:49 un peu comme quand on goûte un aliment qui est exceptionnel,
00:52 on a envie de fermer les yeux pour une sorte de...
00:54 Mais non, vous me cherchez une réponse rationnelle, non, c'est une devinette,
00:58 c'est tout simplement parce que l'amour est aveugle,
01:01 donc ça ne sert à rien de garder les yeux ouverts,
01:03 c'est pour ça que les amants ferment les yeux quand ils s'embrassent.
01:06 C'est un mot qui s'appelle.
01:09 On va donner la parole à Marie, et je crois qu'elle a beaucoup de choses à dire,
01:14 et je pense que vous allez pouvoir bien communiquer tous les deux.
01:16 Bonjour Marie.
01:17 Bonjour.
01:19 Bonjour.
01:20 Oui, bonjour.
01:21 Moi je suis maman de trois enfants, qui ont trois ans et les deux derniers ont 16 mois,
01:27 et je suis aussi instite en maternelle.
01:30 Et c'est vrai qu'on voit beaucoup aujourd'hui des comportements parentaux
01:35 qui provoquent ensuite des problèmes chez les enfants.
01:40 J'ai eu les deux cas en fait des éducations qui étaient beaucoup trop strictes,
01:44 où je ne parlais plus des petits soucis que l'enfant pouvait avoir en classe par peur,
01:49 des réactions parfois physiques et violentes des parents.
01:53 Et à l'inverse j'ai aussi des parents qui ne comprennent pas ce que vous expliquiez,
01:59 que le plaisir immédiat ce n'est pas toujours possible,
02:02 que l'importance de la frustration.
02:04 J'ai notamment eu des enfants qui ont pu être en danger au niveau de la santé
02:10 parce qu'ils ne suivaient pas les traitements donnés par les médecins pour x ou y maladie.
02:16 Parce que l'enfant, vous comprenez, il ne supporte pas,
02:18 que ce soit les gouttes dans les yeux, que ce soit des médicaments à prendre,
02:21 et nous on avait des répercussions en classe avec des enfants
02:24 qui finalement étaient de plus malades qu'au début.
02:27 J'ai eu aussi le cas d'un enfant qui montait sur les tables,
02:30 et lorsque j'en ai parlé aux parents, ils m'ont dit "elle va apprendre toute seule,
02:34 vous savez, elle va bien voir que les autres ne montent pas sur la table,
02:37 ou qu'elle risque de tomber".
02:39 Ce à quoi j'ai répondu "oui, donc vous comptez finalement sur l'éducation des autres enfants
02:43 pour que la vôtre apprenne".
02:45 Et donc c'est vrai qu'en classe ça provoque...
02:47 Ou alors ils attendent l'accident pour que le pauvre enfant comprenne
02:52 que c'est dangereux de monter sur une table.
02:54 C'est terrible oui.
02:55 C'est ça, c'est-à-dire qu'on arrive à des situations vraiment extrêmes,
02:59 de mal-être de l'enfant même, à cause d'une bienveillance à outrance,
03:03 qui finalement devient pour moi, entre guillemets, on va dire de la malveillance.
03:07 Et des enfants qui n'arrivent plus à communiquer entre eux,
03:11 avec des enfants qui finalement plus on avance, plus ils sont malheureux,
03:14 et on obtient l'inverse de ce qu'on voulait faire à la base,
03:17 de l'éducation qu'on voulait donner à la base.
03:19 Et visiblement Marie, c'est intéressant, parce que quand vous essayez d'expliquer ça à des parents,
03:25 de toute façon ils ne comprennent rien, ils n'entendent rien.
03:27 Alors il y a différentes réactions.
03:31 On a des parents qui sont complètement perdus et qui viennent nous voir,
03:34 notamment par exemple, moi je suis encore assez jeune, j'ai la trentaine,
03:38 et qui me demandent des conseils d'éducation.
03:41 Moi finalement ce n'est pas mon métier, on va dire à la base,
03:45 mais qui vont par exemple me demander "mais à quelle heure on couche les enfants ?"
03:48 Quand je leur dis "votre enfant est fatigué, est-ce que vous le couchez à une heure un petit peu normale,
03:52 parce qu'il s'endort en classe ?"
03:54 "Allez, c'est quoi une heure normale ?"
03:56 Donc pour eux il n'y a même pas cette réflexion-là.
04:02 Et ça vraiment, on a des parents qui sont demandeurs.
04:05 Et après, il y a aussi des parents qui sont complètement fermés,
04:08 qui nous disent "mais de toute façon c'est un enfant, c'est un bébé,
04:11 vous ne pouvez pas demander à un bébé de ne pas mordre, de ne pas taper."
04:14 Si, on peut lui demander, et c'est cet apprentissage-là.
04:18 Bien sûr notre réaction est adaptée à son âge,
04:21 mais on ne peut pas ne pas relever ces petits soucis comportementaux
04:27 qui font qu'après en société c'est tout simplement pas le mien.
04:30 Moi ce qui m'intéresse dans votre témoignage Marie, c'est que ça m'amène cette question.
04:34 Didier Pleu, au fond, quels sont les repères qu'on donne aux parents aujourd'hui,
04:39 par exemple justement sur l'heure du coucher,
04:42 sur des choses qui semblent tellement importantes ?
04:47 Oui, c'est pour ça que le témoignage de Marie est essentiel,
04:51 parce que quand on s'occupe d'enfants, que ce soit l'école maternelle, crèche, etc.,
04:55 on se rend compte qu'il y a beaucoup de parents qui sont perdus,
04:58 n'ont rien compris au niveau de ce qu'était l'autorité juste.
05:02 Et malheureusement, alors là vous allez me trouver un petit peu véhément,
05:06 mais c'est vrai que dans mon livre, je cite quand même constamment
05:11 les grands prêtres de l'éducation bienveillante à la française
05:15 qui répètent quand même les mêmes choses depuis des années et des années,
05:18 qui sont, là j'ai ça devant les yeux, qui sont par exemple
05:21 l'enfant peut manger quand il veut, il ne faut pas le réprimander
05:24 s'il salit le salon avec des boîtes pleines de boue,
05:27 il faut répondre à toutes les demandes de l'enfant,
05:29 il faut le laisser libre, choisir ses vêtements,
05:31 ce doit être fait pour autonomiser l'enfant,
05:33 enfin s'il vous dit "je", c'est pas qu'il s'oppose,
05:37 c'est qu'il est en train de s'affirmer,
05:41 et toutes ces choses-là, les parents l'ont entendu, ça a été vulgarisé,
05:44 quand vous regardez les plus grandes ventes des livres de poches pour enfants,
05:48 c'est ça qu'on entend en 2023, c'est ça qu'on lit,
05:51 donc les parents se disent "mais ce sont des enfants, on nous l'a dit,
05:55 il faut les laisser s'autonomiser,
05:57 il faut les laisser découvrir un petit peu, expérimenter, s'affirmer".
06:00 On a vendu quelque chose qui est archi faux,
06:03 l'enfant est malheureusement pulsionnel,
06:06 l'enfant a besoin d'autorité, mais non, on nous répond
06:09 "laissez-le libre, aimez-le, soyez empathique, soyez bien-souvent".
06:13 Peut-être que ce qu'il faudrait entendre,
06:15 et qui serait plus facile à entendre pour ces parents-là,
06:18 c'est que l'enfant certes est pulsionnel,
06:21 mais il a juste besoin de barrières,
06:24 c'est comme un torrent qui est très...
06:30 s'il n'y a pas des rives bien claires,
06:33 en effet ça déborde et c'est dangereux pour l'enfant.
06:36 C'est ça qu'il faudrait expliquer,
06:38 non pas pour dire que l'enfant est à la base méchant,
06:41 on a dit qu'il y a des tempéraments très différents,
06:43 mais il y a des enfants plus intrépides que d'autres,
06:45 qui sont tout le temps à quémander,
06:47 qui sont victimes, souvenez-vous de ce fameux striatum,
06:49 le creuset du plaisir qu'on a dans le cerveau,
06:51 que tout être humain a, et que l'enfant a multiplié par 10 000,
06:54 donc il faut expliquer que non,
06:56 dès qu'on laisse l'enfant dans son plaisir immédiat,
06:59 il en veut plus, il ne va pas s'arrêter tout seul en disant
07:02 "formidable, j'ai expérimenté ça, c'est sympa,
07:04 j'ai pris le ballon du copain, je vais lui rendre,
07:06 maintenant ça suffit", non, il va continuer.
07:08 Donc je ne veux pas stigmatiser les enfants,
07:10 mais voilà ce qu'on entend quand on intervient dans un wagon de train
07:14 et quand on dit "votre enfant n'arrête pas de courir dans l'allée,
07:17 il fait du bruit, il monte sur les tables, etc."
07:20 Moi je me souviens, on me disait toujours
07:22 "vous n'aimez pas les enfants, vous",
07:24 alors je ne disais pas que j'avais écrit "l'enfant roi",
07:26 parce que sinon...
07:28 - Vous étiez hors du train.
07:30 - Oui, hors du train, mais c'est vrai qu'il n'y a maintenant
07:33 plus personne qui n'ose réagir, parce qu'on vous répond
07:36 "mais c'est ça l'enfant, il est en maturation,
07:39 il n'a pas de limite, il ne peut pas se résonner tout seul",
07:42 c'est justement parce qu'on sait ça qu'il faut que le parent,
07:44 on n'a pas dit qu'il fallait que l'enfant reste droit
07:46 comme un balai pendant tout le voyage,
07:49 ne rien dire, et à pas parler, et à pas dessiner,
07:52 mais entre ça et courir dans les couloirs,
07:54 bousculer tout le monde, agresser la grand-mère du coin,
07:57 et faire le... ça ne va pas.
08:00 Et je crois que là, les gens croient que ça va castrer l'enfant,
08:03 que non, il ne va pas s'épanouir,
08:06 soyez un petit peu... moi on me disait "mais vous n'êtes pas bienveillants",
08:09 mais c'est sûr que vous n'êtes pas bienveillants,
08:11 vous êtes maltraitants.
08:13 - Oui, non mais Didier Pleu, n'empêche qu'on voit bien maintenant
08:16 ces enfants qui ont été élevés à la fin des années 90,
08:20 ils sont aujourd'hui adultes et on voit bien ce que ça donne.
08:23 Donc forcément, aujourd'hui, on en revient de tout ça.
08:27 Marie, vous qui êtes sur le terrain,
08:30 quel serait le pourcentage d'enfants qui sont mal éduqués, osons le dire ?
08:35 - Honnêtement, vous donner un pourcentage, c'est compliqué,
08:39 ce que je peux vous dire c'est qu'on en a de plus en plus,
08:42 et ce n'est pas mon avis, c'est l'avis de tous mes collègues réunis,
08:45 c'est de plus en plus compliqué,
08:47 et ce que j'explique souvent aux parents,
08:49 c'est un peu ce que vous disiez tout à l'heure,
08:51 c'est que finalement, on a la possibilité de faire des écarts avec l'enfant
08:55 quand on est toujours sur la même ligne,
08:58 c'est-à-dire qu'on rassure l'enfant qu'on est strict et qu'on a toujours les mêmes règles,
09:01 ça nous permet justement de temps en temps de faire une petite entorse aux règles qu'on a,
09:05 c'est "bon, ce soir, tu as envie de manger plus tôt et tu as envie de choisir ton repas,
09:08 bon, comme d'habitude, le repas est heure fixe et que c'est un repas qui se passe bien,
09:12 ce soir, tu manges à l'heure que tu veux, sur ton plateau, tranquille",
09:16 et moi, c'est ça que j'essaie de faire avec mon mari et avec mes enfants,
09:20 c'est que ça nous permet justement de transgresser ces règles qu'on impose,
09:26 on peut passer des moments où on casse les règles et où on fait les fous tous ensemble,
09:34 parce qu'on a les règles à côté,
09:36 et ça, c'est ce que j'essaie d'expliquer aux parents,
09:38 c'est qu'on ne peut pas toujours tout accorder,
09:40 et du coup, ces moments-là, ils n'ont même plus de valeur,
09:43 mais voilà, c'est de plus en plus d'enfants.
09:46 – Voilà, mais Brigitte, le constat, c'est qu'il y a de plus en plus d'enfants qui sont comme ça,
09:51 et je le vois bien quand je supervise des enseignants,
09:53 quand je supervise des professionnels de l'enfance,
09:56 ils me disent tous que l'enfant un peu tyrannique qu'on avait,
09:59 il y en avait un sur je ne sais pas, il y en a de plus en plus,
10:02 parce qu'il y a un problème de carence éducative,
10:05 et l'autre fois dans une conférence,
10:07 je parlais de mettre l'enfant dans des zones d'inconfort
10:10 pour qu'il apprenne le difficile quand même,
10:12 tout ne peut pas être fun dans la vie,
10:14 et quelqu'un me répond "mais qu'est-ce que vous pensez de la pédagogie ludique ?"
10:18 Alors elle m'explique "essayez d'apprendre dans le plaisir,
10:21 parce qu'on sait maintenant grâce aux neurosciences
10:23 qu'un enfant apprend beaucoup mieux quand il n'est pas stressé
10:26 et quand il est dans une zone de confort".
10:28 Moi je suis tout à fait d'accord,
10:30 j'étais meilleur avec le prof que j'adorais,
10:32 les thèmes que j'adorais,
10:34 mais il faut aussi être travailleur dans ce qu'on n'aime pas,
10:37 si on est littéraire il faut quand même faire des maths,
10:39 si on est matheux il faut quand même faire du littéraire,
10:41 il n'y a pas à transformer le frustrant en ludique,
10:44 on a dit que la pédagogie ludique,
10:47 en gros tu vas lire Marcel Proust en rigolant,
10:50 ce n'est pas possible,
10:51 tu vas faire du solfège en t'amusant,
10:53 ce n'est pas possible,
10:54 tu vas t'exercer au football sans te faire mal aux muscles,
10:58 ce n'est pas possible,
10:59 et je crois qu'il y a eu toute une pédagogie
11:01 qui était centrée sur l'enfant,
11:03 dans la même norme de bienveillance et d'empathie,
11:06 et qui a été une catastrophe naturelle,
11:08 je ne dis pas pour tous les enfants,
11:10 mais pour tous ces enfants qui ne quêtent que le plaisir dans la vie.
11:13 Merci Marie d'avoir témoigné,
11:17 ce que je trouve assez triste,
11:20 c'est que ça sent pire,
11:21 alors que ça fait quand même pas mal d'années
11:23 qu'on tire un peu la sonnette d'alarme,
11:25 donc ça montre à quel point il est plus que temps,
11:28 Didier Pleu,
11:30 c'est ce que nous faisons jusqu'à ces heures.
11:33 Vous avez envie de réagir ?
11:35 Vous n'êtes pas d'accord avec Didier Pleu ?
11:37 N'hésitez pas, 0800 26 300 300,
11:41 ça serait intéressant d'avoir quelqu'un qui n'est pas d'accord avec vous Didier Pleu,
11:43 on verrait un petit peu quels seraient ses arguments.
11:46 On fait une petite pause et on se retrouve dans un instant.

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