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Maud Gaudry, Senior Advisor Sustainability, experte en réglementation européenne
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00:00 [Musique]
00:15 Maud Godry, vous êtes Senior Advisor, Sustainability Expert en réglementation européenne.
00:20 Ça va faire peur à tout le monde.
00:22 Ça fait tout de suite peur à tout le monde.
00:23 Mais alors, je vous ai lancé vous aussi un défi, c'était celui d'employer aucun acronyme.
00:28 Et là, paf ! CSRD, on en a déjà eu.
00:32 Donc, Maud va essayer de vous parler réglementation européenne, sans acronyme, sans jargon.
00:41 On a 15 minutes et une grande ambition, vous faire comprendre ce qui va nous tomber dessus, ce qui va arriver.
00:49 Alors, si on résume aujourd'hui déjà les attentes européennes, que veut l'Europe des entreprises en matière de responsabilité ?
00:59 Alors, deux choses en fait.
01:02 Si on prend une méta-vision de tous les textes européens qui pleuvent depuis presque une dizaine d'années maintenant,
01:10 mais de manière très accélérée depuis 5-6 ans, il y a avant tout un agenda politique.
01:15 Vous avez probablement tous entendu parler du Green Deal.
01:18 C'est la feuille de route politique de l'Union européenne sur les sujets développement durable.
01:22 Donc, que ce soit l'environnement, la gouvernance ou les enjeux people.
01:27 Et à cet agenda politique sont attachés des objectifs très concrets.
01:31 Vous avez entendu beaucoup sur le climat, qu'on est passé de, à l'époque, -45% d'émissions à maintenant -57%.
01:39 Donc, les attentes européennes, c'est d'abord ça.
01:43 C'est une vision pour l'Europe de faire de l'Europe une agrégation de nations qui vont être le plus immunisées possible contre les risques attachés.
01:56 Et la précédente table ronde en a parlé à ces enjeux de développement durable.
02:01 Comment on se prémunit de ces risques et comment on solidifie et on adapte l'économie européenne à cette nouvelle donne.
02:08 Donc, ça c'est une première partie.
02:10 Et la seconde, c'est qu'une bonne partie des textes qui ont plu ces dernières années au niveau européen ont trait à la transparence.
02:17 Plus de pleuvoir. Ils n'ont pas beaucoup plu.
02:19 Non, c'est vrai. Pas de plaire malheureusement.
02:23 Mais c'est aussi parce qu'ils sont mal compris.
02:25 Alors, ils ont été mal communiqués, mais ils sont mal compris.
02:27 Donc, il y a avant tout des enjeux de transparence.
02:30 Beaucoup de gens pensent qu'il y a des obligations de RSE attachées à tout ça.
02:35 Non, en fait, l'entreprise est un citoyen européen qui peut décider de faire ou de ne pas faire.
02:40 En revanche, il y a des risques et potentiellement des sanctions à ne pas faire.
02:43 Et c'est là qu'intervient le volet transparence, dont les textes qui ont été déjà cités, que je ne vais pas répéter,
02:50 mais qui ont des vocations complémentaires, mais un peu différentes,
02:53 et qui ne s'appliquent pas nécessairement aux mêmes acteurs économiques.
02:56 Il y en a qui s'appliquent exclusivement aux secteurs financiers,
02:59 qui évidemment ont des répercussions sur l'économie réelle par effet de ricochet.
03:05 La sanction viendra. La sanction est déjà là.
03:07 Vous avez évoqué les sanctions, comment dire, indirectes.
03:12 Concrètement, qu'est-ce qu'on a comme sanctions possibles ?
03:14 Aujourd'hui, il y a très peu de sanctions autres que les sanctions de marché, en fait.
03:19 Dans les obligations de reporting et de conformité, et je sais qu'il y en a un certain paquet,
03:25 d'abord, les textes européens laissent la liberté aux États membres de définir les sanctions
03:31 pour les entreprises présentes sur leur marché domestique.
03:34 Aucun État européen n'a envie de pénaliser son économie nationale.
03:39 Donc la réalité, c'est que les sanctions, c'est surtout des sanctions de principe.
03:42 Il y a parfois des sanctions financières, mais elles sont vraiment infinitésimales.
03:46 La vraie sanction, c'est de ne plus être pertinent dans son écosystème.
03:50 C'est des fournisseurs ou des clients qui attendent autre chose que ce qui est proposé en matière de RSE
03:57 par la compagnie que je représente.
03:59 C'est des financiers qui sont soumis eux-mêmes à des obligations de reporting supranationaux,
04:05 de capital vis-à-vis des risques, etc.
04:09 et qui, évidemment, vont devoir faire tourner leur bilan.
04:12 Concrètement, ça veut dire faire tourner des financements sur des activités
04:16 qui vont être alignées avec les objectifs européens.
04:18 La sanction, elle passe par là.
04:20 Ou plus chères, ou qui auront des horizons temporels différents.
04:25 Le sujet de la RSE, quand on n'oublie pas qu'il y a un agenda politique,
04:31 c'est un sujet systémique où chaque individu, entreprise, citoyenne,
04:36 contribue et participe, mais n'est pas indépendante d'un système
04:41 qui peut choisir, et on le souhaite, d'aller dans une certaine direction avec certaines exigences.
04:45 Vous avez dit que ça a été lancé il y a assez longtemps.
04:49 On en est où dans l'agenda de la démarche ?
04:51 Qu'est-ce qui arrive là bientôt ?
04:54 On a eu beaucoup de choses en très peu de temps.
04:56 Ça a commencé fort en 2018.
04:59 On a eu en moyenne un, voire deux gros textes par an
05:03 qui sont surtout des textes d'obligation de reporting,
05:07 de la transparence dont je parlais.
05:09 Dont certains ont prouvé qu'ils sont d'applications extrêmement compliquées.
05:13 Le texte dont je ne prononcerai pas le nom,
05:17 mais qui consiste à démontrer à quel point j'ai des activités dites vertes,
05:23 a prouvé qu'il était extrêmement mal compris.
05:26 Il est surtout pris comme une contrainte,
05:29 alors que ça peut être un outil de pilotage stratégique,
05:31 mais surtout il est d'une grande complexité de mise en œuvre,
05:34 notamment pour des raisons de data.
05:36 L'Europe, très consciente qu'avec les autres textes dont l'application
05:41 entre en œuvre dès l'année prochaine pour les plus grandes entreprises,
05:46 on a surtout besoin de faire pause,
05:49 d'observer ce qui fonctionne, ce qui ne fonctionne pas.
05:52 Tous ces textes sont avant tout des outils,
05:54 donc il faut observer à quel point l'outil est pertinent,
05:56 il est adapté, il a besoin d'être redessiné
06:00 ou ajusté à la réalité concrète de l'accès à l'information,
06:04 du niveau de connaissance des entreprises, de ses risques, etc.
06:08 Il y a encore un ou deux gros textes dans le pipe au niveau européen,
06:12 notamment celui sur le devoir de vigilance et la chaîne de valeur.
06:17 On a vu sortir il y a moins d'une semaine un projet de texte
06:23 de lutte contre le greenwashing qui s'appelle Green Claims,
06:27 qui est un complément très important de tous ces textes de transparence,
06:31 parce que c'est bien beau d'avoir un discours sur l'ARSE,
06:34 mais si dans la communication institutionnelle et commerciale,
06:38 on dit des choses qui ne sont pas alignées avec la communication
06:41 et la réalité de la stratégie RSE,
06:43 il y a un problème de cohérence et évidemment de transparence.
06:47 Donc la météo du moment européenne, c'est avant tout de faire une pause
06:54 et d'observer, d'ajuster les outils,
06:56 même s'il y a encore un ou deux textes à sortir.
06:59 Et on a bien vu dernièrement que de toute façon,
07:01 l'agenda européen, y compris politique,
07:04 pas simplement réglementaire,
07:06 est quand même très influencé par ce qui se passe dans le monde.
07:08 Le Covid a changé la donne sur un certain nombre d'orientations politiques
07:13 et évidemment la guerre en Ukraine aussi.
07:15 Et ça, c'est un des incidences sur les textes RSE,
07:18 parce qu'on met fin à la globalisation à tout crin,
07:22 on arrête les dépendances internationales, etc.
07:25 Et ça, évidemment, ça se reflète dans les stratégies RSE.
07:29 Alors, vous dites qu'il y a pause,
07:31 en même temps, vous venez de parler du Green Claim,
07:33 et là, il y a encore des trucs qu'on attend dans les prochains jours ?
07:36 Alors, au niveau texte directeur, non,
07:41 parce que la fameuse directive sur le devoir de vigilance
07:44 et les chaînes de valeur,
07:46 elle est en cours de négociations politiques.
07:48 Le texte était extrêmement ambitieux, il a fait peur à beaucoup de gens.
07:50 Il y a juste ce titre, je pense.
07:52 Les négociations politiques sont en train de le raboter dans tous les sens.
07:56 Ça va prendre énormément de temps,
07:58 tous les pays, les États membres se mettent d'accord.
08:00 Ils ambitionnent de faire atterrir le texte à la fin de l'année,
08:03 c'est super ambitieux, ce sera peut-être l'année prochaine,
08:06 et du coup, mise en œuvre pas avant 2025-2026.
08:08 C'est important de suivre ce qui se passe,
08:10 parce que les débats sont des vrais débats,
08:13 qui ont des conséquences pour le quotidien des entreprises,
08:16 mais ça, c'est pas pour tout de suite.
08:18 L'immédiat, c'est ce dont il a été question dans la table ronde précédente,
08:24 c'est les fameuses normes de reporting de la performance extra-financière,
08:30 dont les premiers drafts ont été proposés par l'IFRAG,
08:34 qui est le conseiller technique de la Commission européenne,
08:37 laquelle est en train de formaliser les normes pour les adopter en juin de cette année.
08:42 Là, on est sur du sectoriel, c'est quoi ces normes ?
08:45 Non, ce sont des normes qui sont transsectorielles,
08:48 parce que comme ça a été dit à juste titre juste avant,
08:52 le sectoriel c'est pertinent surtout pour la performance.
08:56 Ces normes transversales ont pour vocation à donner de la transparence sur la démarche,
09:03 parce que de la démarche, on va quand même dépendre pas mal de la performance.
09:08 La démarche, forcément, par définition, est transverse à tous les secteurs,
09:12 et c'est ça qui sera d'application quasi immédiate,
09:16 une fois que les textes seront adoptés par la Commission européenne cette année.
09:21 Les normes sectorielles sont en train d'être cuisinées,
09:25 Frédéric y participe sur certains secteurs,
09:30 mais l'IFRAG a publié d'ailleurs hier ou avant-hier un communiqué,
09:37 qui pour ceux qui connaissent ce milieu-là, veut dire beaucoup.
09:41 La Commission a demandé à l'IFRAG de ralentir le rythme de sortie des textes,
09:48 d'abord parce qu'il nous bombarde de consultations publiques
09:51 sur des sujets très compliqués, dans des délais très courts,
09:54 et que la Commission a demandé à ce que les observateurs aient plus de temps
09:57 pour lire, digérer, commenter,
10:00 et a aussi insisté sur le fait qu'il est très important qu'on stabilise l'existant
10:06 et qu'on accompagne les entreprises dans la mise en œuvre de ces règles transsectorielles,
10:12 et que ce qui est absolument indispensable, c'est qu'au-delà des normes,
10:16 il y ait des outils de compréhension et d'application des normes.
10:19 Et c'est à ça que va s'atteler l'Europe dans les prochains mois,
10:23 ce qui veut dire mécaniquement, parce qu'eux aussi ont des problèmes
10:26 de ressources humaines, que ça décale le reste.
10:31 Vous êtes rassurante, mais à chaque fois j'ai l'impression
10:33 que j'ai des questions qui sont de nouveau inquiétantes.
10:35 Ma question suivante, c'était le fameux projet de normes sur les PME.
10:39 Oui, beaucoup de gens sont concernés.
10:42 Celui-là, il est en cours de mijotage au niveau de l'EFRAG.
10:49 Il fait partie de ce que la Commission demande à déprioriser,
10:55 pour des bonnes raisons.
10:58 Je pense que ça va décaler au moins d'un an.
11:01 Il y a deux choses importantes à savoir sur ces normes spécifiques au PME.
11:05 D'abord, c'est que c'est un exercice par construction redoutablement compliqué.
11:10 Du point de vue de la PME ou du point de vue de la Commission ?
11:14 De la Commission et ensuite évidemment pour la PME.
11:17 Parce que si les normes sont mal câblées,
11:22 et le mot français m'échappe, proportionnées,
11:28 l'objectif de la norme propre à la PME sera raté.
11:33 Il ne faut pas que ce soit un enfer, en fait.
11:36 Oui, mais en même temps, on ne peut pas faire abstraction du fait
11:40 que beaucoup de PME font partie des chaînes de valeur de grands groupes
11:43 qui, eux, sont soumis à des normes plus exigeantes.
11:46 Même si on a fait dans la table ronde précédente
11:49 la distinction entre les outils de pilotage stratégique,
11:52 les indicateurs qui servent à ma chaîne de valeur, etc.,
11:56 qu'il y a différentes gradations de données,
11:59 il n'empêche qu'y compris pour du pilotage stratégique,
12:02 on va avoir besoin de demander un certain nombre d'indicateurs
12:06 à la chaîne de valeur qui pourront être plus exigeants.
12:11 On peut imaginer, et ce n'est pas délirant,
12:13 d'imaginer que ce serait plus exigeant que la norme proportionnée pour les PME.
12:20 Et donc la vraie difficulté, c'est de trouver cette réalité d'équilibre
12:24 entre la spécificité des PME, liée à leurs ressources,
12:28 à leur positionnement, diversité, etc.,
12:31 et le fait qu'elles appartiennent à un écosystème.
12:34 Encore une fois, c'est un sujet systémique.
12:36 Et qu'une partie de la pression pourrait redescendre.
12:40 Et ça, c'est difficile à concrétiser dans une norme,
12:43 et ce sera encore plus difficile à mettre en œuvre concrètement
12:47 dans la réalité pratique.
12:49 Je pense que l'équilibre se trouvera
12:52 dans une disposition des normes transversales
12:55 qui sont en cours d'adoption,
12:57 qui donne un délai supplémentaire de 3 ans
13:01 sur tous les indicateurs liés à la chaîne de valeur.
13:04 Et ça, ça a été pensé et rajouté au dernier moment dans les normes
13:08 pour donner de la respiration et du temps de calage
13:13 entre grandes et petites et moyennes entreprises
13:16 sur quel est le bon niveau d'informations à fournir pour chacun.
13:21 Cinquième et dernière question.
13:24 Quel est votre message aujourd'hui aux dirigeants d'entreprises ?
13:27 Je reprendrai quelque chose qui a été dit
13:30 dans la table ronde d'un précédente.
13:32 Il ne faut pas se tromper de lecture des enjeux
13:36 sur le sujet RSO de manière générale
13:39 et sur toutes les obligations,
13:41 enfin ce qu'on perçoit comme étant des obligations
13:43 qui découlent de la réglementation et des initiatives européennes.
13:46 Ce n'est pas un exercice de conformité.
13:50 C'est tout sauf ça.
13:52 C'est avant tout un mécanisme d'incitation
13:56 à la réflexion stratégique,
13:58 à la prise en compte de nouveaux risques et opportunités.
14:01 C'est comment accompagner les équipes de direction
14:04 au sein de l'économie européenne
14:06 à s'approprier ces nouveaux enjeux,
14:08 à l'intégrer dans tous les compartiments de la stratégie
14:11 et en faire un avantage pour l'avenir.
14:14 Ça n'a rien à voir avec de la conformité.
14:17 Et c'est un des arguments dans le recrutement,
14:20 c'est que quand on fait de la réglementation,
14:22 on fait beaucoup plus que ça.
14:24 Après, ça dépend de la couleur de peinture
14:26 qu'on veut mettre sur le sujet.
14:28 Ce serait vraiment une erreur,
14:30 d'abord très pénible à mettre en œuvre au quotidien,
14:33 mais surtout les entreprises passeraient à côtrer du vrai sujet.
14:36 On ne parle pas de conformité,
14:38 on parle de performance et de pertinence stratégique.
14:42 Au bout du compte,
14:44 la question qui est vraiment posée
14:46 et ce vers quoi nous emmène l'Europe,
14:48 c'est une redéfinition de la valeur.
14:50 Il n'y a pas que la valeur financière qui compte,
14:53 mais quels autres types de valeurs,
14:55 comment elle est créée
14:57 et qu'est-ce qu'il faut déconstruire, détruire ou consommer
15:00 comme autre type de valeur pour créer cette nouvelle valeur
15:03 et comment je la partage.
15:05 Si ça, ce n'est pas de la stratégie
15:07 et vraiment pas de la conformité,
15:09 il faut que je change de métier.
15:11 Merci beaucoup, Maud.
15:13 Avec plaisir.
15:16 [Musique]

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