Amy Greene, enseignante à Sciences Po Paris, spécialiste de la politique américaine revient dans l'interview de 6h20 sur la comparution historique de Donald Trump devant la justice américaine. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-6h20/l-invite-de-6h20-du-mercredi-05-avril-2023-9856364
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00:00 Il est 6h20, Donald Trump dénonce une persécution.
00:03 Je n'aurais jamais imaginé cela possible en Amérique.
00:05 C'est une insulte envers la nation.
00:07 L'ancien président américain s'est montré particulièrement combatif et virulent après
00:11 son inculpation pénale hier soir.
00:13 Un fait sans précédent dans l'histoire des Etats-Unis.
00:16 Bonjour Amy Green, vous êtes spécialiste de la politique américaine, enseignante à
00:20 Sciences Po Paris et à l'université de Boston.
00:22 Ce qui se passe en ce moment aux Etats-Unis, c'est un événement à la fois judiciaire
00:26 et politique.
00:27 Ça se joue sur ces deux tableaux ?
00:28 Oui absolument, il y a effectivement une tentative de récupération politique de la
00:33 part de Donald Trump qui crie à l'instrumentalisation des institutions et à la corruption des démocrates.
00:39 Mais de l'autre côté, il y a un travail qui est oui exceptionnel parce qu'il s'agit
00:42 d'un ancien président des Etats-Unis mais je dirais aussi presque banal de la justice
00:47 qui oeuvre pour effectivement faire respecter les lois et démontrer qu'il n'y a aucun
00:51 citoyen qui n'est au-dessus justement de cette loi.
00:53 Et on connaît depuis cette nuit précisément les chefs d'accusation qui visent Donald
00:57 Trump.
00:58 Qu'est-ce qui lui est reproché exactement ?
01:00 En fait, tout découle d'une affaire, d'une liaison extréméritale avec cette actrice
01:04 dont on entend parler beaucoup ces derniers jours.
01:07 Et donc les chefs d'accusation portent uniquement sur cette affaire-là, c'est-à-dire qu'il
01:11 avait payé cette femme au travers de son avocat personnel pour acheter son silence,
01:16 qui n'est pas en soi effectivement illégal.
01:18 C'est plutôt la manière dont il a fait.
01:19 Il a utilisé, il aurait en tout cas falsifié des documents et il aurait remboursé son
01:26 avocat personnel une fois à la Maison-Blanche.
01:28 Donc en fait, ce n'est pas simplement le fait d'avoir eu la liaison qui est en question,
01:32 c'est la façon dont il avait essayé de cacher derrière.
01:34 Et les deux autres affaires, là, son autre relation avec un mannequin qui posait dans
01:38 Playboy et le portier de sa Trump Tower qui aurait touché lui aussi une grosse somme
01:42 d'argent parce qu'il disait pouvoir prouver l'existence d'un enfant caché.
01:45 Ça, ce n'est pas lié aux chefs d'accusation ?
01:47 Ça n'a aucun lien avec les chefs d'accusation formels.
01:50 En fait, pour pouvoir passer d'un délit à un crime, le procureur doit prouver que
01:56 Donald Trump agissait avec une intention de commettre ou de cacher un autre crime.
02:00 Donc en fait, il introduit ces affaires parce qu'il y a visiblement de la documentation,
02:04 simplement pour commencer à prouver, à démontrer, à plaider son cas que Donald Trump avait
02:08 éventuellement d'autres affaires en tête.
02:10 Et donc, c'est ça qui permet de qualifier non de délit, mais de crime.
02:13 Et est-ce qu'il y a une réelle possibilité que Donald Trump soit condamné ?
02:15 C'est une possibilité.
02:17 Il est vraiment beaucoup trop tôt parce qu'un procès n'a pas encore commencé.
02:21 Mais en tout cas, ça reste une possibilité.
02:23 C'est-à-dire qu'il faut que la justice fasse son travail.
02:27 Et puis, ce travail-là, un procès, serait devant un jury, justement des citoyens ordinaires,
02:33 dont le résultat peut être effectivement la coupabilité.
02:36 Si c'est le cas, il risque jusqu'à quatre ans de prison.
02:39 Et effectivement, c'est à la discrétion du juge de décider si ça se fait derrière
02:43 les barreaux ou avec sursis.
02:45 Mais ça reste une possibilité.
02:46 Et alors, qu'est-ce qui va se passer dans les prochains mois ?
02:48 Le calendrier, c'est quoi ?
02:50 On parle d'un procès au début de l'année prochaine ?
02:51 Oui, au début de l'année prochaine.
02:53 Maintenant, en fait, il y a beaucoup de procédures juridiques.
02:55 Ce qu'il faut effectivement se rappeler, mais ça existe en France aussi, c'est que
02:59 le temps politique est le temps des médias, mais pas forcément celui de la justice.
03:02 Donc, il y a l'ensemble de la procédure qui enclenche maintenant.
03:05 C'est des détails plus ou moins techniques pour commencer à aboutir vers ce fameux procès.
03:11 Et ce qui gêne Donald Trump, c'est que ce procès pourra intervenir au moment des primaires républicaines.
03:15 Puisque, on le rappelle, il est candidat pour la prochaine présidentielle dans un an.
03:18 Et cette incupation n'entrave en rien cette candidature, ni d'ailleurs une élection éventuelle.
03:24 Donc, effectivement, c'est un procès qui pourrait intervenir au moment de l'élection
03:29 primaire, voire présidentielle.
03:30 Mais en tout cas, on commence à indiquer qu'on n'aura sans doute pas les résultats
03:34 avant l'élection au mois de novembre.
03:36 Alors, il y a un élément aussi qui nous paraît toujours bizarre à nous, Français,
03:39 c'est que le procureur de New York, comme tous les procureurs aux États-Unis, a une
03:43 couleur politique, parce qu'aux États-Unis, les procureurs sont élus.
03:46 Alvin Bragg, en question, est démocrate.
03:49 Et ça, évidemment, Donald Trump, il en joue.
03:50 Oui, évidemment.
03:51 Donald Trump qui se positionne à la fois en tout puissant, mais aussi en éterne en
03:55 victime.
03:56 C'est d'ailleurs ce statut de victime qui lui donne une forme de tout puissance.
03:59 L'homme qui s'échappe à tout, finalement.
04:02 Oui, ça peut paraître étrange d'une perspective française.
04:05 Mais en effet, ce qui est important dans cette affaire, c'est simplement de savoir que
04:09 ce procureur, il doit se rendre compte à ses électeurs.
04:12 Oui, il porte une couleur politique.
04:14 C'est le jeu de toute élection, évidemment.
04:16 Mais ce qui est l'essentiel, c'est de se rappeler qu'il ne s'agit pas de devoir
04:21 avoir la bonne appartenance politique pour défendre une institution.
04:24 Et dans cette affaire-là, ce jeune procureur, simplement, en fait, il travaille là aujourd'hui
04:31 avec ses chefs d'accusation.
04:33 C'est le fuit de plus de cinq ans de travail.
04:35 Et voilà, il engage la responsabilité de sa fonction.
04:39 Il engage la responsabilité de son institution et de son État.
04:42 Donc, en fait, ce n'est pas les chefs d'accusation qui sont portés à la légère.
04:45 D'autant plus la nature historique, mais tout à fait historique et complètement inédite
04:50 de ces accusations, fait en sorte qu'il n'aurait pas pu aller si les éléments étaient légers
04:56 ou discutables.
04:58 Comment réagit-on à cette affaire dans le camp républicain ?
05:00 On continue de soutenir Donald Trump ?
05:02 Oui, mais oui, une loyauté extrême.
05:04 D'ailleurs, on le retrouve chez les démocrates.
05:07 C'est-à-dire qu'il y a une forme de polarisation.
05:09 Les personnes s'ancrent dans leur position.
05:11 Les démocrates critiquent Donald Trump, les républicains le soutiennent.
05:16 Bien sûr, mais ce qui est intéressant, c'est que le Parti républicain aujourd'hui, il
05:19 y a certains qui défendent Donald Trump explicitement, à l'instar de Marjorie Taylor Greene, la
05:24 sénatrice de la Géorgie.
05:25 Mais en même temps, il y a d'autres rivaux qui simplement critiquent le Parti démocrate,
05:30 qui critiquent la nature même de ce procès, de ces accusations.
05:33 Pourquoi ? Parce qu'ils savent que les supporters de Trump sont particulièrement farouches,
05:37 sont particulièrement loyaux et ils savent que s'ils portent une chance pour emporter
05:41 les primaires l'année prochaine, il ne faut pas se fâcher avec ces personnes tout de
05:44 suite.
05:45 Donc l'intérêt principal pour eux, c'est de démontrer que oui, il y a un ennemi.
05:48 Ce n'est pas Donald Trump aujourd'hui, peut-être demain ça le sera.
05:50 C'est surtout le Parti démocrate qui orchestrerait pour eux, justement, la persécution d'une
05:57 personnalité ancien président, uniquement pour des raisons politiques.
06:01 Et visiblement, cette affaire, en plus, ne l'empêche pas de lever des fonds.
06:03 Donald Trump se vante d'ailleurs des sommes qu'il est en train de récolter en ce moment.
06:06 Oui, et d'ailleurs, il me semblait qu'il y avait 4 millions de dollars qui ont été
06:10 levés dans les 24 heures suivant l'annonce de ces accusations.
06:13 Pas forcément de détails, effectivement, comme on vient d'avoir hier.
06:16 Mais en tout cas, il en fait un sujet de campagne.
06:19 Et Donald Trump a beau pouvoir dire que c'est le Parti démocrate ou en tout cas, c'est
06:25 les élus démocrates qui instrumentalisent, mais lui, il fait l'exercice d'instrumentalisation
06:32 parce que ça lui permet d'alourdir ses poches.
06:35 Et Joe Biden, le président actuel, il en joue ou pas ?
06:37 Non, pas du tout.
06:38 Joe Biden n'a aucun intérêt, effectivement, de rentrer dans le détail.
06:42 Pourquoi ? Parce qu'il y a ces accusations venant de l'opposition.
06:45 Joe Biden, il doit se présenter comme, évidemment, dans la posture du président des Etats-Unis
06:50 qui a d'autres dossiers à gérer.
06:51 Et il serait évidemment très dommage si Joe Biden commence à commenter une affaire
06:55 judiciaire en cours.
06:56 Et une dernière question très rapidement, plus personnelle, Amy Green.
06:59 Quand vous voyez toute cette affaire, il y a quand même un côté spectacle.
07:02 Qu'est-ce que ça vous évoque ?
07:04 Ça me dit que la lutte pour les institutions démocratiques aux Etats-Unis, pour les valeurs
07:09 américaines n'est pas finie.
07:11 Loin d'eux.
07:12 Je pense qu'à chaque fois qu'on a une échéance juridique, judiciaire, où cet ancien président
07:17 est tenu responsable de ses actes, c'est forcément une bonne nouvelle.
07:22 Pourquoi ? Parce que ça veut dire que les institutions fonctionnent.
07:24 Mais la bataille n'est pas tranchée et il appartient aux électeurs à chaque fois d'aller
07:29 aux urnes pour défendre cette vision du pays.
07:31 - Amy Green, enseignante à Sciences Po Paris et à l'Université de Boston, merci à vous.