• l’année dernière
Transcription
00:00 *Tic-tic-tic-tic-tic-tic*
00:02 *Musique*
00:08 France Culture, Olivia Gesper, bienvenue au Club.
00:12 *Musique*
00:17 Bonjour à tous.
00:18 Après Romain Garry, Berthe Morisot, Clara Malraux ou encore Stéphane Zweig,
00:22 la biographe de l'Académie française fait un retour au pays des grands hommes
00:26 avec une nouvelle biographie publiée chez Gallimard,
00:28 consacrée cette fois à Joseph Kessel et Maurice Druon,
00:32 "Les partisans", c'est son titre.
00:34 Un titre qui fait écho, vous l'imaginez, au célèbre chant de la résistance
00:37 et que les deux futurs académiciens composaient ensemble à quatre mains
00:41 durant leur exil londonien.
00:43 L'autrice de "Mes vies secrètes", Pris Interallié, Pris Renaudot,
00:47 est elle-même membre de l'Académie française, au fauteuil 33 depuis 2013.
00:52 Dominique Bonat est aujourd'hui l'invité de "Bienvenue au Club".
00:55 *Musique*
01:05 Une émission programmée par Henri Leblanc et Anouk Delphineau,
01:08 avec Théa Corlaire et Didier Pinault.
01:11 Et bonjour à vous Dominique Bonat.
01:13 Bonjour.
01:14 Joseph Kessel, Maurice Druon, l'un est l'oncle, l'autre le neveu,
01:19 c'est le fils de Lazare, Maurice Druon, le frère de Joseph Kessel.
01:23 Mais quelle place occupe ce duo, Kessel-Druon, dans votre famille imaginaire à vous ?
01:30 Je les ai découverts, pour ainsi dire, en couple,
01:35 ce dont on n'avait jamais parlé jusqu'à maintenant, à travers ce lien de famille.
01:41 Je me suis toujours intéressée au lien de famille, à travers mes livres.
01:44 J'ai souvent parlé des rapports entre frères et sœurs, entre sœurs.
01:48 Et tout à coup, là, il y avait ce lien, et qui est un lien chez eux quasi filial.
01:53 Ce n'est pas un lien anecdotique, c'est un lien vraiment très important,
01:57 qui fait que ces deux écrivains, à l'œuvre si différente,
02:02 ont cependant marché du même pas, côte à côte,
02:06 et quelquefois écrits ensemble, épaule contre épaule.
02:09 Mais comment ils sont entrés dans votre vie à vous ?
02:12 Un peu par hasard, comme tous les personnages de mes biographies.
02:15 J'ai beaucoup de mal toujours à expliquer l'origine d'un livre.
02:19 Il me semble toujours que les livres tombent un peu du ciel, les sujets des livres.
02:24 Je crois qu'ils rejoignent finalement mon panthéon personnel,
02:28 par le tempérament passionné, par le feu qui les habite,
02:33 par le goût des espaces ouverts, des aventures au sens large.
02:38 Je crois qu'après des périodes assez enfermées que nous avons vécues de confinement,
02:44 finalement, Kessel et Druyon étaient un remède à la mélancolie, à la grisaille.
02:50 Oui, vous aviez envie d'une figure, ou de deux figures aventurières,
02:55 des tempéraments quand même de feu, notamment pour Joseph, dit Jeff Kessel,
03:01 le courage de fer. Ils étaient particuliers l'un et l'autre,
03:06 et ils l'ont montré dans cette époque qui était elle-même singulière.
03:09 Évidemment, c'est le parcours de ces deux hommes, de ces deux grands hommes,
03:12 qui croisent, rencontrent, traversent aussi celui d'un temps qui n'est plus le nôtre aujourd'hui,
03:19 celui du XXe siècle. Après le suicide de son frère, Joseph Kessel va veiller sur Maurice,
03:24 qui aura pour son oncle, son père de substitution, presque une grande admiration,
03:29 malgré leur différence de tempérament, de caractère.
03:32 L'un est un coureur, charmeur, aux tempéraments désordonnés,
03:36 ainsi décrivez-vous Joseph Kessel. L'autre est plus dans l'ironie, il est plus cinglant,
03:41 il ne court pas après les femmes, sauf peut-être après Edmond de Charleroi, et tout ça après guerre.
03:47 Ils sont différents et en même temps, évidemment, il y a un tronc commun.
03:52 Il y a quelque chose qui fait qu'ils ne sont pas totalement étrangers l'un à l'autre,
03:57 pas simplement leur lien de sang, mais aussi dans leur caractère, des points communs.
04:02 Oui, on a une légende pour Joseph Kessel, qui est le personnage de l'aventurier, du baroudeur,
04:11 mais aussi le héros des Nuits de Prince, qui aime la musique tzigane,
04:18 qui boit au-delà de la mesure, qui casse les verres et même qui mange les verres,
04:23 puisque c'est une de ses spécialités. Donc on a un colosse, un géant.
04:28 Mais ce géant a aussi des fragilités et parmi ces fragilités,
04:34 un certain nombre de culpabilités qui remontent très loin dans sa biographie.
04:39 C'est un homme blessé, c'est un homme angoissé, habité de ce qu'il appelle lui-même des diboucs,
04:46 c'est-à-dire des démons intérieurs. Il y a une sorte de désordre intérieur chez Joseph Kessel
04:52 qui lui fait aimer d'ailleurs des paysages qui lui ressemblent.
04:56 Des paysages comme l'Afghanistan qui sera sa seconde patrie, sa patrie de cœur.
05:02 Et Druon au contraire a jugulé les démons de la tribu Kessel.
05:08 Il s'est véritablement construit, il a ordonné le paysage et il va se retrouver beaucoup plus en Italie,
05:16 en Grèce, dans des paysages entourés, jalonnés de temples antiques.
05:26 Donc en fait Druon c'est un personnage qui tient debout avec des colonnes d'oriques.
05:32 Mais ça n'empêche que lui aussi a des désordres intérieurs fascinants.
05:39 - Et notamment une enfance compliquée avec le suicide de son père, là où Kessel a plutôt eu une enfance heureuse.
05:46 - Oui Kessel a eu une enfance heureuse, il y a eu beaucoup d'amour dans l'enfance de Kessel.
05:51 Il a été élevé par un père et une mère qui formaient un couple magnifique,
05:56 avec deux frères avec lesquels il s'est toujours bien entendu, qu'il a aimé profondément.
06:00 Et d'ailleurs le suicide de Lazare est un des grands malheurs de sa vie.
06:06 Druon en revanche jusqu'à l'âge de 10 ans a connu une enfance très instable,
06:11 a porté trois noms différents jusqu'à l'âge de 10 ans,
06:15 avant d'être reconnu par ce René Druon qu'il considère désormais comme son véritable père.
06:20 Et il y a un parcours tout à fait à l'opposé.
06:24 Et Druon dira d'ailleurs "je n'aime pas l'enfance, je n'aime pas mon enfance".
06:30 - Pourquoi Druon surnommait-il Kessel Tolstoyevski ?
06:35 - Oui c'est un surnom magnifique Tolstoyevski,
06:38 parce qu'à ses yeux son oncle Joseph Kessel rassemble les traits de ces deux génies de la littérature russe,
06:47 à la fois Tolstoy et Dostoyevski.
06:50 Tolstoy pour la vitalité, le goût de la vie, la démesure,
06:57 et Dostoyevski justement pour cet aspect torture morale très torturé de Kessel comme Dostoyevski.
07:06 - Alors ça nous ramène aussi quand même à "Guerre et Paix".
07:09 Et vous racontez que Kessel, ce grand héros aussi de la Première Guerre mondiale qu'il a traversée,
07:15 que la guerre exerçait sur lui une véritable fascination. En quoi ?
07:19 - Alors "Guerre et Paix" c'est un livre que Kessel transporte partout avec lui, où qu'il aille.
07:24 Il y a toujours "Guerre et Paix" en russe ou en français, ceux-là, dans ses bagages.
07:30 La guerre c'est important pour Kessel d'abord parce qu'il est lui-même un héros de la Grande Guerre,
07:37 de la Première Guerre mondiale. Il s'est engagé tout jeune.
07:42 Kessel est né en 1899, donc il était trop jeune pour en 14 s'engager dans la guerre.
07:48 Mais il a tenu à en être.
07:51 "En être", c'est son expression, c'est-à-dire il ne veut pas faire la guerre, il veut en être.
07:56 Il veut avoir sa part des sacrifices, sa part des dangers.
08:02 Au fond, la guerre, pour Joseph Kessel, c'est le récit d'une fraternité.
08:07 Ce n'est pas du tout la haine de l'ennemi qu'il habite.
08:10 Il n'y a jamais de haine, d'ailleurs, je crois, dans aucun des livres de Joseph Kessel.
08:16 En revanche, la fraternité est une des valeurs dominantes de la littérature de Kessel.
08:22 C'est la fraternité qui l'entraîne à s'engager.
08:26 Quand il s'engage, il n'est même pas français.
08:29 Il ne sera naturalisé français qu'en 1922.
08:32 C'est un jeune Russe au départ, puis un apatride à partir de la révolution russe de 1917,
08:39 qui va faire cette Première Guerre mondiale dans l'aviation.
08:43 Non pas comme pilote, mais comme navigateur, observateur.
08:47 - Kessel va offrir à Druon Guérepé un exemplaire.
08:52 Pour autant, ils n'ont pas le même rapport à la guerre.
08:55 Là où Kessel la voit comme une expérience humaine fondatrice,
09:00 Druon, lui, vivra très mal la défaite.
09:04 - Oui, parce que Druon connaît la guerre à travers la fameuse Drôle de guerre de 1940.
09:11 Il a 20 ans d'écart avec Kessel.
09:15 C'est un jeune Druon très vâtanguer, en revanche, qui prend les armes en 1940.
09:22 Or, il vient de sortir de l'école de Saumur.
09:25 Il rêve, car il a un tempérament grandiloquent, d'entrer à Berlin à cheval.
09:34 Évidemment, il va être déçu, parce qu'il se retrouve dans un régiment qui n'a même pas d'armes.
09:40 Il a commandé 40 chenillettes qui manquent de carburant.
09:44 Donc, sa guerre, à lui, c'est plutôt un désenchantement.
09:49 Il ne verra pas l'ennemi.
09:52 Et pour se consoler du fait qu'il n'a pas été combattant lui-même pendant cette guerre, physiquement,
10:02 il va écrire un livre qui s'appelle "La dernière brigade", qui sera son premier roman,
10:06 et qui va célébrer le sacrifice d'une génération de l'école de Saumur sur les bords de la Loire.
10:14 On a deux figures d'écrivains aussi.
10:16 Il faut le raconter.
10:18 On va en reparler, de leurs livres, de leur style, de leurs plumes.
10:21 Il existait déjà, avant que vous vous atelier à cette biographie,
10:28 Dominique Bonat, une monumentale biographie de l'aventurier et écrivain Kessel.
10:34 Sur la piste d'union, signé Yves Courrières.
10:37 41 ans après sa mort, ses oeuvres ont aussi rejoint la pléiade.
10:42 Deux volumes figurent ces romans et ces récits, dont "L'équipage", "Belle de jour", "Les cavaliers" et "L'armée des ombres".
10:49 Pourquoi, aujourd'hui, décider qu'il méritait encore une biographie ?
10:54 Est-ce que vous avez réellement choisi, et c'était peut-être ça, l'ombre que vous vouliez éclairer, de le raconter sous un autre jour ?
11:01 Oui, le point de vue est complètement différent. Le point de vue que j'ai adopté est différent.
11:07 Parce que, justement, à travers le couple Kessel-Drouillon, on peut regarder Kessel d'une autre façon.
11:14 On peut approcher Kessel de manière, je dirais, très intime, à travers les liens familiaux, mais aussi les liens amoureux, etc.
11:22 Le livre d'Yves Courrières est admirable. Je dirais que c'est la Bible concernant Joseph Kessel.
11:28 Non seulement parce que c'est merveilleusement écrit, mais aussi parce que Yves Courrières a écrit ce livre du vivant de Kessel,
11:36 avec la participation de Kessel, qui lui a raconté beaucoup d'anecdotes de sa vie, qui lui a apporté des documents, etc.
11:44 Donc, ce livre reste la référence absolue, et bien sûr, tout biographe de Kessel s'y réfère.
11:50 Mais je pense qu'on pouvait aborder le sujet autrement.
11:53 D'abord, peut-être, parce que mon regard à plusieurs années de distance, et c'est lointain maintenant, ce livre d'Yves Courrières,
12:01 est peut-être différent dans le contexte d'aujourd'hui. C'est aussi un regard de femme.
12:09 Vous voyez, quand j'étais adolescente, c'était plutôt mon frère qui lisait Kessel.
12:15 Parce qu'en fait, Kessel était réputé comme écrivain pour les garçons.
12:19 Il y avait une littérature comme ça, très genrée. Les garçons lisaient certaines choses, les filles, sous l'angle de la Bibliothèque Rose, etc.
12:27 Donc, c'est une erreur absolument étonnante, parce que Kessel a écrit des livres que tout le monde peut lire,
12:36 non seulement jeunes, mais vieux, hommes, femmes, etc.
12:41 Il y a vraiment un consensus universel autour de Kessel.
12:45 Et les histoires d'amour de Joseph Kessel sont merveilleuses, ses aventures aussi.
12:50 Donc, vous voyez, c'est un regard qui est un petit peu...
12:53 La preuve en est aujourd'hui cette espèce de magie Kessel qui existe,
12:59 c'est-à-dire que le Pléiade, qui est tardif, Kessel est entré dans la Pléiade en 2020, a un énorme succès.
13:08 Vraiment, il montre que ce n'est pas un auteur du passé, c'est un auteur extraordinairement vivant.
13:14 Vous dites le Pléiade ?
13:16 Oui, un Pléiade.
13:18 À tort ?
13:19 Oui, la collection...
13:20 L'académicienne dans le studio, corrigez-moi.
13:22 Non, c'est-à-dire la collection de la Pléiade, mais un livre de la Pléiade, pour raccourcir, on dit un Pléiade.
13:28 Un Pléiade.
13:29 Il me semble.
13:30 Très bien.
13:31 Alors, à l'école, les garçons...
13:33 Un Pléiade dans la collection Pléiade.
13:35 Je vais faire très très très attention jusqu'à midi et demi.
13:38 À l'époque, les garçons lisaient Joseph Kessel et les filles, peut-être, avaient des posters de lui dans leur chambre.
13:44 Il aurait pu être aussi une figure héroïque et séduisante pour la genre féminine.
13:51 En tout cas, il l'était.
13:52 Il attirait beaucoup les femmes et il était très attiré par les femmes.
13:55 Il en tombait souvent amoureux.
13:57 Ce n'est pas pour autant qu'il les additionnait cruellement, ce Joseph Kessel que vous nous racontez.
14:03 Il y a une femme au milieu de ce duo à qui vous rendez indirectement hommage, sans la mettre directement sur l'affiche de cette biographie, les Partisans.
14:13 C'est Germaine Sablon.
14:14 Où est-ce qu'elle est à ce moment-là, quand ils partent, les deux hommes, parce que c'est le début de votre biographie, vers Londres ?
14:21 Oui, en fait, je ne m'attendais pas du tout à la trouver dans ce livre, parce que je voulais écrire un Kessel Druon.
14:27 Mais dès le premier chapitre, comme je commence en 1942, en décembre 1942, avec la traversée des Pyrénées,
14:34 quand justement Kessel et Druon ont l'intention de rejoindre la France libre et doivent passer clandestinement diverses frontières de l'Espagne et du Portugal,
14:44 eh bien, ils ne sont pas seuls.
14:46 Ils sont avec cette maîtresse de Joseph Kessel qui s'appelle Germaine Sablon, qui est une artiste de variété, la sœur du crooneur Jean Sablon.
14:56 Et Germaine Sablon marche du même pas qu'eux.
15:00 Et elle a même devancé Kessel et Druon en 1941 en étant la première à s'engager dans un réseau de résistance, le réseau Carte.
15:10 Donc, c'est une femme qui est certes une chanteuse de variété, mais qui est aussi une combattante, une femme qui n'a aucune peur physique,
15:21 qui a un courage moral incroyable.
15:24 Et j'avoue qu'à la fin de ce premier chapitre, je me suis dit qu'il n'y avait aucune raison pour abandonner Germaine Sablon sur les bords du Tach au Portugal
15:36 et puis continuer avec Kessel et Druon.
15:39 Il fallait que Germaine Sablon accompagne cette saga, qu'elle accompagne l'épopée virile.
15:44 Et je dirais même non pas qu'elle l'accompagne, mais qu'elle la vive elle-même dans sa chair,
15:52 puisqu'elle va physiquement être présente sur tous les terrains des combats pendant la Deuxième Guerre mondiale.
15:58 Et c'est quand même dans sa chair aussi que Joseph Kessel va vivre la montée de l'antisémitisme et du nazisme.
16:06 Alors plutôt dans ce temps-là, comme reporter, le point de départ de cette double biographie, vous l'évoquiez, Dominique Bonnat,
16:15 c'est la nuit où ils vont tenter de passer tous deux Druon-Kessel clandestinement en Espagne puis au Portugal.
16:22 La nuit où sa vie à lui va basculer, sa conscience de soi, on aimerait dire.
16:27 "Jamais jusqu'à cette nuit, écrivez-vous, Joseph Kessel n'a ressenti sa parenté avec le peuple persécuté.
16:33 Jamais il n'a été ce pourquoi aujourd'hui il part, un Juif errant."
16:38 Oui, la conscience de sa judaïté, qu'est celle-là lui-même expliquée, lui est venue au fond assez tard.
16:48 Parce qu'enfant, adolescent, il était français, un point c'est tout.
16:54 Sa famille n'était pas une famille pratiquante, lui-même sera toujours agnostique.
17:00 En revanche, dans les années 30, il prend conscience que le fait d'être Juif établit une différence incroyable.
17:09 Il est en Allemagne pour un reportage sur la montée du nazisme.
17:14 Il découvre Hitler à ce moment-là.
17:16 Il écrit un livre qui s'appelle "Les bafons de Berlin" où il raconte cette expérience de grand reporter.
17:22 Et où pour la première fois, il est confronté à ces vagues d'antisémitisme.
17:27 Il y sera confronté aussi, dans ces mêmes années 30, quand journaliste à Gringoire,
17:34 un journal auquel il a longuement participé, collaboré,
17:39 auquel d'ailleurs il a même fait écrire le jeune Romain Garry, qui ne s'appelle pas Romain Garry,
17:44 qui s'appelle encore Kasseff, et il a pris deux nouvelles du jeune Garry pour les publier dans Gringoire.
17:51 Il découvre que le journal évolue dans un sens que, bien sûr, il réprouve de toute son âme,
17:59 et qui est l'antisémitisme, avec Georges Suárez, avec Henri Béraud en particulier.
18:05 Donc, il va quitter Gringoire.
18:08 Mais la véritable conscience de sa judaïté sera au moment de sa découverte de la Palestine,
18:16 qui sera occupée par les Anglais dans les années 20, 25, 30,
18:21 où il est entraîné par Haïm Weissman, qui sera le premier président de l'État d'Israël,
18:27 et qui lui fait découvrir cette terre.
18:29 Et l'aventure du sionisme pour Kessel sera fondamentale.
18:33 Il écrira un livre très beau qui s'appelle "Terre de feu et d'amour" sur Israël.
18:39 Et surtout, il aura le visa numéro 1 de l'État d'Israël en 1948, lors de la création de l'État.
18:47 Joseph Kessel, un grand homme dans la résistance.
18:51 Vous avez eu des gens merveilleux pendant la résistance,
18:54 qui ont été torturés et qui ont donné, sous la torture, leurs amis.
19:00 Qui est le héros ?
19:02 L'homme qui s'est vraiment dévoué, battu, pour une cause magnifique ou pour quelques pièces d'or ?
19:07 Est-ce que c'est le but qui compte, ou est-ce que c'est la résistance, la qualité,
19:13 le courage qui est en premier chef ?
19:20 C'est tout ce que j'ai essayé.
19:22 Ce que vous me dites, ce que m'a enseigné la vie, ce que j'ai retenu,
19:26 une immense pitié pour la condition humaine.
19:31 Mon sentiment profond, que je n'applique pas, parce que c'est impossible,
19:36 c'est que personne n'est coupable, personne n'est responsable.
19:40 Qu'on mette ça sur le compte des religions, que Dieu c'est tout,
19:46 donc tout ce qui se passe et se passera, c'est prédestiné sur la science, la cause et les faits,
19:53 enfin sur ce que vous voulez, à mon sens, un homme n'est pas responsable.
19:56 Joseph Kessel, dont le grand roman sur la résistance s'intitule "L'armée des ombres".
20:03 Dominique Bonat, quel rapport, qu'est-ce que la guerre a profondément,
20:08 et ces années dans la résistance, a changé en lui, sur sa conception ?
20:12 Je trouve qu'on l'entend bien dans cet extrait, de l'âme humaine, de la nature humaine.
20:17 Oui, c'est tout Kessel, cette intervention, c'est d'ailleurs extrêmement beau.
20:21 Kessel, c'est un homme de tolérance, d'indulgence, qui est sensible au malheur des hommes.
20:28 Ce n'est pas pour rien qu'il a écrit un livre qui s'appelle "Le tour du malheur".
20:31 Il a expérimenté lui-même, parce que c'est un être d'une extrême sensibilité,
20:36 tout ce que la vie peut apporter de souffrance, de blessure.
20:40 Il y a un épisode de la vie de Kessel qui me fascine toujours,
20:45 c'est lorsque tout jeune, en 1914, il a voulu s'engager,
20:49 il était trop jeune pour aller sur le terrain des combats,
20:52 mais il a été affecté à un hôpital.
20:55 Et là, il était aide-infirmier, donc il voyait la souffrance que provoque la guerre.
21:04 Il a entendu les soldats gémir, il a assisté à tous ces malheurs-là,
21:09 et cela a profondément marqué, je pense, pour le reste de ses jours.
21:13 Donc Kessel, oui, c'est un aventurier, oui, il aime l'action,
21:18 oui, il s'est engagé, et il s'est engagé dans la résistance
21:21 au point de dire que le mot "résister" était le plus beau mot de la langue française,
21:25 mais il est en même temps un homme d'une montagne de tendresse.
21:30 - Et il lui a donné ses lettres de noblesse aussi à ce mot "résister".
21:35 Finalement, il y a un peu tout ça, tout cet état d'esprit,
21:38 toute cette conscience aussi du monde dans le grand hymne de la résistance.
21:43 Arrivé à Londres, les deux hommes ont composé le chant des partisans
21:46 à la demande des chefs de la résistance,
21:48 un chant pour l'armée des ombres.
21:50 Maurice Druon nous raconte sa création.
21:53 - Un chant était une chose unificatrice.
21:56 Et puis voilà, on s'est trouvé un jour dans un petit hôtel
21:59 qui était tenu par un français aux environs de Londres,
22:02 où les officiers de la France Libre, ou bien les résistants en mission,
22:05 se réunissaient pour le week-end, quand ils le pouvaient,
22:08 entre les divers stages.
22:10 Et on s'est mis dans le salon, et puis sur un piano désaccordé,
22:13 j'ai frappé avec un doigt la ligne mélodique.
22:16 Et Kessel était, il faut le dire, encore moins musicien que moi,
22:19 sauf pour la musique zygane.
22:21 Il disait, moi, je reconnais la Marseillaise
22:23 parce qu'on se lève quand on la joue.
22:25 J'ai pensé aux résistances dans le passé,
22:29 et particulièrement à une, c'est la résistance des chouans.
22:33 Alors j'ai dit, mais si on commençait,
22:35 entends-tu le cri sourd du hibou ?
22:37 Et puis c'est devenu le vol noir du corbeau,
22:40 parce que l'oiseau s'adaptait mieux à la situation,
22:43 et là-dessus, nous nous sommes renvoyés les paroles l'un à l'autre.
22:46 Qu'est-ce qui s'est passé ?
22:48 C'est qu'en fait, nous venions de France.
22:50 Nous avions vécu sous l'occupation.
22:52 Nous avions fait de la résistance.
22:54 Nous étions chargés de la douleur,
22:59 de la misère de notre pays.
23:01 Des gens qui crevaient de faim.
23:03 Nous savions tout de même les tortures, les arrestations de nos amis.
23:06 Nous avions franchi les Pyrénées à pied,
23:08 la Sierra hispano-portugaise à cheval,
23:10 nous savions ce que c'était que l'évasion.
23:12 Et nous avons essayé de faire passer,
23:15 sur cette musique, au rythme lent mais court,
23:19 et avec des mots brefs,
23:21 de faire passer tout ce que nous pouvions,
23:25 de ce que nous avions emmené avec nous.
23:27 Le chant des partisans raconté par Maurice Druon,
23:31 alors évidemment c'est un grand chant que notamment Germaine Sablon entonnera,
23:36 mais sur l'écriture de ce texte, Dominique Bonneau,
23:40 vous qui êtes aussi écrivaine et académicienne,
23:43 comment vous qualifiez aujourd'hui l'écriture,
23:47 les mots, le rythme des phrases de ce chant, de cet hymne ?
23:51 Alors d'abord ce qui est fascinant, c'est qu'en effet,
23:54 c'est un chant à quatre mains.
23:57 Donc on ne peut pas dissocier l'écriture de Kessel et l'écriture de Druon.
24:02 On ne sait pas qui a trouvé la fameuse phrase
24:05 "Amie quand tu tombes, un ami sort de l'ombre à ta place".
24:08 Donc là il y a un peu un mystère de la création à quatre mains.
24:12 Ce qui est effectivement très beau, c'est le rythme même de ce chant,
24:19 qui est sur le mode de la mélopée.
24:23 Il ne faut pas oublier qu'au départ, il y a quand même une musique.
24:27 Cette musique, c'est une guitariste russe,
24:30 donc c'est un chant français sur une musique russe d'Anna Marley.
24:35 Ce chant était souvent sifflé,
24:39 c'est-à-dire que les paroles doivent se mêler non seulement à la musique de fond,
24:44 mais également à un sifflement.
24:46 Donc c'est un chant martial, c'est un chant guerrier,
24:50 mais auquel deux femmes sont liées,
24:54 puisqu'il y a Anna Marley d'un côté à la création de la musique
24:58 et Germaine Sablon de l'autre pour la première interprétation du chant.
25:03 - Bien plus tard, après l'avoir vu grandir,
25:07 Kessel ayant vu grandir comme M. Druon,
25:10 c'est notamment lui, l'oncle, qui le fera entrer à l'Académie en 1966.
25:15 Une élection vécue par Druon, l'auteur des "Rois maudits",
25:18 pour mémoire, comme une apothéose, racontez-vous Dominique Bonin,
25:21 un combat pour lui au service de la langue française.
25:24 Entrée quatre ans plus tôt pour Kessel,
25:27 les deux hommes n'entretiennent pas tout à fait la même relation à l'institution.
25:31 Et ça c'est intéressant quand vous le racontez,
25:33 cette institution dont vous êtes membre aujourd'hui.
25:35 C'est un portrait de vos pères finalement,
25:38 mais vous ne devez en tout cas pas vous, à Maurice Druon,
25:41 votre élection Dominique Bonin.
25:43 Farouche opposant à l'entrée du deuxième sexe à l'Académie,
25:46 40 bonnes femmes qui tricoteront aux séances du dictionnaire
25:49 ne sont pas un avenir, a-t-il dit férocement.
25:53 Vous louez néanmoins son écriture, vous louez son univers fantasmé.
25:57 Quelle différence, racontez-nous, ils entretenaient l'un et l'autre à l'Académie française ?
26:02 Eh bien, à l'Académie française, Kessel a été un académicien peu présent.
26:08 Il a été là pour prononcer son discours,
26:12 l'éloge au moment où il est entré, qui est un magnifique éloge.
26:17 Je le rappelle dans mon livre, où il a surtout marqué sa différence.
26:22 Le fait qu'il était russe, qu'il était juif,
26:24 pour succéder au fameux duc de la Force, qui était son prédécesseur.
26:29 Donc l'Académie ne l'intéressait pas vraiment,
26:32 mais il était heureux d'en faire partie, je pense,
26:35 il est venu parce qu'il avait beaucoup de copains à l'Académie.
26:38 Il y avait Cocteau, il y avait Pagnol, enfin, il était heureux avec les amis.
26:42 Mais pour lui, la vie était ailleurs.
26:44 Alors que Druon a trouvé une vraie famille à l'Académie française,
26:47 a pris tout de suite sa part des responsabilités,
26:49 est devenu secrétaire perpétuel.
26:51 Et pendant très longtemps, pendant une bonne dizaine d'années,
26:54 il s'est vraiment engagé en tant qu'académicien au service de la langue française.
27:01 - Il y a encore des fauteuils à pourvoir à l'Académie française aujourd'hui ?
27:04 - Il y en a cinq. - C'est énorme. Qu'est-ce qui se passe ?
27:08 - Eh bien, l'Académie prend son temps pour choisir les futurs académiciens,
27:12 ou, je l'espère, académiciennes.
27:14 - Ça ne fait plus rêver ?
27:16 - Non, je pense que l'Académie fait toujours rêver,
27:19 mais elle est un peu intimidante dans la mesure où il faut soi-même poser sa candidature,
27:24 qu'il y a donc un risque d'échec,
27:26 et que se confronter à l'échec n'est pas toujours facile.
27:29 - Bon, ben voilà, pour cet avenir cinq places, l'appel est lancé.
27:33 Les partisans Dominique Bonnat,
27:35 Kessel et Druon, une histoire de famille,
27:38 vient de paraître chez Gallimard.
27:40 Merci mille fois d'avoir été avec nous.

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