Renaud Villard, directeur général de la Caisse Nationale d’Assurance Vieillesse, qui représente les 38 millions de personnes affiliées au régime général, était jeudi 13 avril l'invité de franceinfo. Il répondait aux questions de Marc Fauvelle.
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00:00 calendrier de la réforme des retraites est-il tenable et que se passera-t-il en septembre pour les futurs et les actuels retraités si la réforme
00:06 entre effectivement en application ? Bonjour Renaud Villard.
00:09 - Ma femelle, bonjour.
00:10 - Vous êtes le directeur général de la Caisse Nationale d'Assurance Vieillesse, la CNAV, qui s'occupe de 38 millions de personnes en France, dont
00:15 15 millions de retraités. Vous prélevez les cotisations,
00:18 vous versez les pensions de retraite. Ça concerne tous ceux qui ont travaillé un jour ou qui travaillent aujourd'hui
00:24 dans le privé, ça concerne les indépendants, les contractuels aussi de la fonction publique, soit quasiment les deux tiers des français. Vous prenez donc la parole
00:31 ce matin, au matin d'une nouvelle journée de mobilisation contre cette réforme et à la veille de la décision des sages du conseil
00:37 constitutionnel. Pourquoi maintenant ?
00:41 - D'abord parce que vous m'avez invité. - Oui, ça fait des mois qu'on vous invite.
00:46 - Et ensuite parce que on va entrer dans la phase opérationnelle, après la phase
00:51 politique, et que la phase opérationnelle, la mise en oeuvre, c'est de ma responsabilité.
00:54 La phase politique, en revanche, effectivement, ne relève pas de mon rôle et je suis très attaché aux devoirs de réserve.
01:00 Un opérateur est neutre. - Donc si je vous demande si vous défendez cette réforme, vous ne répondrez pas.
01:05 - Je ne répondrai pas. - Il y a quelques semaines, devant les parlementaires qui vous ont auditionné, vous avez dit que les perspectives
01:10 financières de notre système de retraite étaient, je vous cite, très dégradées. Est-ce qu'une autre réforme,
01:15 sans dire laquelle, était tout de même possible ?
01:18 Ce qui est certain, parce que là pour le coup je reste parfaitement neutre en disant cela, c'est qu'un système de retraite, ça a des recettes
01:25 et des dépenses. - Ça on est tous d'accord. - Les deux sont prévisibles.
01:28 Et que quand on regarde, y compris à moyen terme, les recettes et les dépenses,
01:31 on voit qu'il y a un déséquilibre, un déséquilibre qui va croissant.
01:34 Une fois qu'on a dit cela, il y a plein de manières possibles d'augmenter les recettes, de baisser les dépenses.
01:38 On sait très bien, un régime de retraite c'est à la fois très simple et très compliqué.
01:42 Très compliqué parce que c'est passionnel, parce qu'il y a beaucoup de régimes. Très simple parce que vous avez trois leviers
01:48 augmenter les recettes, baisser les dépenses,
01:50 ou
01:53 basculer le ratio entre le nombre de personnes qui travaillent et le nombre de personnes qui partent à la retraite.
01:57 Justement quand par exemple, Laurent Berger, le patron de la CFDT, dit que si on mettait le paquet sur l'emploi des seniors, qui est l'un des plus faibles
02:02 en Europe, on ferait rentrer davantage de cotisations retraite dans le système et que ça permettrait d'assurer à terme l'équilibre. Est-ce qu'il a raison ?
02:09 Je pense que ça fait partie effectivement des leviers.
02:12 D'ailleurs
02:16 là le projet de loi actuel embarque un volet emploi des seniors important, puisque mécaniquement aujourd'hui on a un taux d'emploi des seniors en France
02:22 qui est très faible. - Un peu plus d'un sur deux. - Un peu plus d'un sur deux. Il est très faible pourquoi ?
02:26 Parce qu'il s'effondre à 62 ans.
02:28 Il s'effondre à 62 ans pourquoi ? Parce que l'âge légal est à 62 ans. Je veux dire par là c'est que
02:32 fondamentalement il y a une connexion très très forte entre
02:35 l'emploi des seniors et les règles du jeu du départ à la retraite. Après ça ne dédouane pas les employeurs de leur responsabilité pour
02:42 favoriser le maintien dans l'emploi des seniors, parce qu'on sait parfois qu'il y a
02:45 des phénomènes d'éviction et là dessus évidemment c'est un point de vigilance.
02:48 Si la réforme est validée demain, elle est censée rentrer en application dès le mois de septembre, ça veut dire que ça vous laisse un
02:52 peu plus de quatre mois. Est-ce que vous êtes sûr qu'il n'y aura pas de bug à la rentrée ?
02:56 Je suis sûr de deux choses. La première c'est que j'ai des équipes formidables, engagées, mobilisées,
03:01 excessivement expertes et qu'elles en ont toujours fait la preuve. La deuxième c'est que sur tout le volet paramétrique au sens large,
03:08 la durée d'assurance, l'âge, les carrières longues,
03:12 tous ces dispositifs qui vont permettre finalement aux français de savoir quand ils partent et d'avoir un calcul exact de leur retraite,
03:18 sur tous ces dispositifs, ma cible opérationnelle,
03:21 et c'est un projet
03:23 structurant, très lourd, que je ne m'estime pas, ma cible opérationnelle c'est début juillet.
03:26 Donc par rapport à début septembre...
03:28 Donc tout sera prêt cet été si la réforme est validée,
03:30 alors que vous travaillez aujourd'hui à l'aveugle parce que vous ne savez pas, et nous non plus, qui va être validé ou pas demain.
03:35 Ça n'empêche pas de réfléchir et de lancer des travaux de conception,
03:38 parce que fondamentalement sur
03:41 les grands éléments des paramètres, même si les paramètres fins ne sont pas connus, même si la décision du juge constitutionnel n'est pas connue,
03:46 ça n'empêche pas de faire ce travail justement un peu de maquette en quelque sorte de cartographie
03:51 pour partir en départ lancé.
03:52 - Est-ce que vous constatez ces dernières semaines un afflux de demandes d'informations des français ?
03:56 - On a constaté une augmentation, je ne parlerai pas d'afflux, de 10 à 15 %, donc c'est important sans être excessif.
04:02 - Ce sont des coups de fil, ce sont des mails de gens qui vous interrogent ?
04:04 - Coups de fil, mail,
04:06 demandes de rendez-vous, dépôt de demande de retraite, donc l'activité a augmenté de 10 %,
04:11 honnêtement on s'attendait à plus.
04:13 - Est-ce que vous vous faites engueuler aussi ?
04:15 - Pour moi c'est une vertu du service public que de se faire engueuler, que d'être apporté de baffe, j'y crois beaucoup.
04:21 - Même si c'est le cas, il y a des gens qui sont en colère contre la réforme ?
04:23 - Il y a des gens qui sont en colère contre le service public, j'ai 90% de satisfaits, ce qui veut dire que j'ai 10% de non satisfaits,
04:29 et puis il y a des gens qui confondent l'opérateur et
04:32 la réforme des retraites, et qui disent "comment vous avez pu faire cette réforme ?"
04:35 Nous on met en oeuvre évidemment la politique du gouvernement et du législateur.
04:39 Après moi je tiens beaucoup à être apporté de baffe, on a lancé un dispositif qui s'appelle "Agora Retraite",
04:45 d'ailleurs un nom pompeux, un truc tout bête, régulièrement dans les agences retraite de proximité,
04:49 on prend les assurés les plus mécontents, ceux sur lesquels ça a été le plus compliqué, on les fait venir, on offre le café et on discute.
04:55 Qu'est-ce qui s'est mal passé, c'est quoi votre ressenti, comment on peut s'améliorer ? C'est ça pour moi c'est le service public.
04:59 - Renaud Villard, l'un des points d'interrogation de cette réforme porte sur ceux qui sont déjà à la retraite,
05:04 le gouvernement a promis de revaloriser les pensions de certains d'entre eux,
05:08 mais il y a toujours un doute sur le nombre de personnes concernées,
05:10 le gouvernement avance un chiffre d'un million huit cent mille personnes,
05:13 certains économistes estiment que ce sera beaucoup moins.
05:16 Combien de retraités actuels verront leur pension augmenter à la rentrée ?
05:20 - Alors 1,8 million de personnes seront concernées par ce coup de pouce,
05:26 en moyenne de 70 euros, pour les petites retraites des retraités actuels.
05:31 - En moyenne 70, ça peut aller jusqu'à combien ?
05:33 - Ça peut aller jusqu'à 100, la grande majorité aura entre 60 et 80.
05:40 - Par mois donc, en plus à partir de quand ?
05:42 - Alors c'est là que la question est importante,
05:45 ça concerne des retraités qui pour certains sont partis à la retraite il y a très longtemps.
05:49 Ceux qui sont partis à la retraite il y a 10, 15, 20 ans,
05:52 on saura les retrouver facilement, reconstituer leur carrière facilement,
05:55 il y a plus d'un million de retraités qui en septembre, avec la retraite du 9 octobre,
05:59 verront apparaître cette augmentation.
06:02 - Donc l'intégralité de cette augmentation à partir de la pension d'octobre ?
06:05 - De la pension de septembre, mais on paie le 9 octobre.
06:08 - Il n'y a pas de démarche à effectuer ?
06:09 - Pas de démarche à effectuer.
06:10 Et pour les 600 à 800 000 restants qui sont partis à la retraite il y a parfois 20, 30 ans,
06:15 qui donc ont travaillé il y a parfois 70 ans, parce que c'est ça la réalité,
06:19 donc qui ont travaillé dans les années 50, l'informatique n'était pas ce qu'elle était,
06:23 et donc on a des petits travaux à faire pour reconstituer, refiabiliser leur carrière,
06:27 et là il nous faudra plusieurs mois, la cible c'est plutôt courant 2024.
06:31 - Et ils toucheront rétroactivement ce qu'ils n'ont pas touché avant ?
06:33 - Ils toucheront bien sûr rétroactivement les 6, 8, 10 mois qu'ils n'auront pas reçu.
06:36 - Il y a deux ans la Cour des comptes vous avait épinglé,
06:38 enfin pas vous, mais la Caisse Nationale d'Assurance Vieillesse,
06:42 elle estimait qu'une pension sur 6 faisait l'objet d'une erreur de calcul,
06:46 dans la grande majorité des cas c'était au détriment des retraités.
06:49 Est-ce que vous avez corrigé le tir ?
06:51 - Alors d'abord oui, on a redressé le tir, puisque le 1 sur 6 est devenu 1 sur 8.
06:55 Alors vous allez me dire 1 sur 8, ça fait encore beaucoup,
06:57 mais c'est malgré tout un redressement très significatif.
07:00 - Il y a un retraité sur 8 aujourd'hui déjà à la retraite dont la pension est inexacte ?
07:04 - Sur laquelle il y a eu une légère erreur de calcul.
07:07 Alors je précise tout de suite.
07:08 - C'est pas rien.
07:09 - C'est pas rien, mais en même temps deux éléments de nuance.
07:12 Premier élément de nuance, la médiane, 8 euros par mois.
07:16 Donc c'est pas avec ça que les retraités ont été spoliés massivement.
07:21 C'est 8 euros de trop.
07:22 - Si c'est sur des années et des années, ça fait une petite somme.
07:24 - Ça fait une petite somme.
07:25 Deuxième élément important, c'est que ces erreurs au global, ça pèse 1% de mes dépenses.
07:32 Donc 1 sur 8, mais qui pèse 1%.
07:34 C'est là qu'on est finalement sur des montants assez faibles.
07:36 Et puis dernier point, et là-dessus moi j'ai besoin de l'ensemble des auditeurs et des auditrices.
07:41 L'immense majorité des erreurs, c'est sur la carrière.
07:44 C'est le petit trimestre de job d'été qui manque, qu'on a obligé de reporter.
07:47 - Dont on a perdu le bulletin.
07:48 - Dont on a perdu le bulletin.
07:49 Et là-dessus, le meilleur vérificateur, celui qui connaît mieux sa vie, son oeuvre, sa carrière,
07:53 c'est le futur retraité.
07:54 Et donc quand on fait une reconstitution de carrière, quand on dialogue avec le futur retraité,
07:59 ça prend deux heures, ça prend trois heures, ça prend trois jours.
08:02 Il faut faire ce job avec nous.
08:03 Il faut nous accompagner parce que nous, on ne peut pas nécessairement repérer
08:06 tous les loupés sur la carrière.
08:09 Et là-dessus, on a vraiment besoin que les assurés se mobilisent et nous aident.
08:13 - Merci à vous Renaud Villard.
08:14 Je rappelle que vous êtes directeur général de la Caisse d'assurance vieillesse.
08:17 On attend donc le verdict du Conseil constitutionnel demain en fin d'après-midi.
08:21 Merci, bonne journée à vous.