420 morts, 3 700 blessés, les Français exfiltrés : que se passe-t-il au Soudan ?

  • l’année dernière
Savoir et comprendre avec Marc Lavergne, directeur de recherche émérite au CNRS, spécialiste du Soudan.

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##NOEPISODE##
Transcript
00:00 - Il est 10h46, ce monde dans lequel on vit est ponctué de guerres.
00:05 Notre planète, des guerres dont on ne parle pas.
00:08 Par exemple le Soudan, on commence à en parler, pourquoi ?
00:10 Parce qu'il y a évacuation des ressortissants occidentaux.
00:13 Sinon, on n'en parlerait pas de cette guerre au Soudan, dans l'Afrique de l'Est.
00:19 Avec nous, pour en parler justement et pour en savoir plus, Marc Lavergne,
00:23 qui est directeur de recherche et mérite au CNRS, spécialiste du Soudan.
00:27 Marc Lavergne, bonjour.
00:28 - Bonjour.
00:29 - Merci d'être avec nous. Essayons de comprendre.
00:31 Faites-nous comprendre parce que nous nous intéressons peu, évidemment.
00:35 Nous nous intéressons beaucoup à l'Ukraine,
00:37 nous nous intéressons beaucoup à ce qui pourrait se passer à Taïwan et ailleurs sur la planète.
00:41 Mais le Soudan, non, le Soudan...
00:45 Alors au pouvoir, le général Abdel Fattah al-Bourhan,
00:51 qui est au pouvoir depuis un putsch en 2021, c'est bien cela, Marc Lavergne ?
00:57 - Oui, tout à fait, mais il était déjà depuis avril 2019 à la tête de l'État, du Conseil de souveraineté.
01:03 Donc il a fait un putsch contre le Premier ministre, qui était un civil,
01:06 pour que l'armée prenne toutes les choses en main.
01:09 Et il est l'héritier d'Omar al-Bashir, qui était le dictateur militaro-islamiste, on va dire, du Soudan pendant 30 ans.
01:17 - Alors le Soudan, Marc Lavergne, rappelez-nous, le Soudan, c'est l'Afrique de l'Est,
01:21 c'est un pays de quelle superficie, combien d'habitants ?
01:25 - Alors au départ, le Soudan, c'est 5 fois la France, c'est le plus grand pays d'Afrique.
01:29 Et puis en 2011, il y a le Sud-Soudan qui a pris son indépendance,
01:32 et donc aujourd'hui, c'est 3 fois et demi la France à peu près.
01:35 Donc un pays d'un peu moins de 50 millions d'habitants.
01:38 - Oui, très grand pays d'Afrique, il faut le rappeler.
01:42 - Très grand et très pauvre, il y a peu de routes, il y a peu de moyens de transport,
01:45 il y a peu de lignes électriques, de voies ferrées, etc.
01:48 - Donc au pouvoir, ce général qui affronte son ancien adjoint devenu rival,
01:55 un autre général, le général Mohamed Hamdan Daglo.
01:59 - Oui, exactement, qu'on appelle depuis qu'il est petit, "M.T." pour faire court,
02:03 mais c'était son numéro 2, mais c'est pas un général, c'est un mercenaire,
02:07 c'est un supplétif de l'armée au Darfouz.
02:09 Il n'est pas originaire de la capitale, de la vallée du Nil,
02:12 il est originaire de très loin de là, à près de 1000 km ou plus,
02:15 et donc il a recruté des gamins dans les camps de réfugiés, etc.,
02:19 tout ça, qui n'avaient pas de travail.
02:20 Soit ils partent en France, ils essayent de traverser le désert et la Méditerranée,
02:24 soit ils s'embauchent comme mercenaires.
02:26 Donc c'est un mercenaire, et finalement on a deux crocodiles
02:29 qui se battent dans le même marécage pour prendre quoi ?
02:32 Ben les richesses du pays.
02:33 - Alors quelles sont les richesses du Soudan ?
02:36 - Ben justement, au départ c'était le pétrole,
02:39 mais le pétrole il est resté pour la plupart au sud,
02:41 souvent, donc ils n'ont plus grand-chose là-dessus,
02:43 mais c'est l'or, l'or, il y a de l'or partout,
02:46 c'est la réserve d'or dans tous les déserts,
02:48 tout le monde quitte son travail pour aller chercher de l'or,
02:50 et c'est les mercenaires, les fameux, les gens de Mohamed Abdan Dagalo,
02:55 qui contrôlent ça.
02:56 Donc ils empochent l'or, et ils l'envoient brut à Dubaï,
03:00 et puis à Dubaï il est raffiné, puis après il est expédié en Suisse ou ailleurs.
03:04 Donc c'est vraiment la fortune du pays pour l'instant.
03:06 - Voilà, c'est-à-dire que c'est deux militaires,
03:09 l'un général, l'autre mercenaire, mais qui se proclame général,
03:13 faux général quoi, enfin bon, peu importe.
03:16 - Oui, il n'a jamais fait l'école militaire, il n'a pas de grade officiel.
03:19 - Marc Lavergne, ces deux hommes se disputent les richesses du pays,
03:23 sur le dos de la population, si j'ai bien compris.
03:26 - Oui c'est ça, mais alors le mercenaire, lui c'était un petit gars de la campagne,
03:30 et il a réussi à faire son chemin, à embaucher des jeunes,
03:33 à les louer à l'Arabie Saoudite comme mercenaires,
03:36 donc il a fait fortune là-dessus,
03:38 et puis maintenant ces mercenaires ils contrôlent les orpailleurs
03:41 qui viennent de partout pour aller gratter le sol,
03:43 et donc il a une fortune plus importante que celle de l'armée,
03:47 et il veut garder ça, et maintenant il veut prendre le pouvoir.
03:50 La question c'était l'intégration des mercenaires dans l'armée,
03:52 alors il a dit "d'accord, mais c'est moi le chef",
03:55 et le général Al-Bourhan, chef de l'État, a dit "il n'en est pas question".
03:59 Au contraire, lui son idée c'était de digérer ces mercenaires
04:03 qu'il a du mal à contrôler maintenant, et récupérer l'or,
04:06 récupérer lui aussi pour l'armée, la richesse du pays.
04:09 - Alors l'or, qui cherche l'or ?
04:11 C'est la population, dans des conditions j'imagine effroyables ?
04:15 - Oui, c'est un peu partout, c'est des gens qui quittent leur métier,
04:18 même des gens qui sont dans des bureaux,
04:20 ou qui ont des métiers, ils laissent tomber pour aller gratter la terre
04:23 et tenter leur chance, mais ils sont contrôlés.
04:25 Bon, ça crée une pollution terrible avec tout ce qu'on met comme mercure dans la terre, etc.
04:30 Mais surtout, ils doivent payer,
04:32 ils ne peuvent pas sortir leur or dans la poche,
04:36 et puis partir avec.
04:37 Il faut qu'ils le livrent à Mehmeti, à Mohamed Adnan Dagalo,
04:41 encore une fois, à son armée privée, si vous voulez,
04:44 et c'est lui qui empoche ça,
04:46 sans que ça passe par la banque centrale du Soudan.
04:48 Le Soudan ne touche rien là-dedans,
04:49 donc c'est un pays toujours aussi misérable,
04:52 alors que les chefs, eux, vivent bien.
04:55 L'armée, elle, elle prend 80% du budget de l'État, déjà.
04:59 Parce que pendant 20 ans, elle s'est battue au sud, Soudan,
05:02 donc à l'époque, tous les sacrifices étaient justifiés
05:05 pour maintenir l'unité du pays.
05:07 Maintenant, le sud-soudan est indépendant,
05:09 donc il n'y a plus de justification,
05:10 mais ils continuent à vouloir garder leur train de vie.
05:13 - Et le sud-soudan, comment ça se passe, là-bas ?
05:16 - Pareil.
05:18 C'est l'exclatement du pays en deux
05:20 qui n'a résolu aucun problème,
05:21 puisque au sud-soudan, c'est des guerres tribales effroyables
05:24 dont personne ne parle,
05:25 et là, c'est des centaines de milliers de victimes
05:27 qui meurent dans l'indifférence générale,
05:30 entre des seigneurs de la guerre qui se partagent aussi,
05:33 les puits de pétrole, et puis toutes les ressources qu'ils peuvent
05:35 dans ce pays qui est finalement assez fertile, assez riche.
05:38 - Parce que le comble,
05:40 c'est que le Soudan, qu'il soit soudan ou sud-soudan,
05:44 le Soudan est riche.
05:46 - Ah bah tout à fait, c'est le plus grand pays d'Afrique,
05:49 mais il a un potentiel énorme.
05:50 Il a le Nil qui passe là, donc toutes les terres à côté
05:53 sont récupérées par des saoudiens, des émiriens, des qatariens,
05:57 qui achètent, enfin, qui saquent les paysans,
05:59 et puis qui récupèrent des centaines de milliers d'hectares
06:01 pour cultiver de la lucerne, des choses comme ça,
06:04 qu'ils expédient après dans les pays du Golfe.
06:07 Donc il y a cette richesse agricole,
06:10 il y a des troupeaux immenses,
06:12 c'est un pays d'éleveurs de vaches, d'éleveurs de chameaux,
06:15 et tout ça c'est de la bonne viande naturelle,
06:18 qui est aussi très appréciée dans les pays du Golfe,
06:21 qui sont en face et qui sont très riches.
06:23 - Un pays pillé,
06:24 pillé à la fois de l'intérieur et de l'extérieur.
06:27 - Voilà, et tout ça dans l'indifférence un peu générale,
06:30 donc c'est un pays qui va de crise en crise,
06:33 depuis maintenant, moi je connais ce pays depuis 40 ans, même plus,
06:36 je n'ai vu que des coups d'État, que des guerres civiles,
06:39 j'ai participé pour l'ONU à des règlements,
06:42 à des processus de paix, à des cessez-le-feu,
06:45 mais tout ça repart toujours parce que les problèmes de fonds ne sont pas résolus.
06:49 - Évidemment. Marc Lavergne,
06:51 les occidentaux sont aujourd'hui obligés de fuir
06:55 dans des conditions difficiles,
06:57 d'ailleurs c'est la raison pour laquelle nous parlons vraiment du Soudan,
07:01 parce que malheureusement c'est toujours comme ça,
07:04 il y a beaucoup d'occidentaux au Soudan ?
07:07 De moins en moins, évidemment, puisqu'ils partent...
07:09 - De moins en moins, évidemment,
07:10 mais il y a quand même eu ces dernières années
07:14 un gonflement de contrats,
07:17 alors il y a beaucoup d'entreprises qui sont allées là-bas,
07:20 y compris des entreprises françaises,
07:22 parce qu'il y avait le mirage de l'or,
07:24 parce qu'il y avait ce gouvernement qui était quand même assez soutenu.
07:29 Bon, depuis la transition démocratique d'avril 2019,
07:33 même la France a reçu les civils,
07:36 c'est-à-dire tous les jeunes qui rêvent de démocratie,
07:39 ils ont été reçus à l'Élysée,
07:41 la Banque mondiale a décaissé de l'argent, le FMI aussi,
07:45 tout ça pour essayer de sortir le Soudan,
07:47 de lui sortir la tête de l'eau,
07:48 et tout ça a attiré beaucoup d'entreprises.
07:50 Mais maintenant les gens sont coincés là-bas et ils veulent repartir.
07:53 - Marc Lavergne, évidemment ça va encourager encore un peu plus
07:57 les Soudanais à fuir leur pays et à migrer.
08:01 - Oui, mais c'est pas simple de migrer.
08:03 Les jeunes du Darfour ont tardé depuis longtemps,
08:05 puisque le Darfour a été mis à feu et à sang il y a 20 ans,
08:08 donc les enfants maintenant qui ont grandi dans les camps,
08:10 ils n'ont pas d'avenir, ils partent dans les pays voisins,
08:13 mais il n'y a pas grand-chose non plus.
08:14 Donc l'idée c'est de partir vers l'Europe.
08:17 Moi j'ai connu une époque où il y avait 10 Soudanais dans toute la France,
08:21 maintenant je fais des formations dans des villes de province,
08:24 il y a des Soudanais partout en France, des jeunes,
08:26 qui sont valables, qui sont éduqués, etc.,
08:28 mais qui n'ont aucun avenir dans leur pays.
08:30 - Bien sûr, bien sûr. Marc Lavergne, merci, passionnant.
08:33 Passionnant, merci de nous faire partager votre savoir
08:37 sur l'antenne de Sud Radio.

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