Le mythe de l’abondance [Benoît Heilbrunn]

  • l’année dernière
Le mythe de l'abondance s’est ancré dans la culture occidentale par opposition à l’idée de pénurie. L'abondance est pour nous synonyme de quantité. D’où l’image d’un sauvage écrasé par son environnement, guetté par la famine et l’angoisse constante de procurer aux siens de quoi ne pas périr. [...]
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00:00 Le mythe de l'abondance s'est ancré dans la culture occidentale pour contrer l'idée
00:11 de pénurie.
00:12 L'abondance est pour nous synonyme de quantité.
00:15 D'où l'image d'un sauvage écrasé par son environnement, guetté par la famine
00:21 et l'angoisse constante de procurer aux siens de quoi ne pas périr.
00:25 Comme si l'économie de la subsistance n'était qu'une économie de la misère.
00:30 Or, penser qu'abondance rime nécessairement avec opulence est une vue de l'esprit.
00:37 Il faut donc se départir d'une représentation qu'a construit l'Occident de son grand
00:42 autre, à savoir d'une vie chaotique vouée à la subsistance et engoncée dans une économie
00:48 de la rareté.
00:49 Or, c'est sur ce principe que s'est construit le moule productionniste qui structure notre
00:54 vision de la richesse, du bien-être et des relations sociales.
00:58 Comme l'a pensé l'anthropologue Marshall Salins dans son ouvrage H2P, H d'abondance,
01:05 il y a cinquante ans déjà, l'économie n'est pas seule capable d'assurer la reproduction
01:10 de la société.
01:11 Repenser l'abondance, c'est d'abord remettre en cause le principe d'une économie fondée
01:17 sur le principe de rareté et la figure de l'homo economicus qui lui est associée.
01:22 Dans les sociétés primitives, il ne s'agit pas de rentabiliser son activité, il est
01:28 possible d'atteindre l'abondance en produisant beaucoup et en désirant peu.
01:33 Le chasseur-cueilleur n'a pas à réfréner ses désirs parce qu'il n'a pas les besoins
01:39 infinis que lui prêtent les économistes.
01:41 L'abondance renvoie pour Salins à la satisfaction de besoins socialement définis et par une
01:48 sous-utilisation des ressources disponibles pour la production.
01:52 La richesse du chasseur est d'ailleurs un fardeau parce qu'elle grève sa mobilité.
01:58 Il est donc possible de porter un autre regard sur l'abondance, fondé sur un autre mode
02:04 de circulation des richesses au sein de l'espace social.
02:07 Or, notre bien ethnocentrique nous empêche d'examiner et de comprendre l'abondance
02:13 qui caractérisait une société comme celle des chasseurs-cueilleurs.
02:16 En adoptant un régime varié fondé sur l'abondance de la flore et de la faune, les chasseurs-cueilleurs
02:23 ne vivaient pas dans un état de subsistance, mais dans une forme de plénitude.
02:27 Étant dotés d'une connaissance très fine de leur environnement, ils étaient capables
02:33 de transformer ce que les étrangers peuvent considérer comme des ressources naturelles
02:37 maigres et peu fiables en de riches ressources de subsistance.
02:41 Grâce à cela, ils étaient capables de subvenir à leurs besoins de manière efficace et efficiente
02:48 et de minimiser le temps passé à se procurer de la nourriture.
02:51 Leur quête alimentaire était d'ailleurs si réussie que la principale préoccupation
02:58 était de savoir comment occuper leur temps libre.
03:01 C'est pourquoi on peut parler d'une « abondance sans abondance » caractérisée par l'absence
03:06 de surplus.
03:07 C'est ce fameux « chemin zen » de l'abondance auquel nous convient fort justement Marshall
03:12 Sanitz.
03:13 Plutôt que de produire trop, il s'agit de désirer peu.
03:17 Cela nécessite de penser une économie qui englobe l'ensemble des rapports sociaux,
03:22 en incluant la production et la répartition des biens matériels.
03:26 C'est donc une autre façon de repenser l'économie comme encastrée dans des rapports
03:32 sociaux.
03:33 Il ne s'agit donc pas de remettre en cause l'idée même d'économie, mais d'envisager
03:38 une autre forme d'articulation et d'adéquation entre les moyens et les fins.
03:43 Cela signifie notamment ne plus concevoir l'économie comme le principe formel de comportement,
03:49 mais comme une catégorie de la culture, de l'ordre de la politique ou de la religion,
03:54 plutôt que de la rationalité et de la prévoyance.
03:56 Le très distinctif de l'échange primitif est de s'attacher plutôt à la répartition
04:03 des produits finis au sein du groupe qu'à l'échange marchand et à la transaction.
04:07 C'est pourquoi on ne pourrait tolérer qu'un membre du groupe meurt de faim, d'où l'importance
04:14 de la redistribution, de l'intégration et de la réciprocité.
04:17 C'est pourquoi, contre une vision économique rompue aux principes de rareté et de compétition,
04:24 les sociétés primitives nous montrent une autre forme de circulation de la richesse
04:29 et une autre vision de l'abondance.
04:31 Une sagesse que nous devrions méditer pour nous débarrasser de tous les a priori qui
04:37 nous empêchent de penser le monde dans lequel nous voulons vivre.
04:40 [Musique entraînante diminuant jusqu'au silence]

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