Zoom - Michaela Wrong - Rwanda : assassins sans frontières

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L'enquête de la journaliste Michaela Wrong "Rwanda : Assassins sans frontières" constitue une plongée saisissante dans l’histoire moderne du Rwanda, pays ravagé par l’un des plus grands génocides du XXème siècle. Ce récit audacieux, fondé notamment sur des témoignages inédits d’intimes du président Paul Kagame, déchire l'histoire officielle, selon laquelle un groupe idéaliste de jeunes rebelles aurait renversé le régime génocidaire de Kigali, inaugurant une ère de paix jusqu’à faire du Rwanda le chouchou des donateurs occidentaux. Michela Wrong raconte notamment en détail l’histoire et l'assassinat de Patrick Karegeya, ex-chef du renseignement extérieur du Rwanda, pour dresser le portrait d’une dictature à l’image de son président qui a fait de la vengeance la caractéristique de son règne, jusqu’à poursuivre ses anciens compagnons d’armes jusqu’au bout du monde.
Transcript
00:00 [Générique]
00:05 Bienvenue dans notre Zoom aujourd'hui en compagnie de Michaela Wrang. Bonjour Madame.
00:11 Bonjour.
00:12 Michaela Wrang, vous êtes journaliste britannique. Vous avez travaillé pour Reuters, la BBC et le Financial Times.
00:19 Vous avez couvert le gédocide au Rwanda en 1994. Et vous publiez cet ouvrage chez Max Milo,
00:27 dont voici la couverture "Rwanda, assassins sans frontières, enquête sur le régime Kagame".
00:34 On voit le président Kagame à l'ONU en train de prononcer un discours.
00:40 Alors votre sous-titre "Assassins sans frontières" fait notamment référence à la mort de Patrick Karégeia,
00:48 ancien chef des services de renseignement du Rwanda et ami de Kagame, assassiné en Afrique du Sud en 2013 par des Rwandais.
00:57 Pourquoi avoir fait de cet assassinat le cœur de votre ouvrage ?
01:01 Patrick Karégeia, c'était un ancien ami à plusieurs journalistes.
01:08 Il connaissait un peu tout le monde dans la presse internationale.
01:12 Et moi, je me souviens que le premier jour de 2014, j'étais chez moi à Londres.
01:18 Je voyais un courriel qui me disait "Est-ce que vous avez entendu ce qui s'est passé à Patrick ?"
01:24 Je me disais "Mais c'est quoi ça ? J'ai plein d'amis qui s'appellent Patrick."
01:29 Et après, j'ai lu, j'ai su ce qui s'était passé.
01:33 Il s'était fait étrangler dans une chambre d'hôtel en Sud-Afrique, le Michelangelo,
01:39 qui est un des hôtels les mieux connus.
01:42 Et moi, je me suis dit "Mais c'est quand même une histoire tellement bizarre et tellement intéressante."
01:47 Parce que c'était un monsieur qui est allé à l'école avec Kagame.
01:52 Ils étaient des bons copains. Ils sont devenus des rebelles ensemble.
01:55 Ils se connaissaient depuis des années et des années.
01:59 Et c'était l'ancien chef des renseignements.
02:03 Après, il a pris ses distances. Il a passé du temps en tôle.
02:07 Il s'est enfui. Il a fondé une partie en opposition en Sud-Afrique.
02:12 Il s'est fait tuer par son propre ancien ami.
02:15 Parce qu'on sait bien que c'est un escadron de morts
02:19 qui a été envoyé en Sud-Afrique pour l'étrangler.
02:23 – Des hommes rwandais envoyés par Kagame.
02:26 – Oui, c'est assez clair. Ils se sont enfuis tout de suite.
02:29 Ils sont retournés au Rwanda.
02:32 Et je trouvais que c'était un parcours de cet homme tellement intéressant.
02:37 Mais aussi, c'était un parcours d'un mouvement, le FPR, le Front…
02:44 – Le Front Patriotique Rwandais. Donc ça, c'est le parti de Kagame.
02:47 – Oui, qui est devenu un gouvernement, un régime.
02:52 Et on voit que ça a beaucoup changé.
02:55 Et ce meurtre, vraiment, c'était l'exemple le plus évident de ce changement.
03:01 Et il y a eu pas seulement ce monsieur qui est mort de cette façon.
03:06 Il y avait eu d'autres victimes dans d'autres pays, au Kenya, au Nouganda.
03:13 Ils ont continué, après sa mort, à tuer les gens,
03:17 les anciens dirigeants, les anciens hauts fonctionnaires, au Mozambique.
03:25 Ils ont essayé en Europe, aux États-Unis.
03:28 Alors, on voyait vraiment que c'était un système et une campagne menée de Kigali.
03:33 Et je trouvais que c'était un sujet vraiment important.
03:37 Je voulais écrire là-dessus.
03:38 – Alors, en ce qu'on sait aujourd'hui, pourquoi cet homme,
03:41 Patrick Karigaya, a été assassiné par M. Kagame ?
03:46 Qu'est-ce qu'il savait de compromettant ?
03:49 – C'était le chef des renseignements à l'extérieur.
03:51 Et c'était en plus quelqu'un qui avait connu Kagame à partir de son enfance.
03:57 Alors, je pense qu'il savait tout.
04:00 Il savait tous les secrets du régime, tous les secrets personnels de Kagame,
04:07 tout le "gossip", comme on dit en anglais.
04:10 – Les potins, oui, les histoires.
04:11 – Alors, c'est l'Irlandais.
04:12 Il avait beaucoup de pouvoir grâce à ça.
04:15 Il était aussi très bien connecté.
04:17 Il avait des amis partout, dans les renseignements à l'étranger,
04:21 aux États-Unis, en France, en Belgique.
04:23 – Mais est-ce qu'il représentait, Patrick Karigaya, une menace pour Kagame ?
04:27 Est-ce que Kagame s'est dit "il va me trahir" ?
04:31 – Je pense que le jour où il s'est mis avec l'ancien chef des forces armées,
04:38 le général Kayumba Nyamuasa, l'ancien secrétaire général du FPR,
04:43 et l'ancien procureur général, ils se sont mis d'accord,
04:48 ils ont fondé une partie d'opposition.
04:50 Et à ce moment-là, c'était une vraie menace,
04:53 parce que c'était tous des personnes très importantes.
04:57 C'était des Tutsis, des membres de cette minorité Tutsi
05:01 qui tenaient le pouvoir au Rwanda.
05:04 Et le général, c'était un homme très populaire avec l'armée rwandaise.
05:10 Alors oui, c'est une vraie menace.
05:12 – Ils étaient respectés, ils auraient peut-être pu faire un renversé Kagame.
05:16 – Oui, alors ce moment-là, au moment où ils ont fondé cette partie en opposition,
05:21 c'est un vrai danger, oui.
05:23 – Alors vous expliquez que le président rwandais, Paul Kagame,
05:26 a passé plusieurs années au sein de la rébellion ougandaise
05:30 avant de devenir le président du pays, le Rwanda.
05:35 Est-ce que vous pouvez nous expliquer un petit peu l'histoire, le passé de Kagame ?
05:39 – Oui, bien sûr.
05:40 Alors lui, il faisait partie d'une famille de haut niveau,
05:47 la monarchie Tutsi, le court royal au Rwanda
05:52 s'est fait expulser du Rwanda dans les années 60.
05:56 Il y a eu la révolution Hutu.
05:59 Et ils se sont trouvés dans les camps de réfugiés en Ouganda, en Tanzanie, au Zahir.
06:06 Et ils ont dû mener une vie très difficile.
06:09 Kagame était un enfant, il était tout petit.
06:13 Et leurs parents sont devenus des paysans.
06:16 Et les enfants se sentaient à l'écart, marginalisés,
06:22 pas acceptés par la société ougandaise.
06:25 Alors à un certain moment, Yoweri Musevni, qui est maintenant l'actuel président de l'Ouganda,
06:31 il était contre le gouvernement de Milton Obote, avant Idi Amin.
06:36 Et il voulait encadrer les jeunes rebelles, les jeunes combattants qui étaient prêts à…
06:42 – Obote qui était un communiste ?
06:43 – Oui, ça dépend, oui. Il était à gauche.
06:49 – Et après Obote, il y a eu Amin Dada ?
06:52 – Il y a eu deux phases d'Obote et une phase d'Idi Amin, effectivement.
06:57 Et Yoweri Musevni luttait contre le gouvernement actuel.
07:02 Il avait besoin de jeunes combattants, de jeunes mecs qui voulaient apprendre à se battre,
07:09 devenir des combattants.
07:11 Et les Rwandais qui habitaient dans les camps de réfugiés à l'ouest de l'Ouganda,
07:16 ils étaient… bon, ça faisait des bons soldats.
07:20 Alors ils sont entrés dans le mouvement de Musevni dans de grands nombres.
07:26 Et ils sont devenus des combattants vraiment très féroces, très courageux,
07:33 et qui ont gagné beaucoup d'expérience.
07:36 Et à un certain moment, ils ont formé un petit noyau, les Rwandais,
07:40 parce qu'ils se disaient "écoute, maintenant on sait comment se battre,
07:44 maintenant on sait comment mener une opération militaire,
07:49 et nous on veut rentrer chez nous parce qu'on a le droit de vivre chez nous,
07:53 on n'est pas acceptés ici en Ouganda, et il faut qu'on rentre chez nous".
07:58 Et c'est ce qu'ils ont fait en 1990.
08:00 – Et donc pour renverser le régime Hutu en place ?
08:02 – Oui, oui.
08:03 – Comment ça s'est passé à cette époque-là ?
08:05 – Bon, ils sont entrés, ils avaient un jeune dirigeant,
08:08 c'était pas Kagame, on oublie ça souvent,
08:11 c'était un monsieur qui s'appelait Lefred Rijema,
08:14 et c'était un jeune soldat très populaire, très respecté,
08:21 très aimé par ses propres combattants.
08:24 Et le deuxième jour de l'invasion du Rwanda, il s'est fait abattre.
08:30 Et on ne sait pas très bien ce qui s'est passé,
08:34 il y a deux versions, peut-être que c'était une balle perdue,
08:37 peut-être que c'était ses propres collègues qui l'ont tué,
08:42 mais à ce moment-là, Kagame, qui était à l'extérieur,
08:45 on l'a raconté, on a dit "on a besoin de vous".
08:49 Il faisait une formation aux États-Unis,
08:52 et il est revenu, il a pris en charge le FPR à ce moment-là.
08:57 – Alors Mikaela Rang, vous parlez des pratiques mafieuses du régime de Kagame,
09:03 comment, en tant que journaliste, vous voyez,
09:06 vous pouvez percevoir ces pratiques mafieuses au sein du pouvoir rwandais ?
09:12 – Je pense que le gouvernement aime se présenter comme être très moderne,
09:20 – Démocratique. – Démocratique,
09:22 ils ont des élections, il y a des partis d'opposition,
09:25 il y a beaucoup de femmes au Parlement.
09:28 Et tout ça, moi je vois qu'à plusieurs niveaux, c'est vraiment une comédie.
09:33 Par exemple, les élections, elles sont toujours truquées,
09:36 Kagame a gagné 99% des voix la dernière fois, ce qui est impossible.
09:43 Le chef de l'opposition, c'est une dame qui s'appelle Victoire Ngabire,
09:47 et elle a fait huit ans en prison, et maintenant elle reste chez elle
09:52 parce qu'elle ne peut pas sortir,
09:54 elle ne va jamais pouvoir se présenter dans les élections.
09:57 Les journalistes, la plupart sont en prison eux aussi,
10:02 les plus courageux, et il y a des autres qui se sont fait tuer,
10:06 on ne sait pas très bien comment.
10:07 Il y avait un récemment, il s'appelait John William Ntwali,
10:12 on dit que c'est un incident de circulation, mais moi je m'y doute.
10:19 Et de plus en plus, on voit que les gens qui acceptent pas,
10:25 ils doivent, ou ils sont en prison, ou ils sortent, ils sont fuis.
10:30 Il y a beaucoup de Rwandais qui n'acceptent pas de vivre sous…
10:34 c'est une dictature qui ne se prononce pas.
10:39 – C'est quoi le niveau de vie des Rwandais aujourd'hui ?
10:42 – Ça dépend, Akigali ça a l'air très moderne comme ville,
10:46 on parle toujours, pour les touristes qui vont là-bas,
10:49 on parle toujours du fait que c'est très propre,
10:52 il n'y a pas beaucoup de bruit, qu'il y a des policiers partout,
10:57 qu'il n'y a pas d'ordures, pas de ménions,
11:02 et comme touristes en général ils aiment ça.
11:06 Mais je pense que pour un Rwandais c'est pas facile du tout,
11:10 effectivement les mondials on les amène dans les camps de rééducation.
11:17 – Ah oui, les camps de rééducation pour les pauvres.
11:19 – Oui, parce qu'ils traînent dans les rues, on n'aime pas trop ça.
11:24 Et après la plupart des personnes au Rwanda ce sont des paysans,
11:29 ce sont des agriculteurs, et c'est un pays qui est vraiment surpeuplé,
11:37 alors il n'y a pas beaucoup de terre disponible,
11:41 et c'est un pays qui est très très pauvre,
11:44 malgré on parle toujours de la croissance, l'investissement,
11:49 les hommes d'affaires occidentaux parlent beaucoup,
11:51 ils disent que c'est un bon endroit pour investir les fonds,
11:56 mais effectivement c'est un pays qui reste toujours très pauvre.
12:01 – Alors on va en parler dans un prochain Zoom avec l'historien Charles Nana,
12:05 que vous connaissez je crois,
12:07 et quand vous me parlez de ce manque de place au Rwanda,
12:10 est-ce qu'on peut comprendre que le Rwanda mène des opérations militaires épouvantables
12:16 en République démocratique du Congo, le pays voisin,
12:20 pour justement accaparer certains minerais,
12:24 je pense au cobalt, à des choses comme ça qui peuvent enrichir le Rwanda ?
12:29 – Ce qu'on a vu, c'est avec la chute de Mobutu, le président du Zahir,
12:35 on a vu le Rwanda et l'Ouganda entrer en RDC.
12:40 – Alors le Zahir c'est l'ex-RDC.
12:43 – Oui, excusez-moi, parce qu'il y avait un groupe rebelle qui s'appelait Lafdl,
12:49 qui était créé par les Rwandais et les Ougandais, qui sont entrés là-dedans,
12:54 et pendant qu'ils étaient là, oui, ils ont vu que c'était un pays très riche,
12:58 et ils ont approfité de ses richesses.
13:03 Et maintenant on sait que le Rwanda, il y a beaucoup d'or qui sort,
13:09 que c'est de l'or congolais qui sort à travers le Rwanda,
13:12 c'est la même chose avec les diamants, le coltan, avec plein de minéraux.
13:17 Alors le Rwanda a toujours approfité de sa proximité au Congo,
13:24 et souvent on dit que c'est du produit rwandais,
13:27 mais effectivement c'est des produits congolais.
13:30 – Alors il y a un groupe terroriste, dont Charles Nanna parle dans son ouvrage,
13:35 c'est le groupe M23, alors il s'agit de Rwandais ou il s'agit de Congolais ceux-là ?
13:42 – C'est des Congolais, et c'est des Tutsi-Congolais,
13:45 et Kagame veut convaincre le monde que ce sont des Tutsi-Congolais
13:50 qui sont menacés par les anciens extrémistes Hutus,
13:55 parce qu'il y en a quelques-uns quand même toujours au Congo,
13:58 les gens qui ont commis le génocide du 94.
14:02 Mais effectivement c'est une force qui est armée, équipée, soutenue par le Rwanda,
14:10 qui maintenant a vraiment, il y a toute une campagne
14:15 qui est en train de devenir de plus en plus importante,
14:19 il y a 800 000 déplacés grâce à cette intervention,
14:25 des gens qui habitent dans des camps de réfugiés
14:28 où il y a le choléra, le paludisme, où on meurt de faim,
14:33 et c'est le Rwanda qui est responsable pour ça,
14:36 et on l'a dit clairement aux Nations Unies,
14:39 les États-Unis aussi le dénoncent tout le temps.
14:42 Et on voit que le Rwanda joue un rôle d'estabilisateur dans les pays voisins.
14:50 – Alors on a un peu évoqué le Front Patriotique Rwandais,
14:52 donc c'est le parti au pouvoir au Rwanda, c'est le parti de M. Kagame,
14:57 comment il fonctionne, comment ses membres gèrent ce parti et le Rwanda ?
15:03 – Selon moi, ça a changé, parce qu'au début,
15:07 quand ce mouvement est entré dans le Rwanda en 1990,
15:12 et après ils ont mené une guerre qui a duré 4 ans,
15:16 c'était un groupe de combattants, de collègues,
15:20 qui se considéraient un peu tous égaux.
15:24 Et après ce qu'on voit, c'est qu'il y a tous les anciens généraux,
15:31 les hauts fonctionnaires qui ont de l'expérience,
15:35 qui connaissent Kagame depuis des décennies,
15:39 eux ils sont ou en prison, ou ils sont marginalisés, ou ils se sont fouis.
15:47 Ils ont fondé des partis en opposition, en exil,
15:50 parce qu'ils ne sont pas en sécurité au Rwanda.
15:54 Alors maintenant il n'y a que lui, il n'y a que ce monsieur Paul Kagame,
15:58 et c'est vraiment un dictateur, parce qu'il y a un culte autour de lui,
16:04 de la personnalité, si on lit les journaux,
16:07 on ne lit que des éloges au président.
16:13 – Alors vous dites, vous expliquez dans votre ouvrage,
16:15 qu'il y a un certain nombre de personnes dans l'entourage du président Kagame,
16:20 donc qui ont pris la fuite, parce qu'elles font peur au président Kagame,
16:25 de ce qu'elles pourraient raconter.
16:27 Est-ce que vous savez ce qu'il y a de plus compromettant aujourd'hui
16:31 sur le président Kagame ?
16:33 – Bon, il y a toute la question de l'avion,
16:38 qui s'est fait descendre en 94.
16:43 – Oui, le 6 avril, donc avec à son bord le président Abiyarimana,
16:46 qui était le président en place où tout rwandait.
16:49 – Oui, et aussi il y avait le président de Burundi,
16:52 il y avait deux présidents et aussi une équipe française,
16:56 et l'avion s'est fait écraser, il y a eu un missile tiré dessus,
17:00 alors tous ceux qui étaient à bord sont morts,
17:05 et c'était l'élément déclencheur du génocide.
17:09 – Et donc c'est des milices toutes-ci qui ont tiré sur cet avion ?
17:14 – Bon, c'est ça la question, parce que l'AFPR a toujours voulu qu'on croise ça,
17:21 et eux, ils déclarent toujours que c'est les milices,
17:26 les extrémistes Hutus qui ont fait ça,
17:28 parce qu'ils n'étaient pas du tout d'accord
17:30 sur ce que Abiyarimana avait négocié à Rusha.
17:34 Mais de plus en plus, on entend des témoignages
17:39 des gens qui étaient très bien placés dans l'AFPR,
17:44 le général Kayumbanya Mwasa, Patrick Karagai,
17:48 le monsieur dont j'ai parlé dans le livre,
17:51 l'ancien secrétaire général de l'AFPR, et tous ces gens-là,
17:56 et ils disent clairement, ils ont donné des témoignages
17:59 aux juges français pour dire "bon écoute, c'est nous qui l'avons fait,
18:04 nous avons fait descendre l'avion",
18:06 et ils ont donné des témoignages au niveau officiel,
18:10 et quand même on a déclaré à un certain moment qu'il y avait un non-lieu,
18:14 et maintenant on ne parle plus de cette enquête dans l'avion.
18:19 – Alors on voit en France nos présidents de la République,
18:22 c'était notamment le cas de Nicolas Sarkozy et d'Emmanuel Macron,
18:26 accueillir le président Kagame en grande pompe.
18:29 Qu'est-ce que vous pensez de cette attitude ?
18:31 Pourquoi se comportent-ils comme ça nos présidents français ?
18:33 – Je dois dire, je trouve vraiment bizarre,
18:36 parce que moi comme journaliste,
18:38 quand moi j'ai commencé mes reportages en 94,
18:41 les français détestaient Kagame, détestaient !
18:44 Il y avait les diplomates français, quand on les rencontrait,
18:48 ils disaient "ah c'est le FPR, l'AFD, le groupe rebelle qu'ils soutenaient au Congo,
18:54 c'est le Kimer noir, c'est le Pol Pot, vous allez voir,
18:58 il y a des massacres, on va tous avoir un certain moment".
19:03 Effectivement ils avaient raison à ce niveau-là,
19:06 mais alors ils étaient très très négatifs à l'égard du FPR.
19:11 Kagame a failli se faire arrêter une fois qu'il était à Paris,
19:16 il était de passage,
19:17 et maintenant on voit une amitié entre ces deux gouvernements,
19:23 et je pense que des deux côtés c'est très cynique,
19:26 je pense que Kagame se rend compte que les américains
19:31 ne sont pas tellement fiers de lui,
19:34 ils trouvent qu'il cause beaucoup de problèmes au grand lac africain,
19:40 et Macron il pense "ce monsieur-là il peut m'aider"
19:45 parce qu'on a plein de problèmes au Sahel avec les djihadistes dans les pays francophones,
19:50 on a eu déjà des problèmes en Mozambique, en Centrafrique avec les djihadistes.
19:55 Il a besoin d'un allié en Afrique Macron.
19:57 Oui, et pas seulement un allié, un monsieur qui est prêt à envoyer des militaires,
20:01 très efficace, très discipliné,
20:04 et Kagame offre ses services à ce niveau-là.
20:12 – Alors je le disais en introduction,
20:14 Michaela Brown vous avez couvert le génocide au Rwanda en 1994,
20:18 et vous disiez à l'époque que vous aviez une forme de crédulité
20:22 en tant que jeune journaliste, alors expliquez-nous ça.
20:25 – Je ne suis pas la seule, je pense que tous les journalistes à l'époque
20:29 ont été impressionnés parce qu'on était entrés dans le Rwanda,
20:34 on a vu les massacres, on a vu l'état de corps, on a été horrifiés,
20:40 et on voyait qu'il y avait un mouvement militaire,
20:43 l'FPR, qui arrêtait la violence, qui parlait de la réconciliation ethnique,
20:51 qui mettait en place un gouvernement où il y avait le Hutu,
20:55 les ministres Hutu et aussi des Tutsis, et on se pensait,
20:59 c'est ça qu'il faut, parce qu'on savait bien que l'autre gouvernement,
21:03 de Rabia Rimane, avait été un gouvernement génocidaire,
21:09 alors on avait un peu tendance à être crédules à leur égard,
21:15 mais avec le temps qui s'est passé, les années,
21:18 on a commencé à voir un peu ce qu'ils étaient en train de faire,
21:22 par exemple les massacres au Congo,
21:26 quand ils ont démantelé les camps de réfugiés,
21:29 il y a eu probablement des centaines de milliers de personnes
21:33 qui sont disparues, on pense qu'ils se sont fait massacrer
21:37 par l'AFDL, par le FPR, l'armée rwandaise à l'époque.
21:41 – Et ces Tutsis qui reviennent donc avec le FPR au Rwanda pour se venger,
21:47 est-ce que c'est juste une histoire de vengeance contre les Hutus,
21:50 ou alors après, pourquoi les Tutsis massacrent à ce point les Hutus ?
21:56 – Bon, eux, ils savaient qu'entre les Tutsis,
22:02 excuse-moi, ils savaient qu'entre les réfugiés qui s'enfouissaient dans le Congo,
22:09 il y avait les milices Hutus qui avaient commis le génocide,
22:13 et aussi il y avait les soldats de Rabia Rimane qui avaient commis le génocide,
22:17 et les chasser, ils voulaient absolument les éliminer.
22:21 Mais en même temps, il y avait beaucoup de civils,
22:23 il y avait des femmes, il y avait des enfants,
22:25 – Ils n'ont pas fait le tricot, ouais.
22:27 – Il y avait des vieux, ils ont… – Massacrent tout le monde d'un coup.
22:31 – Qu'est-ce que vous avez compris justement du système médiatique
22:35 après votre enquête au moment du génocide rwandais ?
22:40 Parce que vous disiez que vous étiez crédules en arrivant,
22:43 comment vous vous êtes rendu compte de la réalité
22:45 et de comment les médias traitaient le sujet ?
22:49 – Je pense pour moi, les massacres dans les forêts du Congo,
22:54 c'était un tournant pour beaucoup de journalistes,
22:58 et aussi pour des diplomates et les gens qui travaillaient dans les ONG.
23:02 Mais aussi après on a vu les assassinats qui avaient lieu,
23:07 par exemple l'assassinat de ce ministre de l'Intérieur,
23:10 Setsen Dachanga, qui était un Hutu, qui s'est fait abattre à Nairobi.
23:15 On a commencé à avoir des doutes.
23:18 Et le problème c'est, moi je trouve que beaucoup de journalistes
23:21 qui connaissent bien l'histoire, ils sont devenus sceptiques
23:25 et après ils sont devenus très critiques.
23:28 Mais il y a des gens qui ne savent absolument rien là-dessus,
23:31 qui ne connaissent pas l'histoire, et ils vont visiter le Kigali
23:34 ou peut-être rencontrent Kagame ou sa porte-parole.
23:38 Ils sont très impressionnés, parce que la première fois,
23:41 ce monsieur fait une bonne impression, et on ne connaît pas très bien
23:45 tout le passé, tout ce qui s'est passé.
23:48 Et bien sûr aussi on entend tous ce discours sur le génocide,
23:52 et on se dit "mais quand même, ce pays, c'est une expérience
23:57 tellement affreuse, tellement horrible, ils ont besoin
24:01 de notre soutien, de notre sympathie".
24:04 Mais en même temps d'offrir la sympathie, il faut aussi toujours
24:08 être un peu… regarder les faits, et ne pas être crédule.
24:13 On a été un peu trop crédules à l'égard de monsieur Kagame.
24:19 – Alors vous nous disiez un petit peu avant que finalement
24:22 la diplomatie de Washington était en train de se rendre compte
24:25 du mal que Kagame faisait dans cette région du Grand Lac.
24:29 Quand on voit la soumission, on va dire, de la diplomatie européenne
24:33 à l'égard de la diplomatie américaine, est-ce qu'on peut imaginer
24:37 que les Européens changent leur regard sur Kagame ?
24:42 – Oui, les Américains, je pense qu'ils ont changé leur…
24:49 – Leur façon de voir, oui. – Leur opinion sur Kagame.
24:52 C'est parce que les M23 sont très inquiets à ce sujet,
24:57 et aussi parce que l'enlèvement de Pouls Russe-Sabagine,
25:02 l'hôtelier qui a été enlevé par les Rwandais et mis en prison,
25:08 c'était un citoyen américain, et ils n'étaient pas du tout contents de ça.
25:12 Ils ont mis la pression pour qu'il soit libéré, ce qui a eu lieu.
25:18 Maintenant, je pense avec l'Union européenne, ils se déclarent,
25:23 ils sont beaucoup moins… comment on dit…
25:28 ils s'expriment d'une façon beaucoup plus douce.
25:32 Surtout, on a vu que Macron ne voulait pas exprimer des critiques
25:37 à l'égard de Kagame quand il était en visite au Congo récemment.
25:41 Mais je pense maintenant qu'il y a cinq armées africaines
25:44 qui sont entrées au Congo de l'Est, parce que le M23 est en train de faire tellement…
25:51 – De massacre.
25:53 – Oui, le désordre là-bas devient de plus en plus grave.
25:56 Alors à un certain moment, il faut que l'Union européenne
25:59 et tous les pays donateurs doivent se dire comment ça se fait
26:03 qu'on est en train de donner des soutiens financiers étrangers à ce gouvernement,
26:09 parce que le gouvernement rwandais a toujours reçu beaucoup d'aide financière de nos pays.
26:16 Ils vont se demander pourquoi on fait ça, parce qu'il y a une guerre là-bas,
26:20 il y a beaucoup de victimes, beaucoup de déplacés, des gens qui meurent de faim.
26:24 On est en train d'envoyer de l'argent pour des raisons humanitaires, pour les victimes.
26:29 Mais en même temps, on donne du soutien au gouvernement de Kagame.
26:33 – Et vous nous dites qu'il y a cinq armées africaines
26:37 qui vont défendre l'ARDC contre le…
26:40 – Le M23, mais on sait bien que le M23 est soutenu par le Rwanda.
26:45 – D'accord.
26:46 – Oui, il y a le Soudan et du Sud, les Burundais,
26:52 il y a déjà les Kenyans, les Ougandais, les Angolais encore.
26:57 – Donc eux veulent défendre l'ARDC contre le M23, c'est bien ça ?
27:01 – Oui, mais tout le monde sait que le problème avec le M23, c'est un problème de Kagame
27:06 et que lui, il peut le résoudre d'un jour à l'autre.
27:11 – Michaela Rong, merci d'être venue sur notre plateau.
27:15 Je rappelle le titre de votre ouvrage, donc "Rwanda, assassins sans frontières,
27:19 enquête sur le régime Kagame", un livre à retrouver sur notre boutique officielle.
27:24 Merci beaucoup à vous d'être venue. – Merci, merci beaucoup.
27:27 [Musique]

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