LA VÉRIF' - Les soignants sont-ils de plus en plus pris pour cible?
Dans "À l'épreuve des faits", notre journaliste Jeanne Daudet tente de démêler le vrai du faux dans l'actualité de la semaine.
Transcript
00:00 En 2022, le nombre de déclarations d'incidents à l'ordre des médecins a bondi d'un peu plus de 23%.
00:05 C'est tout simplement un record dans l'histoire de cet observatoire.
00:08 Alors, pourquoi une telle recrudescence ?
00:10 C'est le moment de réponse avec Margot de Frouville, elle est chef du service santé de BFMTV.
00:14 Pas facile d'expliquer la recrudescence des violences envers les soignants.
00:18 Pour certains médecins, il faut y voir un reflet de la violence qui sévit au sein de notre société au sens plus large,
00:24 comme on le voit avec les violences qui sont faites aux forces de l'ordre ou encore aux élus.
00:29 Il y a une notion aussi intéressante qui est mentionnée dans l'Observatoire national des violences en milieu de santé,
00:35 qui évoque une certaine intolérance à la frustration et qui dit que le monde de la santé n'est plus épargné par ce sentiment.
00:42 Et parmi les professions les plus touchées, on retrouve d'abord les médecins généralistes.
00:47 Plus de 70% des incidents ont été rapportés par eux, souvent confrontés effectivement à la frustration de patients
00:53 ou bien encore de leur entourage qui arrive en consultation souvent avec une idée préconçue.
00:57 Les médecins sont agressés par des patients ou l'environnement de leurs patients, des accompagnants.
01:05 Alors c'est souvent parce qu'il y a aussi le problème de la prescription qui ne correspondrait pas à ce que voudrait le patient.
01:13 Il y a aussi la problématique des certificats, des arrêts de travail.
01:18 C'est vrai qu'aujourd'hui c'est compliqué par moment de gérer. Le médecin devient presque un objet de prescription,
01:27 un objet où on doit absolument satisfaire des demandes qui ne sont pas forcément,
01:35 qui ne sont d'ailleurs pas souvent en phase avec la réalité de ce qui est nécessaire de faire.
01:40 Alors les médecins ne sont pas les seuls à être confrontés à la violence.
01:43 On en parle là si l'on regarde une autre étude, celle de l'Observatoire national des violences en milieu de santé qui a été publiée l'année dernière.
01:49 En 2021, il y a eu près de 20 000 signalements d'atteinte aux personnes et aux biens, c'est généralement d'ailleurs aux personnes.
01:56 Et cela concerne principalement les personnels de santé. Écoutez Margot de Fourvier.
02:00 Dans le détail, parmi les cas d'atteinte aux personnes, on peut voir que ce sont les infirmiers qui sont les plus touchés
02:05 pour ce qui est des atteintes aux professionnels de santé. 46% des effectifs.
02:10 A égalité avec les aides-soignants et autres professions apparentées, c'est quasiment six fois plus que les médecins.
02:15 Et on peut le comprendre parce que les infirmiers et aides-soignants, ils sont souvent en première ligne,
02:18 ils sont souvent en premier contact avant que le patient ne voit un médecin.
02:22 Alors peut-on renforcer la sécurité des soignants et notamment à l'hôpital ?
02:26 Difficile de la veux même du ministre de la Santé François Braune de renforcer la sécurité à l'hôpital.
02:32 Ce lieu ouvert à tous les patients ne peut pas devenir un univers cloisonné. Il en parlait cette semaine face à Apolline de Malherbe.
02:39 L'hôpital est un lieu qui, malgré tout, est un lieu qui reste ouvert. Ça ne va pas devenir une forteresse.
02:45 Comment on trouve l'équilibre ?
02:46 Voilà, c'est tout cet équilibre. Il y a des secteurs qui doivent être des secteurs plus sécurisés, où on peut rentrer.
02:52 Vous savez, tous les professionnels de santé ont un badge maintenant, où on peut mettre son badge pour rentrer.
02:56 Quand on va dans un service, il faut s'annoncer avant pour pouvoir rentrer.
02:59 Il y a plein de... C'est ces solutions-là que je veux.
03:02 Les agents de sécurité existent dans les établissements.
03:04 Ce n'est pas le temps d'en mettre plus ou de les mettre partout.
03:06 C'est qu'on puisse les appeler, où ils puissent intervenir.
03:09 Et même, diagnostique du côté des professionnels à l'hôpital, pour eux, le problème vient d'un manque de moyens.
03:15 Certes, mais plus en termes de professionnels de santé.
03:18 Je pense que l'argent qu'on va peut-être consacrer à augmenter les vigiles, à mettre des portiques, etc.,
03:25 je pense qu'on devrait bien réfléchir. Parce que moi, de mon point de vue, la première mesure de sécurité, c'est qu'il y ait plus de monde dans les hôpitaux.
03:31 Quand vous avez dans les services d'urgence des gens qui attendent par dizaines sur des brancards, c'est un problème d'effectifs.
03:35 Quand vous avez en psychiatrie des filières qui ne permettent pas de faire le suivi ou d'hospitaliser en psychiatrie, c'est du manque d'effectifs.
03:41 Le manque d'effectifs est un fil rouge du climat de tension dans l'hôpital.
03:46 Mais une fois qu'on a dit ça, je pense aussi que dans certains établissements, il faudra peut-être renforcer la vigilance,
03:52 cette fois vraiment de sécurité, pour protéger des soignants dans des endroits de France qu'on aurait besoin.
03:57 Parmi les professions de santé les plus délaissées, Jeanne, est-ce qu'il y en a qui sont plus concernées que d'autres ?
04:03 Le drame de Reims a en tout cas relancé un débat, celui qui est autour de la psychiatrie et des moyens qui lui sont alloués.
04:09 Le principal suspect ayant un lourd passé psychiatrique, le maire de Reims, interrogé sur notre antenne cette semaine, Arnaud Robinet, s'est saisi de cet aspect.
04:17 C'est la question de la psychiatrie en France. Le parent pauvre, depuis des années, des spécialités de la médecine en France.
04:24 Alors il est clair, il ne nous fera pas mentir aux Français, pour rétablir la situation, il faudra des années.
04:29 Former des infirmières, des IPA, des médecins psychiatres, il va falloir des années.
04:33 Aujourd'hui, le gouvernement et le ministre de la Santé ont annoncé un nombre de mesures sur le plan de la psychiatrie en France.
04:39 Il faut aller bien sûr beaucoup plus loin, il faut peut-être accélérer les choses, quelles que soient les solutions que l'on peut apporter.
04:47 Et c'est vrai que cette crise du Covid est aussi accélérée.
04:50 Je dirais l'augmentation du patient atteint de maladies mentales, de patients instables, aussi bien chez les jeunes.
04:56 La pélo-psychiatrie est un véritable enjeu, et la psychiatrie pour adultes.
05:00 Quelques chiffres pour faire un état des lieux de la psychiatrie. Il y en a beaucoup que je pourrais vous donner, mais juste quelques-uns.
05:06 En termes de lits de place pour les patients, entre fin 2003 et fin 2020, il y en a 5500 de moins, sur un total de près de 60 000.
05:15 Sur le nombre de médecins qui leur viennent en aide, selon les syndicats, il y a plus de 30% de postes de psychiatres qui sont vacants à l'heure actuelle.
05:24 Et ça ne va pas s'arranger, lorsque l'on sait que chaque année, des places d'internes en psychiatrie restent vacantes.
05:29 En 2021, par exemple, il y en a 13% qui n'ont pas trouvé preneur. C'est mieux en 2022.
05:35 Le constat des professionnels est alarmant. Écoutez ce psychiatre qui était invité de 22h max, c'était mardi soir.
05:41 Les formations ont été détruites. Il n'y a plus d'infirmiers spécifiques en psychiatrie.
05:45 Les internes en psychiatrie sont formés juste à la chimie du cerveau, ils ne sont pas formés à la relation.
05:50 Je pourrais multiplier les choses et les dispositifs d'accueil, d'écoute et de lieu de soins n'existent quasiment plus.
05:57 C'est-à-dire qu'on a fermé plusieurs dizaines de milliers de lits en psychiatrie.
06:01 Les gens qui ont besoin d'être hospitalisés, en fait, s'ils demandent à être hospitalisés, qu'ils arrivent aux urgences,
06:05 on leur dit "Votre cas n'est pas assez grave, désolé, on va hospitaliser que les gens qui ne sont pas d'accord".
06:10 Peut-on alors parler de "parents pauvres", des spécialités en France pour reprendre les termes d'Anno Robinet ?
06:16 Oui, à en croire le professeur Antoine Pellissolo, que j'ai appelé cette semaine.
06:20 Il est chef du service de psychiatrie de l'hôpital Henri-Mondor de Créteil.
06:23 La psychiatrie et la santé mentale, ce n'est jamais la priorité.
06:27 On en parle plus maintenant parce qu'on voit toutes les conséquences,
06:30 mais pendant longtemps, c'est toujours en effet à la fin, c'est oublié,
06:33 parce qu'on pense tout de suite à la médecine des disciplines beaucoup plus prestigieuses,
06:37 beaucoup plus techniques, la chirurgie, les choses comme ça.
06:40 Et en psychiatrie, c'est toujours un petit peu à part.
06:42 Donc c'est vrai qu'il y a une souffrance, malgré la motivation, malgré l'énergie qu'on y met,
06:46 malgré les compétences, parce que ça on en a des compétences en France,
06:49 il y a toujours cette idée qu'on passe après et donc il y a un vrai découragement.
06:53 Et malheureusement, beaucoup de soignants sont partis de la psychiatrie aussi,
06:57 parce qu'ils avaient une forme d'épuisement d'une part et puis de ras-le-bol.
07:02 Moins d'effectifs, moins de lits pour des besoins, eux, qui sont énormes.
07:06 Une personne sur cinq est touchée par un trouble psychique,
07:10 soit 13 millions de Français.
07:12 64% des Français disent avoir ressenti déjà un trouble ou une souffrance psychique.
07:17 Le ministre de la Santé, François Braun, a été interrogé à ce sujet à l'Assemblée sur le manque de moyens.
07:22 Concernant la psychiatrie, notre psychiatrie, comme les urgences, comme les maternités,
07:28 comme notre système de santé, cela fait des mois, des années qu'il est en difficulté, nous le savons.
07:34 La psychiatrie, les assises de la psychiatrie de l'année dernière,
07:37 nous ont permis de mettre en place un certain nombre de solutions.
07:40 Je pense aux maisons des adolescents, je pense aussi au Mon Parcours Psy,
07:45 qui a permis de faire plus de 300 000 consultations pour les gens les plus difficiles.
07:49 Nous aurons à continuer cela, bien entendu, dans une poursuite de ce plan pour la psychiatrie,
07:56 en recrutant des professionnels, mais aussi en travaillant sur le partage de compétences,
08:00 parce que, je le redis, ce n'est pas en claquant des doigts que nous aurons plus de médecins demain.
08:04 Il faudra attendre 10 ans. Ce partage de compétences avec des infirmières spécialisées en psychiatrie
08:08 est une des solutions que nous déployons.
08:10 Lors de ces assises de la psychiatrie de 2021, 30 mesures avaient été annoncées par le chef de l'État.
08:15 Le ministre de la Santé en a rappelé quelques-unes.
08:17 Une prise de conscience forte à l'époque, voilà ce que me dit le professeur Antoine Pellissolo,
08:22 mais des mesures encore bien insuffisantes, c'est ce qu'il m'a aussi précisé.
08:25 Ce qui est dramatique, Jérémy, c'est que ça semble toujours insuffisant,
08:28 tant le chantier est colossal, et les drames comme à Reims le remettent en lumière.
08:32 C'est ce qu'on voit et on se rend compte aussi que c'est vrai que cet aspect,
08:37 cet angle mort un petit peu du ségueur de la santé, la psychiatrie,
08:41 on aurait pu imaginer après le Covid, avec en effet ces maladies mentales
08:45 qui se multiplient à la fois en population générale, mais aussi au niveau des plus jeunes,
08:48 et notamment à l'école, on aurait pu imaginer que le gouvernement décide
08:52 de mettre beaucoup plus de moyens sur la psychiatrie.
08:55 On a vu ce drame encore cette semaine, mais il y en a régulièrement,
08:59 des drames liés à la psychiatrie ou à la santé mentale, souvenez-vous,
09:02 il y a encore quelques semaines dans ce lycée de Saint-Jean-de-Luz,
09:05 ce lycéen qui avait donc assassiné son enseignante.
09:10 On aurait pu imaginer peut-être que le gouvernement puisse donner plus de moyens,
09:14 aller un petit peu plus loin et essayer de faire de cette santé mentale peut-être une cause.
09:18 Il y a eu différents plans qui ont été mis en place, on a vu aussi des causes nationales,
09:23 comme Jacques Chirac a fait pour le cancer.
09:25 La santé mentale aujourd'hui est un vrai sujet, un sujet qui est pris en compte,
09:29 mais qui n'est pas encore assez traité, parce qu'à la fois ça pose des problèmes de financement,
09:35 il faut donner beaucoup plus de moyens, mais il faut aussi créer de l'attractivité,
09:39 parce qu'aujourd'hui il y a de nombreux infirmiers ou aides-soignants
09:42 qui décident finalement de quitter les services.
09:45 Avant il y avait parfois des possibilités, vous pouviez partir à la retraite plus tôt,
09:48 ce n'est plus le cas aujourd'hui. En tout cas c'est un vrai sujet,
09:51 il faut trouver des solutions concrètes qui vont bien au-delà de la sécurisation des établissements.