[Un témoignage inédit au micro de Jacques Vendroux pour Europe 1] A douze ans, Yannick Noah abandonne à contrecœur sa famille et ses racines en Afrique pour aller au bout de ses rêves. Inspiré par sa rencontre avec le tennisman afro-américain Arthur Ashe, il intègre la section Tennis-Etudes du lycée du Parc Impérial, à Nice. Il arrive seul, avec sa lourde valise, la réalité est brutale. Entre l’éloignement avec ses proches et les bizutages que lui font subir ses camarades de pension, les premiers temps au coeur de ce centre de formation sont particulièrement difficiles pour Yannick Noah. Mais en parallèle, sa relation avec Patrice Beust, le directeur du Tennis-Etudes en qui il trouve un "second père", et ses premières victoires lors des compétitions, qui confirment son potentiel de tennisman professionnel, le poussent à garder le cap… Dans l’épisode 3 de "Yannick Noah, entre vous et moi", Yannick Noah se remémore la souffrance de l’exil durant ses années de jeunesse à Nice.
Pour les 40 ans de la victoire de Yannick Noah à Roland-Garros, Europe 1, radio officielle du tournoi, s’est rendue au Cameroun pour rencontrer la légende du tennis français. Il a accepté de se confier comme jamais auparavant sur ses rêves d’enfant, ses souvenirs de champion et sa nouvelle vie en Afrique au cours d’un entretien exceptionnel au micro de Jacques Vendroux.
Mots-clés : Roland-Garros - tennis - sports études - Nice
Retrouvez "Yannick Noah, entre vous et moi" sur : http://www.europe1.fr/emissions/podcast-yannick-noah
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00:00 Le voyage était très pénible pour un gamin de 12 ans d'arriver à Marignane tout seul,
00:13 prendre le bus pour aller à la gare Saint-Charles tout seul.
00:19 J'avais un papier comme ça, écrit à la main « voilà ce que tu fais ».
00:23 En 1972, Yannick Noah quitte sa famille pour rejoindre le sport études de Nice.
00:35 Il a 12 ans.
00:36 Bienvenue dans le podcast Yannick Noah entre vous et moi.
00:41 Une saga exceptionnelle en dix épisodes.
00:45 Salut à tous, nous sommes à Etoudit, dans le lieu dit village Noah.
00:51 Épisode 3, un exil douloureux.
00:53 Voilà, t'as tant de sous, ça coûte tant un billet de bus et voilà, tu vas te payer
01:02 tant pour avoir un ticket pour prendre gare Saint-Charles, Nice.
01:07 Et puis de la gare de Nice, par contre, c'est pas très loin, c'est un kilomètre et demi
01:16 pour aller jusqu'au parc impérial avec un petit plan.
01:18 Mais là, j'étais tout seul et en fait, je n'avais pas réalisé que quand j'arrivais,
01:23 déjà ce voyage, c'était un peu pénible.
01:25 Mais de la gare de Nice au parc impérial, ça monte en plus.
01:33 À l'époque, les valises n'avaient pas de roues.
01:36 Maintenant, on a tous des roulettes.
01:38 Mais quand tu pars avec tout ton matos, tes petits livres, tes petits albums de photos,
01:45 quelques boîtes de biscuits, évidemment tes tenues de tennis, tes tenues pour aller
01:49 à l'école, etc.
01:50 Elle était hyper lourde pour moi.
01:52 J'avais 12 ans, j'étais tout frêle.
01:53 J'ai dû m'arrêter, je ne sais pas, 100 fois.
01:57 Je faisais, je ne sais pas, 30 mètres, je m'arrêtais, 50 mètres, j'avais mal partout,
02:02 je pleurais, je pleurais.
02:03 Et tout d'un coup, j'arrive dans cet endroit, le collège du parc impérial, c'est majestueux.
02:09 Et là, je crois que c'était un château.
02:12 C'était le lycée, la pension.
02:14 Et j'arrive, on m'attendait.
02:17 On savait qu'il y avait un petit gars qui allait arriver, il ne savait pas que j'allais
02:19 arriver tout seul.
02:20 Et là, j'arrive, on m'aide avec la valise et là, j'arrive au dortoir où m'attendaient
02:26 tous les gars.
02:27 « Oh, ben, salut, tu arrives ? » Enfin, il faut savoir que les gars, ils ont 14, 15
02:33 ans, j'en ai 12, tu vois, c'est le petit gars, quoi.
02:36 Donc, c'est un peu la… c'est une espèce de… à la fois surprise, mais tout de suite
02:42 les grands frères, quoi.
02:43 Voilà, forcément, on te donne le lit, le dernier lit, mais bon, c'est de bonne guerre,
02:48 t'es en pension.
02:49 Puis il y en a un qui met ses bambous là, comme ça.
02:54 Yannick, Yannick, bienvenue, bambou là.
02:58 Et non, très bien accueilli.
03:00 Je suis un gamin, je sais pas où je suis, mais je suis dans… il y a Morayton à côté,
03:17 il y a Dominique Baudel à côté de moi.
03:20 C'était des stars, c'était champion de France KD, champion de France Minimes, c'était
03:25 des gars que je connaissais.
03:26 Mais voilà, c'était… puis on va voir Patrice Beu, vous savez qui c'était.
03:31 Alors, Patrice Beu, c'est l'entraîneur.
03:32 Et puis, ça tout de suite connectait avec lui parce qu'il a pas… il nous parlait
03:42 pas comme à des joueurs, il nous parlait comme à des enfants, à des jeunes.
03:46 Et moi, il me parlait comme à un enfant, sachant que mes parents étaient à l'autre
03:51 bout du monde.
03:53 Donc, il y avait tout de suite, dans son ton, quelque chose, il y avait de l'affection.
03:59 J'ai tout de suite… la première chose que j'ai aimée chez Patrice Beu, c'était
04:05 tout de suite qu'en fait, c'était déjà comme un tonton.
04:08 Il y avait ce côté affection qui était essentiel.
04:11 J'aurais eu quelqu'un qui m'aurait dit « bon, on va voir ton service, ton coup
04:14 de bras, comment tu bouges les jambes, on va voir si t'es résistant ». J'aurais
04:18 pas tenu.
04:19 Enfin, j'aurais tenu 15 jours.
04:22 Je serais reparti tout de suite.
04:23 Mais j'avais cet appui.
04:25 Et j'avais aussi l'appui du monsieur qui était l'intendant de la pension, qui
04:31 était monsieur Clément, Robert Clément.
04:33 Et lui, les pensionnaires, c'était comme ses gamins.
04:38 Tu vois, donc c'était comme un deuxième papa aussi.
04:41 Donc, j'ai eu cette chance d'avoir cette affection à ce moment-là de ma vie, de ce
04:48 môme qui est complètement déraciné, à moitié perdu avec sa raquette.
04:52 Et Patrice a pris cette place-là très rapidement.
04:56 J'ai été bizuté comme ça se faisait.
05:07 Donc, tu ne te poses pas plus de questions que ça.
05:10 En plus de ça, moi, je n'avais pas vraiment… je ne pouvais pas me retourner.
05:16 Tu n'oses pas.
05:17 Tu n'oses pas aller te plaindre.
05:19 Je n'ai jamais… je n'ai pas osé aller en parler à Patrice Bust.
05:24 Je n'ai pas osé en parler à l'intendant.
05:26 Je n'ai pas osé.
05:27 Parce que pour moi, c'était… tu n'étais pas fort si tu allais te plaindre.
05:31 Et ça, c'est des humiliations en fait.
05:38 Mais je peux aujourd'hui mettre des mots sur ces sentiments.
05:43 Mais à ce moment-là, c'était des émotions.
05:47 Mais dans ces émotions, je sais qu'il y avait quelque chose en moi qui disait « vous
05:52 allez voir, un jour, je vais vous massacrer ».
05:54 Je suis donc retourné au Cameroun, mes premières vacances.
06:02 Donc, je fais deux mois et demi.
06:05 Donc voilà, septembre, octobre… enfin, ouais, septembre, octobre, novembre, décembre,
06:09 trois mois et demi.
06:10 Et là, on me paye un billet d'avion, un aller-retour.
06:15 Mais là, je voulais rentrer, je ne voulais plus revenir en France.
06:19 Trop de blanc, trop froid, trop perdu.
06:26 La bouffe de la cantine trop pourrie.
06:29 Je les aime tous, mais je ne voulais pas revenir.
06:34 C'était étrange parce que j'étais en fait partagé par une espèce de rêve quand
06:41 même fou parce que je voyais que j'étais bon joueur.
06:45 J'étais jeune, il y avait encore tout à faire, mais j'étais bon joueur.
06:48 J'aimais beaucoup le club, le Nice LTC.
06:50 J'aimais beaucoup cette atmosphère dans ce club qui était à l'époque où les clubs
06:55 étaient des endroits de famille.
06:58 Donc, on n'était pas dans un sport-études où on allait s'entraîner, on rentrait
07:01 à la pension.
07:02 On s'entraînait dans un vrai club familial.
07:05 Donc, il y avait ce truc familial aussi.
07:06 Et j'avais mon ami qui était mon ami.
07:10 Tu sais, quand tu as ton pote en pension, c'est comme à l'armée ou à la guerre.
07:14 Et moi, j'étais à la guerre en fait.
07:16 Mais j'avais un ami et c'était mon ami, Pierrot Lebec.
07:19 C'était comme mon frangin.
07:20 Et Pierrot, avant de se quitter, il me fait « mais tu te barres ? » Je dis « ben
07:27 oui, là, je ne reviens pas ici.
07:29 C'est bon, les bésutages, tout ça, c'est bon.
07:31 Moi, je rentre à la maison, je vais bouffer à la maison les plats de maman.
07:37 Et moi, c'est bon, la cantine et tout ça.
07:39 Je vais jeter mes manteaux.
07:41 J'en peux plus des manteaux.
07:42 Et puis, il me dit « ben écoute, si tu ne reviens pas, je ne reviens pas.
07:55 » Je dis « ah bon ? » Il me dit « mais par contre, si tu reviens, je reviens.
07:59 » Je dis « bon, ben écoute, je reviens.
08:00 » Je dis « bon, alors je reviens.
08:02 » Et puis, je me barre.
08:04 Et puis, quand je suis dans l'avion, je ne reviens pas.
08:06 En fait, j'oublie tout ça.
08:07 Et puis, quand j'arrive ici en vacances, vu que j'avais écrit à peu près 50 lettres
08:13 à maman en lui disant que c'était too much, que je voulais rentrer, elle, elle
08:17 était très contente que je revienne.
08:18 Mais quand je parlais, je dis « oui, mais alors bon, on voit le retour.
08:23 » Et puis, à un moment, il y avait un peu de confusion.
08:25 Et puis, la veille du moment de partir officiel, je suis convoqué par mes parents.
08:31 Je savais que là, c'était chaud quand on me convoquait.
08:33 « Mais qu'est-ce que tu fais, Yann ? » Papa prend la parole.
08:37 Il dit « mais Yann, qu'est-ce que tu veux faire ? » « Tu sais, chéri, c'est
08:39 comme toi tu veux.
08:40 Si tu veux rester, tu restes.
08:41 Si tu veux repartir, tu repars.
08:42 Mais c'est vraiment comme tu veux.
08:44 Tu es forcé de rien et tout.
08:45 » Et je lui dis « je repars.
08:49 » Et je pense à Pierrot, là.
08:51 Et je lui dis « mais c'est comme si tu étais en pilote automatique.
08:53 » Je lui dis « je repars.
08:54 » Et là, maman se lève et se barre dans la chambre.
08:57 Et c'est des années après que j'ai su que maman était partie pleurer parce qu'elle
09:03 voulait pas du tout que je reparte.
09:06 Vous venez d'écouter Yannick Noah, Entre vous et moi.
09:18 Un témoignage exceptionnel recueilli par Jacques Vendroux au Cameroun pour Europe 1.
09:24 Dans l'épisode suivant.
09:26 Mes parents, ils ont eu leur fils aîné avec lequel ils ont jamais vécu.
09:30 Donc quand on se voyait, c'était toujours très intense mais trop court.
09:33 Et maman était sportive et du coup, maman, cette énergie et cette frustration, elle
09:40 l'a mise dans l'encouragement.
09:41 Donc c'était maman, quand je jouais, si je perdais, elle était malade.
09:46 Mais vraiment malade.
09:48 Yannick Noah, Entre vous et moi.
09:52 Production Europe 1 Studio, Sébastien Guyot.
09:55 Réalisation et direction artistique, Xavier Joli.
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