[Un témoignage inédit au micro de Jacques Vendroux pour Europe 1] Le 5 juin 1983, Yannick Noah joue et remporte le match le plus important de toute sa vie : la finale de Roland-Garros, contre le Suédois Mats Wilander. La France entière se souvient de l’image du tennisman sautant dans les bras de son père après avoir remporté le tournoi de Roland-Garros en 1983. Pour Yannick Noah, c’est alors la consécration. Le petit garçon d’Etoudi qui n’avait pas de quoi se payer une raquette, a fait un long chemin. Mais c’est aussi le début de la célébrité, et autour de lui, les gens commencent à le traiter différemment. Que devient-on après avoir été sacré meilleur joueur du monde ? Dans l’épisode 7 de "Yannick Noah : entre vous et moi", Yannick Noah se livre sur cette victoire historique qui fut le sommet de sa carrière de tennisman, et sur la difficile période de questionnement qui s’en est suivie.
Pour les 40 ans de la victoire de Yannick Noah à Roland-Garros, Europe 1, radio officielle du tournoi, s’est rendue au Cameroun pour rencontrer la légende du tennis français. Il a accepté de se confier comme jamais auparavant sur ses rêves d’enfant, ses souvenirs de champion et sa nouvelle vie en Afrique au cours d’un entretien exceptionnel au micro de Jacques Vendroux.
Mots-clés : Yannick Noah - Jean-Paul Belmondo - Pierre de Coubertin
Retrouvez "Yannick Noah, entre vous et moi" sur : http://www.europe1.fr/emissions/podcast-yannick-noah
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00:00 Quand je rentre sur le court, je suis frais, frais comme un lardon, comme dirait mon pote
00:05 Mika.
00:06 Et il fait beau, je suis à Roland et là, je sais que tous les As sont alignés.
00:12 Je sens vraiment un truc.
00:14 Tout d'un coup, mon public, le public, la France et même au-delà des gens qui aiment
00:19 le tennis se disent « il peut gagner ». Mais ce qui me plaît vraiment, c'est que là,
00:28 j'ai le sentiment que tous les gens vont regarder le match, toute la France va regarder
00:33 le match, mais c'est surtout, ils vont tous regarder parce qu'ils pensent enfin que
00:38 je peux gagner mais qu'on peut gagner.
00:41 C'est la première fois.
00:42 On peut gagner.
00:45 Ce dimanche, 5 juin 83, l'important pour Yannick Noah, ce n'est pas de participer,
00:52 mais bien de gagner.
00:54 Et toute la France est derrière lui.
00:56 50 millions de Noah, écrit le journal L'Équipe.
01:00 Bienvenue dans Yannick Noah, entre vous et moi.
01:03 Entre vous et moi.
01:05 Un podcast européen, une saga exceptionnelle en 10 épisodes.
01:09 Salut à tous, nous sommes à Etoudi, dans le lieu-dit village Noah.
01:14 Épisode 7, Roland Garros, la consécration et la chute.
01:19 Quand je rentre sur le terrain, Bébel il me fait « tu vas le faire, p'tit ». Parce
01:26 qu'on y croit, tout le monde y croit vraiment.
01:28 C'est pas là, là il y est, c'est bien.
01:30 Coubertin, il n'existe pas dans la photo.
01:33 Et ça, c'est puissant.
01:35 Ça, c'est puissant.
01:37 Un peu de silence s'il vous plaît.
01:42 J'ai rêvé que j'avais perdu le match.
01:44 J'ai perdu le match.
01:45 Mais j'ai tout.
01:46 Il y a des moments où je suis monté à mauvais escient.
01:49 Il y a des moments où j'aurais dû attaquer.
01:51 Il y a des moments où j'aurais dû prendre le match.
01:52 Et je perds.
01:53 Quand tu perds à ce niveau-là, alors il y a des gens qui rentrent chez eux « oh
01:58 il a perdu, oh mince j'étais pour lui, oh merde, oh là là, il a perdu ».
02:02 Mais quand tu perds, t'es pas loin de te dire « je pourrais crever ».
02:09 Tellement ça fait mal.
02:11 Tellement ça fait mal.
02:13 Il y a des matchs que tu perds, tu mets des semaines à dormir, tu mets des semaines
02:20 à bouffer, tu peux plus même penser à l'entraînement.
02:24 Mais j'ai joué qu'une finale dans ma vie.
02:27 J'ai joué qu'une finale dans ma vie.
02:29 Et le samedi soir, je la perds dans mon rêve.
02:32 Et je peux te dire, quand je me suis réveillé, mon esprit, parce que c'est le corps qui
02:36 gère tout le reste, mon esprit, il était dans la tombe.
02:41 Et là j'entends toc toc toc, c'est papa qui frappe à la porte « Yann, tu es prêt,
02:53 tu as bien dormi ? ». Et là je ne sais pas ce qu'il s'est passé parce que pour
02:57 moi c'est lundi, j'ai paumé.
02:58 Je connais le feeling quand tu as paumé.
03:01 Et là je m'aperçois que putain, j'ai rêvé.
03:05 Alors il y a aussi un autre sentiment, quand tu as vu la mort de près.
03:09 Quand tu as vu la mort de près, je peux dire la vie, tu la vois différemment.
03:13 C'est un truc de fou.
03:15 La force que tu as quand tu as failli crever, ce n'est pas la même chose.
03:19 Et là, quand je me suis levé de mon lit, je peux dire un truc, c'était comme si
03:28 dix minutes plus tard, j'avais une deuxième chance d'aller rejouer le match.
03:31 Comment je me suis levé, comment je suis allé m'entraîner, comment j'ai pris ma
03:37 bagnole, comment je me suis arrêté à Auvergneau, m'arrêter au tabac pour me prendre une clope.
03:43 Comment je suis allé à la Croix-Catelan faire mon échauffement, comment je suis
03:47 allé prendre mon plateau repas au Racing avec mes potes parce que j'ai bouffé avec
03:51 mes potes avant la finale.
03:53 Je jouais trois, quatre heures après, j'ai bouffé un plateau repas au milieu des gens
03:55 qui allaient tous à Roland.
03:56 J'étais serein, j'étais bien.
04:00 Mais ce qui m'hallucine, ce qui m'hallucine, c'est putain le môme de 23 ans, la tronche
04:06 que j'avais.
04:07 J'étais en mission.
04:09 Ça, je trouve ça extra.
04:11 Ce qui m'interpelle, c'est que c'est la même façon de marcher, le même regard,
04:18 le même truc que joue Akima quand il joue au basket.
04:21 C'est ouf, ce truc de « je vais chercher, j'y vais, mais rien ne va m'arrêter ».
04:29 Et le match se joue, je regarde les points, mais moi ce qui m'hallucine, c'est « putain
04:34 j'étais dedans, rien, rien, rien à ce moment-là, pendant ce match, pouvait me toucher ».
04:42 C'est une espèce d'état de grâce, on va dire, mais un état de grâce qui a été
04:46 travaillé.
04:47 Ce n'est pas un coup de chance, d'un coup j'étais bien.
04:49 Comme des fois on dit « ah ben tiens, j'ai un jour sans… ».
04:51 Ben oui, mais il y a des raisons.
04:54 Le jour où on dit « ah ben tiens, j'ai eu un jour sans, on passe à autre chose »,
04:58 ben tu ne travailles pas, tu n'avances pas, tu ne progresses pas.
05:00 C'est important de paumer.
05:01 Mais des fois gagner, savoir aussi pourquoi, c'est important.
05:04 Et là, ça a été un moment où tout était en place.
05:07 Tous mes potes étaient là, toute ma famille était là, J'étais à Roland où j'ai
05:12 grandi.
05:13 Il faisait beau, c'était important qu'il fasse beau.
05:14 Pourquoi ? Parce que le cou est un peu plus rapide, la terre battue plus rapide.
05:18 Mat', c'est un défenseur, je suis un attaquant.
05:21 Le coup rapide, c'est mieux pour l'attaquant.
05:24 Donc il y avait tout en place.
05:25 Nous sommes dans le tie-break, Yannick Noah mène 2-7-0, 6-3 dans le tie-break de la troisième
05:31 manche, Noah au service.
05:32 Mat', il cherche l'ace, il sert au centre, il monte au filet.
05:35 Il a gagné ! Yannick qui est à genoux au centre du cou !
05:41 Il a 23 ans, Yannick Noah ! Il a eu 23 ans, Yannick Noah, il embrasse son père Zachary !
05:48 Bien sûr que je suis surpris quand papa saute sur le cou.
05:54 Moi, mes parents, personne ne les connaissait.
05:57 Mes parents étaient complètement discrets dans mon aventure.
06:01 Mes parents m'encouragaient à la maison, comme on encourage la famille.
06:09 Mes parents n'étaient pas présents, mes parents n'intervenaient jamais auprès de
06:15 mes entraîneurs, n'intervenaient jamais ! Mes parents étaient là quand il y avait
06:20 des tournois à Roland.
06:22 Ils sont venus une fois je crois à l'US Open, ils ne venaient nulle part.
06:26 Mes parents n'étaient pas présents.
06:27 Il y avait cette discrétion d'humilité, il faut le dire.
06:33 Et oui, quand papa a sauté sur le cou, il est arrivé, il m'a sauté dessus et je me
06:45 suis retrouvé avec papa dans mes bras.
06:46 Je suis heureux pour ce qui est arrivé à Yannick, qui a consenti des sacrifices depuis
06:51 un bon bout de temps, ça fait un an qu'il s'est mis dans la tête qu'il fallait absolument
06:56 qu'il progresse pour arriver à ce niveau-là.
06:59 Il a répondu à des gens qui croyaient le connaître et qui disaient qu'il n'était
07:03 pas ambitieux.
07:04 Tu ne sais pas sur le moment, tu le partages ce moment, mais ce moment, il appartient à
07:12 tous les pères de famille qui ont regardé le match à ce moment-là, à toutes ces familles
07:17 qui ont regardé parce que les gens ne chialaient pas parce que j'ai gagné.
07:22 Bien sûr, mais tout le monde était pour moi.
07:26 Donc, j'ai beaucoup de gratitude par rapport à ça.
07:29 C'est incroyable de toucher ça une fois dans ta vie.
07:31 Mais ce moment a mis autre chose, c'est-à-dire que les gens de ma génération, de d'autres,
07:41 ont pleuré dans leur télé parce que les pères ont pleuré, les mères ont pleuré,
07:44 les gamins ont pleuré.
07:46 Ça a été une émotion qui était bien plus forte que gagner.
07:52 Je me mets par terre, je prends la coupe, je remercie les sponsors.
07:55 Non, non, non, rien de ça.
07:56 C'était juste un truc d'émotion pure.
07:58 Et cette victoire, elle a pas… Je suis central, mais elle appartient à tout le monde.
08:07 Tous les gens ont vécu une émotion à ce moment-là.
08:10 Et des années après, des décennies après, j'encontre des gens qui me disent dans la
08:18 rue, inconnus, qui me parlent de ce moment avec une véritable émotion.
08:22 C'est merveilleux.
08:25 C'est la première fois, bien évidemment, que Yannick s'impose dans un tournoi de
08:29 cette dimension.
08:30 Il a remporté aujourd'hui à Paris le premier tournoi du Grand Chlem de l'année 1983.
08:35 Coup de chapeau.
08:36 Quand j'ai gagné, après, c'était compliqué parce que je n'avais plus de rêve.
08:48 Je continuais à jouer, j'étais un très bon joueur, j'étais un des meilleurs du
08:52 monde, mais je n'avais plus de rêve.
08:54 Je n'avais plus le petit truc en plus.
08:55 Il aurait pu me manquer quelque chose en 1983.
09:03 Il aurait pu manquer quelque chose, mais il n'a rien manqué, il y avait tout.
09:12 Je suis à la maison, il y a l'émotion, 50 millions heureux, chez moi, il y avait
09:21 tout.
09:22 Je vais rêver de quoi ? Un deuxième ? Rêver, gagner ailleurs ? Je n'en ai pas rêvé.
09:27 Je n'en ai pas rêvé.
09:29 Quand je gagne, Roland, moi, dans mon univers, c'est une première pour tout le monde.
09:37 Je vois des journalistes qui disent « oui, maintenant, il faut confirmer ».
09:39 De d'où tu sors ce mot abruti ? Confirmer quoi ? Tu veux que je te donne le film ? Je
09:46 l'ai gagné, je l'ai gagné, mec.
09:49 Mais les mois qui viennent, « oui, mais il n'a fait que quarts de finale, et machin
09:53 ». Le problème, c'est que ce qui m'est arrivé, c'est que moi, je n'ai pas fondamentalement
09:59 changé, mais c'est que tout le monde autour de moi a changé.
10:03 Ma boulangère, le chauffeur de taxi, tout le monde a changé.
10:08 Et je devais gérer quelque chose.
10:11 Moi, ce que je voulais, c'est gagner, montrer qu'on pouvait gagner, qu'un franco-camerounais
10:17 pouvait gagner.
10:18 C'était ça dont je rêvais.
10:20 Mais le lendemain, je vais où maintenant ?
10:22 Aller t'entraîner pendant des mois avec des gens qui te félicitent, ce n'est pas
10:30 facile.
10:31 Il faut être accompagné par quelqu'un qui te donne les codes.
10:35 On n'avait pas les codes.
10:36 On découvrait tout ça.
10:38 À la fête, tout le monde découvrait ça.
10:40 « Oui, allez, on va bien jouer à l'US Open ». Oui, mais le truc en plus, je ne l'ai
10:46 jamais retrouvé.
10:47 Je ne l'ai jamais retrouvé.
10:49 J'ai essayé de trouver un sens à tout ça parce qu'à un moment, une fois que
11:04 j'avais à peu près tout, voire plus que je rêvais, j'en ai rêvé, j'ai réussi
11:11 à gagner, à avoir la vie dont je ne pouvais même pas rêver de plus.
11:17 Je viens d'un petit village du Cameroun.
11:21 Je n'avais pas de quoi me payer ma première raquette.
11:24 On dit toujours « n'oublie pas d'où tu viens ». Je n'arrivais pas à oublier
11:29 ça.
11:30 Donc, j'ai toujours pris tout ça comme un cadeau.
11:33 Mais à un moment, cette notoriété, pour moi, c'était un truc complètement abstrait,
11:44 complètement superficiel et qui me gênait parce que je n'aimais pas du tout cette
11:52 vie.
11:53 Ça n'avait pas de sens.
11:54 Hier soir, à 5 heures du mat, parce que je marche toute la nuit, je ne dors pas, je
12:05 me retrouve sur un pont de l'Alma.
12:08 Je me dis « je ne plonge pas, je me dis qu'il y a un problème ». Je me dis « il
12:12 y a un problème quelque part ». Et qu'on ne parle surtout pas de fric, qu'on ne parle
12:19 pas d'impôts, qu'on ne parle pas de conneries, surtout pas, parce que ça, ça me tue vraiment.
12:25 Dans ces trucs-là, je suis seul, je suis tout seul.
12:28 Et le gamin de 23 ans, il s'est dit « en fait, le vrai truc que je veux maintenant,
12:39 c'est une famille.
12:40 Je veux des gosses ».
12:41 Le tennis, ben oui, mais c'est secondaire.
12:46 Et le tennis est devenu secondaire dans ma vie.
12:50 J'ai rencontré Cécilia, on est tombé amoureux, on s'est mariés ici six mois après.
12:55 Joachim est né six mois après, Yelena est venue après, et là, j'avais tout ce qu'il
13:01 fallait.
13:02 J'étais heureux.
13:03 Mais forcément, le guerrier intérieur sur le cours, il était un peu plus soft, il était
13:10 plus sensible, il était moins… je ne travaillais plus dans l'urgence, je n'étais plus du
13:15 tout dans la survie.
13:16 Vous venez d'écouter Yannick Noah, Entre vous et moi.
13:29 Un témoignage exceptionnel recueilli par Jacques Vendredi au Cameroun pour Europe 1.
13:34 Dans l'épisode suivant…
13:36 J'ai fait des tournées dans les MJC.
13:38 Ce n'est pas venu tout de suite, parce qu'après Saga Africa, j'ai fait des trucs assez médiocres.
13:43 Mais on s'éclatait.
13:44 Tourner dans le bus avec les potes, aller de ville en ville, chanter dans des salles
13:50 où il y avait dix personnes, dont un mec avec son chien qui aboyait pendant des chansons
13:55 où je parlais de la vie et de la mort.
13:57 Des trucs extraordinaires, mais tout ça dans… Et là, j'étais… ça me plaisait.
14:04 Yannick Noah, Entre vous et moi.
14:09 Production Europe 1 Studio, Sébastien Guyot.
14:12 Réalisation et direction artistique, Xavier Joli.
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