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Lundi 5 juin 2023, SMART ÉDUCATION reçoit Johanna Legru (Déléguée Générale, Alliance pour l'Education)

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00:00 ...
00:07 -Bonjour à toutes et à tous.
00:09 Bienvenue dans ce nouveau numéro de "Smart Education".
00:12 "Smart Education", c'est votre magazine dédié à la formation,
00:15 aux nouveaux métiers et aux nouvelles pédagogies.
00:18 C'est le rendez-vous qui donne un futur à la jeune génération.
00:22 Depuis début mai, le ministre de l'Education,
00:24 Papendaye, travaille sur un plan mixité
00:27 qui concerne l'enseignement public et privé,
00:30 avec un objectif de réduire les différences
00:32 de recrutement social entre établissements
00:35 de 20 % d'ici à 2027.
00:37 Il a annoncé que c'était l'enjeu majeur de son mandat.
00:40 Le 17 mai dernier, Papendaye a présenté un plan non contraignant
00:44 pour l'enseignement privé.
00:45 Joanna Legru, déléguée générale d'Alliance pour l'éducation,
00:49 est avec nous pour nous apporter son regard
00:52 sur les besoins de l'éducation en la matière.
00:54 -Bonjour, Joanna Legru. -Bonjour. Merci à vous.
00:57 -Pouvez-vous nous présenter
00:59 l'Alliance pour l'éducation ? Quelles sont ses missions ?
01:02 -L'Alliance pour l'éducation United Way
01:04 est une association qui existe dans cette forme
01:07 depuis six ans et qui agit auprès des collégiens
01:11 de territoire prioritaire,
01:13 donc uniquement en collège, on dit REP+,
01:16 qui sont donc les collèges dans lesquels
01:19 il y a les indices de position sociale les plus bas.
01:22 Ce que nous faisons, c'est que nous mettons en place
01:25 un programme sur le temps long de la 6e jusqu'à la 3e,
01:28 un programme qui consiste en une multiplicité d'ateliers
01:32 sur deux axes, la connaissance de soi,
01:34 et la connaissance du monde professionnel.
01:37 La particularité de cette association,
01:39 c'est que nous faisons travailler plusieurs acteurs
01:42 sur un même territoire, on agit au niveau local,
01:45 donc on fait agir des associations, des associations locales,
01:49 sur les sujets dont je vous ai parlé.
01:52 Nous faisons agir les pouvoirs publics,
01:54 puisque notre entrée, c'est le principal de l'établissement,
01:57 donc on travaille sur le temps scolaire.
02:00 Et puis, nous faisons agir les entreprises
02:02 qui souhaitent aller à la rencontre de ces jeunes,
02:05 présenter leur métier, leur parcours,
02:07 puisque nous savons très bien que dans ces collèges,
02:11 malheureusement, le déterminisme social est très fort
02:14 et il est absolument nécessaire que ces jeunes
02:16 aient accès à des rencontres déterminantes,
02:19 des rencontres qui leur permettent d'ouvrir le champ des possibles.
02:23 -On parle de plan mixité depuis plusieurs mois.
02:26 Qu'est-ce qu'il y a derrière, concrètement, ce plan mixité ?
02:29 Qu'est-ce que ça veut dire ? Qu'est-ce que ça encadre comme terme ?
02:33 -Alors, nous, ce qu'on entend, c'est que ce plan mixité...
02:36 veut amener un changement, justement,
02:40 au niveau de ces établissements,
02:42 où, effectivement, il y a une surreprésentation
02:45 de jeunes d'origine sociale modeste,
02:48 et effectivement, avec l'idée que s'ils sont...
02:51 mélangés, on va dire, avec des jeunes plus favorisés,
02:55 à ce moment-là, il y aura une ouverture plus grande
02:59 vers l'extérieur, une plus grande possibilité
03:02 de se projeter dans l'avenir.
03:04 J'espère que c'est dans les deux sens,
03:07 puisque la mixité sociale, c'est dans les deux sens.
03:10 Espérons que dans ces mesures,
03:12 il y a aussi l'idée de permettre à des jeunes plus favorisés
03:16 de rencontrer des jeunes qui ne sont pas du même milieu qu'eux.
03:21 Maintenant, pour nous, ces mesures sont tout à fait nécessaires,
03:25 particulièrement les mesures qui...
03:27 -Vous êtes convaincue qu'il faut un plan mixité ?
03:30 -On est persuadés qu'il faut de la mixité sociale,
03:33 parce qu'on est persuadés qu'il n'y en a pas assez,
03:36 ça, c'est certain.
03:38 Les études ont prouvé qu'il faut au moins 30 %
03:41 d'une minorité représentée
03:43 pour qu'on puisse commencer à parler de mixité,
03:46 donc... -Dans chaque établissement ?
03:48 -Oui, il faut des mesures ambitieuses.
03:50 Ceci dit, ce qu'on pense aussi,
03:52 c'est que les actions doivent aussi venir du terrain,
03:55 c'est-à-dire que ce n'est pas uniquement
03:58 contraindre les établissements à appliquer des quotas.
04:01 Il faut absolument que ces établissements
04:04 reprennent plus, qu'ils sont considérés
04:06 comme des lieux où, aujourd'hui,
04:08 beaucoup de familles mettent en place des stratégies d'évitement
04:12 pour ne pas mettre leurs enfants,
04:14 si ils sont sectorisés sur ces collèges.
04:17 Il faut que ce devienne des lieux attractifs,
04:19 il faut qu'on y fasse des choses attractives,
04:22 il faut qu'on y pratique des activités
04:25 qui développent des compétences scolaires.
04:27 -C'est-à-dire que autour de l'établissement
04:30 ou au sein de l'établissement ? -Au sein de l'établissement.
04:33 -Et le cursus principal ? -Tout à fait.
04:36 Nous, c'est ce que nous mettons en place,
04:38 et grâce à des professeurs, à des principaux très engagés.
04:42 On met en place des ateliers qui permettent à ces jeunes
04:45 de développer des compétences, des compétences collectives,
04:49 parce qu'on sait que les compétences
04:51 qui seront recherchées demain seront des compétences collectives,
04:55 des capacités à travailler ensemble,
04:57 des capacités de résilience.
04:59 Nous, on est persuadés que ces jeunes-là
05:01 ont énormément de talent et qu'il faut les accompagner,
05:05 qu'il faut mettre en avant leurs compétences,
05:07 les accompagner à développer leurs compétences scolaires,
05:11 des compétences extrascolaires,
05:13 qui valoriseront leurs capitaux sociaux, culturels,
05:18 qui sont des capitaux très importants pour notre pays.
05:22 Donc, pour nous, c'est pas uniquement penser
05:25 que ces établissements...
05:28 Avoir une appréhension misérabiliste de ces établissements,
05:31 absolument pas. Il y a des talents là-bas,
05:33 des personnels éducatifs qui font des choses formidables,
05:37 et il faut absolument le mettre en avant.
05:39 Il faut, demain, que les familles et envies,
05:42 les familles de milieux plus favorisés,
05:44 aient envie d'inscrire leur enfant dans cet établissement
05:47 parce qu'à l'issue de cette scolarité,
05:50 leur enfant aura développé des compétences
05:52 qu'il n'aurait pas développées dans un milieu non mixte.
05:55 Nous sommes persuadés que c'est un plus, en fait.
05:58 Ce serait un plus et pas un moins
06:00 de mettre son enfant dans un établissement
06:03 de territoire prioritaire.
06:05 Voilà. C'est ce que nous faisons chez Alliance.
06:08 Nous mettons en place des ateliers dont nous pouvons dire
06:11 qu'ils développent de grandes compétences.
06:13 -Je vous pose une question naïve.
06:15 Pourquoi est-ce que ce plan de mixité
06:17 est si difficile à entendre et à appliquer ?
06:21 -Alors, il y a plusieurs raisons.
06:23 C'est des raisons liées, on va dire,
06:27 au fait que la scolarité ou le scolaire
06:30 est devenu une sorte de...
06:32 Depuis les années 80-90, le chômage de masse,
06:36 et particulièrement le chômage des cadres,
06:39 c'est devenu une sorte de mercato
06:41 où, effectivement, les parents de milieux favorisés
06:45 ayant envie que leurs enfants réussissent,
06:48 ce qui est tout à fait normal et honorable,
06:51 craignent que leur enfant n'aille pas
06:53 dans le meilleur établissement possible.
06:56 On est vraiment sur une stratégie.
06:58 Ca a été étudié par l'Observatoire,
07:00 le Laboratoire des Inégalités de Sciences Po
07:03 et une chercheuse qui a fait beaucoup de choses là-dessus,
07:06 et en France, il y a énormément d'inégalités
07:10 dans l'information à l'orientation.
07:13 C'est-à-dire qu'il y a des parents
07:15 qui connaissent exactement les options qu'il faut prendre,
07:19 les établissements où il faut y aller,
07:22 avec, voilà, l'envie, au bout, d'avoir le meilleur.
07:27 Et, encore une fois, c'est tout à fait compréhensible
07:30 dans un contexte où on a envie que son enfant réussisse.
07:33 Le problème, c'est qu'on ne valorise pas
07:36 le collectif et la rencontre avec l'autre.
07:39 Et moi, et nous, à l'Alliance, la question qu'on se pose,
07:43 c'est est-ce que cette survalorisation
07:46 des compétences individuelles, des parcours individuels,
07:49 est-ce que ça va permettre de répondre
07:51 aux défis collectifs de demain ?
07:53 On entre dans un monde très incertain, très instable,
07:57 avec des défis chaque jour plus inattendus les uns que les autres,
08:01 et nous, nous sommes persuadés
08:03 que les compétences sont à trouver, justement,
08:06 dans la capacité d'adaptation, dans le collectif,
08:09 dans le faire ensemble, et, voilà,
08:12 et pas dans absolument miser sur le parcours individuel.
08:15 Nous pensons qu'il y a un gros potentiel
08:17 chez ces jeunes de territoire prioritaire
08:20 et qu'il y aurait intérêt à créer plus de mixité
08:23 pour construire ensemble un récit collectif.
08:26 Les jeunes, on l'a vu, dans les grandes écoles,
08:29 se sont aussi beaucoup exprimés sur la quête de sens, sur...
08:33 -Oui, parce que toutes les formations
08:35 que vous implantez dans ces collèges,
08:38 c'est vraiment des compétences, on va dire, annexes,
08:41 ou en plus que les compétences stricte au sensu de...
08:45 -Tout à fait. -Pourquoi, du coup,
08:47 ne pas donner du tout de cartes en plus
08:50 sur ces compétences de matière scolaire ?
08:53 -Les enseignants font leur travail sur les matières scolaires.
08:57 Ca aussi, ça a été largement étudié.
08:59 Il y a, dans ces quartiers,
09:01 et chez ces jeunes, du fait du déterminisme social évident.
09:08 Ces jeunes sont intelligents.
09:10 Ils constatent autour d'eux
09:12 que les métiers que font les personnes de leur entourage...
09:16 Dès qu'une personne a fait des études supérieures,
09:19 ça augmente de 80 % l'estime de soi scolaire.
09:22 On sait très bien que c'est déterminant.
09:25 Ces jeunes-là ont intériorisé le fait que,
09:27 du fait de leur milieu social,
09:29 ils ne peuvent pas prétendre à faire des grandes études.
09:33 Ca, c'est déjà vraiment un problème,
09:35 puisque c'est faux.
09:37 C'est lié à une intériorisation,
09:39 l'estime de soi scolaire qui est très basse,
09:42 l'effet des pairs,
09:43 puisqu'on regarde beaucoup ce que font les pairs.
09:46 C'est là où la mixité sociale est intéressante,
09:49 quand, effectivement, les uns et les autres
09:51 s'apprennent des choses.
09:53 Encore une fois, je ne veux pas qu'on pense
09:55 que la mixité va permettre que des jeunes de milieux favorisés
09:59 tirent les jeunes de milieux modestes vers l'autre.
10:02 C'est pas comme ça que ça devrait se passer.
10:04 C'est une rencontre, c'est une découverte
10:07 des capitaux sociaux et culturels des uns et des autres
10:11 qui permettent de construire un récit collectif,
10:14 des vraies compétences.
10:16 Ce n'est pas uniquement les compétences scolaires
10:19 à valoriser, mais aussi les compétences extrascolaires,
10:22 la capacité à travailler ensemble, à s'adapter,
10:25 l'humour, des choses qui sont très utiles dans la vie
10:28 pour nous sont extrêmement, fortement représentées
10:31 dans ces établissements de quartier prioritaire.
10:34 Pour la bonne et simple raison que ces jeunes ont développé
10:38 énormément de qualités lorsqu'ils s'accrochent,
10:41 parce qu'il faut bien dire qu'une des raisons
10:43 pour lesquelles Alliance agit depuis des années,
10:46 c'est la lutte contre le décrochage scolaire.
10:49 On sait que ça naît au collège.
10:50 -Vous agissez surtout sur 6e, 3e.
10:54 -Tout à fait. Pour nous, le collège, c'est le maillon,
10:57 le parent pauvre, c'est un peu des mesures gouvernementales.
11:01 Papendia, le ministre, avait annoncé
11:03 qu'il ferait un focus sur le collège.
11:05 Nous en sommes très heureux si c'est le cas,
11:08 parce que pour nous, c'est là que se joue
11:10 le déterminisme social.
11:12 Des études ont montré récemment, une étude de Break Poverty,
11:15 que le décrochage scolaire se joue essentiellement en 6e.
11:19 Donc le décrochage va se faire plus tard,
11:21 mais c'est le moment où le jeune décroche,
11:24 où le jeune se dit "je n'ai rien à rajouter",
11:27 "il n'y a rien pour moi à l'école",
11:29 "je n'ai rien à y faire et ça ne m'apportera rien",
11:32 ça se passe en 6e, 5e, c'est très jeune.
11:34 C'est à ce moment-là qu'on agit sur connaissance de soi.
11:37 Au contraire, tu as toute ta place dans la société,
11:40 tu dois te connaître, savoir qui tu es,
11:42 et tu dois te projeter dans l'avenir,
11:44 en termes d'orientation, mais aussi pour devenir un citoyen.
11:48 Il y a la question de s'inscrire dans le récit sociétal.
11:51 Est-ce que je fais partie de cette société ?
11:53 Et donc, avec toutes ces questions très importantes annexes,
11:58 qui sont les questions de se sentir faire société,
12:02 de se sentir inscrite dans le récit.
12:06 -Il y a un outil qui a été créé,
12:08 l'indice de position sociale, il y a plusieurs années.
12:11 Pour vous, c'était quelque chose de très utile
12:13 pour constater les différences et les changements ?
12:16 -De toute façon, il est tout à fait bon
12:20 de mettre des mots et des chiffres sur les faits sociaux.
12:24 Cet indice de position sociale,
12:26 il faut savoir que ça a permis à certains parents
12:29 de pouvoir faire des recours, tout simplement.
12:32 Et ça met des... Voilà, on se rend compte des réalités.
12:36 Aujourd'hui, par exemple, en France,
12:39 il est impossible, au nom du principe universel,
12:44 de faire des statistiques ethniques,
12:46 mais si c'était possible d'en faire,
12:48 on aurait constaté certains éléments
12:50 qui, peut-être, nous amèneraient à adapter les mesures
12:53 aussi par rapport à ce qu'on constaterait.
12:57 Donc, c'est sûr que mettre des chiffres sur les faits sociaux,
13:00 c'est intéressant.
13:01 -Merci, Joana Legru, de nous avoir éclairée sur ce sujet.
13:04 Vous êtes déléguée générale de l'Alliance pour l'éducation.
13:08 Quant à nous, on se retrouve bientôt
13:10 pour un nouveau numéro de Smart Education.
13:13 SOUS-TITRAGE : RED BEE MEDIA
13:16 Générique
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