Les espoirs déçus du digital et de l'I.A. pour la croissance économique [Olivier Passet]

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Sur quelle trajectoire de croissance de long ou moyen terme se situent nos économies ? C'est une question qui traverse les époques. La notion de croissance potentielle a certes toujours été très controversée. Mais force est de constater que le brouillard n'a jamais été aussi épais concernant cette question. Conventionnellement, nous évaluons notre potentiel sur la base de trois éléments [...]
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00:00 Sur quelle trajectoire de croissance de long ou de moyen terme se situent nos économies ?
00:14 C'est une question qui traverse les époques.
00:16 La notion de croissance potentielle a certes toujours été très controversée.
00:20 Mais force est de constater que le brouillard n'a jamais été aussi épais concernant
00:25 cette question.
00:26 Conventionnellement, nous évaluons notre potentiel sur la base de trois éléments.
00:31 Premièrement, la quantité de travail, c'est-à-dire la population disponible en âge de travailler
00:37 et la capacité des économies à la mobiliser.
00:40 Demographie et taux d'emploi sont un premier repère.
00:43 Deuxièmement, le capital productif, notamment technologique, qui renforce la force de travail.
00:49 Troisièmement, la productivité, qui évalue la qualité des facteurs, l'efficacité
00:56 des combinaisons productives et des organisations.
00:58 Jusqu'aux années 2010, le défi de la croissance paraissait clair pour les économies européennes,
01:04 sorties de leur séquence de rattrapage.
01:06 Et devant se battre à armes égales à la frontière technologique avec les pays les
01:11 plus avancés, il s'agissait de mobiliser quantitativement et qualitativement leurs
01:16 mains d'œuvre, partant de niveaux plus faibles que les États-Unis, de moderniser
01:21 les processus de production, via de l'investissement matériel et immatériel.
01:26 Et concernant le premier facteur, après des années de difficultés, l'Europe est parvenue
01:32 à déverrouiller son marché du travail.
01:35 Après deux décennies d'écrémage industriel dans les années 80-90, où l'emploi a été
01:40 malmené par les efforts de rationalisation, la job machine a fini par embrayer.
01:46 Le taux d'emploi a augmenté fortement et continue à progresser sur la période la
01:51 plus récente.
01:52 Et les problématiques de pénurie des compétences supplantent peu à peu celles de la lutte
01:57 contre le chômage et de l'activation de l'emploi.
02:00 Même la France, retardataire dans ce processus, s'inscrit depuis 15 ans dans le mouvement
02:06 européen.
02:07 Avec un bémol cependant, nous ne pourrons pas accroître indéfiniment cette mobilisation,
02:13 ce qui va nous ramener inexorablement sur la tendance de fond de la démographie, et
02:17 donc sur celle d'une stagnation ou d'une baisse de la population en âge de travailler
02:22 selon les pays du moins en Europe.
02:23 Concernant la modernisation de l'appareil productif, et notamment le processus d'automatisation,
02:31 rien ne nous indique un relâchement de l'effort d'équipement.
02:34 Les taux d'investissement sont globalement stables.
02:37 Et si l'on se concentre sur la part la plus productive de cet investissement, les machines,
02:42 les logiciels notamment, en retirant tout ce qui relève de la construction, on observe
02:47 plutôt, là encore, une forte stabilité de l'effort d'investissement sur longue
02:51 période, et même une intensification en zone euro en fin de période, en particulier
02:57 en France.
02:58 Deuxième constat, l'Europe, bien qu'elle attraine en tant que productrice de technologies
03:03 numériques, n'en reste pas moins intensément utilisatrice, refaçonnant ses modes de production.
03:09 La composante logicielle et R&D de son investissement ne cesse de croître.
03:14 Cela est vrai pour la zone euro dans son ensemble, comme pour la France.
03:18 Il n'y a donc pas de nécrose des facteurs de production dans les pays avancés.
03:22 La mobilisation de l'emploi tente à s'améliorer, sur une structure de diplôme, elle aussi,
03:28 qui s'améliore.
03:29 Et l'effort d'investissement demeure constant, voire en progression, et se recompose vers
03:34 l'immatériel.
03:35 Et pourtant, partout, la croissance potentielle marque le pas.
03:38 Et partout, c'est la productivité qui est aux abonnés absents de notre croissance.
03:43 Le paradoxe est même plus saisissant encore que lorsque Solow l'a énoncé dans les années 80.
03:49 A l'époque, on pouvait arguer que la transformation digitale n'avait pas encore su créer les
03:54 usages et les modes de consommation qui vont avec.
03:57 Difficile aujourd'hui de s'abriter derrière cet argument.
04:00 Nos actes de consommation se sont profondément transformés et toute la sphère des services
04:06 est transfigurée.
04:07 Chose plus étonnante, alors que la productivité s'étiole ou décroît, cela ne finit pas
04:14 par miner notre emploi à long terme à l'encontre des enseignements standards.
04:18 Au contraire, ce dernier semble de plus en plus étanche à la croissance, comme porté
04:23 par une dynamique propre.
04:24 A croire que les injonctions que véhicule le numérique de traçabilité infinie de
04:29 la moindre de nos actions, d'accès à tout en ligne, de démultiplication des interactions,
04:35 génèrent plus de coûts, d'opérations intermédiaires, d'astreintes au système
04:40 productif qu'ils ne lui procurent de gains.
04:42 Ou si ces gains existent, faisant figure d'externalité portée par le système dans
04:47 son ensemble, nous ne lui accordons pas le prix qu'il mérite.
04:51 Et c'est peut-être cela la première fonction de l'IA.
04:55 Réduire les coûts d'un métabolisme digital qui explose, embarque avec lui l'emploi
05:00 et l'investissement, mais ne tient toujours pas ses promesses en termes d'efficacité.
05:05 [Musique]
05:09 !

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