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Édouard Durand, magistrat, coprésident de la commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles dans l’enfance (Ciivise), était l'invité du 7h50 de France Inter, lundi 12 juin. Il révèle que les violences sexuelles faites aux enfants coûtent 9,7 milliards d'euros par an.

Retrouvez les entretiens de 7h50 sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-7h50

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Transcription
00:00 Il est 7h48, Léa Salamé, votre invitée ce matin est magistrat, co-président de la
00:05 CIVIS, la Commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants.
00:10 Bonjour Edouard Durand.
00:11 Bonjour.
00:12 Merci d'être avec nous ce matin.
00:13 Lutter contre la violence faite aux enfants, c'est le combat de votre vie.
00:17 D'abord comme juge des enfants, vous l'avez été pendant 17 ans et depuis 2 ans comme
00:21 co-président de la CIVIS, donc cette commission indépendante créée après le cataclysme
00:26 que fut la publication du livre de Camille Kouchner.
00:28 Aujourd'hui, ce matin, vous sortez un chiffre, ce chiffre-là, 10 milliards d'euros, ou
00:33 plus exactement 9,7 milliards d'euros.
00:35 Voilà ce que coûtent chaque année les violences faites aux enfants.
00:38 Pourquoi vous publiez ce chiffre-là ? Vous espérez quoi ? Provoquer un électrochoc ?
00:43 Un électrochoc, absolument.
00:46 Mercredi dernier, nous avons tenu une réunion publique à Nice et après trois quarts d'heure,
00:52 une heure de témoignage, au milieu de la salle, une femme s'est levée, elle a pris
00:57 la parole.
00:58 Elle a dit "moi je voudrais parler de la solitude, je voudrais parler de l'errance
01:03 médicale" et elle a terminé son témoignage en disant "mais ce qu'il faudrait, c'est
01:08 de dire combien ça coûte à la société".
01:10 Et aujourd'hui j'ai une pensée pour elle, voyez-vous, parce que c'est ce que nous
01:13 avons voulu faire il y a un an maintenant, dire combien ça coûte.
01:18 Mais on peut s'étonner d'un tel chiffrage, que vous évaluez en euros ce que coûtent
01:23 des violences psychologiques qui peuvent durer toute une vie.
01:27 Oui, 70% de ces 10 milliards, ce sont les conséquences à long terme et particulièrement
01:33 les conséquences à long terme sur la santé des personnes.
01:37 Mais il y a aussi les coûts indirects, de la perte de productivité.
01:41 Jean-Marc Sauvé, pour La Ciaz, avait parlé d'un empêchement d'être.
01:45 Et c'est une question qui revient témoignage après témoignage.
01:49 Qui aurait jeté s'il ne m'avait pas violé ?
01:51 La Ciaz c'est la commission qui luttait contre les violences sexuelles dans l'église.
01:57 Vous dites d'ailleurs cette phrase-là, elle revient tout le temps, chez toutes les
02:02 auditions que vous avez faites, c'est "Qu'est-ce que j'aurais été ? Quelle aurait été
02:04 ma vie si je n'avais pas été violée ?"
02:06 Oui, c'est très important parce que ces personnes doivent consacrer une énergie
02:11 chaque jour extrêmement importante pour lutter contre ce que nous appelons le présent perpétuel
02:18 de la souffrance.
02:19 Ce qui fait que quand on est dans la rue, quand on est au travail, une moindre petite
02:24 différence, un son, une couleur, une odeur, vous replonge dans la scène traumatique.
02:30 Il y a quelques jours, un homme témoignait avec moi en audition individuelle à la Civis
02:35 et il disait "J'ai changé de patron, il porte le parfum de mon agresseur.
02:40 A chaque fois que je le croise, je revis le viol, mais je ne peux pas lui dire."
02:45 Vous nous aviez raconté quand vous étiez venu il y a un an, vous aviez cet exemple
02:51 qui moi je n'avais pas oublié depuis, le bruit de la chaudière d'une femme.
02:55 Vous pouvez le rappeler ? Cette femme qui va bien à travail et tout et racontait son
03:01 histoire.
03:02 Son père l'a violée contre la paroi de la chaudière, pour savoir quand la mère
03:06 entrait sous la douche et sortait de la douche.
03:07 Et puis dans sa nouvelle maison, à chaque fois qu'elle entendait le bruit de la chaudière,
03:11 elle faisait un malaise et quelques mois plus tard elle a compris pourquoi.
03:14 Et c'est le cas de chaque personne.
03:16 Une petite fille, quand j'étais juge des enfants à Bobigny, toutes les nuits elle
03:19 se réveillait, elle avait l'impression que son père était dans sa chambre alors
03:22 qu'elle était dans une famille d'accueil.
03:24 Et est-ce qu'on veut que ces enfants puissent dormir ? Est-ce qu'on veut que ces femmes
03:29 et ces hommes puissent prendre part pleinement à l'être qu'ils sont et à ce qu'ils
03:35 doivent faire dans la société ? C'est là le défi.
03:37 Et pour tous ces postes de coups, ce sont des indicateurs de politique publique.
03:41 Mais ça représente combien ? Comment vous arrivez à ce chiffre ? C'est un cabinet
03:45 indépendant qui vous l'a chiffré, qui a travaillé pendant un an, mais comment on
03:47 arrive à 9,7 milliards ? Pourquoi 9,7 milliards et pas 12,1 ? Comment vous le chiffrez concrètement ?
03:53 Premièrement, il faut bien comprendre que c'est une estimation basse, qu'en réalité
03:57 le coût est beaucoup plus élevé.
03:58 Parce qu'à chaque fois qu'un poste de coup manquait d'éléments pour le chiffrage,
04:03 il a été écarté.
04:04 Ensuite, on arrive à peu près aux proportions d'un pays comparable, la Grande-Bretagne,
04:07 10 milliards d'euros.
04:08 Et enfin, on travaille sur une liste de conséquences des violences pour les victimes, pour la société,
04:15 les forces de police, les magistrats, le temps de traitement d'un dossier.
04:19 Et il y a des méthodes de calcul éprouvées, non contestées, qui permettent d'évaluer
04:24 un chiffre.
04:25 Combien d'enfants sont hospitalisés chaque année ? Combien coûte une hospitalisation ?
04:29 Et parmi tous ces enfants, combien le sont pour des violences sexuelles ? Et on arrive
04:33 à chiffrer le coût des hospitalisations pour violences sexuelles.
04:37 Et ça, c'est l'hospitalisation, c'est une toute petite partie de ces 10 milliards
04:41 d'euros, puisque vous dites que la prise en charge immédiate, c'est-à-dire ce que
04:45 coûte un policier, ce que coûte l'hospitalisation d'un enfant qui vient d'être agressé,
04:48 tout ça c'est 30%.
04:49 Et vous dites 70%, c'est les traitements tout le long de la vie, c'est ça qui coûte
04:57 cher à la société.
04:58 Oui, parce que les victimes de violences sexuelles ont des conséquences à long terme sur toute
05:04 leur santé.
05:05 C'est toute la surconsommation médicale, c'est toutes les surconsultations de médecine
05:11 spécialisée pour les douleurs dorsales, pour les douleurs gynécologiques, c'est tout le
05:16 traitement des addictions, l'alcoolisme, la toxicomanie et enfin toutes les pertes de
05:21 productivité, le RSA, les allocations adultes handicapés, tout ça se chiffre, tout ça
05:28 sont des indicateurs.
05:29 La plupart des gens qui ont été victimes de violences sexuelles dans leur enfance développent
05:34 ces pathologies-là en grandissant ?
05:37 Oui, ça revient constamment dans nos témoignages et elles cherchent des solutions thérapeutiques.
05:44 C'est pourquoi nous proposons un parcours de soins spécialisés du psychotraumatisme,
05:47 parce que si notre société décidait de repérer au plus vite les enfants victimes et de leur
05:52 donner les soins spécialisés, et bien cet engagement dans le court terme permettrait
05:57 à ces personnes de vivre au maximum de l'épanouissement de leurs possibilités et à la société de
06:03 se construire autrement.
06:04 Vous dites qu'il faut entre 20 et 33 séances sur un an pour un enfant qui vient d'être
06:09 victime de violences sexuelles ?
06:11 Oui, ces soins existent, ils sont consensuels, il faut qu'ils soient dispensés, nous l'avions
06:17 dit dans nos conclusions intermédiaires, aujourd'hui nous avançons en proposant ce parcours.
06:21 Mais ils ne le sont pas ? Ils ne sont pas proposés ce parcours de soins ?
06:25 De façon très aléatoire et très insuffisante, les délais d'attente dans les institutions
06:30 publiques type CMP sont extrêmement longs, et puis les praticiens ne sont pas suffisamment
06:35 spécialisés parce que la société ne veut pas encore s'engager dans ce processus.
06:39 Or, ils fonctionnent, ils permettent aux victimes d'aller mieux, de mettre à distance l'agresseur
06:45 qui colonise toujours leurs pensées et leur quotidien.
06:48 Donc il faut mettre plus d'argent pour former des psychologues, si je vous écoute pour parler
06:52 concrètement, c'est ça qui manque ? Il manque des psys pour les enfants ?
06:57 Oui, il manque la conscience de ces soins spécialisés, il manque la formation et
07:02 la spécialisation des thérapeutes, et il manque aussi de s'engager pleinement dans
07:08 la lutte contre le déni.
07:09 C'est pourquoi nous proposons aussi de dire que la civise doit continuer sa mission.
07:14 Oui, parce que la civise mise en place il y a deux ans, en 2021, après la publication
07:19 du livre de Camille Kouchner, je le répète, doit s'arrêter en novembre théoriquement,
07:24 ça doit durer deux ans, comme la commission sur les abus sexuels dans l'église avait
07:29 duré deux ans et après un rapport final, ça avait disparu.
07:32 Vous vous dites non, il ne faut pas que ça disparaisse, c'est ça ?
07:35 Témoignage après témoignage, la civise gagne du terrain sur le déni.
07:40 Est-ce que l'on pourrait dire aux 5,5 millions de femmes et d'hommes avec qui nous vivons
07:47 dans la société, qui ont été victimes de violences sexuelles dans leur enfance, écoutez
07:50 vous avez eu deux ans, maintenant c'est terminé.
07:52 Est-ce qu'on pourrait dire, la parenthèse se referme, nous savons très bien à l'avance
07:56 comment ça va se passer, le déni va regagner le terrain.
08:00 La civise est cet espace où nous faisons penser l'enfant à partir du témoignage des
08:07 adultes, où nous créons cette solidarité, où nous impulsons des politiques publiques
08:11 de protection.
08:12 Mais vous avez, pour être clair, vous avez combien d'appels, combien de témoignages
08:15 par semaine, par mois, comment ça se chiffre ?
08:18 Écoutez, à ce jour, et au moment où nous parlons, des personnes sont en train de témoigner
08:23 à la civise, et grâce à vous, nous allons avoir encore plus de témoignages aujourd'hui.
08:27 Et nous avons à ce jour, à peu près 23, 25 000 témoignages recueillis en deux ans.
08:34 Nous avons à peu près 8, 9 000 questionnaires remplis sur notre site internet.
08:41 Chaque jour, mon équipe répond aux victimes qui nous contactent par écrit, par mail ou
08:46 par lettre, et puis il y a la plateforme téléphonique.
08:49 Nous organisons des réunions publiques, nous serons à la fin du mois à la réunion.
08:51 Et que vous répond le gouvernement quand vous dites "il faut que cette commission continue"
08:55 ? Il vous répond de quoi en ce moment ?
08:56 Écoutez, je pense qu'ils nous répondront "allons-y", parce que c'est une politique
09:01 vertueuse, parce qu'on ne peut pas fermer la parenthèse, parce que la civise est cet
09:05 espace public et indépendant qui est à la fois un espace de reconnaissance et un espace
09:09 de vigilance.
09:10 Vous êtes sûr qu'ils vont vous dire "allons-y" parce que ce n'est pas prévu au Conseil des
09:13 ministres de prolonger la civise à l'heure où on parle ?
09:16 Écoutez, j'ai confiance parce que ce que nous avons créé, nous en avons besoin.
09:20 Continuons ce qui fonctionne.
09:21 Édouard Durand était avec nous et je voudrais juste rappeler ce chiffre parce qu'on dit
09:24 160 000 enfants sont victimes de violences sexuelles chaque année, 160 000 enfants en
09:28 France sont victimes de violences sexuelles chaque année.
09:30 Mais vous avez pour moi ce chiffre qui marque, c'est l'équivalent de 3 enfants sur une
09:36 classe de 30.
09:37 3 enfants sur une classe de 30 sont potentiellement aujourd'hui en France victimes de violences
09:42 sexuelles.
09:43 mettons-les en sécurité.

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