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La fusée européenne et emblématique Ariane 5 prend sa retraite après 27 ans de bons et loyaux services. Stéphane Israël, président exécutif d’Arianespace, est l'invité du 7h50 pour évoquer son dernier vol vendredi. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-7h50/l-invite-de-7h50-du-mercredi-14-juin-2023-6609933

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00:00 7h48, Léa Salamé, votre invitée ce matin est le président exécutif d'Arianespace.
00:05 Bonjour Stéphane Israël.
00:07 Bonjour Léa Salamé.
00:08 Merci d'être avec nous ce matin, on va partir dans les étoiles avec vous pour dire
00:11 adieu à Ariane 5.
00:13 Après 27 ans de bons et loyaux services, la légendaire fusée européenne décollera
00:18 ce vendredi pour la dernière fois de sa carrière depuis Kourou en Guyane.
00:21 Le vol aura lieu à 18h26 heure locale, 23h26 heure de Paris.
00:26 Vous serez sur place, vous partez tout de suite après cette interview pour la Guyane.
00:30 Qu'est-ce qu'on ressent à la veille de ce dernier vol, de dire au revoir à Ariane
00:36 puisqu'elle part dans l'espace et on ne la revoit pas, elle ne redescend pas la fusée,
00:39 de ce moment forcément un peu historique ?
00:41 Oui, ça va être un moment d'émotion pour nous tous, pour tous les ingénieurs, les
00:45 opérateurs qui ont travaillé en France et dans toute l'Europe sur cette fusée et ils
00:49 vont ressentir, nous allons tous ressentir beaucoup d'émotion et aussi il faut le rappeler
00:53 de concentration parce qu'en fait un lancement est toujours une épreuve, Ariane est extrêmement
00:57 fiable mais jusqu'à la dernière minute nos équipes vont devoir prendre des décisions,
01:03 de devoir prendre la bonne décision d'y aller ou pas et j'espère qu'on pourra décoller
01:06 parce qu'une des spécificités de notre métier c'est qu'une fois que la fusée a décollé,
01:10 vous n'avez plus de contrôle, c'est pas comme dans un avion où vous remettez les gaz,
01:14 il faut avoir tout bien fait avant le décollage et ensuite il y a une part qui est liée au
01:18 destin.
01:19 Concentration et émotion, Ariane 5 a été leader mondial pendant 20 ans, elle était
01:23 connue et vous le dites pour sa fiabilité, c'est vrai, elle a fait des missions emblématiques
01:27 comme envoyer, moi je m'y suis replongée, c'est vrai qu'on a vécu ça, envoyer la
01:32 sonde Rosetta en 2004, la mission de ravitaillement de l'ISS de la Station Spatiale Internationale
01:36 en 2008, la mise en orbite du télescope James Webb pour la NASA, ça c'était il y a deux
01:41 ans ou encore, ça c'est mon préféré, l'envoi il y a deux mois de la sonde Zeus qui va découvrir
01:46 Jupiter, elle est partie il y a deux mois, elle arrive dans huit ans, elle a un voyage
01:51 de huit ans pour arriver à Jupiter, il faut qu'elle passe par plein de planètes, il
01:53 faut qu'elle ait la force propuls...
01:55 Propul...
01:56 Whatever !
01:57 De l'assistance gravitationnelle, c'est encore moins compréhensible.
02:01 Elle va faire des petits sauts avec...
02:03 Voilà, c'est ça, c'est à dire que Vénus va la propulser vers Jupiter.
02:07 A vos yeux, quelle aura été la mission la plus importante d'Ariane 5 ?
02:11 Oui, alors Ariane 5, elle a d'abord beaucoup travaillé pour des clients commerciaux, elle
02:15 a beaucoup lancé de satellites de télécom pour nos clients du monde entier et ce sont
02:19 des missions importantes.
02:20 Ensuite, il y a eu toutes les missions que vous évoquez, Rosetta, les ATV, Galiléo
02:25 aussi, mais je dirais que pour nous Européens, on a eu vraiment un moment historique, c'était
02:30 le 25 décembre 2021 au Centre Spatial Guyanais à 9h20, c'est quand Ariane 5 s'était lancée
02:35 pour James Webb pour la NASA.
02:37 Ce qu'il faut comprendre, c'est qu'Ariane 5 avait à bord un oiseau, un télescope qui
02:41 coûtait plus de 10 milliards de dollars.
02:43 Et quand vous avez, dans le cadre d'une grande coopération internationale, l'objet
02:48 le plus précieux de la NASA, l'échec n'est pas une option.
02:51 Nous avons eu sur nos épaules une responsabilité collective et ce qui s'est passé, c'est
02:56 que non seulement, évidemment, ça a réussi, mais en plus Ariane a été tellement précise
03:01 qu'elle a doublé l'espérance de vie de James Webb et on va avoir donc deux fois
03:05 plus d'images de Webb.
03:06 Mais pourquoi lui faire prendre sa retraite Ariane alors qu'elle a été leader mondial
03:09 pendant 20 ans, qu'elle est ultra fiable ? Qu'est-ce qui s'est passé ? Elle a été
03:13 dépassée ? Elle est trop chère ? Elle n'est plus adaptée au marché ?
03:16 Oui, alors effectivement, Ariane 5 aujourd'hui présente deux limites.
03:20 C'est qu'elle n'est pas très adaptée aux grandes missions institutionnelles de
03:23 l'Europe.
03:24 On a, dans les années qui viennent, des missions scientifiques et souveraines à faire qui
03:28 n'auraient pas pu être faites avec Ariane 5.
03:30 Et puis effectivement, avec la baisse des coûts d'accès à l'espace, avec la concurrence
03:34 accrue, elle était devenue trop chère pour le marché.
03:36 Donc, il y a une petite dizaine d'années, on a pris la décision de se doter de nouvelles
03:41 fusées.
03:42 On a Ariane 6 d'un côté et sa petite sœur qui s'appelle Vegas 6.
03:45 Je vais venir à Ariane 6 parce qu'il y a quand même des questions qui fâchent.
03:48 La première question qui fâche, d'abord Stéphane Israël, c'est à l'heure où
03:51 on parle de souveraineté industrielle, l'espace a été un domaine où on a été leader.
03:54 L'Europe a été leader pendant des années.
03:56 Quand on demandait il y a quelques années "l'espace c'est qui ? C'est quoi ?"
03:59 on répondait "c'est Ariane, la fusée Ariane".
04:02 Aujourd'hui, qu'est-ce qu'on répond ? On répond Elon Musk et SpaceX.
04:06 Pourquoi ? Alors certains répondent cela, peut-être,
04:08 mais effectivement je vous ai rappelé ce qu'on a fait avec James Webb.
04:13 Mais en réalité Ariane 6 va arriver dans quelques mois.
04:16 Nous avons déjà vendu 28 Ariane 6 et on a vendu 18 Ariane 6 pour un monsieur qui
04:22 a quand même une certaine assise qui s'appelle Monsieur Jeff Bezos pour sa constellation
04:26 Kuiper.
04:27 Donc Ariane 6 est parfaitement adaptée au marché.
04:30 Mais c'est vrai qu'il y a eu une disruption aux Etats-Unis dans des conditions qui n'ont
04:34 rien à voir avec les nôtres.
04:35 Beaucoup plus d'argent public, beaucoup plus d'argent privé et effectivement un
04:39 serial entrepreneur qui fait à la fois des tweets, des voitures et des fusées.
04:43 C'est un défi pour nous et ce sera le défi de la prochaine génération de fusées.
04:46 Il vous impressionne Elon Musk ?
04:48 La question n'est pas tellement de savoir s'il m'impressionne ou pas.
04:52 Il y aurait beaucoup de choses à dire sur ses tweets et il y a eu beaucoup de commentaires
04:56 dans les journaux.
04:57 Je pense que la vraie question pour nous c'est qu'est-ce qu'on peut en retirer ?
05:00 De quoi on peut s'inspirer ou ne pas s'inspirer ?
05:04 Et vous savez, encore une fois, j'ai rappelé que les masses d'argent public ne sont pas
05:07 les mêmes mais le rapport au droit social n'est pas le même.
05:10 La fusée Starship quand elle a décollé, elle n'avait pas des conditions de sécurité
05:14 qu'on aurait autorisées en Europe.
05:15 Donc ça on ne pourra pas faire.
05:16 En revanche, s'inspirer de solutions simples, de solutions innovantes, de méthodes disruptives,
05:22 oui et on a des choses évidemment qui peuvent nous inspirer.
05:24 Mais est-ce que vous reconnaissez qu'on a un peu loupé la marche ?
05:27 Ce que je veux dire c'est que lui, il a cru à la fusée réutilisable.
05:30 Vous n'y avez pas cru en Europe.
05:31 Il a envoyé plein de petits satellites quand nous on a envoyé des gros, une constellation
05:36 de petits satellites.
05:37 Nous on n'envoie pas.
05:38 Alors nous on en envoie.
05:39 On va en envoyer, mais est-ce qu'on est un peu en retard ?
05:42 Alors on a envoyé la constellation OneWeb qui est une constellation européenne et qui
05:46 est un très grand succès.
05:47 On va envoyer la constellation Kuiper.
05:49 Il y a dix ans, les Européens n'avaient pas sur étagère les technologies réutilisables.
05:53 Il fallait un moteur qu'on n'avait pas.
05:55 Et donc à ce moment-là, l'idée c'était d'avoir le plus vite possible Ariane 6, notamment
06:00 on pourrait en dire un mot, pour remplacer Soyuz parce que nous dépendions aussi de
06:04 Soyuz.
06:05 Et ça évidemment.
06:06 Et le lanceur Soyuz russe, on ne peut plus depuis la guerre de Crènes l'avoir accès.
06:09 Donc ça aussi, ça vous a mis en retard.
06:10 Voilà.
06:11 Donc il fallait effectivement remplacer le plus vite possible Soyuz et Ariane 5.
06:14 À ce moment-là, la solution la plus accessible c'était Ariane 6.
06:18 On est maintenant dans cette génération de fusées et ce qu'il faut c'est la réussir,
06:23 coaliser nos forces européennes autour de cette fusée et en parallèle, oui, dans un
06:27 système européen qui ne sera pas le système américain, voir comment on va plus vite et
06:31 on accèdera.
06:32 Donc ça veut dire l'argent.
06:33 Est-ce qu'on met suffisamment d'argent sur la table par rapport aux Américains ?
06:37 Il y avait ce chiffre dans une enquête qui disait sur un milliard consacré à l'espace
06:40 pour l'Europe, il y en a 13 milliards consacrés par les Américains.
06:43 Et puis les Chinois, je voudrais en dire un mot puisque les Chinois, quasiment toutes
06:46 les deux semaines, ils annoncent quelque chose.
06:47 Ils ont envoyé leur premier homme civil, leur premier Chinois civil dans l'espace.
06:52 Ils disent qu'ils vont retourner sur la Lune, qu'ils vont aller sur la Lune.
06:55 Eux, ils ne retournent pas.
06:56 Ils vont y aller pour la première fois en 2030.
06:58 Est-ce qu'on est largué là aussi l'Europe par rapport aux Etats-Unis et à la Chine ?
07:02 Est-ce qu'on met suffisamment d'argent ?
07:03 L'Europe est aujourd'hui la troisième puissance spatiale et l'Europe effectivement
07:07 met plus d'argent.
07:08 Il y a aujourd'hui l'argent de l'Agence Spatiale Européenne, mais aussi de la Commission
07:12 Européenne.
07:13 Le commissaire Breton veut faire une grande constellation souveraine qui s'appelle Iris
07:17 au Carré.
07:18 Et donc oui, nous, nous aimerions qu'on mette encore plus d'argent, notamment pour
07:21 faire du vol habité.
07:22 Mais il y a déjà un effort budgétaire important.
07:24 Ariane 6, alors trois ans de retard.
07:26 Vous aviez promis que son premier vol inaugural aura lieu avant la fin de l'année 2023.
07:31 Est-ce que vous tiendrez les objectifs ? On verra Ariane 6 décoller avant Noël ?
07:35 Ce qui est certain, c'est qu'on a devant nous cet été des étapes très importantes.
07:39 Ariane 6 en Guyane, elle est sur son pas de tir.
07:41 Et ce qu'on va faire, si vous voulez, c'est connecter la fusée et le pas de tir et on
07:45 va allumer le premier étage.
07:46 En Allemagne, où on teste l'étage supérieur, il y a une deuxième étape.
07:50 Et ce que nous avons dit avec les principaux acteurs d'Ariane 6, l'Agence Européenne,
07:54 l'Ariane Group, le CNES, c'est qu'en septembre, donc c'est un peu tôt, on n'est pas encore
07:58 en septembre, nous reviendrons vers vous pour vous dire quand exactement on pourra décoller
08:02 Ariane 6.
08:03 Donc c'est pas sûr qu'elle décollera, c'est pas sûr que vous tiendrez vos objectifs.
08:04 En tous les cas, on ne va pas spéculer sur cette date.
08:07 On la précisera.
08:08 Et ce qu'on peut dire, c'est qu'on est engagé dans la dernière ligne.
08:10 Elle fera des vols habités ? Ariane 6, elle n'est pas faite pour ça.
08:12 Mais est-ce qu'on pourra envoyer des gens ? Alors Ariane 6 est la lointaine successeur
08:17 d'un projet qui s'appelait Hermès, qui était fait pour faire du vol habité, enfin
08:20 pour embarquer en tous les cas quelque chose capable de faire du vol habité.
08:23 Et donc si les Européens le décident, il est parfaitement possible d'avoir une Ariane
08:28 6 qui fera du vol habité.
08:29 Et la Lune ? Les Américains y croient à fond, les Chinois aussi, je le disais.
08:33 Vous qui avez dirigé Ariane Espace, qui dirigez Ariane Espace depuis dix ans, vous rêvez
08:37 pas d'un jour d'aller sur la Lune ?
08:38 Alors Ariane 6 pourra faire des missions lunaires, on pourra embarquer des objets vers la Lune,
08:43 des cargos vers la Lune.
08:45 Donc ça c'est une innovation qu'on ne pouvait pas faire avec Ariane 5.
08:49 Ensuite, aller déposer des hommes sur la Lune, ça serait une fusée ultra puissante.
08:52 On n'a pas encore ça en Europe.
08:53 Vous rêvez pas de ça vous ?
08:54 Je serais ravi qu'on puisse aller vers la Lune et même au-delà bien sûr.
08:58 Alors dernière question, ne riez pas Stéphane Israël.
09:00 Les extraterrestres, vous y croyez ou pas ? Je vous dis ça parce que le sujet des ovnis
09:05 n'est plus tabou aux Etats-Unis.
09:06 La NASA travaille même sérieusement sur le sujet.
09:08 Il y a un officier du renseignement américain qui la semaine dernière a déclaré que les
09:11 Etats-Unis détiennent des informations cachées sur des hypothétiques ovnis.
09:16 Vous y croyez ?
09:17 Vous savez qu'il y a longtemps, le CNES s'était doté d'une instance qui s'appelle
09:20 le GEPAN pour étudier les vies extraterrestres.
09:23 Et par ailleurs, la mission de JOOST va nous permettre d'aller voir à travers ce qu'on
09:28 appelle les lunes glacées de Jupiter s'il y a de l'eau et donc s'il y a des conditions
09:33 favorables à l'émergence de la vie.
09:34 Vous y croyez ?
09:35 En tous les cas, je pense qu'il pourrait y avoir des conditions favorables à la vie.
09:39 Maintenant, si l'idée c'est deux petits hommes verts comme Thomas Piketty et Dominique
09:44 Seux qui discutent d'économie sur votre plateau le vendredi, non, je n'y crois pas.
09:48 Ça ne se passe qu'ici.
09:49 Envoyez Dominique Seux et Thomas Piketty sur Jupiter.
09:54 Merci beaucoup Stéphane Mistrelle.
09:57 On regardera le lancement du dernier vol d'Ariane 5.
10:00 On lui dira au revoir parce qu'on ne la reverra pas.
10:03 Ce sera ce vendredi.

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