L'info médias du vendredi 16 Juin 2023

  • l’année dernière
Camille Chaffajon
créatrice du prix Chaffanjon

Clément di Roma
lauréat de l'édition 2023

Pour sa 10e et dernière édition, il sacre deux reportages sur la milice Wagner en Centrafrique et le désarroi des mères célibataires en Haïti

Une récompense pour un reportage français, une autre pour un reportage haïtien. C’est le principe depuis 10 ans du Prix Philippe Chaffanjon, du nom de celui qui fut reporter de guerre, directeur de la radio franceinfo puis du réseau France Bleu, avant de décéder brutalement en 2013 à l’âge de 55 ans. Sa famille et ses amis ont alors créé ce Prix pour mettre en lumière des reportages de terrain. Cette année, le jury a choisi le documentaire « Centrafrique : le soft power russe » de Clément di Roma et Carol Valade pour Arte, et « Haïti : le calvaire des mères célibataires » de Ronel Paul pour Zoom Haïti News. Ils seront les ultimes lauréats. Clément di Roma et Camille Chaffanjon, la créatrice du Prix qui porte le nom de son père, sont les invités médias de Célyne Baÿt-Darcourt



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Transcript
00:00 Bonjour Clément Diroma et félicitations pour ce prix du reportage français que vous avez co-réalisé avec Carole Vallade.
00:07 Il est en ligne sur l'excellente plateforme d'Arte, il le sera jusqu'en 2024.
00:11 Et il marche très bien, vous avez des chiffres de visionnage ?
00:15 Oui, on a environ 2 millions de vues à travers les différentes plateformes et dans différentes langues.
00:19 C'est pas mal. Je salue également la créatrice de ces récompenses. Bonjour Camille Chaffanjon.
00:24 Bonjour Céline.
00:25 Vous avez décidé que ce serait la dernière édition et vous allez nous expliquer pourquoi.
00:28 Parlons d'abord du reportage consacré, il s'appelle "Centre Afrique, le soft power russe".
00:33 Vous avez enquêté Clément avec Carole sur les mercenaires russes de Wagner qui sont présents dans ce pays.
00:38 De plus en plus, c'est une armée de l'ombre au service du Kremlin.
00:40 Pourquoi avez-vous voulu attirer notre regard sur cette influence grandissante de la Russie en République centrafricaine ?
00:47 Alors avec mon collègue Carole Vallade, on était correspondant en Centrafrique depuis plusieurs années déjà.
00:51 Et c'était évident que le sujet numéro un en Centrafrique, c'était l'implantation du groupe Wagner.
00:57 D'abord pour protéger le président, le gouvernement contre les rebelles.
01:02 Mais aussi, ils se sont implantés petit à petit pour s'accaparer les ressources du pays.
01:06 Donc c'était un sujet qui était très important à la fois pour l'audience internationale, mais aussi et surtout pour les Centrafricains.
01:13 Parce que nous, on travaille surtout pour eux, c'est notre audience habituellement.
01:16 Et voilà, c'était le sujet de discussion numéro un dans le pays.
01:20 Et puis, c'était un aspect très important de la politique locale, de la sécurité aussi.
01:24 Alors la Centrafrique est une ancienne colonie française, mais la France est en perte d'influence dans ce pays au profit de la Russie.
01:31 Et l'un de vos interlocuteurs dans le reportage, qui soutient Moscou, vous explique pourquoi.
01:35 Nous avons fait combien d'années avec la France ? Regardez l'état du pays.
01:39 Nous avons connu combien de coups d'état ? Nous avons connu combien de mutineries ?
01:42 On a perdu combien de présidents de la République centrafricaine ?
01:45 Aujourd'hui, avec la présence russe, dans un laps de temps, nous avons un bon résultat.
01:51 Et ça m'a poussé, ça m'a donné un engagement ferme à soutenir la Russie.
01:55 Parce que ce que nous voulons, c'est quoi ? C'est le bien-être, non ? C'est la libre circulation.
01:59 Aujourd'hui, ici, on a la sécurité. Les jeunes peuvent aller à l'école, nos enfants peuvent aller étudier.
02:04 Et ça, nous le voyons pour le moment.
02:06 C'est pourquoi ça m'a donné le courage et l'envie de tenir le rapport russe pour dire merci à la Russie.
02:12 Merci aux présidents poutines.
02:13 Ça, Clément Diroma, c'est un discours majoritaire en Centrafrique ?
02:17 C'est un discours qu'on entend beaucoup, en tout cas, qui peut être considéré comme majoritaire.
02:21 Mais c'est un discours qui résume très bien le sentiment des Centrafricains aujourd'hui par rapport à la France,
02:27 par rapport aux décennies de colonisation, par rapport aux ingérences de la France dans le pays,
02:32 même après l'indépendance de la Centrafrique.
02:36 Et donc, la France est plutôt mal vue par les Centrafricains aujourd'hui.
02:40 Et le groupe Wagner et la diplomatie russe capitalisent sur cette mauvaise image aujourd'hui
02:45 et sur le ressentiment historique qu'il y a envers la France en Centrafrique
02:50 pour implanter, en tout cas extraire les ressources minières du pays, par exemple,
02:56 mais aussi pour développer une sorte de propagande et renforcer ce sentiment anti-français,
03:01 ce qui peut leur servir pour différents intérêts.
03:04 Vous diriez qu'il y a en Centrafrique une haine de la France et des médias français ?
03:08 Par exemple, vous avez pu travailler dans quelles conditions là-bas ?
03:11 Alors, moi, je ne dirais pas qu'il y a une haine de la France.
03:13 Je dirais qu'il y a plutôt une haine de la politique française envers des anciennes colonies comme la Centrafrique.
03:20 Une haine des Français, pas vraiment, parce que les Centrafricains, aujourd'hui, sont encore francophones
03:24 et estiment encore la France, voient une image assez positive du pays, mais pas de sa politique étrangère.
03:32 Et aujourd'hui, c'est vrai que les Russes sont venus renforcer ce sentiment de plus en plus
03:37 à travers des méthodes de propagande qu'on a vues aussi.
03:41 Pour ce qui est de la haine des médias français, ce sont aussi globalement les Russes
03:44 et les campagnes de propagande pro-russes qui sont venues appuyer la défiance vis-à-vis de RFI, par exemple,
03:51 ou de France 24, des chaînes qui représentent la France en Afrique aujourd'hui.
03:56 Donc, voilà, pas vraiment de haine, mais c'est vrai qu'il y a un ressentiment qui a été renforcé par la propagande pro-russe.
04:03 Et vos conditions de travail là-bas ?
04:04 Alors, les conditions de travail sont assez compliquées.
04:08 Évidemment, pour les correspondants français, nous, on était un peu les derniers implantés dans le pays.
04:12 Il en reste quelques-uns.
04:14 Certains journalistes ont réussi à faire des missions quand même dans le pays pour aller documenter tout ça, ce qui est important.
04:19 Mais c'est compliqué de travailler sur le groupe Wagner.
04:22 On s'en souvient, en 2016, trois journalistes russes qui sont venus enquêter en Centrafrique
04:26 ont été tués par des mercenaires du groupe Wagner directement.
04:31 Donc, il est compliqué de travailler directement sur ce groupe.
04:34 C'est pour ça que nous, on s'est intéressés plus à l'aspect, à l'avis des Centrafricains sur la propagande russe,
04:40 l'avis des Centrafricains sur la France en perte d'influence.
04:43 Mais travailler directement sur le groupe, sur son exploitation des ressources minières,
04:48 son exploitation du bois et son organisation, c'est quelque chose qui est très compliqué.
04:52 Vous avez réussi quand même à faire témoigner notre parole,
04:56 c'est-à-dire des opposants à ce qui se passe actuellement et notamment à la milice Wagner.
05:01 Vous avez dû les protéger, j'imagine, pour les faire parler ?
05:05 Tout à fait. On a notamment fait témoigner une femme qui nous raconte les exactions dans l'arrière-pays,
05:11 parce que les mercenaires de Wagner utilisent la violence et des méthodes très cruelles et très radicales
05:17 pour s'implanter dans certaines zones, pour repousser les rebelles aussi,
05:20 donc pour assurer la sécurité dans le pays.
05:22 Évidemment, pour nous, c'était important d'essayer de faire témoigner des personnes
05:28 qui ont soit été témoins, soit qui peuvent relayer ces témoignages-là, et de les protéger.
05:34 C'était un des grands défis de ce documentaire.
05:36 Camille Chaffonjon, pourquoi c'est ce reportage qui a été primé ?
05:40 Je ne suis pas moi journaliste, mais Pierre Asquy, qui est le président du jury,
05:47 nous a bien dit que c'était un reportage qui dépeignait des choses qu'on ne savait pas.
05:54 C'est très important de mettre en lumière des "petites histoires" qui ne sont très peu connues du public.
06:02 Effectivement, Wagner, on en a entendu beaucoup parler avec la situation géopolitique actuelle, avec l'Ukraine,
06:09 et on a moins connaissance de Wagner en Centrafrique.
06:13 On peut dire un mot du reportage haïtien qui a été primé ?
06:16 Oui, tout à fait.
06:18 C'est les mères célibataires en Haïti.
06:20 Le journaliste Ronel Paul, qui est d'ailleurs correspondant pour RFI,
06:25 a mis en lumière des femmes, parce que 60% des familles en Haïti sont monoparentales,
06:32 et les femmes se retrouvent souvent sur le bas-côté,
06:35 et doivent aller travailler dans des carrières sauvages.
06:42 Finalement, elles sont mises sur le banc de la société, pour la survie de leurs enfants.
06:47 C'est un reportage qui a d'ailleurs fait beaucoup polémique là-bas.
06:51 Ça fait 10 ans que ce prix Philippe Chaffanjon existe, et c'est sa dernière édition.
06:55 Pourquoi l'arrêtez-vous Camille ?
06:57 On l'arrête parce que ce prix a été créé en 2013, l'année du décès de mon père, Philippe Chaffanjon,
07:04 qui était en charge du réseau France Bleu et avant directeur de France Info.
07:09 Et encore avant, grand reporter.
07:10 Et encore avant, grand reporter de terrain, de guerre.
07:14 Un grand journaliste.
07:15 Voilà, donc un journaliste de base.
07:18 Donc ça a été une aventure de 10 ans qu'on a créée avec ma famille,
07:26 avec les amis journalistes ou non en tout cas qui nous entouraient.
07:29 On a valorisé, et ça a été hyper important pour nous,
07:33 de valoriser des journalistes français et des journalistes haïtiens,
07:37 parce qu'on a un attachement familial avec le pays.
07:40 Ce prix en Haïti a vraiment changé les choses,
07:43 en tout cas c'est ce qu'ils nous ont confié.
07:46 Tous les journalistes que nous avons vus depuis 10 ans,
07:48 ça fait avancer le journalisme et l'enquête.
07:54 Et on a donc pu récompenser 20 reportages ces 10 dernières années.
07:59 Aujourd'hui on l'arrête parce que quelque part c'est une aventure,
08:04 toutes les belles aventures ont une fin.
08:06 C'est une aventure qui a été extrêmement enrichissante.
08:09 Ça ne veut pas dire que notre engagement pour le journalisme,
08:14 et notamment le journalisme de terrain et d'enquête, doit continuer.
08:18 Il doit continuer à être valorisé.
08:20 Mais en tout cas, nous on va se concentrer sur d'autres projets.
08:24 On est surtout très fiers d'avoir pu mettre en lumière
08:27 tous ces reportages et toutes ces histoires qu'on ne connaît pas forcément.
08:31 Clément Diroma, quel sens a ce prix Philippe Chaffanjon pour vous ?
08:34 Pour nous c'est très important,
08:35 parce qu'en effet, comme l'a dit Camille,
08:36 ça permet de mettre en avant des reportages de terrain.
08:39 Nous on a passé du temps dans le pays en tant que correspondant,
08:42 ça permet de valoriser un travail qui habituellement
08:44 est plutôt destiné aux audiences africaines.
08:47 Pour nous c'est évidemment un grand honneur.
08:50 Et puis c'est positif de mettre en avant ce genre de sujet
08:53 et la parole des centres africains,
08:55 un pays sur lequel on attend de travailler.
08:57 Merci à tous les deux d'être venus sur France Info.
08:59 Et une nouvelle fois, bravo à vous Clément Diroma.
09:01 Merci Céline.

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