Migrants : quelle politique en Europe ? Avec Didier Leschi, Ayyam Sureau, Patrick Stefanini

  • l’année dernière
Ce matin dans le Grand Entretien, retour sur la politique migratoire européenne, après le naufrage dramatique la semaine dernière d'un navire transportant 750 migrants. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien-du-lundi-19-juin-2023-9068816
Transcript
00:00 Avec Léa Salamé, nous vous proposons ce matin un grand entretien sur l'une des pires
00:04 tragédies qui se soit déroulée en Méditerranée ces dernières années avec ce naufrage la
00:09 semaine dernière d'un bateau qui transportait 750 migrants.
00:13 Pour en parler, Léa, ce matin, trois invités.
00:15 Ayam Suro d'abord, bonjour, vous êtes philosophe, présidente de l'association Pierre Clavert
00:19 qui vient en aide aux demandeurs d'asile et vous fêtez cette année les 15 ans de
00:24 cette association.
00:25 Patrick Stefanini, bonjour, vous avez été secrétaire général du ministère de l'Immigration
00:29 et de l'intégration de l'identité nationale et du développement solidaire de 2008 à
00:32 2009 sous Nicolas Sarkozy.
00:34 Vous avez aussi été le directeur de campagne aux différentes présidentielles de François
00:38 Fillon et de Valérie Pécresse et vous avez publié "Immigration, ces réalités qu'on
00:42 nous cache" chez Robert Laffont.
00:43 Et enfin Didier Leschip, bonjour, vous êtes directeur général de l'Office français
00:47 de l'immigration et de l'intégration, auteur de ce grand dérangement "L'immigration
00:51 en face" dans la collection "Tract" chez Gallimard.
00:53 Bonjour à tous les trois.
00:54 Et bienvenue au micro d'Inter.
00:56 Il y avait donc plus de 700 personnes à bord de ce vieux bateau de pêche qui a fait naufrage
01:01 sur ces 700 personnes, des Pakistanais, des Syriens, des Égyptiens, seules une centaine
01:06 ont été secourues.
01:08 À ce stade, 79 corps ont été repêchés, ce qui veut dire que plusieurs centaines de
01:13 personnes sont mortes en mer.
01:15 Quelle est votre réaction ? Quelle a été votre réaction à cette tragédie à Yamsouro ?
01:19 Un grand désarroi, comme celui de tout le monde j'imagine, c'est une tragédie.
01:26 Je pense que ce qu'il faut éviter c'est de s'en servir comme argument.
01:31 Une tragédie n'est pas un argument, ni pour le militantisme immigrationniste, ni
01:36 pour le militantisme xénophobe.
01:37 C'est simplement une tragédie.
01:39 Mais ce que je pense que nous pourrions faire, c'est prendre la mesure du désarroi, pas
01:46 le nôtre, mais celui d'êtres humains qui, dans leur pays, sont dans des situations telles
01:53 qu'ils veulent bien emmener leur famille, tous leurs enfants, sur des rafios qui sont,
01:59 comme M.
02:00 Stefanini l'a dit, des poubelles, supporter l'enfer libyen, prendre le risque de mourir
02:08 dans les profondeurs de la Méditerranée qui est devenue un cimetière, ce n'est plus
02:11 la mer qui nous rassemble, c'est la mer qui nous sépare.
02:13 Quelle est leur détresse dans leur pays ? On a accusé absolument tout le monde, la
02:19 forteresse, l'Europe, les sauveteurs ou non-sauveteurs, on a accusé les passeurs.
02:24 On n'accuse jamais les États dont proviennent ces gens et qui les font vivre dans des situations
02:31 telles qu'il vaut mieux risquer sa vie, mourir, plutôt que de penser à un jour d'avenir.
02:36 Oui, effectivement, l'Agence de surveillance des frontières Frontex a été mise en cause,
02:41 les gardes-côtes grecques qui ont été pointés du doigt.
02:43 Didier Leschi, on ne découvre pas que des migrants traversent la Méditerranée au péril
02:46 de leur vie et on peut se demander ce matin, pourquoi c'est possible ? Comment c'est
02:51 possible que près de 500, 600 personnes soient mortes encore la semaine dernière au large
02:56 de nos côtes ?
02:57 Je crois que Ayam Sourau vient de le dire, c'est-à-dire que les premières nationalités
03:01 qui traversent la Méditerranée à partir de la Libye, ce sont des Égyptiens, des
03:05 Bangladais, des Pakistanais et il y a aussi des Syriens.
03:08 Et du reste, nous venons d'apprendre que les autorités pakistanaises ont réussi
03:12 quasiment en 48 heures ou en 72 heures à arrêter 9 passeurs.
03:17 Ça veut dire qu'en réalité, elles savent très bien, ces autorités, ce qui se passe
03:21 et d'une certaine manière, ça les arrange.
03:22 Les personnes passent par l'Égypte.
03:24 On ne peut pas m'expliquer que l'Égypte est un pays qui ne sait pas garder ses frontières.
03:28 Donc on est dans quelque chose qui est parfaitement organisé avec des autorités qui se satisfont
03:33 complètement de la situation.
03:35 On pourrait y rajouter que les premières nationalités qui traversent la Méditerranée
03:39 centrale à partir de la Tunisie pour aller en Italie, ce sont les subsahariens.
03:43 La première nationalité qui arrive en Italie, ce sont des Ivoiriens.
03:46 Et là encore, on est face à un pays qui a un développement économique, mais dont
03:50 les autorités ne font pas en sorte que ce développement économique bénéficie à
03:56 l'ensemble de la population.
03:57 C'est ça une partie de la réalité.
03:59 Et donc, bien évidemment, c'est un drame et c'est tragique et il faut secourir les
04:03 personnes quand elles sont en mer, mais je pense qu'on a perdu l'idée de la critique
04:07 des pays d'origine et en particulier d'un certain nombre de dirigeants qui se satisfont
04:13 particulièrement de la fuite soit de leur classe moyenne, soit de leur jeune, parce
04:17 qu'ils espèrent pour eux les voir partir.
04:19 Patrick Stéphanie, vous partagez le constat ?
04:21 Oui, je partage le constat, mais je m'interroge aussi sur la manière d'éviter que de tels
04:28 drames se reproduisent.
04:29 Alors d'abord, ça a été rappelé par Ayanne Surault, ce qui est scandaleux dans cette
04:35 affaire, c'est que le bateau ait pu quitter la Libye.
04:38 Et ça, ça traduit simplement le fait qu'il n'y a pas d'État en Libye et que les efforts
04:43 de l'ONU pour promouvoir une paix civile ont jusqu'à maintenant échoué.
04:48 Donc, aussi longtemps que la situation en Libye restera ce qu'elle est, c'est-à-dire
04:52 l'absence d'un État capable de contrôler ses frontières.
04:55 Et quand on parle de contrôle des frontières, on pense toujours à "mais on veut empêcher
04:59 des gens de rentrer chez nous".
05:00 Non, c'est le contrôle des frontières, c'est aussi empêcher des gens de quitter
05:03 son territoire dans des conditions absolument dramatiques.
05:06 Donc, tant qu'il n'y aura pas d'État en Libye, malheureusement, ce type de drame pourra
05:10 se reproduire en Méditerranée.
05:12 Et puis, deuxièmement, moi, ce qui m'a frappé, c'est que beaucoup de ces migrants étaient
05:19 originaires de Syrie, d'Égypte et du Pakistan.
05:24 Et donc, on n'arrive pas comme ça en Libye en avion.
05:27 On est venu probablement par la voie terrestre.
05:30 On a bénéficié de la complicité d'un certain nombre de pays de transit qui n'ont
05:36 rien fait pour vous retenir.
05:37 Et quelque part, il y a aussi une interpellation des politiques de l'Union européenne en
05:45 matière de relocalisation de réfugiés.
05:48 Alors, Ayam Suro connaît beaucoup mieux le dossier que moi, mais quand même, j'en
05:52 dis un mot.
05:53 Quand vous êtes Syrien et que vous passez par le Liban, au Liban, il y a des camps de
05:57 réfugiés qui accueillent d'ailleurs un nombre incroyable de demandeurs d'asile,
06:02 sans aucun rapport avec les moyens du Liban.
06:05 Et l'Union européenne a développé, mais de manière jusqu'à maintenant excessivement
06:10 timide, des politiques de relocalisation, c'est-à-dire qu'en coopération avec le
06:16 Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés, tel ou tel pays européen procède
06:22 à la sélection dans ces camps des personnes dont la demande d'asile est justifiée.
06:27 Eh bien, il faudrait beaucoup développer cette politique, il faudrait la conduire
06:31 à l'échelle de l'Union européenne, il faudrait lui donner une dimension forte.
06:35 Vous savez, moi, je plaide depuis des années pour l'asile à la frontière, ou même…
06:39 Ou même…
06:40 Mais on y va !
06:41 On y va !
06:42 Il y a un début, des prémices.
06:43 Oui, bien sûr.
06:44 Même pour l'asile dans les consulats.
06:46 Alors, on me dit, du côté du ministère de l'Intérieur, que représente d'une
06:49 certaine manière Didier Leschi, on me dit « mais Patrick, t'es devenu complètement
06:53 dingue, tu vois bien que si on ouvre nos consulats aux demandes d'asile, ils vont
06:58 être absolument submergés ». Mais il faut choisir entre les drames en Méditerranée
07:02 ou alors l'organisation de la demande d'asile.
07:06 Moi, je plaide pour l'organisation de la demande d'asile.
07:08 Les 27 ont récemment trouvé un accord sur l'asile et la migration qui prévoit notamment
07:13 la création de centres d'accueil aux frontières extérieures de l'UE pour les migrants ayant
07:18 peu de chances statistiquement d'obtenir l'asile afin d'éviter qu'ils n'entrent
07:23 sur le territoire européen.
07:25 S'ils sont déboutés, ils seront renvoyés dans leur pays.
07:28 Ayam Suro, que pensez-vous de cet accord ? Et de ce mécanisme-là ?
07:32 Une chose est sûre, c'est que tant qu'on n'aura pas créé la possibilité de donner
07:38 l'asile à l'extérieur de nos frontières, on sera toujours co-responsable des drames.
07:42 C'est sûr.
07:44 Donc, il faudra le faire.
07:46 Et vous connaissez l'argument, c'est de dire que c'est très difficile de demander
07:49 l'asile quand tu sors d'Afghanistan.
07:51 Où demander l'asile ? C'est toujours la même question.
07:54 Dans les pays transits.
07:55 Dans les pays transits, c'est ça la solution.
07:56 Vous vous rendez compte comme la route est longue ? Alors, évidemment, je vois très
08:00 très mal en Égypte, par exemple, le consulat du Caire, permettre qu'on demande l'asile
08:06 et voir les milliers de personnes, pour rester poli, les milliers, et non pas les millions
08:12 d'Égyptiens qui feraient la queue au consulat de France pour quitter leur pays, au vu des
08:17 renseignements de politique du pays.
08:19 Ce n'est pas possible.
08:20 Ils ne peuvent pas le demander chez eux puisqu'il n'y a pas de libertés individuelles et
08:24 ils sont persécutés chez eux.
08:25 Donc, ils le demanderaient dans un pays voisin.
08:27 Ce qu'on dit, c'est qu'on ne veut pas justement voir les consulats submergés ou
08:35 des queues de milliers de personnes, etc.
08:37 Mais à la place, on voit des milliers de personnes se noyer dans la Méditerranée.
08:40 Il faut le faire.
08:41 Il faut le faire.
08:42 Il faut ouvrir les consulats.
08:43 Il faut absolument le faire.
08:44 Alors, est-ce que vous dites, Patrick Stefanini, est-ce que vous dites que vous êtes complètement
08:47 faux, que ce n'est pas possible, les consulats seraient submergés ?
08:49 Non, non, moi je n'ai pas d'avis sur cela.
08:52 Je pense, par contre, comme Patrick Stefanini, qu'il faut, en ce qui concerne les Syriens,
08:57 avoir des voies d'accès légal vers l'Europe.
08:59 Et c'est vrai qu'on a de nouveau une forte arrivée de Syriens dans l'ensemble de l'Union
09:04 européenne, puisque c'est aujourd'hui la première nationalité qui arrive en demande
09:07 d'asile et qui s'inscrit dans l'Union.
09:09 Après, la difficulté de l'ensemble de la chaîne de l'asile pour les pays de l'Union
09:14 européenne et aussi pour la France, c'est qu'on a par ailleurs des nationalités qui
09:19 ne relèvent pas exactement de la demande d'asile.
09:21 Je rappelle par exemple que le troisième bloc des entrées en Europe actuellement, ce
09:25 sont des personnes qui viennent d'Amérique latine, colombien, vénézuélien.
09:30 On n'en parle jamais, mais ce sont plusieurs dizaines de milliers depuis le début de l'année
09:34 qui vont essentiellement vers l'Espagne.
09:35 Et puis, nous, on a dans les centres d'hébergement et d'une manière générale dans la prise
09:40 en charge des nationalités qui ne relèvent pas exactement de la demande d'asile au sens
09:44 où l'offre-prêt ne leur accorde que très peu de statut de protection.
09:49 Et c'est pour ça que le mécanisme européen qui est prévu est d'une certaine manière
09:53 une avancée, c'est-à-dire l'idée non pas extraterritoriale, parce qu'en réalité,
09:59 la notion d'extraterritorialité est une notion juridique.
10:02 En fait, les personnes arriveraient en Italie, par exemple, comme elles sont arrivées dans
10:06 le Var quand il y a eu un navire qui est arrivé en France.
10:10 On dirait, voilà, on traite très vite votre demande d'asile.
10:15 Et l'idée, c'est que les nationalités qui nous touchent en particulier, qui sont
10:19 très faiblement protégées parce que ce n'est pas de la demande d'asile au sens
10:22 de la Convention de Genève, et bien seraient traitées très vite.
10:25 Et donc, il y aurait un retour possible rapide.
10:28 Mais sur le droit d'asile, Patrick Stéphanini, quand vous entendez Marine Le Pen, le RN
10:33 ou certains à droite chez les LR dire "le droit d'asile, il faut le remettre à plat,
10:37 il est dévoyé, il faut remettre à plat les règles", vous le partagez aussi ? On
10:41 a un problème avec le droit d'asile ? Et ensuite, je vous demanderai, vous, à Yann
10:43 M'siurot, si ça vous inquiète, ce genre de... quand vous entendez "il faut remettre
10:47 en cause le droit d'asile".
10:48 Le droit d'asile, d'abord, je rappelle qu'il est inscrit dans la Constitution de la République
10:54 française, plus exactement dans le préambule de la Constitution de 1946, mais qui fait
10:58 partie de notre bloc de constitutionnalité.
11:00 Et il est inscrit dans une convention qu'à ma connaissance, personne ne propose de dénoncer,
11:07 qui est la Convention de Genève.
11:09 Non, mais l'Europe progresse sur la question du droit d'asile.
11:14 Et moi, je voudrais saluer les conclusions de la réunion des ministres de l'Intérieur
11:19 la semaine dernière à Luxembourg, parce qu'en effet, pour la première fois, les pays européens
11:24 se sont mis d'accord sur un mécanisme d'asile à la frontière qui va plus loin que ce que
11:29 fait la France.
11:30 Parce que la France, elle fait fonctionner l'asile à la frontière.
11:32 Par exemple, par Roissy, tous les jours arrivent des demandeurs d'asile qui n'ont pas de papier
11:36 pour pénétrer sur le territoire national.
11:37 Eh bien, on ne les laisse pas juridiquement rentrer en France.
11:42 On examine leur demande d'asile à la frontière et un certain nombre d'entre eux repartent
11:47 parce que leur demande est irrecevable.
11:49 Les pays européens sont allés plus loin.
11:50 Ils ont prévu un examen au fond de la demande d'asile aux frontières extérieures des pays
11:56 de l'Union européenne.
11:57 C'est un progrès.
11:58 Et puis, il y a un deuxième progrès dont on n'a pas encore parlé, qui concerne cette
12:02 fois-ci la solidarité entre pays européens.
12:05 C'est la généralisation du mécanisme de relocalisation.
12:09 C'est-à-dire que les pays qui sont en première ligne, la Grèce, l'Italie, Malte, etc.,
12:15 qui subissent l'essentiel de la pression migratoire en Méditerranée, ces pays ne
12:20 peuvent pas accueillir tous seuls tous ces demandeurs d'asile.
12:23 Donc la France doit en accueillir plus ?
12:26 Donc il faut faire fonctionner des mécanismes de relocalisation où la France, l'Allemagne,
12:32 d'autres pays, notamment d'Europe du Nord, pourront prendre en charge une partie de ces
12:36 réfugiés.
12:37 Et ça, c'est ce qui a été décidé par la conférence des ministres de l'Intérieur
12:42 avec la possibilité.
12:43 Tout ça peut paraître très mesquin, mais ça fait partie des négociations internationales.
12:47 Ça fait partie de la froide diplomatie avec la possibilité pour des États qui ne voudraient
12:52 pas accueillir de demandeurs d'asile sur leur territoire de verser une somme d'argent
12:57 dans un fonds qui sera géré par l'Union européenne pour améliorer la prise en charge
13:00 des demandeurs d'asile.
13:01 Alors ça peut ne pas paraître spectaculaire, mais là aussi, je crois que c'est un progrès.
13:06 Et je voudrais insister sur un point.
13:07 S'il n'y a pas une forte solidarité entre les pays européens pour gérer cette question
13:13 de l'asile, eh bien non seulement on aura des drames en Méditerranée du type de celui
13:18 qui s'est produit dans la nuit du 13 au 14 juin, mais on aura surtout une Europe impuissante,
13:24 incapable de porter une politique digne de ce nom, qui est une grande politique de souveraineté,
13:30 qui est la gestion des flux migratoires.
13:31 Ayanne Surault, quand vous entendez « remise en cause du droit d'asile », « restreindre
13:35 les conditions d'accès au droit d'asile », quelle est votre réaction ?
13:39 Je crois qu'on a tous la même réaction.
13:44 Monsieur Staphenie Harrison, le droit d'asile, comme le nom l'indique, est une des plus
13:50 belles choses qui existe.
13:52 C'est un sommet de civilisation.
13:55 Et le sacrifier, à toutes les hypocrisies actuelles, est une catastrophe.
14:02 Et donc il faut le défendre absolument à tout prix.
14:05 Il précède la Convention de Genève dont on parle tout le temps.
14:08 Il précède.
14:09 Il est dans l'esprit même de la civilisation et surtout celui de la France.
14:14 Je parle de l'asile politique.
14:17 Ce qui s'est passé, c'est qu'il n'y a plus en France tout simplement d'immigration
14:25 du travail.
14:26 Je vais mettre mes pieds au milieu du plat.
14:29 Il n'y a pas d'immigration du travail.
14:30 Et donc l'asile est la seule option.
14:33 A cause de ça, nous n'avons pas de politique migratoire et nous avons dégradé l'esprit
14:39 de l'asile.
14:40 Et la plus grande conséquence de ça, c'est qu'on fait vivre tout le monde dans le mensonge.
14:46 On oblige les personnes qui veulent venir travailler en France, avoir une vie meilleure
14:52 en Europe, une vie simplement digne et heureuse, d'inventer les motifs de persécution politique
14:57 dans leur pays.
14:58 Et on oblige les institutions de l'asile en Europe aussi à étudier par des procédés
15:05 extrêmement compliqués et extrêmement longs et ruineux, les mensonges dont ils savent
15:11 bien que ce sont des mensonges.
15:12 Didier Leschi, elle a raison ?
15:15 Ayanne Chirot, quand elle dit ça ?
15:17 Elle a raison de dire qu'il faut défendre le droit d'asile.
15:20 Elle ne dit pas que ça.
15:22 Une des manières de remettre en cause le droit d'asile, c'est de le mélanger avec l'immigration
15:27 économique en particulier.
15:29 Et bien évidemment, c'est un des enjeux.
15:32 Par ailleurs, en ce qui concerne l'immigration de travail, il y a en France une immigration
15:36 de travail qui se poursuit, puisque c'était 50 000 personnes l'année dernière, 30 000
15:41 l'année d'avant.
15:42 La difficulté que nous avons, c'est que nous n'attirons pas pour des raisons multiples
15:47 et en particulier liées à notre histoire et à l'histoire de l'immigration spécifique
15:52 dans notre pays, des personnes qui peuvent remplir l'ensemble des métiers qu'on
15:57 appelle en tension.
15:58 Vous dites que le problème de la France, c'est que notre immigration est la moins
16:01 qualifiée de tous les pays de l'OCDE.
16:03 Oui, ça ne veut pas dire qu'il n'y ait pas des gens qualifiés qui arrivent.
16:05 C'est un problème de moyenne.
16:09 Mais par exemple, quand on parle des métiers en tension, il faut regarder précisément
16:13 quelle est la liste que personne ne regarde en réalité jamais.
16:16 Mais enfin, les premiers métiers, c'est des techniciens en mécanique, mais ils travaillent
16:19 des métaux, des dessinateurs en électricité, en électronique, des règleurs, etc.
16:24 Et la France fait venir tous les ans plusieurs milliers d'informaticiens à partir du Maghreb,
16:29 des conducteurs de chantier.
16:30 Et la difficulté aujourd'hui, qui est la mienne, ma préoccupation, c'est comment
16:35 on amène ceux à qui on a accordé l'asile à être formés le mieux possible pour répondre
16:41 au marché du travail.
16:42 Et c'est ça l'enjeu.
16:43 Et le deuxième sujet qui me préoccupe particulièrement, parce que je crois que la question de l'immigration
16:48 n'est pas une question de nombre ou pas simplement, mais c'est aussi une question
16:51 sociale, c'est le logement.
16:53 Aujourd'hui, on a malheureusement près de 10 000 personnes en permanence, en moyenne,
16:59 dans le dispositif national d'accueil de demandeurs d'asile, qui n'arrivent pas
17:02 à sortir dans un chemin qui est leur souhait, c'est-à-dire d'autonomie, parce qu'ils
17:07 n'arrivent pas à trouver du logement.
17:09 Et nous avons une crise à la fois du travail et du logement qui accentue les difficultés
17:14 sociales.
17:15 Et c'est ça l'enjeu de l'immigration.
17:16 Réaction à Yann Surraud, Patrick Stéphanier, on passe au standard.
17:19 Mais il y a aussi un sujet d'intégration, ce n'est pas que le logement.
17:24 Mais tout de même, Didier Leschi a glissé sur l'immigration.
17:29 Il ne faut pas que l'asile, nous qui défendons l'asile et que nous voulons que la France
17:33 demeure un pays capable de donner l'asile et donc de le défendre, il faut donner la
17:39 possibilité aux personnes qui souhaitent travailler en France de demander de venir
17:44 travailler en France et de le considérer, tout simplement.
17:47 Sans passer par l'asile, c'est ça que vous dites.
17:51 Sans passer par l'asile, l'asile est devenu la soupape de l'immigration.
17:54 En plus avec un sas de plusieurs mois extrêmement dégradant, humiliant pour les personnes,
18:00 ça n'est pas du tout agréable.
18:01 Vous savez, je travaille dans le domaine de l'asile depuis 15 ans maintenant.
18:04 Et je peux vous dire que je sais que si vous demandiez à des demandeurs d'asile qui
18:10 font la queue à l'OFPRA, vous leur demandiez s'ils voulaient bien renoncer à leur demande
18:14 d'asile et avoir immédiatement le droit de travailler en France, il y a un certain
18:18 nombre qui vous dirait oui tout de suite.
18:20 Parce que ce n'est pas non plus agréable pour eux de raconter des histoires.
18:24 Patrick Stefanini, puis le Standard Inter.
18:27 Sur l'asile, le problème c'est qu'aujourd'hui, une majorité de nos concitoyens n'acceptent
18:34 plus le dévoiement du droit d'asile, c'est-à-dire le fait que des demandeurs réussissent
18:39 à arriver jusqu'en France pour faire une demande d'asile "bidon" et ensuite se
18:45 maintenir alors même qu'ils sont déboutés.
18:47 Et un ancien premier ministre d'Emmanuel Macron a qualifié récemment ces phénomènes,
18:53 il a parlé de l'immigration du fait accompli.
18:55 Une bonne partie de nos concitoyens n'acceptent plus l'immigration du fait accompli.
19:00 Et c'est la raison pour laquelle je pense que le développement des procédures d'asile
19:05 à la frontière, comme les ministres de l'intérieur de l'Union Européenne viennent de le décider,
19:09 ou de l'examen des demandes d'asile par les consulats, mettraient un terme à cette
19:15 forme d'immigration du fait accompli et permettraient de surcroît, Ayanne Sureau vient de le souligner,
19:21 de mieux traiter les demandeurs d'asile, de préparer leur venue en France pour ceux
19:26 d'entre eux qui, à l'évidence, sont persécutés dans leur pays d'origine, que nous avons
19:29 donc le devoir moral d'accepter et auquel nous pourrions préparer leur insertion dans
19:34 la société française, alors même qu'ils se trouveraient par exemple dans des pays
19:38 de transit.
19:39 Encore une fois, ce qui ne marche pas, ce qui choque les Français aujourd'hui, c'est
19:44 bien sûr le drame qui s'est produit en Méditerranée, mais plus globalement, c'est le fait que
19:48 la demande d'asile se déploie de manière totalement inorganisée, au milieu de beaucoup
19:54 d'indifférence et d'égoïsme des États.
19:56 Angelo est au Standard Inter.
19:58 Bonjour, bienvenue Angelo.
19:59 Oui, bonjour.
20:00 Alors le monsieur, il a de la chance de savoir ce qui choque les Français.
20:03 Parce que moi ce qui me choque, je réfléchis à ma situation de Français qui consomment
20:09 2,5 fois la planète, même si je suis sobre, je me demande s'il n'y a pas un devoir
20:15 moral de toute façon de préparer l'accueil des futures demandes d'asile que j'appellerais
20:21 climatiques, parce qu'aujourd'hui c'est une question d'actualité.
20:25 Moi je fais partie de ces Français-là.
20:27 Merci Angelo pour cette intervention.
20:32 Devoir moral d'accueil, dit-il, sur les migrations climatiques à venir, dit Zierlewski.
20:40 Mais en tout cas, il y a le devoir moral d'accueillir.
20:43 Bien sûr qu'il y a un devoir moral d'accueillir ceux qui sont persécutés.
20:47 Mais en ce qui concerne les migrations climatiques, on ne sait pas encore, tout ça est assez
20:55 fou, même si on peut penser qu'il y en aura.
20:57 A partir du moment où on pense qu'il y en aura, par exemple l'idée d'arrêter
21:01 immédiatement l'ensemble des permis de construire dans un certain nombre de villes,
21:04 en particulier le cœur des métropoles, ce qui accentue la crise du logement, alors
21:08 qu'on pense qu'il y a des millions de gens qui vont peut-être venir, il y a quelque
21:12 chose d'incohérent.
21:13 Donc quel est le programme dès lors qu'on pense qu'il y a des millions de gens qui
21:16 devront être accueillis ? Voilà, c'est ça qui me surprend un peu dans ce type de
21:21 discours.
21:22 Par ailleurs, je voudrais dire que la France est un pays globalement accueillant.
21:25 On a arrêté un certain bashing anti-français.
21:29 Nous sommes un pays globalement accueillant avec une très forte immigration.
21:33 Il n'y a jamais eu autant d'immigrants en France qu'aujourd'hui.
21:35 Quand vous entendez « submersion migratoire », quand vous entendez « chaos migratoire »,
21:38 on l'a entendu après le drame d'Annecy, est-ce que c'est juste ou pas factuellement ?
21:42 Ce qu'il faut comprendre, et on l'a vu à travers l'accord de l'Union européenne,
21:48 c'est que les pays qui ont le plus milité pour un accord sont les pays qui sont historiquement
21:54 ceux qui ont construit des états sociaux.
21:55 C'est la Suède, c'est les pays d'Europe du Nord, etc.
21:58 Parce qu'ils essayent de répondre à une angoisse d'une partie de la population qui
22:01 est, à partir du moment où on a construit un état social, comment on accueille sans
22:06 que cet état social soit démantelé ? C'est ça la question qui est posée.
22:10 Et elle est posée à travers le logement en particulier, qui est une question clé
22:13 aujourd'hui pour l'intégration…
22:14 Ça on a compris, vous y revenez, je pense que le message…
22:18 Oui, oui, mais c'est une question aujourd'hui majeure, en même temps que former des gens
22:24 aux besoins sociaux et aux besoins industriels est une question majeure pour ceux qu'on
22:27 accueille.
22:28 Et je pense qu'on est là dans des politiques qui ne sont pas suffisamment, je dirais, directives
22:32 ou importantes.
22:33 Vous avez entendu l'auditeur qui parle de devoir moral.
22:36 Où est la morale dans ça ? Vous avez écrit un texte récemment dans Libération à Yamsuro,
22:41 l'immigration n'est ni une bonne ni une mauvaise chose.
22:43 Pourquoi le débat est-il aussi passionné, épidermique, hystérique sur cette question-là
22:48 ? Ce matin, on arrive à peu près à en débattre sereinement, mais on n'y arrive
22:53 pas en général.
22:54 Oui, et moi je plaide surtout pour qu'on sorte du registre moral parce qu'on en a
22:59 par-dessus la tête des gentils, des méchants, des vénéreux…
23:02 Bref, en revanche, ce qui me frappe, c'est en fait une forme de paternalisme occidental.
23:10 Comme si le destin de tout être humain sur la Terre était de pouvoir vivre en Europe
23:16 et l'abandon complet de tout espoir de progrès, même d'histoire, dans le reste
23:24 du monde.
23:25 C'est absolument extraordinaire.
23:27 Vraiment, ça me choque et en fait aujourd'hui ça m'émeut.
23:30 Tout d'un coup l'émotion du naufrage me prend.
23:34 Ça m'émeut énormément que cette soi-disant générosité d'accueillir, accueillir,
23:40 cache en réalité un discrédit du reste du monde, incapable de progresser, incapable
23:47 de changer son gouvernement, incapable d'améliorer sa vie, incapable de progrès.
23:52 C'est quand même extraordinaire.
23:54 Ce sont des êtres humains comme les autres, avec une capacité historique comme les autres.
23:57 Vous êtes d'accord parce que c'est pas nous.
23:58 Je suis d'accord.
23:59 C'est vous.
24:00 Mais merde.
24:01 Je constate simplement que ces ressortissants syriens, qui sont à l'évidence victimes
24:05 de la guerre civile qui a sévi dans leur pays, en effet ils se projettent uniquement
24:09 pour venir dans l'Union européenne.
24:11 Je rappelle qu'à proximité, il y a par exemple les pays du Golfe, dont la richesse
24:16 n'a échappé à personne.
24:18 Comment se fait-il que ces pays ne soient pas capables d'accueillir des ressortissants
24:22 syriens alors même qu'ils viennent de réintégrer la Syrie au sein de la Ligue
24:26 Arabe ?
24:27 Parce que peut-être que le modèle européen attire plus quand même les Syriens que le
24:31 modèle saoudien.
24:32 Parce que nous sommes une grande civilisation.
24:33 Parce que l'Europe est un continent envié, on le sait, du fait de sa liberté, de son
24:42 niveau de vie.
24:43 Mais là où je crois, Ayam Suro a parfaitement raison, c'est qu'il y a une facilité
24:48 pour les dirigeants d'un certain nombre de pays d'avoir une attitude qui est de
24:51 dire au fond, d'une certaine manière, ce que vous faites, vous le ferez éternellement.
24:55 Et la seule manière de ne pas vous faire progresser, c'est de dire simplement que
25:00 nous accueillons.
25:01 Et là, il y a une impasse pour tout le monde.
25:03 Ce qui est réel pour vous au fond, c'est que chacun vive dans son pays.
25:05 Non, ce que je veux dire, c'est qu'au fond, il n'y a plus envie de partir.
25:11 Ce n'est pas avoir une pensée qui fait que rien n'est possible au sud du monde.
25:16 C'est idiot de le penser.
25:17 Sauf partir.
25:18 Vous voyez, c'est un discrédit de l'histoire au profit de la géographie.
25:23 Vous pouvez quitter votre pays, faire des kilomètres, plutôt que transformer la société
25:27 dans laquelle vous habitez.
25:28 Et ça, c'est quand même incroyable.
25:30 Il faut penser sans cesse au pays que ces migrants et demandeurs d'asile quittent.
25:37 Il faut penser à la détérioration, à leur jeunesse qui s'en va, à leur cerveau qui
25:41 s'en va.
25:42 Il faut y penser.
25:43 Par exemple, on peut être très, très angoissé quand on voit ce qui est en train de se passer
25:49 en Afrique.
25:50 Pas seulement l'effacement de la présence française en Afrique, même si malheureusement
25:54 elle est manifeste, mais aussi ce que ça implique.
25:57 La situation du Mali, la situation du Burkina Faso qui était il y a encore 15 ans des pays
26:02 prospères, aujourd'hui…
26:03 Merci à tous les trois.

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