UKRAINE - Sylvie Bermann, ancienne ambassadrice de France en Russie, est l'invitée de Amandine Bégot

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Rébellion de Wagner : Vladimir Poutine sort-il fragilisé de cette séquence ? Pour en parler, Sylvie Bermann, ancienne ambassadrice de France en Russie, auteur de "Madame l'ambassadeur : de Pékin à Moscou, une vie de diplomatie" aux éditions Tallandier.
Regardez L'invité de RTL du 26 juin 2023 avec Amandine Bégot.
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00:02 RTL Matin
00:06 Il est 7h42, excellente journée à vous tous qui nous écoutez. Amandine Bégaud vous recevez donc ce matin
00:11 l'ancien ambassadeur de France en Russie Sylvie Barman.
00:13 Sylvie Barman, on a besoin de votre expertise je le disais pour comprendre et décrypter ce qui s'est passé ce week-end en Russie. D'abord est-ce
00:20 que vous avez été surprise par ce coup de force de Prégogine ?
00:23 Oui j'ai été surprise comme tout le monde parce que ça paraît totalement
00:27 invraisemblable. Alors j'ai deux citations à cet égard, une assez ancienne qui est de Churchill
00:32 qui disait que la Russie est un rébus enveloppé de mystères au sein d'une énigme.
00:37 Donc je pense qu'aujourd'hui tout cela s'applique encore et puis
00:42 un russe, bon britannique aujourd'hui de toute façon, avait écrit un livre dans les années 90
00:50 qui disait
00:52 "Nothing is true but everything is possible". Il y en est vrai mais tout est possible.
00:56 Donc là je pense qu'on est totalement dans ce cadre là.
01:00 Personne ne s'attendait malgré l'égo de
01:03 Prégogine et les soutiens probables qu'il avait.
01:07 En particulier
01:09 chez les simples soldats ou dans des services de sécurité,
01:12 personne ne s'attendait effectivement à ce qu'il monte sur Moscou.
01:16 Alors vous diriez quoi que c'est une tentative de putsch ?
01:19 Comment vous nommez ça ? C'est important la façon dont vous vous présentez.
01:23 Alors vous avez dit au début que vous aviez beaucoup de questions pour moi
01:27 mais j'ai aussi beaucoup de questions sur ce qu'il s'est réellement passé.
01:31 D'abord on ne sait pas s'il y a eu un deal ou non entre Prégogine et Poutine avant.
01:35 Alors pour répondre d'abord à votre question, ce n'est pas un putsch,
01:39 ce n'est pas une tentative de coup d'état, c'est une mutinerie, une rébellion.
01:45 Voilà pas davantage et en fait Prégogine ne cherchait pas à prendre le pouvoir
01:52 mais à préserver les Wagner
01:56 qui avaient été menacés d'être intégrés dans l'armée
02:00 puisqu'ils étaient sommés de signer un contrat avant le 1er juillet.
02:03 Et dans ce cas là, toute cette force indépendante disparaissait.
02:06 Alors ces militians ils sont quand même, et vous le disiez,
02:08 rapprochés très près de Moscou après avoir pris Rostov.
02:12 Bon, vous disiez entre 400 et 200 km de Moscou.
02:16 En tout cas toute la journée de samedi on les a suivis, on a suivi leur avancée,
02:19 on a vu ces tranchées qui avaient été construites sur les autoroutes
02:22 pour essayer de freiner leur progression.
02:24 Pourquoi brusquement avoir reculé ?
02:27 On a du mal à comprendre cette volte-face.
02:29 On a du mal à comprendre la volte-face de Prégogine
02:32 et on a du mal à comprendre l'absence de préparation du côté de l'état russe aussi.
02:38 Prégogine je pense n'avait pas l'intention d'investir Moscou,
02:42 ça n'a pas de sens, il devait avoir à peu près 5000 personnes.
02:47 C'était plutôt un coup de bluff, un chantage, comme il l'a déjà fait.
02:53 Il l'avait fait alors c'était moins grave, moins spectaculaire.
02:56 Mais il avait menacé un jour de se retirer immédiatement de Barkhmout et de l'Ukraine
03:00 s'il n'obtenait pas des munitions, ce qu'il a fini par obtenir.
03:05 Parce que Vladimir Poutine a toujours aimé faire des arbitrages
03:11 entre différentes personnes qui remontaient directement à lui.
03:15 Même si entre elles et entre institutions elles avaient des désaccords.
03:19 Il a toujours régné un petit peu de cette manière.
03:22 Et donc jusque-là il tenait Prégogine qui était sa créature.
03:27 "Coup de bluff" vous dites Sylvie Berman peut-être.
03:31 Et vous avez évoqué l'hypothèse que Poutine et Prégogine se soient mis d'accord avant.
03:36 On n'en sait rien, vous savez on parle souvent en russe de "maskirovka"
03:41 qui est en fait une dissimulation, qui est une désinformation aussi.
03:48 Donc on ne sait pas.
03:50 Mais dans quel but ils se seraient mis d'accord sur ça ?
03:53 Je ne sais pas parce que si Prégogine effectivement l'a menacé d'aller sur Moscou,
04:01 c'est évidemment pas l'intérêt de Vladimir Poutine.
04:05 Mais comment alors qu'on dit qu'il a été informé 24 heures avant,
04:09 comment il n'a pas pu utiliser l'armée pour les bloquer bien avant l'arrivée à Moscou ?
04:14 Puisque comme vous le dites ils sont arrivés à 200 km de Moscou.
04:18 D'ailleurs lui-même n'était pas dans le convoi.
04:21 Est-ce qu'on sait où il est aujourd'hui Prégogine ?
04:23 On nous a dit qu'il avait conclu un accord, qu'il était censé rejoindre la Biélorussie.
04:29 Parce que Loukachenko est un ami de très longue date de Prégogine.
04:34 En même temps ce n'est pas Loukachenko qui a fait le deal.
04:36 Bah oui, Loukachenko c'est le...
04:39 ...de Poutine et sûrement ça a été négocié avec lui.
04:43 Puisque Poutine n'a pas voulu négocier publiquement avec Prégogine,
04:47 donc c'est effectivement Loukachenko qui joue ce rôle.
04:51 Mais Prégogine on l'a souvent vu s'afficher dans les médias, pousser des gros coups de gueule.
04:55 C'est ce qui a fait aussi le personnage.
04:59 C'est bizarre de ne pas le voir depuis 48 heures non ?
05:01 Oui, tout à fait.
05:03 Mais dans l'accord qui a été conclu, probablement il est censé se taire.
05:10 C'est-à-dire que s'il va en Biélorussie, ce n'est pas pour continuer ses activités.
05:14 Les perdants ?
05:17 Poutine, Prégogine, la Russie.
05:20 Donc tout le monde ?
05:21 Tout le monde.
05:22 Tout le monde est perdant dans cette...
05:25 ...dans cette mascarade ou dans cette rébellion.
05:30 Est-ce que vous diriez que Poutine n'a jamais été aussi affaibli que depuis ?
05:35 Je pense que oui, c'est-à-dire qu'il l'est depuis le début de la guerre,
05:38 puisque c'est sa guerre et que c'est un échec.
05:42 Peut-être qu'il gardera une partie du territoire qu'il a conquis en Ukraine.
05:46 Mais c'est un échec géopolitique, c'est un échec personnel.
05:50 Son armée est quand même mise en question,
05:54 alors que tout le monde respectait avant la Russie.
05:57 Ce que voulait Poutine, c'est jouer un rôle dans le monde et être respecté
06:01 comme une puissance mondiale.
06:03 Donc il n'est pas isolé puisqu'il a des soutiens,
06:05 en particulier dans le sud global.
06:07 Mais il y a une rupture totale avec l'Occident,
06:10 alors que les oligarques se sentent très européens
06:14 et n'avaient pas très envie d'avoir à négocier avec la Russie.
06:18 L'OTAN s'est élargie, l'Ukraine est devenue une véritable nation.
06:23 Donc de toute façon, il est affaibli, il a perdu un souci.
06:26 Ça ne veut pas dire qu'il va perdre de pouvoir.
06:28 Les États-Unis parlent de fissure réelle au sein de l'appareil d'État de Vladimir Poutine.
06:34 Emmanuel Macron, lui, de division au sein du camp russe.
06:37 C'est le cas ? Ce qu'on a vu ce week-end, c'est l'illustration de ça ou non ?
06:40 Ou on se trompe ?
06:40 Oui, mais en même temps, il y a eu beaucoup de ralliements
06:43 des institutions ou des institutionnels à Poutine.
06:48 C'est-à-dire des députés, des gouverneurs.
06:51 Pour le reste, il y a eu beaucoup d'attentisme,
06:53 ce qui est assez fréquent en Russie.
06:55 Ils tentent de voir comment les choses se passent avant de se prononcer.
06:58 Il reste soutenu, vous diriez ?
07:01 Il reste soutenu, oui.
07:02 Pour le moment, je pense que la majorité des gens qui l'entourent,
07:06 et qu'on a vu le 21 février 2022,
07:11 quand il a réuni le Conseil de sécurité devant la télévision,
07:17 qu'il a humilié le responsable des services extérieurs.
07:22 Je pense que la grande majorité des gens qui étaient dans cette salle,
07:26 étaient contre la guerre, n'étaient pas au courant,
07:29 et étaient effarés par ce qui se passait.
07:31 Et certains ont dû mesurer les risques pour la Russie.
07:36 Il y a eu une image ce matin, c'est celle de Sergueï Choygour,
07:40 le ministre de la Défense, qui était très discret ces derniers jours,
07:45 qui est l'ennemi juré de Prégogine.
07:48 Et qu'on voit donc apparaître, première image,
07:50 première apparition publique après la réveillon avortée de ce week-end,
07:54 ce matin sur la télé publique russe.
07:56 Ça, c'est un message directement adressé,
07:59 et j'imagine à Prégogine, et à l'opinion publique russe.
08:02 On tient, le pouvoir est tenu, non ?
08:05 Oui, tout à fait, parce qu'en fait,
08:07 je pense que la haine de Prégogine contre Choygour Gerasimov
08:11 tenait à la guerre en Syrie,
08:13 parce qu'il y a eu un moment où des forces Wagner ont été tuées par les Américains,
08:19 alors que les Américains avaient prévenu Choygour et Gerasimov
08:22 qu'ils allaient frapper à cet endroit.
08:24 Parce qu'il y avait des relations très étroites entre les militaires,
08:29 ils ne voulaient pas frapper les Russes,
08:31 et il y avait ce qu'on appelle la déconfliction.
08:33 Et voilà, il y a eu cet incident, et je pense que cette haine...
08:38 Date de cette époque-là et pas de l'Ukraine.
08:40 ... date au moins de cette époque-là.
08:41 Bon, ça s'est renforcé en Ukraine,
08:43 mais en Ukraine, il y a eu une partie également de bluff
08:46 de la part de Prégogine.
08:49 Mais ça remonte à ce moment-là.
08:50 Et donc, Prégogine demandait le limogéage de Choygour,
08:56 qu'il critiquait, insultait en permanence.
08:59 Là, l'apparition de Choygour
09:02 tente à montrer que c'est vraiment Choygour qui a gagné.
09:05 Il a obtenu le ralliement des Wagner,
09:08 en tout cas, la dépendance par rapport à l'armée institutionnelle,
09:14 et également, bon, apparemment, s'il est là, c'est qu'il reste en place,
09:19 alors qu'il y a eu beaucoup de bluffs sur le fait qu'il serait remplacé,
09:23 et d'ailleurs par des proches de Prégogine.
09:25 Sylvie Bergman, quelles conséquences peuvent avoir
09:28 ces incidents de ce week-end sur la guerre en Ukraine ?
09:32 Alors, je ne suis pas sûre que c'est beaucoup d'incidences,
09:35 parce que, en réalité, jusque-là, ce qui était montré,
09:38 c'est que l'armée russe, finalement,
09:41 s'était mieux organisée et résistait davantage.
09:44 D'ailleurs, c'est pour ça, probablement,
09:46 que Poutine a pu prendre le parti de Choygour,
09:48 alors qu'avant, le seul qui obtenait des victoires, c'était Wagner.
09:53 Et en réalité, les Ukrainiens étaient un petit peu exaltés,
09:59 samedi, en se disant "ça y est, c'est la fin de la Russie,
10:02 la Russie va exploser, il va y avoir une guerre civile,
10:05 ils vont se battre entre eux, et du coup, nous, on est tranquilles
10:08 et on va gagner".
10:09 Aujourd'hui, ce n'est pas le cas, on verra comment les choses progressent,
10:14 mais la contre-offensive n'est pas aussi victorieuse
10:17 qu'elle avait été annoncée.
10:19 Et probablement, pour Poutine, c'est quand même une priorité aujourd'hui.
10:23 Merci beaucoup, Sylvie Berman, de nous avoir éclairés.
10:26 On a essayé de répondre à quelques-unes des questions qu'on se pose.
10:29 Merci beaucoup.
10:30 Tout le monde est perdant dans cette mascarade,
10:31 vient de nous dire Sylvie Berman.
10:33 Sylvie Berman, vous restez avec nous ?
10:34 Vous êtes dans l'œil de Philippe Cavrivière.
10:35 !

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