SMART IMPACT - L'invité de SMART IMPACT : Frédérique KABA (Fondation Abbé Pierre)

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Mercredi 5 juillet 2023, SMART IMPACT reçoit Frédérique KABA (Directrice des Missions Sociales, Fondation Abbé Pierre)

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00:00 ...
00:05 -Bonjour, Frédéric Caba.
00:07 Vous êtes la directrice
00:09 des missions sociales de la fondation AB Pierre,
00:12 fondation qui a été créée en 1987
00:14 pour lutter contre le mal-logement,
00:17 35 ans plus tard.
00:18 Est-ce que la situation s'est aggravée ou améliorée ?
00:21 On en est où ?
00:23 -Alors, objectivement,
00:24 depuis l'appel de l'AB Pierre en 1954,
00:27 la situation s'est nettement améliorée.
00:29 La situation de mal-logement, d'habitat indigne
00:32 était extrêmement fréquente et puissante
00:34 pour les plus pauvres.
00:36 Depuis 35 ans, ce que nous voyons,
00:38 c'est une dégradation du socle de solidarité nationale.
00:41 En fait, des effets de ce qui est organisé
00:44 par l'Etat et les collectivités territoriales
00:47 pour le filet de sécurité,
00:48 pour protéger les plus précaires.
00:50 La crise sanitaire a été puissante de ce point de vue-là.
00:54 Elle nous a montré à quel point il y avait des situations
00:57 de risque de basculement de la population française.
01:00 -Ca veut dire que, peut-être pas vous,
01:02 mais collectivement, on a pris conscience
01:05 qu'il y avait des gens qui étaient à la lisière,
01:07 c'est-à-dire qui n'étaient pas mal logés,
01:10 mais qui n'en étaient pas loin, qui étaient en précarité,
01:13 difficultés à payer les loyers, etc.
01:16 C'est tout ça qu'on a vu émerger ?
01:18 -Il y a deux effets.
01:19 Il y a l'invisibilité du mal-logement.
01:21 L'habitat indigne en est une.
01:23 On vit dans une maison qui est un taudis.
01:26 On vit dans des conditions inadaptées,
01:28 sans salle de bain, avec des risques électriques forts,
01:31 avec de l'humidité.
01:32 Et puis, il y a ce qui est visible,
01:34 les personnes sans domicile,
01:36 330 000 actuellement, une augmentation de plus de 100 %
01:40 en l'espace de 15 ans, ce qui est un chiffre important.
01:43 Et puis, 4,3 millions de personnes très mal logées.
01:46 Et enfin, il y a les personnes qui vivent dans un logement
01:49 mais qui n'arrivent pas à payer leurs loyers,
01:52 voire à se nourrir.
01:53 -On passe de 4 millions à 12 millions.
01:55 J'ai vu ce chiffre en préparant l'émission,
01:58 qui, je l'avoue, m'a plutôt surpris.
02:00 Donc, quand on est 12 millions de personnes
02:02 qui sont à la limite, de quoi on parle exactement ?
02:06 -On parle de personnes qui n'arrivent pas
02:09 à payer la note énergétique,
02:10 et qui sont en précarité énergétique
02:12 parce qu'ils ont froid, trop chaud,
02:14 du fait de la qualité de leur logement,
02:17 mais aussi du fait qu'ils n'arrivent pas à payer leur fluide.
02:20 Et puis, il y a les personnes qui sont hébergées,
02:23 chez la famille, chez un tiers, et qui sur-occupent un logement.
02:26 Et enfin, ceux qui n'arrivent plus à payer leur loyer.
02:30 Le loyer peut représenter jusqu'à 40 à 50 %
02:32 des ressources du ménage.
02:34 -Et donc, ce que vous nous dites, c'est une situation
02:37 qui est plutôt en train de s'aggraver,
02:39 notamment sur le nombre de 100 domiciles fixes.
02:42 Ca fait, malheureusement, 35 ans que je fais ce métier,
02:45 et ça me donne un peu d'expérience,
02:47 mais je pense que chaque président nouvellement élu
02:50 en campagne nous a dit qu'il ne voulait plus voir de SDF.
02:53 Pourquoi ça ne marche jamais ?
02:55 -Alors, il y a deux phénomènes, de notre point de vue.
02:58 Le premier, c'est un arrêt de la production de logements
03:01 très social, qui est la réponse pour les plus précaires
03:04 et les plus pauvres. C'est un vrai problème,
03:07 depuis une dizaine d'années. Un ralentissement,
03:09 voire un arrêt, y compris les promoteurs,
03:12 se mettent à alerter sur le risque de fin de production du logement.
03:15 Un deuxième phénomène, des choix de société,
03:18 qui sont très politiques. C'est un investissement très fort.
03:21 Et puis, un troisième, de représentation.
03:24 Une personne qui est pauvre, qui a été en errance,
03:27 du point de vue global, du point de vue général
03:29 de la société civile, ne pourrait pas accéder à un logement.
03:33 Pour la Fondation Abbé Pierre, le logement,
03:35 c'est la première pierre à l'édifice du projet de vie.
03:38 On ne peut pas se construire, être en sécurité,
03:41 ne pas se projeter. -Vous parlez de logement
03:43 très social. C'est quoi, le logement très social ?
03:46 -Le logement très social, c'est un logement qui laisse, pardon,
03:50 un reste pour vivre au plus précaire, confortable,
03:54 qui leur permet de vivre au quotidien,
03:56 d'acheter leur alimentation, de payer leurs fluides.
03:59 C'est compliqué, il y a des hausses importantes.
04:01 -Payer leurs fluides, c'est l'énergie.
04:04 -Electricité, énergie, gaz, eau.
04:06 Et qui leur permet d'avoir une vie digne, une vie décente.
04:10 La dignité, c'est la qualité du logement,
04:12 mais aussi se sentir citoyen.
04:14 -Ca veut dire que vous accompagnez des programmes
04:17 soit de construction, soit de réhabilitation, c'est ça ?
04:21 -Je travaille avec une équipe de 30 personnes.
04:23 Nous instruisons la possibilité de produire
04:26 entre 600 et 800 logements par an.
04:28 Et nous nous appuyons sur le réemploi.
04:30 Nous utilisons soit des logements dégradés,
04:33 soit des bâtiments qui n'étaient pas destinés au logement
04:36 que nous réhabilitons, souvent dans des petites communes,
04:39 parfois dans des grandes communes, et nous produisons un logement
04:43 qui est envoyé très bas, et à ceux qui sont les plus précaires,
04:46 de pouvoir habiter dans des conditions dignes,
04:49 dans du beau, et aussi dans des logements
04:51 qui ne sont pas énergivores, et qui leur permettent
04:54 d'avoir une note d'énergie la plus faible possible.
04:57 -Ca, c'est un élément important.
04:59 Vous nous l'avez dit, la lutte contre la précarité énergétique,
05:03 mais aussi la rénovation de logements.
05:05 C'est vrai qu'il y a beaucoup d'enjeux
05:07 autour du diagnostic de performance énergétique.
05:10 Est-ce que... Alors, il y a deux façons de lire cette réforme.
05:16 Dire que c'est super,
05:18 il y a des immeubles insalubres
05:22 qui vont disparaître du marché, qui vont être rénovés,
05:25 et une autre lecture consiste à dire qu'il y a des propriétaires
05:29 qui ne vont pas le faire, parce que ça coûte trop cher,
05:32 et donc des logements vont sortir du marché de la location.
05:35 Comment vous réagissez ? -Alors, c'est extrêmement compliqué
05:39 de... Aujourd'hui, de ne pas...
05:42 de ne pas envisager la question de la lutte contre le mal-logement
05:47 et de la rénovation thermique
05:49 en dehors de l'accompagnement de la société.
05:51 Ca s'accompagne.
05:52 On ne peut pas juste dire qu'on va traiter le bâti.
05:56 C'est une nouvelle manière de vivre,
05:58 de regarder son logement,
06:00 c'est une nouvelle manière de partager.
06:02 La question de l'écologie est appuyée sur des fondamentaux
06:06 humains et sociaux.
06:08 Ca implique une relation particulière,
06:10 un engagement particulier à faire de ce bien commun
06:13 un bien qui ne soit pas énergivore
06:15 et qui ne pèse pas pour les générations futures.
06:18 -Est-ce que vous sentez déjà poindre ce risque
06:21 de voir des appartements sortir du marché ?
06:24 -Oui, bien sûr, nous le voyons.
06:25 Nous le voyons parce qu'effectivement,
06:28 la politique publique est axée sur la question du bâti,
06:31 et c'est une bonne chose.
06:32 Si elle ne s'axe pas également sur l'accompagnement
06:36 et un accompagnement renforcé des propriétaires
06:38 et des personnes en précarité,
06:40 il y a des propriétaires occupants pauvres et précaires.
06:43 Il faut les accompagner et mieux les accompagner.
06:46 -Vous parliez de l'effet de la crise Covid.
06:49 On se concentre un peu sur la jeunesse.
06:51 Est-ce qu'il y a eu de plus en plus de jeunes
06:53 en précarité en matière de logement
06:55 ou en précarité énergétique ?
06:58 -Il me semble aujourd'hui que la crise Covid
07:00 avait fait un effet de révélation.
07:02 Une révélation d'une situation
07:04 qui était déjà ancienne et ancrée.
07:06 La précarité chez les plus jeunes,
07:08 chez les étudiants, est manifestement active
07:11 et très forte et très puissante.
07:13 Au moment de la crise Covid,
07:14 nous avons été alertés par des syndicats étudiants
07:17 et des associations que nous soutenons.
07:19 Nous en soutenons 650 par an, autour de 900 projets.
07:22 C'est grâce à ce réseau-là que nous avons pu être alertés
07:26 très vite sur des situations d'étudiants
07:28 qui, dès la fin du mois de mars,
07:30 étaient isolés dans leur 9 m2,
07:31 n'avaient plus rien à manger,
07:33 n'avaient plus accès à l'eau, parfois.
07:36 Pour nous, ça a été une révélation
07:38 de la précarité des étudiants.
07:40 La jeunesse est en précarité,
07:41 25 % des personnes qui sont à la rue
07:44 ont moins de 25 ans.
07:45 Très souvent, elles ont eu un parcours
07:47 à l'aide sociale à l'enfance,
07:49 donc elles sont déjà stigmatisées.
07:50 Pourtant, 25 % des personnes à la rue
07:53 travaillent, parfois sont en CDI.
07:54 Il y a un décalage de réponse sociale
07:57 qui nous interroge et qui renforce
07:59 la situation de la jeunesse,
08:01 qui doit être aidée absolument.
08:03 -Qu'est-ce que vous mettez en place
08:05 pour la jeunesse ?
08:06 -Aujourd'hui, nous aidons à construire,
08:08 à réhabiliter et à proposer
08:10 des offres de logement
08:11 qui correspondent à la situation
08:13 de la jeunesse.
08:14 C'est pour la partie foyer de jeunes
08:16 travailleurs, par exemple.
08:18 Mais nous aidons aussi à accompagner
08:20 des structures, des associations
08:22 qui proposent une réponse
08:23 aux sortants de l'aide sociale.
08:25 Il y a des jeunes qui sortent
08:27 de la ZE, aide sociale à l'enfance,
08:29 à 18 ans et un jour sans rien,
08:30 et qui basculent dans la rue.
08:32 Notre objectif, c'est d'accompagner
08:34 des associations, soutenir financièrement
08:36 pour tout de suite leur proposer
08:38 un logement, pour ne pas qu'ils aient
08:40 de parcours de rue et pour les accompagner
08:43 vers l'emploi, bien sûr,
08:44 car l'emploi, c'est aussi la possibilité
08:47 de payer son logement.
08:48 -Un mot, une oise, une minute,
08:50 d'innovation sociale, ça fait partie
08:52 des leviers qu'active la Fondation.
08:54 Vous en avez une en tête ?
08:55 -Oui. Aujourd'hui, on travaille
08:57 sur des programmes d'habitat participatif.
09:00 Nous partons de l'expertise
09:01 pour construire le logement de demain,
09:03 qui correspond à leur rêve,
09:05 dans la mesure du possible,
09:07 mais surtout à leurs besoins.
09:08 Co-construire, c'est compliqué,
09:10 car sans des experts du logement,
09:12 c'est très difficile.
09:13 En même temps, c'est la clé
09:15 d'une reconnaissance et d'une lutte
09:17 contre la pauvreté.
09:18 -Merci beaucoup, Frédéric Cabaye.
09:20 A bientôt sur Bismarck.
09:22 On passe à notre débat
09:23 avec un binôme d'entrepreneurs
09:25 pour la planète.

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