L'interview de Dominique Reynié

  • l’année dernière
Le directeur de Fondapol, Dominque Reynié, était l’invité de Laurence Ferrari dans #LaMatinale sur CNEWS.
Transcript
00:00 Bonjour, Dominique Rénier, directeur général de la Fondation pour l'innovation politique.
00:03 Samedi, certains députés de la France Insoumise ont manifesté à l'appel du comité Traoré,
00:08 malgré l'interdiction de cette manifestation par la préfecture de police.
00:11 Que cherche vraiment ce parti d'extrême gauche, qui affirme que la police tue la policement dans notre pays ?
00:16 A renverser la République ?
00:18 En tout cas, il y a le pari sur le prolongement de la crise.
00:22 C'est farpent de voir que pendant les récentes émeutes, c'est le parti qui n'a pas accepté d'appeler au calme.
00:30 Il y avait implicitement le soutien aux émeutiers.
00:34 Je pense que c'est inédit, ça, de voir un parti aussi important par le nombre de ses représentants à l'Assemblée nationale,
00:39 c'est le deuxième groupe d'opposition à l'Assemblée après le RN,
00:42 ne pas s'associer à une évidente demande collective de retour au calme.
00:48 Et à peine sommes-nous, même si nous n'avons pas tout à fait terminé avec ça,
00:52 à peine sommes-nous sortis de ces violences urbaines récentes,
00:56 que ce parti se lance à la suite du clan Traoré dans une nouvelle polémique sur les violences policières,
01:06 et puis la réactivation de ce moment dramatique depuis 2016.
01:13 Et donc il y a clairement de la part de la France Insoumise l'idée qu'il faut pousser le pays à la crise politique,
01:20 une sorte de pari sur le désordre, le chaos.
01:26 Oui, en même temps, il est clair que dans l'opinion, ce parti est en train de se cornériser en quelque sorte,
01:32 vous l'avez dit, sur la police, personne, très peu de Français pensent ce que pense l'FI.
01:38 D'ailleurs, Europe Écologie, il est vert aussi.
01:40 Exactement, il faut les associer.
01:42 Associés presque systématiquement, et puis presque entièrement.
01:45 On se regarde sur la police, sur l'ordre public, sur l'obéissance aussi,
01:50 parce que la manifestation a été interdite, ils ont manifesté avec des écharpes,
01:53 c'est quand même très paradoxal, choquant même de voir des députés avec des écharpes tricolores
01:58 participer à une manifestation interdite.
02:01 Et d'une certaine manière, ce qui me frappe, moi, c'est de voir que depuis 2022,
02:05 la France Insoumise s'affiche comme un parti qui n'est plus républicain,
02:11 qui ne respecte plus les règles.
02:13 Qui est hors du champ républicain, l'a dit Elisabeth Borne.
02:15 Nous avons beaucoup de mal à le considérer comme tel,
02:18 il y a toujours cette espèce de déséquilibre, d'asymétrie,
02:22 mais chacun sait que toutes les caractéristiques observables du côté de la France Insoumise
02:27 nous permettraient de considérer que cette organisation n'est plus respectueuse de notre République.
02:31 Pour parler de la police, puisque la France Insoumise met en cause la police,
02:35 77% des Français disent avoir une bonne image de la police, selon un sondage BVAPoRRTL.
02:40 On est loin des discours de la France Insoumise.
02:43 Mais est-ce que les partis politiques ont tiré les leçons de ce qui s'est passé ces derniers jours,
02:47 des émeutes urbaines dans notre pays ?
02:49 Est-ce que l'un d'entre eux, quel qu'il soit, a une vision de société ?
02:53 Non, moi, je ne crois pas.
02:55 Je dirais même, Laurence Ferrari, que depuis les émeutes de 2005,
02:59 nous avons eu ensuite ce qu'on appelle des violences urbaines,
03:01 c'est-à-dire quelque chose de rémanent, qui sans arrêt prend feu,
03:05 et puis s'éteint, mais ne disparaît jamais, et se manifeste de toutes les façons possibles.
03:09 Agression de pompiers, heurts avec la police, trafic de drogue, désordre,
03:14 enfin c'est quelque chose qui est une forme de feu continu.
03:18 Et ça n'a pas permis, ou ça n'a pas donné l'occasion manifestement aux partis politiques,
03:22 quel qu'ils soient, ni même, je dirais, au monde de la recherche.
03:26 Toujours mon univers de la science sociale, moi je suis étonné de voir que
03:30 si peu d'universités, si peu de spécialistes sont investis dans ces domaines-là
03:34 pour fournir au gouvernement des analyses et des recommandations.
03:39 Nous sommes dans le même état, avec des clivages qui sont souvent,
03:42 dans l'interprétation comme dans l'observation, très idéologiques, droite ou gauche,
03:46 et puis aussi une espèce d'embarras à observer et à qualifier,
03:50 comme si nous redoutions de nous trouver embarqués dans une sorte d'interprétation
03:57 qui serait jugée sulfureuse. C'est quelque chose qui est très...
04:00 - Une monodite entre les lignes, c'est-à-dire que de quoi...
04:03 Pourquoi la classe politique est gênée pour qualifier ce qui s'est passé ?
04:07 Qu'est-ce qui gêne en fait ?
04:08 - En réalité, moi je pense qu'elle craint de se retrouver assimilée
04:13 au camp d'une droite extrême, parce qu'elle ferait le lien avec l'immigration,
04:18 avec une mauvaise intégration, et que ceci lui paraît être un risque politique,
04:23 un risque d'opinion. Et je trouve que nous nous caractérisons ici, nous les Français,
04:28 parce que dans beaucoup de pays européens, à ma connaissance la plupart,
04:32 on sait observer la réalité sans que ça débouche sur l'incrimination de l'observateur
04:38 ou le procès moral de ses conclusions. On peut critiquer une observation
04:42 si elle est mal faite, mais dire qu'elle est inspirée par de mauvaises pensées,
04:46 c'est un peu court quand on est devant de telles difficultés.
04:48 Car nous sommes devant des difficultés considérables.
04:50 Nous n'avons pas su réguler l'immigration, nous ne savons pas le faire aujourd'hui,
04:56 nous n'avons pas su intégrer, et plutôt même nous intégrons de moins en moins.
04:59 Donc les difficultés présentes, elles sont, je pense moi, très inférieures
05:03 à ce qu'elles vont devenir, elles vont se manifester avec beaucoup plus de force.
05:06 Et nous n'avons toujours pas de dispositif d'observation, de publicité des résultats
05:10 pour que les Français soient juges, et des idées participent au débat.
05:14 Et puis de neutralisation, je dirais, de cette discussion,
05:18 qu'on ne soit pas embarrassé par des procès.
05:20 Accusé de... Voilà, sans cesse.
05:22 Nous n'avons pas d'outils statistiques, dites-vous,
05:24 nous ne pouvons pas quantifier, évidemment, le phénomène.
05:26 Très imparfaitement.
05:27 Voilà, parce qu'il y a sans doute un tabou en France.
05:30 Les Français pourtant font le lien, pour certains d'entre eux,
05:33 entre l'Ilsie-les-Aimeuts et l'immigration.
05:35 Si j'en crois un sondage OpinionWay publié dans Le Parisien,
05:38 36% des Français font ce lien-là.
05:40 Alors même que Gérald Darmanin, ministre de l'Intérieur,
05:43 rappelait que seulement 10% des Aimeuts étaient des étrangers.
05:46 Oui, moi quand j'entends dire que seulement 10% des Aimeuts sont des étrangers,
05:50 ça ne me paraît pas seulement, si je puis dire.
05:53 Pour moi c'est beaucoup, parce que sur le fond d'événement,
05:56 ça signifie que des personnes étrangères, en France,
06:00 s'en prennent au bien aux personnes, attaquent la police.
06:04 On ne peut pas dire que c'est rien, ça.
06:06 Donc déjà c'est un événement qui est très important,
06:08 et qui met l'accent sur notre incapacité à réguler l'immigration
06:12 et à expulser ceux qui sont ici, qui ne devraient pas s'y trouver,
06:15 à fortiori, lorsqu'ils ont ce genre de comportement.
06:18 Mais d'une manière générale, on a une sorte de difficulté, je dirais,
06:24 à désigner cette réalité, à la rendre publique.
06:30 Alors le paradoxe, comme nous le disions,
06:32 c'est que comme les Français n'ont pas de données,
06:35 ils disent ce qu'ils pensent voir,
06:38 et on leur fait le reproche d'avoir des préjugés.
06:40 C'est un vrai supplice, ça, pour l'opinion.
06:43 Donnez-nous des chiffres, nous aurons la vue plus claire.
06:45 Nous n'avons pas les chiffres,
06:46 ou ils sont très difficiles d'accès, ou très rares,
06:48 ou pas publiés régulièrement, ou pas produits régulièrement.
06:51 Donc on fait comme on peut, et avec les idées que nous avons,
06:54 eh bien on se voit attribuer le qualificatif de raisonnement fait de préjugés, etc.
07:02 Donc c'est une impossibilité de ce point de vue-là.
07:05 C'est quelque chose qui, à mon avis, favorise beaucoup,
07:10 alors c'est des répétitions, j'en suis navré,
07:13 mais favorise beaucoup les partis, en particulier le RN,
07:16 qui depuis sa création comme FN, mettent l'accent sur ces sujets-là.
07:20 La réponse politique, j'en reviens à la réponse politique.
07:23 Emmanuel Macron a dit la semaine dernière,
07:25 mais qui avait prévu ce qu'il allait se passer,
07:27 à part tous les professionnels de la sécurité ?
07:29 Elisabeth Borne dit elle, il faut le prendre le temps du diagnostic.
07:33 Il n'est pas posé depuis 30 ans le diagnostic ?
07:35 Je pense que le diagnostic, nous aurions dû le poser depuis 30 ans.
07:39 Il y a une espèce de savoir implicite, officieux,
07:42 comme un secret de polychinelle, partagé d'ailleurs par tout le monde,
07:46 en réalité, dans une observation ordinaire, bien sûr un peu sommaire,
07:50 parce qu'on fait comme on peut, mais il n'y a pas, je pense,
07:54 de mystère sur le fait que nous avons trop accueilli de personnes
07:59 que nous ne savions pas accueillir, que nous ne savions pas intégrer.
08:02 Il est quand même frappant de voir qu'aujourd'hui,
08:06 on a des enfants nés en 2014 en France, donc des Français,
08:10 qui peuvent dire leur haine de la France.
08:13 Ils sont nés en 2014, ils sont Français,
08:15 ils sont peut-être de la troisième génération,
08:17 peut-être même de la quatrième génération.
08:19 Qu'est-ce que ça signifie ?
08:21 Je ne dis pas là quel scandale de penser cela,
08:23 je trouve d'ailleurs que c'est choquant,
08:25 mais quel est le processus qui conduit à ce résultat ?
08:28 Là-dessus, nous sommes au fond encore parfaitement désarmés,
08:32 alors qu'il y a quand même 20 ans que nous aurions dû devenir experts.
08:37 Et aussi quel processus pour les ramener dans le giron de la République ?
08:41 On parle d'une génération perdue, mais elle est là, cette génération.
08:44 Comment la ramener dans le giron de la République ?
08:46 Par l'éducation ? Par l'autorité ? Par la répression ? La sanction ?
08:50 Moi, c'est une combinaison en tout cas.
08:52 Autorité, répression, incitation, mais il est absurde,
08:57 et ceux qui le disent ou bien ne savent pas ce qu'ils disent,
09:00 ou bien se trompent profondément,
09:03 il est absurde d'imaginer que l'autorité n'aura pas sa part.
09:06 Il est absurde d'imaginer que la sanction n'aura pas sa part.
09:09 Et si on ne sanctionne pas des mineurs qui commettent de tels délits,
09:13 et qu'on ne veut pas non plus sanctionner les familles,
09:16 et à chaque fois on a de très bons arguments pour ne pas le faire,
09:18 ça veut dire que nous ouvrons le champ de délits
09:22 qui ne seront pas sanctionnables, sans responsabilité aucune.
09:26 Les mineurs, c'est normal, normalement ils ne sont pas responsables,
09:28 normalement c'est la famille à ce moment-là.
09:30 Mais si le mineur ne l'est pas, que la famille ne l'est pas non plus,
09:32 nous sommes collectivement nous-mêmes responsables.
09:34 C'est assez curieux quand même de demander aux Français,
09:36 qui grosso modo se tiennent très correctement,
09:39 en particulier les Français issus de l'immigration bien sûr,
09:41 leur demander de faire les frais, de supporter la charge des coups
09:46 de ceux qui se comportent très mal, qui sont une minorité,
09:48 mais qu'il faut corriger.
09:50 Il faut aussi encourager ceux qui se comportent bien.
09:52 Parmi nous tous.
09:53 A l'inverse.
09:54 Donc si on ne punit pas ceux qui transgressent les règles,
09:57 on ne récompense pas ceux qui les respectent.
09:59 On parle aussi de déducation, tout ça est absolument central.
10:03 Tant que les professeurs aussi auront peur d'enseigner dans certaines classes,
10:06 dire certains mots, on aura perdu la bataille.
10:09 Oui mais c'est une bataille, je le crains, qui se perd un peu plus chaque année.
10:13 On perd du terrain, on ne défend pas les positions,
10:17 et ça craint si vous voulez, d'autant plus qu'il y a quand même des organisations,
10:21 des groupuscules, des réalités politiques, géopolitiques,
10:27 qui ne nous facilitent pas la tâche.
10:29 Avec des élites politiques aussi qui ont parfois des propos absolument navrants.
10:33 Pape Ndiaye par exemple, qui ne veut pas supprimer les allocations familiales
10:38 pour ne pas sanctionner toute une famille,
10:40 qui dit que l'accès à l'emploi est entravé par des questions de l'immigration.
10:44 On est dans la culture de l'excuse permanente.
10:46 Oui, c'est ça.
10:48 Quand on dit qu'il ne faut pas supprimer les allocations familiales,
10:52 ce n'est pas suffisant.
10:54 Il faut dire qu'est-ce qu'on fait alors ?
10:56 Parce qu'à chaque fois on dit qu'on ne fait pas ça parce que…
10:58 Mais on fait quoi à la place ?
11:00 On voit bien la difficulté qu'il y a, mais il faut quand même y réfléchir.
11:03 Il y a des modalités sans doute qui rendent possible
11:05 de revoir les allocations familiales en fonction du comportement des enfants,
11:10 puisque les parents ont un défaut de surveillance.
11:12 C'est souvent des familles monoparentales, très difficile pour la mère, etc.
11:15 Tout ça, il faut le documenter.
11:17 Mais il est nécessaire, ce n'est pas une option,
11:19 il est nécessaire qu'on puisse identifier la responsabilité des familles,
11:22 donc les inciter ou les sanctionner, quand elles ne le respectent pas,
11:26 leurs obligations d'éducation.
11:28 Papengaé qui a aussi mis en cause les rédactions de CNews et d'Europe 1
11:32 de façon extrêmement violente.
11:34 Je tiens ici à redire tout mon respect et mon admiration pour cette rédaction,
11:37 ces deux rédactions auxquelles j'appartiens,
11:39 qui font leur travail de façon irréprochable.
11:41 On a les élites politiques qu'on mérite, n'est-ce pas Dominique Régnier ?
11:44 Oui, d'ailleurs c'est un débat qui m'en menavre,
11:47 cette sorte de jugement politique de la qualité des rédactions.
11:52 J'ajouterais quand même, Laurence Ferrari,
11:54 qu'on prend l'habitude aujourd'hui en France d'avoir des membres du gouvernement,
11:58 c'est quand même important ça,
12:00 qui se permettent des jugements politiques
12:03 sur la conformité à leurs opinions de rédaction.
12:09 Je pense que c'est un problème et que c'est une forme de déviation.
12:14 Les ministres n'ont pas à commenter la conformité à leurs yeux
12:19 de telle ou telle rédaction aux opinions qu'ils jugent légitimes.
12:22 On a parlé de ce qui s'est passé dans notre pays,
12:24 il se passe beaucoup de choses au niveau de l'Europe.
12:26 Vous m'avez signalé qu'au Pays-Bas, la démission de Marc Routteuve
12:28 a provoqué des élections anticipées en novembre
12:30 et il pourrait gagner avec une coalition plus à droite.
12:34 On l'a déjà vu dans d'autres pays européens.
12:36 C'est un vrai mouvement de fond.
12:37 C'est un mouvement de fond.
12:39 Ce qui est très intéressant avec ce parti d'agriculteurs
12:42 qui est né en 2019 dans une condition sur laquelle on va bien surpasser,
12:46 qui prospère électoralement de façon spectaculaire,
12:48 qui a remporté les sénatoriales il n'y a pas très longtemps
12:52 et qui est probablement le premier ou le deuxième parti
12:54 lors des prochaines élections.
12:56 C'est un parti qui est hostile à l'immigration,
12:59 eurocritique, hostile aux grandes métropoles
13:02 et au poids qu'ils représentent sur la vie du pays,
13:05 aux élites des métropoles en particulier,
13:07 hostile aussi à la transition écologique.
13:10 Hostile à la transition écologique.
13:11 Je pense que ça c'est une nouvelle combinaison.
13:13 On l'a déjà vu en Allemagne avec la victoire de l'AFD localement récemment
13:17 où le chef local de l'AFD faisait au fond campagne
13:21 sur le droit de rouler en diesel.
13:24 Ce sont des partis qui se présentent,
13:26 c'est le cas pour le parti agraire néerlandais,
13:29 comme le parti des gens normaux
13:31 et qui donc rejettent toute une série de nouvelles normes
13:34 qu'ils jugent édictées de manière bureaucratique
13:37 par des élites bruxellois,
13:38 c'est un peu la façon de l'énoncer,
13:40 et qui s'appliqueraient de manière autoritaire sur leur pays.
13:44 A mon avis, c'est le début d'une combinaison
13:46 qui va porter ses fruits,
13:48 c'est-à-dire la remise en question de cet agenda environnementaliste
13:53 par des partis de type populiste.
13:55 Avec un rendez-vous en 2024 pour les élections européennes
13:57 qui s'annonce évidemment extrêmement important.
13:59 Merci beaucoup Dominique Rényé d'être venu ce matin
14:01 dans la matinale de CNews.
14:02 A vous Olivier Benquemoune pour la suite de l'info.
14:04 [Musique]
14:08 [SILENCE]