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Jean-Charles Fombonne, ancien général de gendarmerie, expert en procédure criminelles est l'invité de Stéphane Carpentier alors que l'affaire Émile passe sous régime d'enquête préliminaire

Regardez L'invité de RTL du 18 juillet 2023 avec Stéphane Carpentier.

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00:02 RTL Matin
00:06 Bon réveil à vous tous, il est 7h44, merci d'être avec nous en ce mardi matin.
00:10 Ça fait dix jours, dix jours que le petit Émile, deux ans et demi, a disparu à Vernay, dans les Alpes de Haute-Provence.
00:16 Village et zone qui ont été ratissées, mais toujours rien, si ce n'est un environnement familial bien mystérieux et tant de questions sans réponse.
00:25 Je salue Jacques-Charles Fontbonne qui est en direct avec nous ce matin et je le remercie. Bonjour à vous.
00:30 Bonjour monsieur.
00:31 Ancien général de gendarmerie et expert en procédures criminelles, vous avez eu affaire dans votre carrière à des disparitions inquiétantes d'enfants.
00:38 D'ailleurs ma première question est toute simple, la disparition c'est visiblement le pire à gérer pour des enquêteurs, le plus difficile.
00:45 Vous pouvez nous expliquer pourquoi ?
00:48 Il y a tout un tas de raisons. Je dirais qu'humainement c'est difficile parce que la disparition d'un enfant,
00:55 ça vous met dans une situation qui n'est pas forcément une situation exclusivement professionnelle.
01:01 On essaye toujours en matière de police judiciaire parce que le quotidien est très difficile, de prendre un maximum de distance avec les faits.
01:08 Là, vous pouvez faire n'importe quoi à partir du moment où vous êtes mère ou père de famille,
01:12 ça vous renvoie forcément à quelque chose de personnel qui fait que l'enquête est encore plus difficile.
01:17 Et puis, vous avez, on en est l'exemple ce matin, une pression médiatique qui est importante,
01:22 vous avez une pression des autorités qui est importante, et puis d'un point de vue technique,
01:27 quelque chose qui est évident mais qui complique l'affaire de la façon que vous imaginez,
01:34 c'est que vous n'avez pas de scène d'infraction, vous n'avez pas de scène de crime, vous n'avez pas comme sur un braquage,
01:40 une zone dans laquelle les braqueurs sont entrés et ont pu laisser des traces.
01:44 Là, vous n'avez rien, c'est-à-dire que vous ne savez pas où est l'enfant,
01:47 vous ne savez pas précisément, en tout cas pas suffisamment précisément d'où il est parti,
01:53 et vous n'avez aucune idée du mode opératoire, s'il s'est perdu, s'il a eu un accident, renversé par une voiture, ou si c'est une affaire criminelle.
02:00 Jacques-Charles Fontbonne, aidez-nous à y voir plus clair.
02:02 Hier, l'enquête est entrée dans une nouvelle phase, celle de l'enquête préliminaire,
02:07 ça a été annoncé par le parquet de Digne-les-Bains.
02:10 Qu'est-ce que ça change ? Qu'est-ce que ça veut dire ?
02:13 Je vous avoue que c'est quelque chose que je ne comprends pas.
02:15 Pour faire quelque chose de simple, il y a en procédure pénale trois types d'enquête.
02:22 L'enquête pour crime ou délit flagrant.
02:25 Alors quand on dit que le crime ou le délit est flagrant, ça ne veut pas dire qu'il est flagrant au sens de évident.
02:30 Ça veut dire qu'il vient de se produire depuis moins de 48 heures.
02:33 La piste est toute fraîche, en quelque sorte, il y a un gros désordre à l'ordre public,
02:37 donc le code de procédure pénale donne, on va dire, tous les moyens aux officiers de police judiciaire.
02:41 Perquisition, audition, saisir, réquisition aux opérateurs, etc.
02:46 Au bout de huit jours, qui peuvent être prolongés d'encore une semaine,
02:50 on considère qu'il n'y a plus d'urgence et à ce moment-là,
02:53 les pouvoirs, on va dire, majeurs des officiers de police judiciaire sont réduits.
02:58 Je ne rentre pas dans le détail.
03:00 Par exemple, pour faire une perquisition, dans certains cas, ils ont besoin de l'assentiment des personnes.
03:04 « Bonjour Madame, bonjour Monsieur, est-ce que vous autorisez que nous fouillons votre appartement ? »
03:07 Normalement. L'expérience que j'en ai, lorsque l'on se trouve dans le cas d'une affaire aussi grave,
03:13 avec une disparition d'enfant, systématiquement, le procureur de la République,
03:17 qui jusque-là dirige l'enquête parce que c'est du flag ou parce que c'est du préliminaire,
03:21 demande la désignation d'un juge d'instruction.
03:23 Il produit un acte qui s'appelle un réquisitoire introductif d'instance, le mot est un peu compliqué,
03:29 et le président du tribunal judiciaire désigne un juge d'instruction.
03:32 En clair, qu'est-ce que ça veut dire ?
03:33 Ça veut dire qu'à ce moment-là, les officiers de police judiciaire vont travailler sur commission orgatoire,
03:38 c'est-à-dire un acte par lequel le juge leur dit « maintenant vous agissez en mon nom »,
03:41 mais surtout, ça veut dire qu'ils retrouvent des pouvoirs équivalents à ceux qu'ils avaient dans la flagrance,
03:46 avec en plus la possibilité d'avoir par exemple des écoutes téléphoniques
03:51 qui ne peuvent être demandées que par un juge d'instruction.
03:55 Je vous avoue que c'est incompréhensible,
03:57 parce que pour avoir traité des affaires criminelles pendant de très nombreuses années,
04:02 dans un cas comme celui-là, systématiquement, dès que le flag va tomber,
04:05 on va avoir une ouverture d'information.
04:07 Si on prend les choses dans l'ordre depuis la disparition de cet enfant,
04:10 il y a eu d'abord des recherches poussées à l'extrême sur place,
04:13 une des plus importantes opérations de ratissage judiciaire jamais menées,
04:17 des gendarmes, des bénévoles, il y a même eu des chiens Saint-Hubert qui sont rentrés bredouilles,
04:21 ce qui n'est pas rien, car ces chiens ont un flair hyper performant.
04:25 Oui, oui, on pourra en parler pendant des heures,
04:29 ce sont des chiens exceptionnels.
04:31 Je dis toujours en plaisantant que le berger allemand à côté est un chien enrhumé,
04:37 c'est quelque chose d'exceptionnel au point qu'il n'est pas possible,
04:43 il n'est pas possible que deux ou trois chiens soient passés dans la zone
04:49 où l'enfant était susceptible de se trouver sans qu'ils le trouvent.
04:53 Un, il y a toujours un potentiel d'erreur,
04:55 mais plusieurs animaux à un endroit où l'enfant serait passé, ce n'est pas possible.
04:59 Je pense qu'on peut affirmer, au moins dans une logique d'enquête,
05:03 qu'il n'est pas sur la zone où les chiens sont passés et où on l'a trouvé.
05:06 Mais c'est un dispositif logique, c'est-à-dire que c'est ce que je vous disais en commençant,
05:10 c'est extrêmement émotionnant comme affaire.
05:12 On ne peut pas ne pas.
05:14 C'est-à-dire que si on a la quasi-certitude que l'enfant n'est pas là au bout de quelques heures,
05:19 on est quand même obligé de continuer jusqu'à ce que cette certitude soit humainement absolue.
05:25 Les enquêteurs utilisent le logiciel Anacrim.
05:27 Pouvez-vous nous expliquer ce que c'est, l'expliquer aux auditeurs de RTL ?
05:30 Ça permet quoi ? D'avoir une piste, au mieux, en tous les cas une espèce de chronologie ?
05:35 Alors c'est vrai qu'on en parle beaucoup, mais ce n'est pas l'outil suprême de la poli judiciaire.
05:42 C'est un outil comme un autre.
05:44 Pour être simple, lorsque l'on a une affaire qui est très complexe,
05:49 soit par le nombre des acteurs, par exemple un gros trafic de stupéfiants
05:53 ou de la criminalité organisée, ou une enquête comme celle-là,
05:56 qui peut durer très longtemps, on parle de deux principes.
06:00 Le premier, c'est que l'enquêteur ne peut pas emmagasiner tous les éléments
06:05 et qu'ensuite, si l'enquête dure 5, 10, 15 ans, les enquêteurs vont changer.
06:09 Donc on va faire avaler à la machine tous les éléments objectifs.
06:13 Le numéro d'immatriculation incomplet, la description de quelqu'un,
06:16 une heure, un jour, un lieu, etc.
06:19 Et à un moment donné, vous allez pouvoir demander à la machine de vous faire une comparaison.
06:23 Vous allez pouvoir dire à la machine que s'est-il passé tel jour à 17h30,
06:28 qui était sur place, si la machine a bien été renseignée, elle va vous le sortir.
06:32 Monsieur X est décrit par un témoin comme étant à tel endroit à 18h,
06:38 lui nous dit qu'il n'est arrivé qu'à 19h30.
06:41 La machine nous dit qu'il y a eu une incohérence, quelqu'un s'est trompé, ça arrive.
06:45 Quelqu'un nous ment.
06:46 Quelqu'un a vu une voiture rouge, une personne a vu une voiture allemande
06:50 sans pouvoir dire qu'elle était rouge.
06:51 Quelqu'un a vu un numéro dans la plaque d'immatriculation.
06:54 Tous ces éléments sont indépendamment les uns des autres, sans intérêt.
06:58 Mais si on les regroupe et si on leur donne une unité, à ce moment-là, ils présentent un intérêt.
07:02 Et puis vous vous rappelez de l'affaire Dills.
07:03 Patrick Dills avait été sauvé par l'analyse criminelle il y a déjà longtemps
07:09 parce que les gendarmes avaient démontré qu'il ne pouvait pas,
07:12 compte tenu de la frise chronologique, c'est-à-dire du déplacement des personnes dans le temps,
07:17 qu'il ne pouvait pas être là avant la mort des enfants.
07:20 Jacques-Charles Fontbonne, vous nous dites concrètement que ça pourrait prendre beaucoup de temps, cette enquête.
07:24 Vous nous parlez tout à l'heure de pression médiatique, de la pression aussi des chefs sur les enquêteurs.
07:28 Est-ce qu'il n'y a pas aussi le fait que tous les Français se passionnent pour ce genre d'histoire
07:32 et de drame peut-être à l'arrivée ?
07:35 C'est-à-dire que nous, par exemple, les articles qu'on diffuse sur RTL.fr,
07:39 ils font entre guillemets un véritable carton parce que chacun a un avis en fait sur cette famille,
07:44 sur le gamin qui a disparu.
07:45 Est-ce que ça, ça peut jouer aussi sur le travail des enquêteurs ?
07:48 Alors, ça joue forcément négativement sur le travail des enquêteurs.
07:52 Si ça présente un avantage, c'est que si on a besoin de moyens pour continuer l'enquête,
07:56 le magistrat qui va diriger l'enquête va vous les accorder plus facilement
08:01 parce que tout ça coûte énormément d'argent, les réquisitions, etc.
08:03 Mais c'est normal, la justice est là pour ça.
08:06 Non, il y a à mon avis deux phénomènes qui sont concomitants.
08:09 Le premier, c'est celui que j'évoquais en commençant cette interview,
08:12 c'est-à-dire nous sommes tous des victimes potentielles.
08:16 Alors, quand vous arrivez sur une scène de crime et que vous ramassez trois ou quatre dealers
08:19 qui ont eu les victimes d'un règlement de compte,
08:22 vous n'avez pas la même empathie.
08:24 Ça, ça compte énormément.
08:25 Et puis, je pense depuis très longtemps qu'il y a une espèce de mise en abîme de soi-même.
08:31 C'est-à-dire qu'en fait, en s'intéressant,
08:34 je vais peut-être le dire de façon un peu crue, mais vous allez comprendre,
08:37 en s'intéressant au malheur des autres
08:40 ou en s'intéressant au fait, lorsque l'on a affaire à des criminels d'habitude,
08:44 que ce sont des gens, on va dire, malfaisants,
08:46 cela, en quelque sorte, ce malheur des autres vous protège du malheur de vous-même.
08:51 Et puis, en voyant des gens qui sont déviants socialement,
08:53 qui sont déviants d'un point de vue pénal,
08:55 ça vous rassure en quelque sorte sur l'orthodoxie de votre comportement social.
09:00 J'en suis convaincu depuis longtemps,
09:02 ce qui explique, avec des gens tout à fait ordinaires comme vous et moi,
09:05 des gens tout à fait sains socialement, on va dire,
09:08 qui élèvent leurs enfants, qui sont des voisins,
09:11 des gens tout à fait agréables,
09:13 et qui ont cet intérêt pour le crime,
09:15 cet intérêt pour des choses qui nous changent en plus un peu de notre quotidien,
09:19 qui est forcément un peu banal.
09:21 et on pourra en parler des heures, c'était passionnant de vous écouter.
09:23 [SILENCE]

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